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M. Arthur Dillon, député de la Martinique, présente la motion suivante :

« L'Assemblée nationale décrète que son président se retirera par devers le roi pour le supplier d'accorder sa sanction au décret qui vient d'être rendu, ainsi que de faire expédier immédiatement une corvette pour porter ce décret aux colonies;

Que M. le président est autorisé à écrire dans chaque colonie une lettre accompagnant le décret qui les concerne;

Que le comité des colonies proposera le plus tôt possible à l'Assemblée le projet d'instruction et de règlement annoncé dans le décret de ce jour;

Que les colons actuellement résidents à Paris, seront admis à la barre à l'une des premières séances du soir, pour y prêter le serment civique. (Cette motion est mise aux voix et adoptée.)

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M. Guillaume, secrétaire, donne lecture d'une lettre qui vient d'être déposée sur le bureau et qui arrive de Nantes. Elle annonce que neuf vaisseaux sont arrivés de Port-au-Prince et des Cayes-Saint-Louis; que les nouvelles de la colonie sont très satisfaisantes; que le commandant général et les troupes ont prêté le sermeat civique, qu'il n'y a aucun mouvement parmi les nègres et que la récolte des sucres est très abondante.

M. le baron de Cernon observe que la formation des assemblées administratives est ralentie par les députés qui n'ont pas encore remis et signé la carte de leurs départements; en conséquence, il propose le décret suivant qui est mis aux voix et adopté :

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M. Merlin, rapporteur, annonce que les domaines congéables, sur lesquels il s'était d'abord proposé de présenter un article à la suite de l'article 2 ci-dessus, feront la matière d'une loi particulière, dont le projet sera incessamment présenté à l'Assemblée; en conséquence il demande que dans l'article 7 du titre II, l'Assemblée veuille bien substituer aux mots ci-après, ces mots : par une loi particulière.

Cette modification est adoptée.

M. Merlin donne ensuite lecture de l'article 3 du titre III, ainsi conçu :

Art. 3. Aucune municipalité, aucun district, aucun département, ne pourra à peine de nullité, de prise à partie et de dommages-intérêts, prohiber la perception d'aucun des droits seigneuriaux dont le paiement sera réclamé, sous prétexte qu'ils se trouveraient implicitement ou explicitement supprimés sans indemnité, sauf aux parties intéressées à se pourvoir, par la voie de droit, devant les tribunaux ordinaires.

Quelques membres présentent des observations sur cet article. Après quelques débats, le rapporteur en modifie la rédaction et il est décrété ainsi qu'il suit :

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Art. 3. Aucune municipalité, aucune administration de district ou de département ne pourra, à peine de nullité, de prise à partie, et de dommages-intérêts, prohiber la perception d'aucun des droits seigneuriaux dont le paiement sera réclamé, sous prétexte qu'ils se trouveraient implicitement ou explicitement supprimés sans indemnité, sauf aux parties intéressées à se pourvoir par les voies de droit ordinaires devant les juges des lieux. »

M. Merlin donne lecture de l'article 4.

« Les propriétaires de fiefs dont les archives et les titres auraient été brûlés ou pillés à l'occasion des troubles survenus depuis le commencement de l'année 1789, pourront, en faisant preuve du fait, tant par tires que par témoins, dans l'année de la publication du présent décret, être admis à établir, soit par acte soit par la preuve testimoniale d'une possession de trente ans, la nature et la quotité des droits qui leur appartiennent. >>

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M. Merlin, rapporteur, déclare qu'il accepte le premier amendement et l'article est décreté en ces termes :

Article 4. Les propriétaires de fiefs, dont les archives et les titres auraient été brûlés ou pillés, à l'occasion des troubles survenus depuis le commencement de l'année 1789, pourront, en faisant preuve du fait, tant par titres que par témoins, dans les trois années de la publication du présent décret, être admis à établir, soit par actes, soit par la preuve testimoniale d'une possession de trente ans, antérieure à l'incendie ou pillage, la nature et la quotité de ceux des droits non supprimés sans indemnité, qui leur appartenaient.

