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rence que nous ne pouvons agréer. Je propose, pour éviter toute équivoque, de décider tout de suite quels sont les termes et la forme de la sanction, et de ne point désemparer que la promulgation ne soit obtenue.

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-L'Assemblée, ajoute Robespierre, en disant que ces arrêtés seraient sanctionnés, a cru qu'il ne fallait que les promulguer... II faut que vous déclariez aujourd'hui si vous voulez que l'Assemblée soit privée de sa Constitution... La Nation a-t-elle donc besoin, pour la Constitution, d'une autre volonté que la sienne?»

Et l'Assemblée, qui partage généralement ces opinions, charge son Président de demander une seconde fois la promulgation des décrets.

« Ils n'ont en vue, dit Màrat (l'ami du Peuple), dans ce refus de sanction, que de se ménager un parti formidable, le Clergé, les tribunaux, etc... Ils cherchent à se ménager le moyen de continuer à accaparer les grains et de réduire le Peuple à la famine... Voilà donc le Prince, rendu l'arbitre suprême des lois, cherchant à s'opposer à la Constitution, avant même qu'elle soit ébauchée... Ne nous y fions pas! on cherche à reculer l'époque de la Constitution; on cherche à nous endormir, à nous leurrer. »

Néanmoins, Louis XVI ne fait encore, le 20, qu'une réponse également évasive.

Cependant la disette augmente toujours; on croit généralement que la principale cause du mal est la conspiration permanenté de la Cour, et que le principal remède consisterait à soustraire le Roi à son influence en l'amenant à Paris les Gardes-françaises, auxquels se joignent beaucoup d'ouvriers, commencent à parler d'aller à Versailles s'emparer de la garde du château.

C'est dans ces graves circonstances que le Moniteur publie, d'accord sans doute avec le ministre des finances, un article foudroyant contre la Cour en révélant un horrible pacle de famine.

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« Tout annonce depuis plusieurs jours, dit le Moniteur, l'approche d'un violent orage. Les partisans des anciens abus, désespérés d'une révolution qui, affranchissant le trésor public du tribut auquel l'avaient assujetti la bassesse et l'intrigue, sapait les fondements de leur fortune, se liguent pour la faire échouer et pour relever l'idole du despotisme. L'intérêt de l'autorité royale, si longtemps chère à la Nation qui, durant tant de siècles, n'avait trouvé qu'en elle seule un rempart contre la tyrannie des prêtres et des grands, mais que les vexations des ministres et le brigandage des favoris avaient depuis rendue si redoutable; un feint attendrissement sur le sort du Roi, qu'ils représentent dépouillé, avili, détrôné, et qu'ils avaient en effet réduit à cette condition déplorable jusqu'au moment où le Peuple le délivra enfin du cruel et honteux esclavage auquel ils l'avaient condamné, sont les prétextes dont ils usent pour colorer leurs perfides projets.

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C'est par ces artifices que, lors de la fameuse question de la sanction royale ou du véto, ils parvinrent à séduire une grande partie de l'Assemblée Nationale elle-même, en présentant les sages précautions de la liberté comme des attentats contre la personne du Prince et les patriotes comme des conjurés, comme si les vrais soutiens de la puissance du Monarque n'étaient pas ceux qui l'affermissent sur la base immuable et sacrée de la Constitution, et les vrais conspirateurs ceux qui mettent tout en œuvre pour dégrader à la fois le Prince et le Peuple en changeant le Roi en despote et les citoyens en esclaves... Ils ne virent d'autre parti à prendre que d'amener une dissolution violente de l'Assemblée Nationale... Ils employèrent les mêmes mesures pour semer la division entre les provinces, et répandirent le bruit que la Normandie offrait au Roi soixante millions, un asile et une armée, et qu'elle invitait sa majesté à s'éloigner d'une capitale révoltée et à venir fixer son séjour à Rouen.

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Cependant la famine investit le Peuple de Paris lorsqu'une superbe récolte semblait lui assurer l'abondance... Depuis longtemps le despotisme de la Cour et l'avidité des riches de toutes les classes étaient ligués pour enchaîner le Peuple par la faim et lever un impôt sur ses sueurs et sa misère. Ce fut en 1730 que commencèrent ces spéculations atroces... Les agents du gouvernement donnèrent le cé

lèbre arrêt du conseil de 1764, qui permit l'exportation des grains à l'étranger, sous prétexte de hausser le prix des terres, mais en effet pour doubler le produit de l'impôt des vingtièmes et ouvrir la carrière au plus affreux brigandage.

« Le plan d'opération du gouvernement exigeait de grandes avances, car on n'achète pas le blé à crédit. Les riches propriétaires, les financiers, les gens de robe, les gens de cour, tous s'empressèrent de lui porter leurs fonds, dans l'espoir certain d'augmenter le revenu de leurs capitaux et de leurs propriétés territoriales. Les ministres et Louis XV lui-même prirent part à cet horrible trafic. Le Roi fit une avance de 10 millions pour favoriser la sortie des grains hors du royaume et gorger son propre trésor de la substance même de ce Peuple dont il avait été l'idole et qui lui avait donné le surnom de Bien-Aimé.

. Pour assurer le succès de cette monstrueuse association, un arrêt du Conseil vint défendre d'écrire sur l'administration des finances. On répandit ensuite des armées de sbires inquisiteurs pour surveiller jusqu'aux soupirs du désespoir; et le plus impénétrable mystère couvrit et les meurtrières manœuvres et les calculs affreux d'une société d'hommes, ou plutôt d'une troupe de bétes féroces, qui s'apprêtaient à dévorer la plus riche contrée de l'Europe.

