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C'est dans ces circonstances qu'apparaît une nouvelle doctrine, dont César ignore les humbles propagateurs, mais qui s'étend rapidement et gagne de nombreux prosélytes dans toutes les classes de la société ; le Christianisme proclame une loi nouvelle, qui érige en principe l'égalité de tous les hommes devant Dieu, et l'obligation pour tous d'aimer leurs frères comme eux-mêmes; son influence pénètre lentement, mais profondément, dans la société romaine; enfin, après des luttes longues et terribles, la religion chrétienne obtient un triomphe éclatant, dont elle profite pour appeler tous les hommes à la connaissance de la vérité et à la pratique de la vertu, afin d'assurer par là le bonheur des sociétés; tel est l'ordre des faits qui se succèdent durant cette période.

Nous allons parler des caractères du droit public sous les empereurs païens, d'abord, et ensuite de l'influence générale des principes du Christianisme sur le droit public.

SECTION Ire.

CARACTÈRES DU DROIT PUBLIC SOUS LES EMPEREURS PAÏENS.

Sous le règne d'Auguste et de ses successeurs, la société romaine, on pourrait presque dire la société humaine tout entière, puisque Rome gouvernait le monde, se trouve placée dans des conditions particulières et toutes nouvelles qui méritent de fixer notre attention. Ce peuple si jaloux de sa liberté sous la république, auquel l'apparence même du despotisme portait ombrage, accepte maintenant sans murmurer le joug dela servitude que lui imposent des princes dont le règne a été souvent marqué, par l'histoire, d'une flétrissure indélébile.

Le caractère du droit public se résume dans ces deux mots, prépondérance exclusive et despotique de Rome sur le monde

entier; et, au sommet du gouvernement, usurpation de tous les droits civils et politiques par un maître absolu, dont la seule volonté dispense toutes les faveurs et règle tous les droits des sujets, soumis au, joug le plus humiliant. Jamais système d'administration plus immoral n'a pesé sur la société; ce qui rendait encore ce joug plus lourd, c'était la réunion de tous les pouvoirs dans une seule main; l'empereur exerçait à la fois le pouvoir civil et le pouvoir religieux, le pouvoir militaire et le pouvoir judiciaire ; sa volonté devenait la loi suprême, et les ordres, partant du Capitole, étaient exécutés aux quatre coins du monde; l'obéissance était passive; le pouvoir impérial s'était affranchi de toute règle et de tout frein; il était illimité.

Cette organisation, résultat de la conquête, qui courbait tous les peuples sous une volonté unique, renfermait un vice radical; il y avait sans doute unité dans le gouvernement, mais unité de despotisme qui pesait du sommet à la base, de l'empereur au dernier proconsul; mais Rome étant gouvernée par des empereurs dont le pouvoir était souvent voué au mépris public, il suffisait, pour bouleverser la société et changer le système du gouvernement, que l'ambition d'un général ou le mécontentement des soldats se portât contre la vie du maître à un attentat couronné de succès; c'est pour cette raison que, pendant une période de trois siècles, on ne découvre aucune institution vraiment féconde; les tentatives de réforme commencées aujourd'hui, étaient abandonnées demain; la révolution, durant ce long espace de temps, fut en permanence; et le peuple romain, façonné à la servitude, applaudissait à tous les changements; il lui fallait un maître ; son nom, ses titres, ses qualités ou ses défauts, lui étaient choses indifférentes.

Pendant cette période, l'autorité du sénat et celle du peuple disparurent presque entièrement;il n'en restait plus que de vains simulacres, vestigia morientis libertatis, comme dit Tacite. Le

sénat n'était point assez fort pour résister au despotisme, et le peuple, trompé si souvent dans ses espérances, finit par se résigner, acceptant, en échange de sa souveraineté, du pain et des jeux, Panem et circenses! C'est de cette époque que la décadence de Rome et de l'Italie commence à faire de rapides progrès.

La condition des sujets de l'empire fut profondément modifiée par suite du changement dans la forme de gouvernement. L'exercice des droits politiques fut très-limité et presque annulé sous les empereurs; cependant, on peut constater l'inégalité qui subsiste encore dans la jouissance des capacités civiles et politiques, et dans la répartition des charges de l'Etat.

Rome et l'Italie furent exemptées, sous Auguste et sous ses successeurs, du service militaire; on devine aisément le motif politique d'une pareille mesure; sous la république, les citoyens seuls avaient eu le droit de porter les armes ; ils trouvaient dans ce privilége une garantie pour leur indépendance politique, car un peuple armé est un peuple libre ! Les premiers soins du despotisme eurent donc pour objet l'application des mesures les plus propres à empêcher le retour à l'ancienne liberté, et parmi ces mesures, la principale consistait à désarmer le peuple, dans la crainte des soulèvements auxquels aurait pu le porter le souvenir des anciens priviléges qu'il avait perdus. Cet affranchissement du service millitaire fut donc moins inspiré par la générosité des empereurs, ou par leur désir d'alléger les charges du peuple, que par un calcul intéressé de leur ambition.