M. Merlin, rapporteur. Voici le texte de l'article 5, tel que vous le propose le comité:

"La preuve testimoniale dont il vient d'être parlé, ne sera suffisante que par dix témoins, lorsqu'il s'agira d'un droit général. »

M. Laujuinais propose d'ajouter, par amendement, et par six témoins, lorsqu'il s'agira d'un droit particulier, »

Cet amendement est décrété. En conséquence, l'article est mis aux voix et a lopté ainsi qu'il sait:

Article 5. La preuve testimoniale dont il vient d'être parlé, ne pourra être acquise que par dix témoins lorsqu'il s'agira d'un droit général, et par six témoins dans les autres cas.»

M. Merlin fait lecture de l'article 6 ainsi qu'il suit:

Les propriétaires de fiefs qui auraient, depuis l'époque énoncée dans l'article 4, renoncé par contrainte ou violence à la totalité ou à une partie de leurs droits, non supprimés par le présent décret, pourront, en se pourvoyant également dans l'année, demander la nullité de leurs renonciations, sans qu'il soit besoin de lettres de rescision. >>

M. l'abbé Maury demande que les personnes dépouillées par la violence puissent se pourvoir pendant dix ans, sans prendre des lettres de rescision.

Le question préalable est demandée sur cet amendement.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à déli

bérer.

M. le comte de Virien propose de porter à trois années la faculté du pourvoi.

Cet amendement est adopté ainsi que l'article qui demeure ainsi rédigé:

«Article 6. Les propriétaires des fiefs qui auraient, depuis l'époque énoncée dans l'article 4, renoncé par contrainte ou violence à la totalité,

ou à une partie de leurs droits non supprimés par le présent décret, pourront, en se pourvoyant également dans les trois années, demander la nullité de leur renonciation, sans qu'il soit besoin de lettres de rescision; et, après ce terme, ils n'y seront plus reçus, même en prenant des lettres de rescision. >>

M. Merlin, rapporteur, observe que les décrets sur les droits de péage et de minage ne doivent faire qu'un même corps de loi avec ceux relatifs aux droits féodaux. Il demande, en conséquence, que le rapport qui a été fait à ce sujet par le comité de commerce et d'agriculture, soit mis demain à l'ordre du jour.

Cette proposition est adoptée.

M. le Président. M. Démeunier a demandé la parole pour faire à l'Assemblée un rapport sur l'élection du maire de Strasbourg.

M. Démeunier. Je prie l'Assemblée de vouloir bien m'entendre, au nom du comité de constitution, sur une affaire importante.

La nouvelle municipalité s'est établie sans trouble à Strasbourg: l'élection du maire n'a été que provisoire; on attend, pour la rendre définitive, la décision de l'Assemblée. Cette nomination commence à exciter quelques troubles qui paraissent tenir à des préventions religieuses: le maire élu est luthérien.

Le 3 février, la ville de Strasbourg se divisa en quinze sections: dans deux de ces sections, on ne voulait pas reconnaître à M. le baron de Dietrich les droits de citoyen actif, sous le prétexte qu'il n'avait pas un domicile d'une année à Strasbourg, mais de huit mois seulement, et qu'il avait exercé ses droits à Paris, lors des élections pour l'Assemblée nationale. Ces réclamations n'ont point été accueillies. M. de Dietrich a obtenu au second scrutin, sur 5,685 votants, 3,312 suffrages; ce qui fait 456 voix par delà le nombre nécessaire pour la pluralité absolue, et 1,000 en sus de la pluralité relative.

Vous avez à examiner si M. le baron de Diétrich peut être considéré comme ayant domicile actuel Strasbourg. Il est né dans cette ville; il y habite depuis huit mois; il y est magistrat depuis vingtcinq ans; toute sa fortune se trouve renfermée dans l'enceinte de ses murs; il y paie toutes sortes d'impositions. Il n'a quitté cette ville que sur les ordres du roi, qui lui avait confié les commissions d'inspecteur des mines, forges et martinets, et de secrétaire des Suisses et Grisons. Une lettre de M. de Ségur avait annoncé à cette époque au magistrat de Strasbourg, que le roi entendait que M. de Diétrich exerçât les commissions à lui confiées, sans préjudicier à ses droits de citoyen et de magistrat.