Enfin, le 12 juillet 1767, M. de Leverdy vendit la France à une compagnie de monopoleurs. Quatre millionnaires, preneurs du bail, couvraient de leurs noms cette tourbe de ministres, d'intendants de finances, d'intendants de provinces, de présidents et conseillers de Cours souveraines, et cette foule de courtisans et de financiers conju rés contre la subsistance d'une Nation entière.

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Quatre intendants des finances se partagèrent le royaume, se distribuèrent un nombre égal de provinces à ravager, et entretenaient la correspondance avec les intendants provinciaux... Malisset, ancien boulanger, enrichi, nommé par le Roi généralissime agent de l'entreprise, devait se transporter partout où le besoin le requerrait pour commander, diriger et payer cette foule d'ouvriers, de commissionnaires, d'inspecteurs ambulants, de blatiers, de batteurs en grange, de cribleurs, de voituriers, d'emmagasineurs, et de gardiens de greniers domaniaux, forteresses et châteaux royaux, où s'amoncelaient tous les ans, sous le nom du Roi, tous les grains et farines dits du Roi. Les parlements secondaient avec ardeur cette opération ministérielle (aux bénéfices de laquelle les Parlementaires participaient). Les

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C'est dans ces critiques circonstances, au milieu de l'inquiétude et de la colère générales, que l'État-major de la Garde nationale de Versailles et l'ancienne Municipalité, composés d'hommes dévoués au Château, demandent un secours de mille hommes de troupe réglée, pour les aider à maintenir l'Ordre public.

Et cette demande cause à l'instant la plus vive agitation à Paris, à l'Hôtel-de-Ville, dans les Districts, au PalaisRoyal: on dit partout que c'est une manœuvre de la Cour; que ces mille hommes sont inutiles, puisque les Gardesdu-corps, les dragons de Montmorency, les Suisses, les Cent-suisses, la Maréchaussée et la Garde nationale, suffisent pour maintenir la tranquillité; qu'ils ne sont appelés que pour quelque mauvais projet, pour favoriser le départ du Roi pour Metz; qu'il rentrerait à la tête d'une armée étrangère, et qu'il essaierait de régner par droit de conquête. On parle de nouveau de marcher sur Versailles avec du canon, pour empêcher la fuite ou l'enlèvement.

Le Ministre de la guerre ayant annoncé que le régiment de Flandres allait arriver, Bailly lui écrit, pour le conjurer de se rendre au vœu de la capitale en donnant contreordre à ce régiment.

Néanmoins le régiment de Flandres arrive à Versailles, le 23, escorté par le Corps municipal et par les Officiers supérieurs de la Garde nationale, qui sont allés à sa rencontre; et la Municipalité de Paris, plus alarmée qu'auparavant, demande de nouveau le renvoi de ces soldats, tandis que la Presse commence à demander que le Roi vienne, avec la Reine, passer l'hiver à Paris, et que l'Asblée vienne y siéger dans la galerie du Louvre.

grande cérémonie, qui a lieu le 27, à Notre-Dame,

On renouvelle, en avril 1788, la permission d'exporter les grains hors du royaume; et quand la grêle eut détruit la récolte de cette année, tous les grains de l'année précédente se trouvaient dans les magasins de la compagnie. Le Ministre, réduit à composer avec les assassins, pour les empêcher d'égorger la Nation entière après l'avoir dépouillée, engagea le Roi à racheter d'eux, à grand prix, la subsistance de son peuple; et Louis XVI fit le sacrifice de quarante millions.

A l'approche des États-Généraux, les associés et croupiers du pacte de famine reprirent leurs travaux avec une nouvelle ardeur... M. Berthier, intendant de Paris, et M. Lenoir, chef de la police, étaient alors, à ce qu'on assure, les chefs de la compagnie... Et telle fut leur habileté dans leurs cruelles manœuvres qu'ils réussirent, en 1789, à occasionner une disette réelle au sein de l'abondance, et à faire apparaître le fantôme épouvantable de la famine aux yeux des malheureux Parisiens. »

Il est facile de concevoir l'irritation profonde et universelle que la révélation de ce pacte de famine produit contre les accapareurs, les monopoleurs et les aristoerates.

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· Quoi, s'écrie Camille Desmoulins, en vain le Ciel aura versé ses bénédictions sur nos fertiles contrées! Quoi, lorsqu'une récolte suffit à nourrir la France pendant trois ans, en vain l'abondance de six moissons consécutives aura écarté la faim de la chaumière du pauvre ; il y aura des hommes qui se feront un trafic d'imiter la colère céleste! nous retrouverons au milieu de nous, et dans un de nos semblables, une famine et un fléau vivant! Pour avoir de l'or, des hommes out infecté d'un mélange homicide la denrée nourricière de leurs frères !... Ils ont dit : Que m'importe les souffrances, la douleur et les gémissements du pauvre, pourvu que j'aie de l'or! Que m'importe que les hôpitaux se remplissent de scorbutiques, pourvu que j'aie de l'or! Que m'importe qu'au milieu de ses enfants une mère se désespère de ne pouvoir leur donner du pain, pourvu que j'aie de l'or...! Égoïstes exécrables, et pourquoi cet or? C'est pour couvrir de mets délicats votre table et celle du vice et de la débauche que cent mille familles ont manqué de pain! Il vous fallait donner des illuminations, des fêtes splendides voilà pourquoi les hôpitaux retentissent des gémissements de ceux que vous avez empoisonnés ! »

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