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Les Armagnacs commencent à ravager les campagnes, à piller, violer, brûler, pendre par les pouces, couper les nez et les oreilles. Puis, ils bloquent Paris, en le menaçant de la plus horrible vengeance. Mais les Bourguignons les attaquent à Saint-Cloud, leur tuent neuf cents Chevaliers et en égorgent trois cents autres trouvés dans les caves. Puis, en représailles, un grand nombre de Parisiens Armagnacs, ou seulement suspects, sont exécutés ou jetés en prison, où beaucoup meurent de faim, ou de froid, ou étranglés. Le duc d'Orléans, le comte d'Armagnac, et deux autres Princes du sang traitent alors avec le Roi d'Angleterre pour lui livrer Paris et la France, et commettent toutes les barbaries imaginables dans les campagnes. En Beauce, ils mettent le feu à trois églises, remplies de femmes, d'enfants, de vieillards, de malades, qui périssent tous dans les flammes.Les Parisiens sont d'autant plus furieux de cette trahison et de ces barbaries que les traîtres ont juré, dit-on, de tuer le Roi et de raser Paris. Cependant, on fait la paix ; et les EtatsGénéraux sont convoqués pour remédier à la détresse générale : mais ces États étant presque aussitôt dissous par les mauvais conseils des courtisans qui entourent le Dauphin, les Bourgeois de Paris rédigent eux-mêmes un Cahier des réformes à exécuter. Puis, de concert avec le duc de Bourgogne, les Cabochiens et la Sorbonne réunis s'insurgent et s'emparent de l'Hôtel-de-Ville (en 1413); puis, l'un des chefs Armagnacs s'étant emparé de la Bastille, vingt mille hommes du Peuple accourent pour en faire le siége, la forcent à capituler, se rendent ensuite au palais du Roi, où le Dauphin se montre à la fenêtre entraîné par le duc de Bourgogne, lui reprochent de se laisser tromper par les mauvais conseils de ses Courtisans, lui font arborer une nouvelle cocarde blanche, envahissent le palais, arrêtent quarante à cinquante Seigneurs, les conduisent en prison, arrêtent aussi soixante des plus riches marchands comme suspects, et demandent au Dauphin de nommer douze Commissaires pour les juger. Le Dauphin, qui paralt tout approuver, tente néanmoins de s'évader de Paris, et écrit aux Armagnacs de venir le délivrer: mais le Peuple le garde pour empêcher la fuite ou l'enlèvement. Le frère de la Reine (odieuse au Peuple à cause de son immoralité), quinze de ses principales Dames, quatre ou cinq Grands-Officiers du palais, sont encore arrêtés. Une grande Ordonnance réformatrice en 258 articles, présentée par le Peuple, est consentie et publiée par le Roi. C'est une grande Révolution populaire! Le Dauphin, qui consent

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à tout, abandonne tous les emplois aux Cabochiens et à leur parti; et ceux-ci, essayant d'organiser la France en confédération générale, envoient leur cocarde blanche dans toutes les provinces. Mais les Armagnacs ont repris les armes ; et bientôt les Bourgeois de Paris et le Parlement, fatigués de la domination des Cabochiens, se séparent d'eux, se réunissent, se concertent et s'arment au nombre de vingt mille, tandis que le Peuple reste indifférent et neutre. Lés Cabochiens, se voyant abandonnés du Peuple, prennent la fuite; le Dauphin se met à la tête des Bourgeois; le duc de Bourgogne, trahissant son parti, se joint à eux; les prisons sont ouvertes; la paix est proclamée; on défend de donner et de prendre les titres d'Armagnacs et de Bourguignons; et une espèce de Contre-Révolution ou de Restauration s'accomplit. Mais c'est bientôt une réaction violente: les Armagnacs rentrent et reprennent le pouvoir; l'Ordonnancè réformatrice est cassée sous le prétexte que le Roi et le Dauphin n'étaient pas libres; les Bourguignons sont destitués, désarmés, exécutés, proscrits; les Cabochiens sont poursuivis jusqu'en pays étrangers comme ennemis de tous les Rois. Le duc de Bourgogne lui-même est forcé de s'enfuir devant le comte d'Armagnac, qui reprend le gouvernement; et la guerre civile recommence. L'Université déclare le duc de Bourgogne assassin, rebelle, mis hors la loi; la ville de Soissons, défendue par les Bourguignons, est prise par les Armagnacs; la garnison est passée au fil de l'épée, les femmes violées et les habitants massacrés. Cependant on fait la paix. Mais la réaction n'en continue pas moins; les femmes des Cabochiens en fuite sont exilées à Orléans; une fête funèbre est célébrée en l'honneur du duc d'Orléans assassiné. Puis une amnistie est publiée: mais on en excepte cinq cents Cabochiens; et le duc de Bourgogne recommence la guerre.