Le comité a pensé que M. de Dietrich ne pourrait, si l'on écoutait ces réclamations, être citoyen actif nulle part, car il est absent de Paris depuis huit mois; que l'Assemblée, en exigeant le domicile d'une année, avait seulement eu l'intention d'écarter des étrangers qui ne connaîtraient pas suffisamment les intérêts d'une ville dans laquelle le hasard, ou des intentions peut-être équivoques, auraient pu les conduire; qu'enfin M. de Diétrich pouvait être considéré comme ayant un domicile suffisant. Le comité propose de décréter ce qui

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perdu son domicile à Strasbourg, et que ce citoyen réunissant toutes les conditions prescrites, son élection à la place de maire doit être regardée comme valable et définitive. »>

M. l'abbé Maury. Je ne crois pas que vous vouliez exciter les difficultés et les réclamations par des interprétations arbitraires qui morcelJeraient votre loi. Le point de la question est très simple. Acquiert-on en France un domicile en vertu de ses propriétés ? Nous connaissons deux espèces de domiciles: le domicile de droit et le domicile de fait. Les propriétés du baron de Diétrich ne peuvent lui donner un domicile; il n'a donc pas un domicile de fait à Strasbourg. Voyons ensuite si on peut avoir en France deux domiciles de fait; non, assurément or je soutiens que M. le baron de Diétrich, au moment où il a été élu à Strasbourg, avait un domicile de fait à Paris. Il avait demeuré huit mois à Strasbourg; vous demandez au moins une année, et l'année n'est pas composée de huit mois; c'est la rigueur de la loi qui en consacre l'inviolabilité si vous renoncez à cette rigueur, vous attaquez la loi. Si M. de Dietrich eût été étranger à Strasbourg, un domicile de buit mois l'auraitil rendu citoyen actif? Non; on doit le juger comme s'il n'était pas né à Strasbourg.

(On demande à aller aux voix.)

L'Assemblée délibère, et adopte le décret proposé par le comité de constitution.

La séance est levée à trois heures et demie.

PREMIÈRE ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 8 mars 1790.

Opinion sur la pétition des villes de commerce et sur la traite des noirs, par M. le vicomte de Mirabeau (1).

Messieurs, la fortune de nos villes maritimes est en danger. Dans leurs justes alarmes, elles nous envoient des députés pour solliciter des décrets capables de calmer leurs inquiétudes, de rendre à leur industrie une nouvelle activité, d'assurer enfin l'existence de plusieurs millions d'hommes. Bien des motifs font craindre dans ce moment la défection de nos colonies américaines ; ce malheur funeste plongerait dans le néant le commerce français et sécherait dans son germe le fruit de la révolution qui s'opère, de cette révolution qui coûte déjà tant de sacrifices, tant de privations, qui a détruit tant de fortunes et qui ne nous donne encore que des espérances lointaines.

Hâtons-nous, Messieurs, hâtons-nous de faire jouir le peuple français des biens qu'il attend de nos travaux et commençons pour y parvenir par faire l'acte de justice qu'on nous demande au nom de la raison, au nom de l'équité naturelle inséparable des droits des hommes.

Des craintes multipliées relatives à nos colonies nous assiègent de toutes parts et doivent nous déterminer à prendre les précautions les promptes.

Il y a plus de deux mois que les députés du

(1) L'opinion de M. le vicomte de Mirabeau n'a pas été insérée au Moniteur.

commerce sollicitent leur admission dans cette Assemblée et peut-être aurons-nous à nous reprocher les maux qu'a pu occasionner ce retard.

De quelque manière que cesse l'union des colonies avec la métropole, nos malheurs deviendront à l'instant irréparables, et ne feront que précéder des malheurs plus grands encore. Les colons ont à redouter l'insurrection des esclaves. Cet événement joindrait à des scènes de sang et d'horreur, la perte des richesses immenses que renferment ces possessions fertiles, et que le luxe de tous les peuples de l'Europe a rendues un besoin indispensable; cette insurrection, Messieurs, serait la suite nécessaire d'une liberté que vous accorderiez à des individus pour qui elle ne peut être qu'un bienfait funeste, et dont ils se serviraient peut-être pour enchaîner à leur tour ceux de leurs anciens maîtres qui auraient échappé à la rage et à la fureur que quelques hommes ambitieux et pervers sauraient bientôt leur inspirer.

