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volution d'avec la douleur de voir le roi entouré de perfides courtisans qui n'ont cherché qu'à le tromper; mais doit-on compter pour rien la consolation qu'il a aujourd'hui d'être entouré d'un peuple libre, et qui le sera toujours, quels que soient les efforts des ennemis de la Révolution? Le renvoi au comité des rapports est prononcé.

(On renouvelle la motion de rappeler à l'ordre M. Duval d'Eprémesuil; tout le côté droit s'oppose à cette motion.)

M. de Cazalès. On ne doit pas faire un crime à la partie droite d'être de la minorité; il n'est pas possible qu'un membre de l'Assemblée soit soumis aux individus, ni même à la majorité.

M. Defermon répond qu'il s'ensuivrait de là que la minorité aurait le droit de faire la loi à la majorité.

M. Duval d'Eprémesnil monte à la tribune et demande quels sont les griefs qu'on lui impute.

M. Goupil de Préfeln. Lorsque M. le Présidenta éle terrompu au milieu du discours qu'il a adressé à M. Augeard, je vous ai entendu dire à l'accusé: «Monsieur, je vous demande bien pardon pour notre Président, il ne sait ce qu'il dit. » (Cinq ou six autres personnes attestent le même fait. D'autres accusations sont encore faites à M. Duval d'Eprémesnil. La partie droite recommence le bruit, et semble menacer la partie gauche qui reste immobile.)

M. Duval d'Eprémesnil entreprend de se justifier.

On persiste à demander qu'il soit rappelé à l'ordre. Cert personnes de la partie droite demandent aussi à être rappelées à l'ordre, et vont au bureau signer leurs noms.

M. le Président, à deux reprises différentes, propose de lever la séance parce qu'il est onze heures. Chaque fois l'Assemblée décide que la séance ne sera pas levée avant d'avoir statué sur la motion du rappel à l'ordre.

M. le comte de Virieu observe que plus de cent membres sont déjà sortis de la salle dans la persuasion que la séance était levée.

M. Charles de Lameth répond que l'Assemblée est encore assez nombreuse pour prononcer. On demande la clôture de la discussion. La discussion est fermée.

M. le Président met aux voix la motion en ces termes: M. Duval d'Eprémesnil sera-t-il rappelé à l'ordre et son nom consigné daus le procèsverbal?

L'Assemblée décrète à une grande majorité : Que M. Duval d'Eprémesnil sera rappelé à l'ordre et son nom consigné dans le procèsverbal. »

M. le Président. La séance de demain commencera à 9 heures du matin.

La séance est levée.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU.

Séance du vendredi 9 avril 1790 (1).

La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture de différentes adresses dont la teneur suit :

Adresse des habitants de la contrée des Vosges, qui, réunis dans la ville d'Epinal, ont formé un pacte fédératif, qui atteste solennellement leur adhésion aux décrets de l'Assemblée nationale, et leur serment d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de défendre la Constitution jusqu'à la dernière goutte de leur sang.

Adresse des nouvelles municipalités des communautés de Pallanne; de Coutansonge, département de Moulins; de Moureuillon, de SaintRomain-sous-Gourdon en Charollais, de Cravan par Pons, de Maurapt, de Vallongue, du bourg de Chavanac, et de la ville du Monastier-Saint-Chaffre en Vélai, qui contiennent les expressions des mêmes sentiments.

Du bourg et comté de Buquoi en Artois; il sollicite un chef-lieu de canton.

De la communauté de Saint-Christophe, viguerie d'Apt en Provence; elle demande, avec les plus Vives instances, d'être comprise dans le district de cette ville.

De la communauté de degoin, district de Charolles; elle demande que deux paroisses voisines soient comprises dans son cantonnement.

De la ville de Riez en Provence; sa contribution patriotique s'élève à la somme de plus de 20,000 livres; elle réclame la conservation du siège épi-copal, du chapitre, collège et séminaire établis dans son sein.

