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Quelques-uns s'effraient de ce mot Peuple; mais Mirabeau s'écrie de nouveau : « Plus habiles que nous, les héros bataves qui fondèrent la liberté de leur pays prirent « le nom de Gueux. Les amis de la liberté choisissent le " nom qui les sert le mieux et non celui qui les flatte le plus : «< ils s'appelleront les Remontrants en Amérique, les Pâtres « en Suisse, les Gueux dans les Pays-Bas, et se pareront « des injures de leurs ennemis. »

Cependant Sieyes préfère une nouvelle dénomination, Assemblée Nationale, et cette dénomination est adoptée par 491 contre 90.

Le 17 juin, le Tiers-Etat, considérant qu'il représente à lui seul les quatre-vingt-seize centièmes de la nation, se déclare constitué sous le titre D'ASSEMBLÉE NATIONALE, et invite de nouveau les Députés des deux autres Ordres à venir faire vérifier leurs pouvoirs et à se réunir à lui pour travailler à la restauration nationale et à la régénération de la France. Bailly est provisoirement proclamé Président; et six cents Députés jurent, en levant leurs mains ensemble au milieu d'un enthousiasme partagé par trois ou quâtre milliers de spectateurs, « de remplir avec zèle et fidélité les << fonctions dont ils sont chargés. »

Puis l'Assemblée décrète que les contributions, telles qu'elles existent, quoique illégalement établies, sont consenties, au nom de la Nation, mais qu'elles cesseraient d'être exigibles en cas de dissolution.

Elle déclare aussi qu'elle va s'occuper avant tout des moyens de faire cesser la disette.

Elle décide enfin que ses arrêtés seront immédiatement communiqués au Roi et à la Nation.

Et vous devinez l'enthousiasme populaire, l'étonnement et la colère de la Noblesse et de la Cour !

Mais avant d'aller plus loin, écoutons ces mémorables

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paroles prononcées par Target: « On a dit qu'il fallait compter les citoyens par les propriétés; certes ce paradoxe est bien étrange. La propriété du pauvre est plus « sacrée que l'opulence du riche. Il faut compter les têtes « et non pas les fortunes. Un système contraire serait des«tructif de tout droit national; il éteindrait l'amour de la patrie et nourrirait l'égoïsme. »

$5. Serment du Jeu de Paume,

Le Tiers-État vient réellement de se déclarer souverain et supérieur au Roi comme à la noblesse et au clergé : que vont faire Louis XVI et les privilégiés?

Louis XVI écrit d'abord aux Communes une lettre dans laquelle il se plaint de leur résistance à sa volonté mais cette lettre ne fait qu'irriter les esprits.

Le Clergé délibère, le 19, sur l'invitation du Tiers; et la majorité se prononce pour la réunion, malgré les efforts contraires de l'archevêque de Paris. Néanmoins le Président déclare que le vote est tout différent et se hâte de lever la séance : mais les partisans de la réunion, à la tête desquels sont les archevêques de Vienne et de Bordeaux, les évêques de Chartres, de Rhodez et de Coutances, veulent absolument continuer la séance et recompter les suffrages; et 149 membres signent pour la réunion contre 135 qui la repoussent.

La majorité du Clergé va donc, le 20, se réunir à l'Assemblée nationale.

Jugez encore de l'enthousiasme populaire à cette nouvelle, et de l'effroi de la Cour!

Quant à la noblesse, elle persévère, proteste, et fait une adresse au Roi, dans laquelle elle lui dit :

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Interprètes en ce moment de la Noblesse Française, « c'est en son nom que nous jurons à Votre Majesté une « reconnaissance, un amour sans bornes, un respect et « une fidélité inviolables pour sa personne sacrée, pour « son autorité légitime et pour son auguste maison royale.

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L'esprit d'innovation menace les lois constitutionnel«<les : l'ordre de la noblesse réclame les principes, il a suivi la loi et les usages.

« C'est entre les mains de votre Majesté même que nous déposerons nos protestations; et nous n'aurons jamais « de désir plus ardent que de concourir au bien du Peuple « dont votre Majesté fait son bonheur d'être aimé.

« Ce ne sont pas nos intérêts seuls que nous défendons, Sire; ce sont les vôtres, ce sont ceux de l'État, ce sont « enfin ceux du Peuple français.