Il est possible aussi, Messieurs, que pendant que vous vous occupez du bonheur des Français, une nation toujours rivale de la nôtre s'occupe à son tour des moyens de détourner les effets de cette félicité publique dont vous jetez les bases; peut-être ses entreprises ont-elles déjà devancé les mesures que vous pourriez prendre.

Déjà, Messieurs, cette nation rivale ne dissimule plus les moyens qu'elle se glorifie au contraire d'avoir prodigués en contemplant l'agitation à laquelle notre patrie est en proie; malheur qu'on sentira qu'elle avait prévu dès longtemps, si l'on veut se rappeler que le ministre qui gouverne l'Angleterre, et peut-être l'Europe entière, en faisant valoir les moyens que d'autres possèdent, et que lui-même n'a point, par les talents qu'il a et que n'ont point acquis ses coopérateurs ; que ce ministre, dis-je, n'a cessé de répéter à son roi que la perte de ses colonies animait à la vengeance, qu'il en tirerait une bien cruelle et bien éclatante de nous, sans avoir recours à la guerre.

Cette nation ajoute même la dérision insultante de la puissance. Burke ne voit dans le lieu où était jadis la France, qu'un vain échiquier. Quelles réflexions, quels devoirs seraient les résultats naturels de cet outrage politique, si, nous reposant du succès de nos travaux sur la pureté de nos motifs et la sûreté de nos calculs, nous ne dédaignions le langage de l'envie !

Mais il n'y a pas un moment à perdre, et vous devez portez sur vos colonies la vigilance la plus active pour empêcher les maux qui se préparent ou les remèdes les plus prompts et les plus efficaces, si ces maux se font déjà sentir.

On vous a dit, Messieurs, que les colonies exigeaient une législation différente de celle de la métropole, et on vous a dit une vérité incontestable.

Les mêmes lois ne peuvent être appliquées à tous les peuples; la nature a varié tous ses ouvrages; les hommes ne se ressemblent qu'en apparence; l'effet du climat, l'effet plus puissant des longues habitudes influent sur la race humaine.

Nous voyons dans toutes les parties de l'univers les nations différer les unes des autres par un caractère marqué. L'habitant de l'Inde échappe à la plupart de nos besoins, par la sobriété où par le bienfait du climat qui le dispense de porter des vêtements. Chez ce peuple paisible, la paresse est la première des passions; la volupté est le premier des besoins.

Comparez cette nation avec les peuplades du nord; là, les hommes élevés sous un climat dur et sauvage, sout faits pour le travail et pour la guerre; la nature les destina aux plus rudes travaux, leur donna pour qualités distinctives la force et l'activité.

Le sage législateur, avant de rédiger ses lois, étudiera toujours l'homme qu'elles doivent gou

verner.

Il s'occupera de combattre l'influence funeste du climat par l'influence heureuse de la loi: s'il est placé sur les bords fertiles du Gange, il s'efforcera d'inspirer l'ardeur du travail, d'animer l'industrie; la loi commandera d'agir; il saura faire plier ses principes aux mœurs qu'il ne pourrait changer. La race efféminée pour laquelle il travaille, faite pour l'esclavage, a besoin de servir; elle n'userait de la liberté que pour se livrer au repos, et le repos la conduirait à la misère; il appellera le commerce, les arts et l'industrie, mais il écarte la guerre; il impose un joug que les mœurs exigeaient, et la nation le reçoit comme un bien fait.

Mais s'il avait à gouverner ces fiers enfants du nord qui ne respirent que les combats, qui ne connaissent de richesses que par les conquêtes, n'ambitionnent que des terres plus fécondes; nouveau Lycurgue, il ne leur donnerait pour constitution qu'un code militaire; il verrait la nation dans l'armée, et le roi ne serait que le général.

