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cesseurs achevèrent; l'ensemble de ces lois forma un code désigné sous le nom de lois royales; elles se rapportent, selon Vico (1), à trois points principaux, embrassant les trois éléments qui entrent dans la civilisation de l'âge héroïque : la religion, la famille, la sainteté des serments. L'idée religieuse préside à l'organisation de la république et devient comme le pivot sur lequel doivent reposer les relations sociales. La constitution de la famille devait ensuite appeler l'attention des législateurs; aussi la loi intervient-elle pour régler les droits et les devoirs des différents membres qui la composent ; enfin la fidélité aux engagements contractés, marquant la différence principale entre les peuples civilisés et les tribus barbares, la législation s'occupa d'assurer l'exécution dés contrats entre les citoyens. C'est à l'influence de cette législation que la société romaine dut, en grande partie, ses progrès dans le chemin de la civilisation, et le succès de ses efforts pour sortir de la barbarie et prendre parmi les peuples le rang qu'elle devait soutenir avec tant d'éclat. Les lois royales restèrent en vigueur pendant toute la durée du gouvernement des rois; mais elles furent emportées par la révolution qui renversa la monarchie; c'est du moins l'opinion de plusieurs auteurs qui prétendent que tous les actes du pouvoir déchu furent annulés, et que la cité fut replacée sous l'empire du droit primitif, jus incertum (2). D'autres auteurs cependant soutiennent l'opinion contraire, en s'appuyant sur le témoignage du jurisconsulte Granius Flaccus qui, au temps de Jules César, écrivit un commentaire sur la partie de ces lois relative au culte, et sur celui de Cicéron qui assure que, de son temps, on professait encore le plus grand respect pour ces lois royales (3). Ce qui paraît plus probable, dirons-nous avec M. Giraud, « c'est que quel» ques-unes de ces lois, par leur conformité aux mœurs pri

(1) De constantia jurisprud., imprimé à Naples en 1720, in-4°. (2) Pomponius, Fragm. 2 38 2 et 5.

(5) Bach, Hist. jurisprud. Rom. 1. 2, sect. II, 9.

>>vées et aux opinions politiques des Romains, furent conser» vées, mais qu'elles n'eurent que l'autorité de la coutume, à l'exception de celles qui furent expressément confirmées » par le pouvoir législatif (1). »

Quoi qu'il en soit, depuis l'époque où les Tarquins furent chassés jusqu'à la promulgationde la loi des Douze Tables, nous voyons dans la législation romaine une lacune dont l'effet se manifesta par des divisions et par des troubles continuels; les patriciens, n'étant retenus par aucun frein, se portèrent à des excès de pouvoir qui, plus d'une fois, soulevèrent les murmures des plébéiens; quand le mécontentement devenait général, le sénat faisait quelques concessions, sauf à les rétracter ensuite quand le moment de l'effervescence serait passé. Quelquefois encore il parvenait à tourner habilement l'ardeur populaire vers la guerre étrangère; mais, le danger extérieur éloigné, le peuple revendiquait de nouveau ses droits, toujours plus exaspéré, toujours plus menaçant! A la fin, il fallut entendre ses réclamations, et l'orgueil patricien dut se résoudre à donner au parti populaire les sérieuses garanties qu'il exigeait.

Ce qui motivait les plaintes des plébéiens, c'était l'absence d'une législation écrite qui les livrait sans défense au gouvernement despotique du sénat; le peuple n'était protégé dans ses droits que par la conscience de ses maîtres: or, on sait ce qu'était la conscience, à Rome, sous le règne des dieux; les Romains ne reconnaissaient vraiment que deux divinités : la Peur et la Force! C'était par la peur qu'il inspirait ou par la force à laquelle il avait recours, que le peuple pouvait espérer d'obtenir justice. Ce furent, en effet, les deux armes auxquelles il fit appel pour s'affranchir d'une tutelle qui lui était devenue insupportable; il exigea donc une législation écrite.

Les réclamations sans cesse renouvelées du tribun Teren

(1) Hist. du Droit rom. Première période, sect. II, ch. I.

tilius avaient été longtemps ajournées par la force d'inertie du sénat; la loi Terentilia, rendue l'an 292, prescrivant la formation d'une commission législative, n'avait reçu de commencement d'exécution qu'après plusieurs années de lutte contre les résistances des patriciens, lorsqu'enfin des commissaires furent choisis, vers l'an 300, pour les travaux préparatoires de cette législation; ils eurent pour mission d'aller étudier dans la Grèce les principaux systèmes de législation, afin d'arriver à faire une œuvre en rapport avec les mœurs des citoyens et avec les hautes destinées auxquelles semblait appelée la république.

