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raché le Roi de Versailles malgré ses gardes!... Ah! nous repoussons de toutes nos forces les vengeances populaires; nous proclamons que la vengeance n'est jamais nécessaire, qu'elle est toujours indigne de l'homme, souvent nuisible et quelquefois funeste au Peuple qui s'y abandonne dans sa colère mais qu'ils sont présomptueux et aveugles les hommes qui ne voient pas l'irrésistible puissance de la Révolution et de la Démocratie, qui ne sentent pas que le Peuple n'oubliera jamais le massacre de Château-Vieux, qui ne veulent pas prévoir qu'un jour, que bientôt peut-être, le Peuple et les Soldats entreront vainqueurs aux Tuileries et seront maîtres de Louis XVI et de tous leurs cruels oppresseurs!...

§ 8.

- Approbation du massacre par l'Assemblée.

Que va faire l'Assemblée, le 3, après avoir reçu la lettre de Bouillé et celle du Directoire? Va-t-elle s'enquérir si les Commissaires nommés le 31 sont partis, et les presser de partir pour arrêter le mal autant que possible? Va-t-elle gémir de ce que Bouillé n'a pas attendu les deux Députés qu'il demandait et de ce que sa précipitation a entrainé les malheurs que la proclamation de Barnave avait pour but de prévenir? Va-t-elle attendre des renseignements impartiaux ou contradictoires, pour approuver ou pour blâmer la conduite de Bouillé ? — Hélas, rien n'est plus facile à deviner, la Droite et le parti ministériel sont enchantés de Bouillé; ils triomphent avec lui et comme lui; c'est un héros à leurs yeux; sa lettre est la vérité même; suspecter sa parole serait un crime; et par conséquent vous allez entendre les applaudissements!... Ce sont eux-mêmes que les conspirateurs vont couronner en couronnant l'exécuteur de leurs ordres secrets!..,

Je demande, dit Pérugnon, que l'Assemblée applaudisse au zèle

et au courage du Directoire, de la Municipalité et de M. Bouillé. » (L'Assemblée applaudit.)

.-M. Bouillé, dit Beauharnais, quoique indignement calomnié, est aussi recommandable par ses vertus que par ses talents (la Droite applaudit)... Mais je regrette que le Général n'ait pas eu à obéir au décret du 34. On lui reprochera peut-être de n'avoir pas parlementé; mais à quel titre un régiment Suisse aurait-il empêché des citoyens français, qui se présentent en vertu de la loi, d'entrer dans une ville française?... Je propose de décréter : Que l'Assemblée la conduite des Gardes nationales et des troupes; qu'elle approuve la approuve conduite de M. Bouillé ; et que la liste des Gardes nationaux morts dans cette affligeante circonstance sera envoyée au Comité des pènsions. (L'Assemblée applaudit.) »

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— Larochefoucaut-Liancourt demande qu'un monument soit élevé à la mémoire des citoyens morts. »

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L'ordre vient d'être rétabli dans cette ville par la voie des armes, dit A. Lameth; il faut au moins qu'il y soit maintenu par la justice la plus impartiale. La proclamation du 31 disait que des Commissaires seraient envoyés, pour faire parvenir la vérité, pour connaître les causes des désordres, pour en découvrir les véritables auteurs, et pour les faire punir sans distinction de grades et de dignités. Eh bien! ces Commissaires ne sont point partis, et leur présence me paraît aussi instante en ce moment qu'avant les événements qui se sont passés à Nancy; car ce n'est pas seulement l'insubordination mais les causes, ce n'est pas seulement les soldats mais les Officiers, mais les chefs, mais les coupables, sans aucune distinction de personnes, que l'Assemblée veut punir... Je demande donc que les Commissaires partent à l'instant et que le Conseil de guerre ne soit mis en activité que sur leurs réquisitions. »

Il ignore que Bouillé et ses complices n'ont rien de plus pressé que de faire pendre et rouer!..,

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Quelque parti que l'Assemblée prenne relativement aux Commissaires, dit le Député ministériel de Nancy, Régnier, je crois qu'il est important de ne pas retarder les témoignages d'approbation pour M. Bouillé. (On applaudit.)... »

Menou et Roederer parlent dans le même sens.

Mirabeau semble d'abord vouloir blâmer impartiale

ment la précipitation de l'Assemblée; il dit qu'il serait sage d'attendre, avant tout, le rapport des Commissaires (ce qui excite les applaudissements de la Gauche et les murmures de la Droite); mais c'est une ruse, car il propose d'approuver immédiatement le zèle de la Municipalité et du Directoire, le patriotisme et la bravoure héroïque des Gardes nationales, la conduite glorieuse de Bouillé et des troupes en remplissant leur devoir, et le dévouement civique de M. de Silly... Il propose un décret par lequel tous sont approuvés et remerciés.

Et c'est en vain que trois fois Robespierre demande la parole et monte même à la tribune: les conspirateurs ne veulent pas entendre une voix indépendante et franche; le décret de Mirabeau est adopté sans contradiction possible.