Si le même législateur rédigeait la constitution de cette nation agricole et guerrière; de ce peuple qui a donné son nom au synonyme de la liberté, il penserait sans doute que les Français veulent un chef, un roi puissant, qui les conduise aux combats, et dont l'autorité suffise pour faire respecter les lois par vingt-quatre millions d'hommes, il sentirait que ce peuple, trop fier pour vouloir être esclave, doit concourir par ses représentants à la formation des lois, et ne doit obéir qu'à celles qu'il a consenties.

Placés sous un climat tempéré, cultivant une terre féconde, formant une population immense, les Français ont besoin d'employer toutes les ressources pour s'assurer cette foulede jouissances dont ils ont contracté l'habitude.

Le législateur ne se contenterait pas de protéger le commerce, l'industrie et l'agriculture française: il favoriserait encore cette agriculture nouvelle que nous avons établie dans un autre hémisphère où la nature produit des denrées étrangères à la France, et qui sont devenues aujourd'hui un de nos premiers besoins; le Numa des Français distinguerait la métropole de ses colonies; il se dirait à soi-même :

Ici la nation aborigène est organisée par le climat qu'elle habite; la terre n'exige pas de l'agriculteur des travaux qui excèdent ses forces; le propriétaire peut cultiver lui-même; la charrue doit être menée par des mains libres; point d'esclaves en France; les hommes dans cet heureux pays doivent être égaux aux yeux de la loi.

Mais, transplanté dans l'Amérique, le Français, incapable de soutenir le poids de la chaleur, languirait sur la terre la plus fertile, s'il ne pouvait la faire cultiver par d'autres bras; c'est un peuple étranger qu'il appelle; ce sont des hommes élevés sur les sables brûlants de l'Afrique, qui peuvent seuls résister au soleil de l'Amérique. Le nègre est nécessaire à la culture de nos colonies; cette espèce dégradée n'a pas l'énergie qui caractérise les sauvages du nord, soit injustice de la nature, qui refuse à quelques êtres ce qu'elle prodigue à d'autres, soit faute d'être perfectionnée par la civilisation, l'intelligence du nègre est infiniment bornée. J'imi

terai la nature, je ne le placerai point à la hauteur des hommes d'une race supérieure à la sienne. Le législateur français se dirait encore: L'insouciance, la paresse, l'aversion du travail sont naturels aux habitants de l'Afrique. Nés dans les fers, nés pour l'esclavage, la liberté est inconnue chez eux, et les nègres, vendus aux Européens, n'ont fait que changer de chaînes; ils regrettent leur pays, ils ne regrettent pas une liberté qu'ils n'ont jamais connue. Les lois qui autorisent leur esclavage ne leur ravissent point un bien, elles ne font que leur refuser un don, un présent fatal dont ils abuseraient aussitôt.

Si je rendais les nègres libres, les nègres cesseraient aussitôt de travailler. Chacun d'eux produit aujourd'hui, par un travail assidu, la valeur des denrées qu'il consomme, et un excédent considérable qui forme le patrimoine de nos colons et la richesse de nos négociants. Plusieurs millions d'hommes, nés dans la métropole, occupés à transporter, à perfectionner, à revendre à l'étranger cet excédent, ce produit, vivent heureux, vivent dans l'aisance à l'abri de ce commerce.

Si je changeais l'ordre établi, plusieurs millions de Français tomberaient dans la pauvreté; et si l'humanité m'ordonne d'améliorer le sort des nègres, la raison me commande de confirmer leur esclavage.

Imitons, Messieurs, imitons ce sage législateur; n'écoutons pas ceux qui nous disent qu'affranchis de leurs chaînes, les nègres travailleraient avec plus d'ardeur : ils nous trompent davantage, ceux qui nous disent que la liberté n'inspirerait aux nègres que des sentiments de reconnaissance; ennemis naturels des blancs, libres aujourd'hui, armés dès le lendemain, ayant une grande supériorité de nombre, conspirant en secret, et surprenant leurs victimes, les uègres auraient bientôt égorgé tous ceux de nos concitoyens qui habitent les îles; et cette terre, que l'industrie française a couverte des plus riches récoltes, arrosée du sang de ses maîtres, retournerait à son ancienne stérilité.