Des communautés de Gentioux et de la Courtine, du département de la Creuse; elles demandent que la ville de Felletin soit le tribunal d'un district.

De la ville de Villefranche en Roussillon; elle sollicite un chef-lieu de canton.

De la ville de Fresnay-le-Vicomte; elle fait des observations importantes sur les inconvénients que présentent les juges de paix.

De la communauté de Drulhe en Guyenne; elle solicite un chef-lieu de canton.

Des communautés d'Augles, de Cassis et de Montebourg. Cette dernière annonce que tous les citoyens ont prêté avec la plus grande solennité le serment civique.

Adresse de la municipalité de Bourbonne, par laquelle, après avoir renouvelé ses protestations de dévouement à l'Assemblée nationale et d'adhésion à ses décrets, elle fait à l'Assemblée le don patriotique de 600 livres en argent et de 5,000 livres en une lettre de finance des anciens ofticiers municipaux, avec huit marcs d'argent, le tout par addition d'une offrande de 3,000 livres déjà faite.

Adresse des officiers municipaux de Dun-le Roi, par laquelle ils annoncent que leurs premières fonctions ont été de faire prêter à leurs concitoyens le serment qui les lie à la Constitution; qu'avant de bénir les drapeaux aux pieds des autels, leur pasteur a fait la lecture de la loi, et qu'il a

(1) Cette séance est incomplète su Moniteur.

lu le discours touchant et paternel du roi, qui a pénétré les cœurs d'attendrissement.

Adresse de la municipalité d'Angers, par laquelle elle renouvelle ses actes de dévouement et de patriotisme, et proteste de maintenir l'ordre et la paix qui ont régné dans cette ville.

Adresse de la municipalité de Châteauroux, qui contient les mêmes déclarations d'adhésion aux décrets de l'Assemblée, et la demande d'un

canton.

Adresse de la municipalité de Rosternen, par laquelle elle annonce une assemblée des citoyens de cette ville, qui, dans les transports de leurs sentiments pour l'Assemblée nationale, ont voté trois mille livres en don patriotique, et le don de plusieurs pièces d'argenterie de valeur de la somme de trois cents livres.

Adresse de la municipalité de Sarency, par laquelle elle jure amour, respect et fidélité à la nation, à la loi et au roi.

Adresse de la municipalité de Saint-Pierre-duBois au Bas-Vendomois, qui contient les expressions du patriotisme le plus pur, et du dévouement le plus absolu à la chose publique.

Adresse de la communauté des procureurs au sénéchal et siège présidial de Toulouse, par laquelle ils font à la nation le don patriotique de 8,800 livres en deux capitaux de 4,400 livres chacun, dus à la communauté par le Trésor royal; l'un pour remboursement de quatre offices de contrôleur de déclaration des dépens, et l'autre pour semblable remboursement des deux tiers-référendaires, taxateurs et calculateurs des dépens en la présente juridiction, ensemble des intérêts arréragés qui sont dus à la communauté jusqu'à ce jour.

Adresse de la municipalité de Sollies en Provence, dans laquelle elle exprime ses sentiments de gratitude envers l'Assemblée nationale pour les bienfaits qu'elle a rendus aux peuples en abolissant le régime féodal, et donne son adhésion la plus expresse à tous ses décrets.

M. Mougins de Roquefort, député de la ville de Grasse en Provence, expose que les sieurs François Augier, de la même ville, et Pierre Amable Burlet, machinistes de la inême province, se sont occupés depuis leur jeunesse à la recherche de découvertes utiles à la société; qu'ils ont trouvé celle d'une machine hydraulique, au moyen de laquelle on peut descendre dans l'eau, y voir, travailler, marcher, parler et entendre aussi librement que sur la terre; ils retracent dans leur Adresse l'organisation de cette machine, son utilité, surtout pour les objets qui concernent la marine, et supplient l'Assemblée de nommer des commissaires pour assister aux expériences qu'ils offrent de faire, pour constater la certitude et l'utilité de leur découverte.

