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elle signale encore ses progrès et sa passion pour la liberté par les tentatives de ses protestants en faveur de la République, par les insurrections de la Ligue et de la Fronde, par de nouvelles tentatives républicaines sous Henri IV et sous Louis XIII, et par les résistances du Parlement à la volonté testamentaire de Louis XIV et au despotisme de Louis XV et de Louis XVI.

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Le mouvement progressif est peut-être plus remarquable encore parmi les écrivains de tous les pays!

Longtemps avant 1500, Bérenger, Abailard, Arnaud de Brescia, Pierre de Bruys, Wicleff, Jean Huss, Savonarole, prêchent la Réforme, l'Égalité et la Liberté, tandis que, dès 1294, le moine Roger Bacon donne à la Raison et aux Sciences une impulsion nouvelle.

Dans le seizième siècle, la Boëtie, Languet, Bodin, parlent de souveraineté du Peuple et de République dans leurs écrits. Un chancelier d'Angleterre, Thomas Morus, publie même un ouvrage fameux, l'Utopie, traduit et lu partout, dans lequel il prêche l'égalité de fortune et la communauté des biens.

Dans le dix-huitième siècle, Grotius, Hobbes, Leibnitz, Puffendorf, Barbeyrac, discutent les droits naturels des hommes et des Nations, tandis que Harrington, Milton, Sidney, Cumberland, Locke, ce dernier surtout, étonnant génie, proclament hardiment la Souveraineté du Peuple, l'Égalité et la République.

Puis l'imprimerie, la réforme, les deux révolutions anglaises de 1649 et 1688, la fastueuse protection de Louis XIV. pour les lettres, ou plutôt la sage impulsion donnée par Colbert aux sciences et aux arts, préparent une foule d'écrivains pour le dix-huitième siècle.

Je ne parle ni des poètes dramatiques, Molière, Corneille, Racine, Voltaire, ni des écrivains religieux, Fleury,

Fénélon, Massillon, Bridaine, qui tous expriment des sentiments populaires.

Je ne parle pas non plus des romans politiques et philosophiques qui présentent de nouveaux systèmes d'organisation sociale.

Je rappellerai seulement Hume, Morelli, Montesquieu, Rousseau, Voltaire, Beccaria, Filangiéri, Helvétius; la nombreuse secte des Économistes, Turgot, Mably, Condillac, Raynal; les Encyclopédistes, d'Alembert, Diderot, Condorcet, Beaumarchais, Franklin, Th. Payne.

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Et dans leurs ouvrages, lus alors avec avidité, tous ces écrivains discutent et défendent la liberté de conscience et d'opinions, la liberté individuelle, la liberté de la presse, la liberté de commerce et d'industrie; tous reconnaissent la souveraineté nationale; tous demandent l'extinction de la misère et l'éducation pour le Peuple; - Quelquesuns pensent qu'il faut conserver l'inégalité de rang, de condition et de fortune; mais d'autres vont jusqu'à demander la communauté des biens; et, dans son immortel Contrat social, qui devient presque un catéchisme universel, Rousseau démontre la justice et la nécessité d'établir l'égalité sociale, civile et politique.

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Turgot fait plus: ce n'est pas seulement un écrivain exposant des théories, c'est un ministre qui, en 1776, applique les principes des Philosophes, qui diminue les impôts, supprime les priviléges, abolit les monopoles et l'oppression féodale; et qui demande au Roi d'établir l'instruction publique, des Représentations Communales et Provinciales, même une Représentation Nationale.

Mais l'Amérique fait bien plus encore: là, treize vastes Etats se confédèrent, déclarent et conquièrent leur indépendance, constituent une immense République fédérative composée de treize grandes Républiques, et, s'adres

sant au Genre humain, sous les auspices de l'Etre suprême, proclament et mettent en pratique les droits naturels de l'homme, les droits sociaux du citoyen, la souveraineté du Peuple, l'égalité sans noblesse ni priviléges, la liberté dans toutes ses applications, et la Démocratie fondée sur le suffrage universel.

Et c'est une armée française qui, transportée à deux, mille lieues, a facilité et consolidé cette révolution!

Et cette armée, rentrant avec Lafayette, vient de rapporter en France le récit de tous ces prodiges!

Deux autres révolutions, en Pologne et en Belgique, viennent encore remuer les esprits.

D'un autre côté, l'affreux libertinage et la scandaleuse immoralité de la Cour et du haut Clergé lui-même excitent une irritation universelle.