Que prétendent donc ces amis des noirs, ces ennemis de la France, qui veulent exposer à une mort presque sûre les planteurs de nos colonies, qui veulent réduire à l'inaction, plonger dans la misère cette foule d'ouvriers, de matelots, d'artisans, de négociants, de capitalistes, d'agriculteurs même, que le commerce des colonies occupe, enrichit, rend heureux ? Ceux qui veulent sacrifier cette multitude de Français à des principes dont ils ont fait une sorte de religion qu'ils croient sans examen, qu'ils appliquent sans réflexion, comme une secte superstitieuse appliquerait des dogmes!

Que prétendent-ils enfin, si, pour faire le bonheur des negres, ils faisaient le malheur d'un nombre égal de Français ? On leur demanderait: Etes-vous les députés des provinces de France où les législateurs de Loango et de Mozambique? Si ce ne sont pas des nègres, mais des Français qui vous ont chargés de travailler à leur bonheur, occupezvous de ce devoir sévère, renfermez-vous dans les limites qui vous sont tracées.

Je demanderai aux amis des noirs, quel est ce sentiment inconnu de nos pères, qui, en nous attachant à tous les hommes en général, nous permet d'oublier ces liens plus sacrés qui nous unissent à nos concitoyens ! Je leur demanderai si la philantropie est le roman ou l'hypocrisie du patriotisme, et je leur conseillerai d'être moins philosophes pour être meilleurs Français.

Suivons, Messieurs, ce conseil utile; et puisque l'esclavage des nègres ne peut être aboli sans

causer la ruine d'une partie de nos concitoyens, adoucissons le sort, mais confirmons l'esclavage des nègres.

Je sais que ce décret contrarierait la déclaration des droits de l'homme, que vous placez à la tête de la constitution; mais ne vous êtes-vous pas trompés en rédigeant cette déclaration? N'avezvous pas confondu, par une erreur manifeste, l'homme avec le citoyen? N'avez-vous pas oublié que si les droits de cité, si le premier de ces droits, la liberté, appartient à tous les Français, il n'en est pas ainsi des ennemis captifs et des esclaves achetés, qui n'ont aucun rapport avec nos concitoyens, et si, dans ce moment, vous n'avez à choisir qu'entre une loi funeste et l'aveu d'une erreur, devez-vous balancer? Non, Messieurs, j'aime à croire que vous n'hésiterez pas, et que vous confirmerez l'esclavage des nègres, puisque l'intérêt de nos colonies, de nos places de commerce, de la France entière, exige qu'il soit confirmé.

Il en est de même de la traite à la côte d'Afrique. Les motifs que je viens de présenter, pour confirmer l'esclavage des nègres, servent également à prouver combien il serait dangereux de défendre qu'on en transporte désormais dans nos colonies.

On a voulu vous persuader que si les nègres étaient gouvernés avec plus de douceur, leur population se soutiendrait, s'accroîtrait même sans secours étrangers. On vous a trompés: quand les hommes sont éloignés de leur pays natal, ils voient leur nombre diminuer graduellement et les naissances ne peuvent balancer les morts.

Le nombre des négresses, dans nos colonies, n'est point en proportion avec celui des nègres, et cette cause suffirait seule pour empêcher la population de s'accroître, ou même de se soutenir au même niveau.

L'agriculture, dans nos colonies, n'est point encore portée au point où elle peut attendre; et, pour de nouveaux défrichements, il faut de nouvelles recrues de travailleurs.

La traite des nègres est une de nos principales branches de commerce: si nous la proscrivions, nous détruirions une source abondante de richesses, et une école qui fournit à notre marine cette race précieuse de matelots dont les travaux pendant la paix, enrichissent l'Etat que leur cou rage défend pendant la guerre.

La traite des nègres est absolument nécessaire, et loin de l'abolir, nous devons la favoriser par des encouragements.

La grande population du royaume ne permet plus aujourd'hui de borner aux productions territoriales les ressources de nos concitoyens; les jouissances de luxe ou de commodités sont devenues nécessaires à un peuple habitué à les rassembler autour de lui.