L'Assemblée nationale, empressée de protéger les arts et de donner des encouragements aux artistes, applaudit à cette découverte, et en renvoie l'examen au comité d'agriculture et de commerce, pour lui en rendre compte.

Adresse de la municipalité de la ville de Saint-Paul en Provence, contenant l'adhésion la plus entière et la plus parfaite aux décrets de I'Assemblée nationale, et les expressions de la reconnaissance la plus vive de ce qu'elle l'a désignée pour un chef-lieu de district.

M. Mougins de Roquefort, un de MM. les secrétaires, fait lecture d'une lettre écrite à M. le Président, en forme d'adresse, de la part des

officiers composant la sénéchaussée de la ville de Grasse en Provence. Pénétrés d'admiration et de respect pour les lois émanées de la sagesse et des lumières des augustes représentants de la nation, ils se sont empressés d'imiter leur glorieux exemple, en prêtant, avec la plus grande solennité, le serment civique entre les mains des nouveaux officiers municipaux de leur ville, ainsi qu'il conste par le procès-verbal joint à l'adresse; ils viennent avec les sentiments qui le leur ont fait prononcer, le renouveler devant l'Assemblée nationale, la supplier d'agréer l'hommage de leur respect, de leur dévouement, de leur admiration, et de la reconnaissance dont ils sont pénétrés pour ses glorieux travaux.

L'Assemblée nationale reçoit avec intérêt l'adresse des officiers de la sénéchaussée de la ville de Grasse et applaudit à leurs sentiments patriotiques.

M. l'abbé Marolles, député de Saint-Quentin, offre, au nom des sieurs Freron et Namuroy, de la même ville, une rente au principal de 1,256 livres, avec huit années d'arrérages; il dépose sur le bureau les titres constitutifs de la créance.

Le sieur Mouille-Farine fils, de la ville de Troyes en Champagne, présente le plan d'une place de liberté à élever sur l'emplacement de la Bastille; sa supplique porte que l'Assemblée daigne souscrire à ses premiers travaux, et encourager un jeune artiste, qui n'a d'autre prétention que celle de lui donner des preuves de zèle et de patriotisme, et par là de satisfaire comme Français aux besoins de son cœur.

L'Assemblée nationale applaudit aux efforts de ce jeune artiste et lui permet d'assister à sa séance. Delibération de la municipalité de Notre-Dame de Bevencourt, vallée de Montmorency, par laquelle elle envoie à l'Assemblée nationale le montant des déclarations concernant sa contribution patriotique, réalisée par les habitants de cette municipalité, et qui se montent à la somme de 1,162 livres.

Adresse de la municipalité de la ville de Beauprieu en Anjou, qui annonce que la commune de cette ville a procédé à l'élection de ses membres; qu'ils ont prêté le serment civique; et elle offre en don patriotique les six derniers mois de l'imposition des privilégiés pour l'année 1789.

M. le Président annonce la mort de M. Filleau, conseiller à la sénéchaussée de Niort, député de Poitiers, décédé hier 8; il invite les membres de l'Assemblée à assister à ses funérailles, qui se feront à six heures du soir, à l'église de SaintPaul.

Un de MM. les serrétaires dit que M. Gandolphe, curé de Sèves, suppléant de feu M. de Beauvais, évêque de Senez, a fait vérifier ses pouvoirs, qui ont été trouvés en règle.

M. Gandolphe est admis dans l'Assemblée, et prête le serment civique.

Il est fait lecture d'une lettre de M. Barbançon, député de Villers-Cotterets, dans laquelle il annonce que l'état de sa santé ne lui permet pas de continuer ses fonctions de député, qu'il donne sa démission, et que M. de Mazancourt, nommé son suppléant, le remplacera.