Et le Parlement de France, imitant l'énergie des Américains, vient de donner au Peuple l'exemple de la résistance à l'arbitraire et de l'insurrection contre le despotisme!

Et le Peuple français est assemblé au commencement de 1789, pour réclamer ses droits, pour réformer les abus!

Que l'on joigne à toutes ces excitations une disette affreuse causée par une horrible grêle, un froid excessif, un hiver effroyable, une misère inouïe, et des armées de malheureux accourant à Paris et à Versailles pour avoir du pain! Et que l'on juge alors de la fièvre révolutionnaire qui doit embraser toutes les têtes!

Quel effet ne doit pas produire la brochure de l'abbé, Sieyes, Qu'est-ce que le Tiers-Etat? dans laquelle il soutient que l'Aristocratie nobiliaire et sacerdotale n'est rien sans le Tiers-État où le Peuple; que le Peuple est tout et. peut exister sans l'Aristocratie, et bien mieux qu'avec l'Aristocratie; que jusqu'à présent il a été opprimé, mais

qu'il ne veut plus l'être; que tous les citoyens sont essentiellement électeurs et éligibles; que ceux qui réclament des priviléges sont les ennemis de la Nation, et qu'ils devraient être exclus des élections; enfin que la loi doit être l'expression de la volonté générale, et que par conséquent la mission des Etats-Généraux doit être de donner une Constitution à la France!

Cependant le Roi, la Reine qui le domine, les Princes du sang et surtout le comte d'Artois, la Cour, plus de la moitié de la Noblesse et du haut Clergé, veulent à tout prix la conservation de l'ancien régime, avec son cortège de despotisme, de priviléges et d'abus.

Mais, d'un autre côté, le duc d'Orléans, avec la puissance de sa position et de son immense fortune, plus d'un tiers de la Noblesse et du haut Clergé, presque tout le bas Clergé, toute la Bourgeoisie, le Peuple entier, veulent absolument une réforme, même au prix d'une révolution.

La Reine et le duc d'Orléans, ennemis déclarés, sont à la tête des deux partis.

Mais c'est la lutte de l'Aristocratie contre la Démocratie, d'une faction contre la Nation, de deux à trois cent mille privilégiés contre vingt-cinq millions de citoyens.

La résistance d'un si petit nombre à la volonté d'un si grand Peuple est certainement la plus révoltante des injustices.

Et la haute Aristocratie, principalement la Reine, le comte d'Artois et la Cour (sans compter Louis XIV par son despotisme et ses folles dépenses, le Régent et Louis XV par leur libertinage et leurs débauches), sont évidemment la cause première, la véritable cause de toutes les violences qu'entraînera leur coupable opposition à la volonté nationale: sur eux d'abord devra peser la responsabilité de tous les évènements.

Du reste, pour être justes, ce sont les anciennes institutions et les vices de l'organisation sociale que nous devons accuser, plus encore que les hommes.

Comment, en effet, les Princes, et toute l'Aristocratie de cette époque, ne seraient-ils pas remplis de préjugés, de mauvaises habitudes et de mauvaises passions, puisqu'ils ont reçu la détestable éducation de l'ancien régime!

Mais pour être également justes, il faut ajouter que le Peuple est bien plus excusable dans tous ses écarts, lui à qui la Société a refusé toute éducation véritable, l'exposant ainsi à toutes les passions qui doivent naître de l'oppression, de l'humiliation et de la misère.

Toutes les classes qui vont entrer en lutte sont donc les enfants plus ou moins mal élevés de l'ancien Régime, et toutes seront victimes de leur mauvaise éducation.

Cependant l'Aristocratie n'est pas si faible que le petit nombre des privilégiés peut le faire croire; car il ne faut pas juger la force de l'Aristocratie par le nombre de ses membres, mais par leur influence : quand il s'agit de révolution, de guerre civile, c'est une erreur aussi dangereuse de confondre un seigneur avec un prolétaire que de confondre un général avec un soldat : l'Aristocratie est composée de généraux, dont chacun a derrière lui une petite armée; elle a pour elle le Gouvernement, la force incalculable de l'organisation; et le fait est que, jusqu'à présent, quoique petite minorité sur la terre, elle a trouvé le moyen d'enchaîner l'immense majorité du Genre humain.

Vous allez la voir joindre la ruse à la force, tromper, diviser, séduire, corrompre, enfin appeler à son secours, toutes les aristocraties, tous les despotes et tous les peuples de l'Europe contre la France.

La lutte sera donc terrible et la victoire longtemps incertaine.

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