Une foule de familles, convaincues que l'industrie est une mine aussi féconde que l'agriculture, ont vendu leur propriété pour s'établir dans les villes ou se consacrer à la navigation. Protéger l'industrie, encourager le commerce, voilà les seuls moyens que nous avons de faire le bonheur de cette multitude d'hommes qui forment aujourd'hui un tiers de la nation; voilà ce qu'ils demandent de nous, voilà nos devoirs envers eux. Nos richesses commerciales sont sans nombre, celle qui équivaut à elle seule à toutes les autres, c'est le coinmerce avec les colonies.

Mais elle ne peut se soutenir que par le privilège exclusif dont les habitants de la métropole ont toujours joui; si vous abulissez ce privilège, si vous ôtez cet avantage à nos négociants, il

leur est impossible de soutenir aux Antilles la concurrence de l'étranger. Nos principales exportations en Amérique sont les noirs, les toiles, les farines, les vins et eaux-de-vie. Cette dernière espèce de denrées est la seule dont nous pourrions conserver le commerce, si les ports de nos îles étaient ouverts aux nations étrangères; les citoyens des Provinces-Unies, les Hollandais, les Anglais, peuvent vendre les toiles, les farines et les nègres à un prix inférieur à celui que nos négociants sont forcés d'exiger.

Il y a surtout une grande différence de prix entre les noirs de traites anglaises et ceux que nous fournissons. Nos rivaux ont des établissements sur les côtes d'Afrique, qui leur assurent la traite permanente; l'industrie anglaise a divisé ce commerce en plusieurs branches. Des hommes habitués au métier vont chercher des esclaves dans l'intérieur de l'Afrique; ils les amènent à la côte; ils les vendent à des spéculateurs. Ces derniers rassemblent des assortiments d'esclaves que les navires trouvent tout prêts à leur arrivée sur la côte. Ils débarquent leurs marchandises, ils embarquent des noirs et repartent aussitôt. Nos vaisseaux n'ont pas le mêine avantage; il faut que leurs supercargues traitent eux-mêmes les noirs qu'ils veulent transporter. Ce détail consume cinq et six mois et les force de s'arrêter sur la côté pendant le même temps. Ce séjour est dispendieux par la consommation des vivres ; il l'est encore par la perte des nègres; c'est sur la côte, c'est à la vue de la terre que les révoltes à à bord sout les plus à craindre. Ces diverses dépenses renchérissent de plus d'un tiers le prix des esclaves, et vous sentez qu'une différence aussi grande ue permet pas de soutenir la concurrence sans le privilège exclusif: il n'y aurait donc plus pour nous de conmerce avec nos colonies si nous renoncions au privilège exclusif; nous serions privés des richesses que ce commerce procurait à la métropole; négociants, matelots, et ceux dont l'industrie prépare les marchandises qui servent à la traite, et les agriculteurs qui fournissent des farines à nos armateurs, et cette foule d'hommes qui s'occupent des travaux qu'exigent les armements, tous resteraient privés d'occupation et de salaire. Les uns, ruinés par notre imprudence, nous imputeraient avec raison, leur indigence et leur malheur; les autres seraient forcés de s'exiler de la France, d'aller chercher une patrie plus heureuse où l'industrie serait protégée, et nos commettants nous reprocheraient avec amertume nos décrets qui égaleraient par leurs effets funestes, cette loi de bannissement qui chassa de la France, dans le siècle dernier, des milliers d'infortunés que leurs opinions religieuses séparaient du reste de la nation.

J'avoue que le privilège exclusif paraît défavorable aux colonies, qu'il paraît même injuste. Il ne l'est pas, Messieurs; cette gêne est le véritable tribut que les colonies paient à leur mère-patrie.

Si on regarde ce tribut comme une indètunité des dépenses que la métropole a faites pour les colonies, des guerres qu'elle a soutenues pour les défendre, cette indemnité ne paraîtra pas excessive. Si on regarde le privilège exclusif comme le prix de la protection que nous leur accordons, on verra qu'il est juste. Je dirai plus on verra qu'il est nécessaire.

Nos îles ne peuvent, par leurs propres forces, se garantir d'une invasion étrangère; nous ne pouvons les défendre uous-mêmes qu'en conservant toujours une marine puissante, qu'à l'aide

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