M. Mougins de Roquefort, secrétaire, donne

lecture du procès-verbal de la séance d'hier au soir.

Quelques membres demandent qu'il y soit expressément dit que les troubles, qui se sont manifestés dans la séance d'hier au soir, sont partis du côté droit.

Quelques membres du côté droit réclament contre cet avis.

M. Goupil de Préfeln regarde les mouvements elevés hier par une partie de l'Assemblée, comme le fruit d'un concert très condamnable, puisqu'il est clair qu'il est guidé par un esprit de sédition. Il pense que les noms des insurgés devraient toujours être dans le procèsverbal.

M. le marquis de Bonnay croit, au contraire, qu'il n'est ni de la politique, ni de la sagesse de l'Assemblée, de désigner, lorsqu'il s'agit d'un trouble quelconque, non seulement la droite ou la gauche, mais même un côté de la salle. Il demande qu'il soit dit seulement qu'une partie de l'Assemblée a murmuré contre telle ou telle chose.

La discussion se termine là; rien n'est arrêté sur cet objet, c'est-à-dire qu'il est seulement dit dans le procès-verbal un côté, sans désigner si c'est le droit ou le gauche.

M. le duc d'Aiguillon. En décrétant, il y a environ un mois, les articles de la constitution militaire, vous décrétâtes, comme principe, qu'aucun militaire ne pourrait être destitué de son emploi sans un jugement préalable. La rédaction de ce principe en forme de décret fut renvoyée à votre comité, pour vous être ensuite soumise cette rédaction ne vous a point été présentée, et je demande que l'Assemblée ordonne qu'elle lui soit bientôt présentée.

(L'Assemblée ordonne que ce rapport lui sera présenté lundi prochain.)

M. le marquis d'Estourmel expose que plusieurs municipalités s'opposent à ce que les seigneurs voyers fassent abattre et enlever les arbres plantés le long des chemins, sur les places publiques, flegars, wareschais, et que comme cet objet est important, surtout dans les provinces qui manquaient de bois, telles que le Cambrésis et la Picardie, il demande que les comités d'agriculture et de féodalité se concertent ensemble pour proposer sous huitaine un décret.

La motion de M. d'Estourmel est adoptée. L'Assemblée renvoie ensuite à jeudi prochain un rapport sur les classes de la marine.

L'ordre du jour appelle d'abord la discussion du projet de décret concernant la vente des biens domaniaux et ecclésiastiques.

M. le duc de la Rochefoucauld, au nom du comité des douze, chargé de l'aliénation des biens ecclésiastiques et domaniaux, fait ce rapport et

dit:

Le commencement des opérations dont vous avez chargé votre comité pour l'aliénation des biens domaniaux et ecclésiastiques, a été un peu retardé par le délai qu'a éprouvé la nomination des commissaires de la ville de Paris; mais il est actuellement en plein travail avec eux et pourra

bientôt vous soumettre le plan du traité à faire tant avec la ville de Paris qu'avec les autres municipalités du royaume, et celui des conditions qui devront régler les traités entre les municipalités qui auront acquis directement, et celles à qui, conformément à votre décret, elles devront céder des parties de leurs acquisitions.

Il a cru devoir commencer par assurer le paiement exact des obligations qui seront le gage des assignats et donner aux autres municipalités l'exemple de celle de Paris qui sera la première à traiter;il a trouvé dans les propositions qui vous ont été faites par le bureau de la ville, l'idée d'un emprunt de 70,000,000, qui assurerait, dans tous les cas, l'acquittement à époques fixes des premiers termes de ces obligations; il a donc proposé aux commissaires de la commune l'assurance d'une soumission à cet égard, comme une condition préalable. Les citoyens de la capitale qui, après avoir conquis les premiers la liberté, se feront toujours gloire de contribuer par tous les moyens à la maintenir et à assurer sa constitution, sentent combien il est intéressant de donner à la confiance les bases les plus solides; tel a été le motif qui a dicté leur vœu pour l'acquisition, par les municipalités, des biens domaniaux et ecclésiastiques ; la soumission nécessaire sera donc fournie exactement; nous pouvons en assurer l'Assemblée nationale; mais on ne peut traiter en règle que d'après l'autorisation qu'elle voudra bien donner. Nous vous proposons, en conséquence, le projet de décret suivant :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il est important d'assurer le paiement, à époque fixe, des obligations municipales, qui doivent être le gage des assignats, décrète :