Sans entrer ici dans une discussion approfondie sur la réalité de cette mission, révoquée en doute par plusieurs auteurs, nous nous contentons de rappeler que de ce concours de circonstances sortit enfin la législation des Douze Tables, promulguée l'an 303 de Rome, et reçue avec enthousiasme par le peuple, heureux d'y trouver de précieuses garanties contre le pouvoir arbitraire et despotique du patriciat; elle marquait un progrès sensible sur les lois précédentes, en proclamant une apparence d'égalité civile et politique, longtemps méconnue; égalité menteuse et hypocrite, gravée sur des tables d'airain, mais dont il n'était tenu aucun compte dans la vie et dans les relations sociales; pour justifier ce jugement sévère, il suffit de faire connaître les principales dispositions de cette loi.

Le premier fait saillant qui se présente quand on étudie les fragments de cette législation, c'est la différence de condition qui sépare l'homme libre de l'esclave: le premier a une personne civile, le second n'en a point; une autre distinction existe encore entre les hommes libres, les uns citoyens de Rome, cives romani, et les autres hommes libres étrangers, hostes, peregrini; les citoyens romains eux-mêmes sont loin d'être sur le pied d'une parfaite égalité entre eux; leurs droits sont encore décomposés : il y a un droit civil, de cité, qui ne

donne que des capacités purement civiles, jus civitatis, et un droit politique d'Etat, jus Quiritium, qui donne, de plus, des capacités politiques. Ces distinctions maintenues entre les différentes classes devaient entretenir des divisions dans la cité, et perpétuer entre les citoyens cet antagonisme dont la république ressentit plus d'une fois le funeste contre-coup.

Dans la famille, la loi favorise le despotisme du père, seul maître et propriétaire de sa race tout entière; tous les rapports de la famille dérivent de ce droit de propriété; la fille est la propriété de son père, la femme de son mari; les noms de père, d'époux, n'expriment jamais que le caractère d'une autorité sans contrôle et sans bornes; le législateur, toujours conséquent avec ses principes, défend le mariage entre les personnes des différentes classes; c'est toujours la force qui sacrifie aux intérêts de l'Etat les droits les plus sacrés de la nature! Le droit civil opprime toujours le droit naturel !

Les mêmes principes qui réglaient les rapports des différents membres du corps social présidaient à la législation qui gouvernait la propriété.

La capacité du fils à hériter de son père est bien reconnue, mais elle repose sur la volonté paternelle et non point sur le droit fondé sur la nature.

Les droits du créancier surtout violent les lois les plus imprescriptibles de la justice, avec un luxe de cruauté qui ne peut s'expliquer que par le caractère cupide et intéressé du peuple romain; après une sommation de payement, un délai de trente jours est accordé au débiteur pour remplir son engagement (1); mais, ce terme une fois expiré, si le débiteur refuse de s'exécuter, il est adjugé au créancier, chargé de fers et traité en esclave. La loi règle seulement le poids de ses chaînes (2), et fixe la quantité de pain qu'on lui donnera cha(1) Lex XII Tabularum, tab. 5', no 1.

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(2) Vincula non sint graviora quàm XV pondo. Lex XII Tab. t. 5*, n° 5.

que jour (1); au bout de deux mois, elle permet de le vendre au delà du Tibre, et, s'il y a plusieurs créanciers, de mettre son corps en pièces et de se partager les membres. Si quelqu'un en coupe trop ou trop peu, dit froidement le législateur, il n'y a pas de recours contre le partage (2).

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Il est encore un point sur lequel on retrouve cette même tyrannie du droit de la force : je veux parler de l'administra tion de la justice. En vain cherchait-elle à s'environner d'un caractère sacré ; les procès, dont on avait voulu faire une solennité religieuse, devenaient, en raison du caractère belliqueux du peuple, une véritable guerre; à l'exception des femmes et des impubères, personne ne pouvait se faire remplacer en justice; c'était la lance au poing que le Quirite paraissait devant son juge; enfin, dans les différentes phases du procès, l'action de la force était continuellement substituée à celle de la justice; l'enceinte pacifique d'un tribunal devenait le théâtre d'un combat dans lequel le succès de l'un des adversaires faisait pencher la balance en sa faveur. Cet usage, que l'on rencontre au berceau de toutes les civilisations, se perpétua pendant bien des siècles. Le christianisme ne put en avoir que difficilement raison, puisque les combats judiciaires du moyen âge, dont nous aurons à parler dans la suite, ne sont pas autre chose que l'application de l'ancien usage de Rome, également adopté, dès les temps les plus reculés, par la Germanie.

Telles sont les principales dispositions de cette législation des Douze Tables, qui fut toujours regardée par les jurisconsultes

(1) Creditor qui eum vinctum habebit, singulas farris libras in singulos dies ei dato. Lex. XII Tab. t. 5", no 4.

(2) At si plures erunt creditores, tertiis nundinis, id est, vicesimo septimo die, corpus rei in partes secanto; si plùs minùsve secuerint, sine fraude esto; si malent, trans Tiberim eum peregrè venundanto. Lex XII Tab., tab. 5', no 6. Selon l'opinion générale, cette disposition n'était qu'une menace qui ne fut jamais, à ce qu'il paraît, suivie d'effet.

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