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Pendant ce temps, le Roi d'Angleterre, qui se prétend héritier du trône de France, profite de la guerre civile pour faire une invasion, et gagne la bataille d'Azincourt, après laquelle néanmoins il est forcé de rentrer en Angleterre.

Mais d'Armagnac et d'Orléans reconnaissent l'Anglais pour Roi de France; les infâmes l'invitent à une nouvelle invasion; et bientôt les Anglais sont en Normandie et menacent Paris.

Cependant, le Duc de Bourgogne marche aussi sur Paris; et lè Comte d'Armagnac, nommé Connétable, s'empare du pouvoir ab

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solu; empoisonne, dit-on, le Dauphin et ensuite son frère, qui tous deux moururent à vingt et dix-huit ans ; exploite le nouveau Dauphin, âgé de quatorze ans ; exile à Tours la Reine Isabeau ; établit un système de terreur; arrête tous les suspects; fait exécuter publiquement les uns comme conspirateurs: fait noyer ou étrangler secrètement les autres; accable la Nation d'impôts; excite une haine universelle, et finit par exiler trois cents des principaux dans le Parlement, dans le Barreau et dans la Bourgeoisie. Le Duc de Bourgogne publie alors un manifeste; accuse le Comte d'Armagnac de tyrannie et d'empoisonnement des deux Dauphins; fait beaucoup de promesses au Peuple; délivre la Reine, s'unit avec elle et fait bloquer Paris. Amiens, Abbeville, Rouen, se déclarent en sa faveur. Mais l'invasion anglaise fait des progrès effrayants, tandis que le Comte d'Armagnac, d'accord avec l'étranger, redouble les supplices et la terreur. -C'est alors que Périnet-le-Clerc conspire pour livrer la porte SaintGermain à Lille-Adam, Général Bourguignon, le 29 mai 1418, à deux heures après minuit ; et quoiqu'il mette quatre cents bourgeois dans la confidence, le secret est parfaitement gardé. Le Général arrive à l'heure indiquée, et entre avec huit cents hommes, auxquels se réunissent quatre cents conjurés armés. Puis l'insurrection éclate aussitôt et se précipite au palais. Le Roi est pris, le Dauphin se réfugie à la Bastille et s'évadera ensuite. Le Comte d'Armagnac n'a que le temps de se cacher chez un maçon du voisinage, qui le livrera bientôt dans la crainte d'une visite domiciliaire; et tous les Armagnacs sont arrêtés dans leurs maisons.

M. de Sismondi raconte ainsi la suite des événements:

« Les Cabochiens et les autres bannis des classes inférieures du Peuple rentrent alors à Paris. Leurs familles ont été traitées avec une telle cruauté qu'on ne doit point s'étonner s'ils ne respirent que vengeance. Toutes les prisons sont remplies de ceux qu'ils ont arrêtés comme Armagnacs. Mais ils commencent à s'apercevoir que leurs chefs veulent faire marchandise de tous ces captifs, et qu'ils ne les menacent de la justice que pour les engager à se racheter à plus haut prix. Des alarmes continuelles augmentent l'agitation de la multitude; toutes les nuits on sonne le tocsin; on annonce l'arrivée des Anglais pour délivrer les prisonniers; on les dit à la porte Saint-Germain, à la porte Saint-Marceau; et le Peuple, qui court de l'une à l'autre, loin de se calmer en n'y trouvant personne, n'en est que