"Que toutes les municipalités qui voudront, en vertu des précédents décrets, acquérir des biens domaniaux et ecclésiastiques, dont la vente est ordonnée, devront préalablement au traité de vente, soumettre au comité chargé par l'Assemblée de l'aliénation de ces biens, les movens qu'elles auront pour garantir l'acquittement de leurs obliga

tions aux termes qui seront convenus;

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Qu'en conséquence, la commune de Paris sera tenue de fournir une soumission de capitalistes solvables et accrédités, qui s'engageront à faire les fonds dont elle aurait besoin pour l'acquittement de ses premières obligations, jusqu'à concurrence de 70 millions, et qu'elle est autorisée à traiter des conditions de cette soumission, à la charge d'obtenir l'approbation de l'Assemblée nationale. »

M. le comte de Toustain de Viray (1). Messieurs, le plan proposé par la municipalité de Paris, exige, par son importance, d'être examiné sous tous les rapports.

Quand vous avez déclaré les biens du clergé à la disposition de la nation, vous n'avez eu en vue que le bien général et le salut de la chose publique ; il faut donc pour vous renfermer dans vos principes, et remplir vos intentions, donner le plus grand cours à cette source salutaire dont vous avez rompu la digue et la faire tourner au profit de l'Etat.

Je crois le projet proposé par ia municipalité de Paris vicieux en bien des points. Comment concevoir une municipalité qui achète des biens de la nation et veut s'attribuer isolément un seizième pour son propre compte! c'est évidemment une

(1) La motion de M. de Toustain de Viray n'a pas été insérée au Moniteur.

diminution pour la masse générale. Comment proposer de créer de nouveaux billets et les mettre en circulation dans un moment de crise où la crainte et la méfiance se sont emparées de tous les esprits! Comment donner à ces assignats un intérêt de 4 0/0 par le moyen des primes, tandis que la nature des biens qu'il représente ne rapporte rien, on très peu de chose, puisqu'ils consistent, pour la plus grande partie, en surfaces de terrains et en bâtiments dans la ville de Paris, qui ne se loueront pas et exigeront des réparations! Voilà donc une diminution sur les fonds jusqu'au moment de la vente; et il est certain que, par ce moyen, la dette augmentera et vous jettera dans de nouveaux embarras, puisque, indépendamment des pertes certaines que je viens de mettre sous vos yeux, la ville de Paris vous propose de faire un emprunt jusqu'à concurrence du tiers de la valeur de ces biens, ce qui serait évidemment une charge de plus pour la nation. J'avoue que ce nouveau mode présenté pour libérer l'Etat, ne me paraît pas admissible, et je crois qu'il aurait un effet contraire.

En tout, ce projet est sujet à bien des chances; la série des articles est trop compliquée et son exécution confiée en trop de mains, pour ne pas craindre la diversité d'opinions.

D'ailleurs, comment, avec le sage et patriotique progrès d'éteindre la dette publique, peut-on s'égarer au point de recourir à un emprunt, et faire supporter une rente à des assignats étayés sur des vrais hypothèques et sur la garantie de la nation Comment ne pas s'apercevoir que ce serait aggraver la dette de l'Etat, en lui faisant payer l'intérêt de l'intérêt, puisqu'une partie de la dette consiste dans des rentes dues ou arriérées?