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Puis ces Nobles, ces Parlementaires, ces Prélats, ces Notables, qui luttaient si vivement contre le Roi et ses ministres en 1787 et 1788, tous ces anciens opposants qui refusaient des secours à la Royauté et la contraignaient à convoquer les États-Généraux, effrayés maintenant de l'audace des députés populaires, épouvantés de la révolution qui les déborde, se réconcilient définitivement avec la Cour, se jettent aux pieds du Roi, le conjurent de les sauver et de se sauver lui-même en renvoyant ou paralysant les Etats-Généraux.

Cependant toute la France est dans la plus vive agitation la stagnation du commerce et de l'industrie, le manque de travail, la misère et la disette, réduisent au désespoir des masses d'ouvriers, qui se réunissent en bandes, parcourent les campagnes, se jettent dans les fermes, dans les châteaux, et répandent la crainte du pillage.

Dans beaucoup de villes et surtout de villages, la Bour

geoisie s'arme spontanément pour repousser ce qu'on appelle les brigands.

Celle de Marseille s'étant ainsi armée, le Parlement d'Aix veut la punir comme coupable elle-même d'illégalité et d'attroupement séditieux : mais cette rigueur aristocratique ne sert qu'à soulever tous les Bourgeois contre les Parlementaires.

Partout on accuse la Cour et l'Aristocratie d'organiser les bandes de brigands, tandis que la Cour et l'Aristocratie accusent le duc d'Orléans de les soudoyer par ambition, pour arriver au trône; partout on éprouve le besoin pressant de voir les États-Généraux apporter un remède à cette situation déplorable, et partout on s'indigne contre la Noblesse qui paralyse leur action.

C'est au milieu de cette irritat on universelle que le TiersÉtat, constitué en Assemblée Nationale, nomme un Comité des subsistances, et s'ajourne, le 19 au soir, pour commencer ses travaux le 20 au matin, et pour recevoir la majorité du Clergé qui doit venir opérer sa réunion.

Une foule immense accourt dès le matin pour assister à ce grand événement.

Les députés et leur président Bailly arrivent vers les neuf heures.

Mais la salle est occupée militairement par les Gardesfrançaises! les portes sont fermées! et des soldats repoussent les Représentants de la Nation!

En même temps des hérauts d'armes publient dans les rues une proclamation avertissant que le Roi veut tenir une séance royale le 22; que des préparatifs indispensables dans la salle exigent la suspension des séances; et qu'une nouvelle proclamation fera connaître l'heure de la première réunion.

Voilà comment Louis XVI, entraîné par la Reine, le

T. I.

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comte d'Artois et la Cour, et n'étant plus qu'un instrument entre leurs mains, traite les mandataires qu'il a lui-même appelés les Représentants de la Nation! Il fait brusquement fermer la porte de leur salle sans même les prévenir, comme a fait le jeune Louis XIII lorsqu'il a dissous les États-Généraux de 1614!

Mais la Bourgeoisie de 1789 n'est plus celle de 1614 : le Parlement, qui s'est réuni dans une auberge en 1788 pour protester contre Louis XVI, son lit de justice et sa cour plénière, a montré comment on doit résister aux coups d'état du despotisme.

Et ce n'est aussitôt qu'un cri d'indignation et de colère parmi les Députés et dans le Peuple.

Bailly proteste d'abord vis-à-vis de l'officier qui commande la force armée, comme il a protesté déjà vis-à-vis le Grand-maître des cérémonies qui ne l'a prévenu qu'à deux heures du matin.

Puis, tandis que des groupes formés sur l'avenue de Versailles proposent d'aller à l'instant même à Marly tenir séance au pied du château où se trouve alors le Roi; tandis que d'autres proposent de se réunir dans la place d'Armes comme dans un nouveau Champ-de-Mars; Bailly, à la tête d'un grand nombre d'autres représentants, se rend dans un vaste jeu de paume situé dans le voisinage, entre deux haies de spectateurs, au milieu des acclamations du Peuple et des soldats eux-mêmes.

Dans cette salle, sombre et nue, ne se trouvent qu'une table, quelques chaises et des bancs.

Mais la séance s'ouvre; les députés sont debout; Bailly rend compte de la lettre qu'il a reçue du Grand-maître des cérémonies et de la réponse qu'il y a faite pour protester. Quelques-uns demandent qu'on se rende à Paris, à pied, pour y délibérer sous la protection du Peuple, Mounier

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