On doit à l'empire l'introduction d'un nouvel élément dans la population; je veux parler de la classe nombreuse des affranchis, composée des esclaves auxquels leurs maîtres avaient rendu la liberté. La loi établit deux degrés dans l'affranchissement l'un solennel et irrévocable, l'autre moins solennel et résoluble en certains cas. L'empereur élevait les affranchis

au rang de chevaliers, en leur donnant l'anneau (1); cependant la tache de la servitude ne s'effaçait légalement qu'à la troisième génération; mais l'omnipotence impériale pouvait devancer ce terme, et conférer, avant cette époque, des capacités politiques à la famille de l'affranchi. Cette nouvelle classe fut mise en possession d'une foule d'emplois; les affranchis entrèrent au sénat, et reçurent d'autres distinctions; leur influence se fit surtout sentir au palais impérial, où ils commandèrent en maîtres. Le règne des affranchis marque une époque de décadence dans le gouvernement; ces hommes qui devaient à l'empereur les priviléges de la fortune et des honneurs dont ils étaient en possession, devinrent les instruments aveugles de sa volonté, et les ministres complaisants de toutes les intrigues. Ainsi, les institutions nouvelles tendaient toutes au même but la confiscation de la liberté des citoyens au profit du despotisme impérial.

En même temps qu'ils travaillaient à supprimer toutes les libertés, les empereurs cherchaient à déguiser leur despotisme par la concession de certains priviléges.

Dès l'an 664, l'Italie tout entière avait reçu le droit de cité, sans marcher cependant, avec Rome, sur le pied d'une parfaite égalité. Plus tard, l'acquisition du droit de cité reçut de nouvelles facilités, jusqu'à ce qu'enfin ce droit, ayant été étendu par Caracalla à tous les sujets de l'empire, on vit les Latins, les Italiens, les municipes, les colonies, les provinces et les peregrini recevoir, avec le titre de citoyen romain, les priviléges et aussi les charges qui y étaient attachés; car il ne faut pas croire que cette concession fut un bienfait purement gratuit, inspirée par ce sentiment d'égalité et d'équité que le Christianisme devait bientôt mettre en honneur; elle fut plutôt une combinaison financière qu'une œuvre philanthropique (2). Ce fut aussi pour ce motif intéressé que, plus

(1) Voy. le titre du Digeste: De jure aureorum annulorum, XL, 10. (2) Sismondi, Hist. des Français, tom. I, p. 66,

tard, tant de priviléges furent accordés aux curies, priviléges illusoires, qui n'avaient d'autre but que d'augmenter les ressources du trésor, et qui devinrent la cause de la condition misérable où se trouvèrent, dans la suite, les curies (1).

Le sénat fut dépouillé successivement de presque tous ses anciens priviléges; ce n'était point assez pour les empereurs de s'être emparé des pouvoirs de tribun, de censeur, de consul, de dictateur, il fallait encore abaisser les magistratures qui n'étaient point absorbées par la dignité impériale, et assujettir leur indépendance politique.

César avait commencé à déconsidérer le sénat en le peuplant d'un grand nombre de ses créatures, en y faisant entrer même des étrangers (2). Auguste s'appliqua à lui faire perdre le peu de crédit qui lui restait, en recomposant cette assemblée dans des conditions qui la rendaient l'instrument complaisant de toutes ses volontés; il réussit au delà même de ses espérances, au point qu'il y eut désormais dans ce corps, autrefois si indépendant, rivalité de zèle pour la servitude; c'était à qui ferait le mieux sa cour au maître, en immolant quelque franchise ou quelque liberté échappée au naufrage; une fois entré dans cette voie sous Auguste, le sénat y persévéra sous ses successeurs, avec cette différence que plus de bassesse dans la servitude et moins de délicatesse dans le despotisme, furent souvent le caractère de la soumission du sénat et de la puissance impériale.

La dignité consulaire, également dépouillée de ses attributions, qui en faisaient la première charge de l'Etat, ne fut plus qu'une distinction purement honorifique. Le véritable

(1) M. Guizot, Hist. de la civilisation en Europe,

(2) César ayant mis au nombre des sénateurs une multitude de centurions gaulois, de soldats et d'affranchis, on afficha dans Rome cet avertissement: Le public est prié de ne pas montrer aux sénateurs le chemin du sénat. Michelet, Hist. Rom. tom. II, p. 271.

T. I.

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