plus furieux pour avoir été trompé. Un potier d'étain, dans la nuit du dimanche 12 juin, commence à exhorter le Peuple à se mettre à l'abri du rétour et du triomphe de ses ennemis, en tuant tous les Armagnacs prisonniers. Ce conseil farouche est accueilli avec avidité... Bientôt la foule se porte avec fureur vers les prisons de l'Hôtel-de-Ville et entreprend de les forcer... Les Sires de l'Isle-Adam, de Luxembourg et de Fosseuse, accourent aussitôt avec près de mille chevaux; mais, voyant un rassemblement de quarante mille personnes armées de maillets, de haches et de massues, aucun d'eux n'osa dire autre chose, sinon: Mes amis, vous faites bien... La cour du palais est forcée; le Connétable Comte d'Armagnac et le Chance. lier sont entraînés dans la cour et assommés. La populace dépouille leurs corps et coupe, sur la peau du Connétable, de l'épaule droite au côté gauche, une lanière figurant l'écharpe appelée bande d'Armagnac, qui sert de signe de ralliement au parti... Les insurgés, rendus plus furieux par le sang qu'ils ont versé, marchent alors de prison en prison, forcent les portes et tuent, à coups d'épées ou de haches, tous ceux qu'ils y trouvent enfermés... La prison de SaintEloi est la première dont ils se rendent maîtres, puis le petit Châtelet, où, avec une apparence de régularité, un d'eux s'empare de l'écrou des prisonniers et les appelle les uns après les autres; mais, à mesure qu'ils passent le guichet, ils sont massacrés... C'est là que périssent les Evêques de Coutances, de Senlis, de Bayeux, d'Evreux, deux Présidents du Parlement et plusieurs magistrats... Au grand Châtelet, les prisonniers, qui se sont procuré des armes, se défendent pendant deux heures; et les assaillants y mettent le feu pour les étouffer dans la fumée... Les autres prisons sont forcées à leur tour... On a du sang jusqu'à la cheville dans leurs cours.... Les cadavres, traînés dans les rues par la populace, sont livrés à mille outrages; des femmes, des enfants, sont égorgés... Des Prêtres refusent leurs secours à des enfants mourants à côté de leurs mères... De seize cents à trois mille prisonniers périssent ainsi; et beaucoup d'Armagnacs sont tués dans leurs maisons... Cependant, quelques-uns des meneurs de la populace, moins accoutumés que les Gentilshommes à répandre le sang, commencent à éprouver des remords pour tous les meurtres qu'ils ont commis: on assure que sept ou huit cents d'entre eux meurent de désespoir à l'Hôtel-Dieu... D'autres, au contraire, imposent silence à leurs remords par de nouvelles fureurs.... Les arrestations recommencent; les prisons sont de nouveau rem7

T. I.

plies... Les prisonniers sont encore massacrés au grand et au petit Châtelet... Le Duc de Bourgogne tente de les calmer; il leur livre lui-même plusieurs des prisonniers de la Bastille et du Louvre... Mais il propose aux plus exaltés d'aller combattre les Armagnacs hors de la ville; et quand cinq ou six cents sont sortis, il fait fermer les portes pour les empêcher de rentrer.

« Peu après, les Anglais prennent Rouen et Pontoise, dont ils massacrent les habitants, sans oser attaquer Paris. »

Et c'est un Prince du sang qui commande ces massacres!

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Mais le Dauphin a seize ans, et le voici sur la scène pour être Roi bientôt : comment débute-t-il?

Régent du royaume, il demande au duc de Bourgogne une entrevue sur le pont de Montereau: le Duc arrive; et le Dauphin le fait assassiner sous ses yeux par dix Seigneurs.

Mais le Duc à un fils, qui ne respire que vengeance contre l'héritier de la couronne; et tout change.

La Reine, ennemie du Dauphin son fils, vient trouver à Troyes le jeune duc de Bourgogne; le roi d'Angleterre y vient aussi ; et le Bourguignon, n'écoutant que son implacable haine, consent à reconnaître le Roi étranger pour Régent de France, et pour Roi après la mort du fou royal. Entraînés par son exemple, les Pairs, un nouveau Parlement et les Parisiens, reconnaissent le Régent anglais (Henri V), qui fait une entrée magnifique à Paris, qui épouse une Princesse française, et qui fait mettre à la Bastille un Maréchal de France assez irrévérencieux pour oser le regarder en face!

Voilà donc les Anglais à Paris, où, après la mort de leur roi Henri V laissant pour héritier son fils Henri VI mineur, le duc de Bedford est reconnu Régent pour celui-ci, qui sera bientôt lui-même couronné Roi.

Voilà les Anglais maîtres de la moitié de la France, et alliés avec les ducs de Bourgogne, de Bretagne, d'Orléans et d'Armagnac. Mais ils vont être chassés.

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