Mais ce n'est pas encore assez : Lafayette, qui s'est identifié, pour ainsi dire, avec Bouillé, qui lui a envoyé deux de ses Aides-de-camp (ce qui n'est peut-être guère légal et constitutionnel), va faire tous ses efforts et employer toute son influence pour abriter sa responsabilité morale derrière l'approbation de la Municipalité et de la Garde nationale. D'abord il convoque, de concert avec Bailly, les soixante Bataillons et les exhorte à délibérer (ce qui n'est nullement constitutionnel) et à voter des remerciements à la Garde nationale de Metz et à Bouillé. - Trente-deux Bataillons cèdent à ses instances; mais vingt-huit y résistent, malgré toute sa popularité précédente, ce qui prouve une profonde désapprobation du massacre, en sorte qu'on peut dire que la Garde nationale de Paris condamne la conduite de Bouillé et même celle de Lafayette.

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Le Bataillon du District des Cordeliers, répond même : Quelque opinion que nous ayons de la valeur de toutes les Gardes nationales qui ont pris part à la malheureuse affaire de Nancy, nous ne pouvons manifester d'autres sentiments que celui de la douleur,

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Le 6o Bataillon de la 1re Division va plus loin encore.

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. Considérant, dit-il, que le Général est responsable à la Patrie du sang qu'il a fait couler, à moins qu'une impérieuse nécessité ne lui en ait fait une loi rigoureuse; que loin d'être un héros animé par le patriotisme, il peut n'être qu'un homme avide de sang et de carnage; que la victoire peut lui mériter plutôt des supplices que des lauriers : - a arrêté : « Qu'en déplorant sincèrement l'erreur funeste où paraissaient avoir été induites les Gardes nationales et les troupes de ligne qui ont accompagné M. Bouillé, il serait fait des compliments de condoléance à ces troupes; que, pour ce qui « concerne le Général, M. Bouillé, il serait nommé un commissaire < pour aller sur les lieux, prendre des informations exactes; que les cinquante-neuf autres Bataillons seraient invités à en faire autant; « que 66 les soixante Commissaires, après s'être réunis à Nancy, viendraient faire leur rapport à la Garde nationale parisienne, qui, après un mûr examen, voterait des remerciements à ce Général, ou «.. poursuivrait sa punition; → que ledit arrêté, pris à l'unanimité, ❝ sera envoyé aux cinquante-neuf autres Bataillons, aux Gardes na«tionales des quatre-vingt-trois départements et aux Garnisons des « troupes de ligne.

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Les conspirateurs entravent l'exécution de ce redoutable arrêté : mais cette énergie d'une grande partie de la Garde nationale déconcerte et arrête la Contre-révolution.

Mais Lafayette et Bailly ne s'en tiennent pas à la délibération peu satisfaisante de la Garde naționale; et, le 20, entraînée par eux, la Municipalité donne, au Champde-Mars, en présence d'une Députation de l'Assemblée, une magnifique fête funèbre en l'honneur des Gardes nationaux tués en combattant, sous le commandement de Bouillé, pour l'ordre public et les lois.

Le Peuple, au contraire, pleure les victimes de Bouillé et de ses aveugles instruments; et Lafayette, si bien accueilli à la Fédération, ne trouve aujourd'hui, ainsi que Bailly, qu'un accueil sombre et glacial.

Cette farce politique, dit Marat, était d'une magnificence in-croyable toute l'enceinte du Champ-de-Mars était tendue de drap

noir; et les tribunes étaient peintes en larmes. Qu'on juge des sommes prodiguées pour cette vaine pompe, dans un temps où regne la plus profonde misère, dans un temps où les pauvres meurent de faim! Mais de quel droit la Municipalité jette-t-elle de la sorte les fonds de la Commune? Les Sections doivent-elles souffrir que la subsistance de la veuve et de l'orphelin serve au faste des ennemis de la Patrie?... "

Et pendant cette fête funèbre, les Soldats de marine se révoltent à Brest contre l'oppression de leurs Officiers, comme ceux de Toulon viennent de le faire tout récemment, tandis que les Aristocrates préparent l'insurrection dans le camp de Jalès, tandis que la Droite, marchant toujours à la contre-révolution, aura bientôt (21 octobre) l'audace de demander la cocarde blanche pour les marins, que l'abbé Maury s'abandonnera à sa fureur contre la Gauche jusqu'à ébranler la tribune et la saisir comme pour la lancer sur elle, et que les Officiers de la garnison de Bedfort oseront crier (29 oct.): Vive l'Aristocratie! A bas la Nation!

Aussi l'organe des Contre-révolutionnaires, l'Ami du Roi, est transporté de joie et d'espérance, insolent et menaçant! Il outrage tous les auteurs de la Révolution, et par conséquent même l'Assemblée Nationale quand elle était révolutionnaire !... Il traite les patriotes de mutins, de rebelles, de factieux, de brigands, et les menace tous du même châtiment que Bouillé vient d'infliger à ceux de Nancy...

§ 9. Loustalot meurt de douleur au sujet du massacre.

Le 19, veille de la fête funèbre, Loustalot, dont le talent et le patriotisme ont attiré deux cent mille abonnés au journal de Prudhomme les Révolutions de Paris, meurt, à l'âge de vingt-huit ans, de douleur d'avoir vu la guerre civile à Nancy.

On trouvera peut-être que nous avons trop souvent pro

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