Mélions-nous, Messieurs, de ces élans de patriotisme que nous ressentons tous et qui nous font saisir avec vivacité les lueurs du bien public qu'on nous fait entrevoir dans le lointain. Je crois devoir Vous communiquer un autre plan je ne prétends pas m'en faire un mérite; il n'est ni nouveau, ni compliqué; le bon sens seul suffit pour l'apprécier je voudrais donc, puisqu'il s'agit de libérer l'Etat, que l'on ne s'arrêtât pas à de si petits moyens, et que l'on donnât plus de latitude à cette ressource immense qui est dans vos mains; je voudrais que l'on créât d'abord pour six cents millions d'assignats sur les biens du domaine et du clergé, en sus des quatre cents millions que vous avez déjà décrétés, de manière que la totalité se montât à un milliard, lesquels assignats ne porteraient point intérêt, et ne seraient point mis en circulation forcée, mais avec lesquels on rembourserait, sur-le-champ, les anticipations et les dettes portant les gros intérêts par ce moyen le Trésor public se trouverait soulagé, dès ce moment et à jamais, de soixante millions à payer de moins. Cette opération exige en même temps que vous déclariez irréfragablement que ces seuls assignats seront reçus en paiement des biens mis en vente, et que même l'argent comptant n'y sera pas admis: il faudra ordonner et annoncer que ces assignats seront brûlés aussitôt qu'ils rentreront, et prendre pour cela les précautions les plus sûres.

Mais les capitalistes, sur quiseuls cette opération frappera, diront: Vous avez mis notre créance sous la loyauté et la garantie de la nation; vous nous donnez des assignats dout nous ne pouvons pas faire d'autre usage que pour acheter des biens du domaine et du clergé ; nous ne sommes pas dans l'intention d'en acheter; vous manquez à votre parole; je leur répondrai : non, je ne pré

tends pas forcer votre intention, la mienne est de remplir sévèrement mes engagements. Je vous ai promis la garantie de votre créance, je vous donne dès ce moment une hypothèque assurée; vos assignats ontseuls le droit de représenter le prix de ces biens, et s'ils ne sont pas à votre convenance, il est incontestable que ceux qui seront dans l'intention d'en acheter, seront forcés de prendre vos assignats puisqu'ils n'auront pas d'autres moyens de payer; dès lors, vos assignats ne sont plus des effets fictifs, ils deviennent les signes représentatifs de la valeur de ces biens, ils ont une véritable valeur, et je tiens ma parole. Mais, me diront-ils encore, vous nous donnez en paiement des assignats qui ne porient point intérêt ; je leur répondrai que de sages législateurs doivent se conduire d'après les principes de la saine morale; et que, sous ce point de vue, ce qui est l'effet représentatif de l'argent ne doit pas porter intérêt.

Je les inviterai, d'ailleurs, d'oublier un moment qu'ils sont capitalistes et de s'honorer de leur titre de citoyen, ce sera ma dernière réponse, et je ne crains pas qu'ils cherchent à la combattre.

Je crois maintenant devoir répondre aux objections de ceux qui répète sans cesse qu'on ne trouvera point d'acquéreurs; que la crainte du peu de solidité de ces ventes agitera tous les esprits, et que, d'ailleurs, la multiplicité de ces biens mis en vente forcera de les abandonner à un vil prix. Je répondrai d'abord, que la crainte de ne pas trouver d'acquéreurs se détruit par le motif d'intérêt qui doit nécessairement animer les porteurs d'assignats pour ne pas laisser leurs fonds dans une stagnation funeste; et de plus, il est incontestable que cette opération sera un moyen sûr de porter la vente de ces biens à leur juste valeur. Oà me dira encore: vous diminuez la masse des biens du clergé, qui seul était le gage des frais du culte, de l'entretien de ses ministres et du soulagement des pauvres; dès lors, plus d'hypothèque assurée: je répondrai qu'un bon père de famille qui a beaucoup d'enfants et qui se trouve surchargé de dettes doit, en sage économie, commencer par se libérer, voir en grand et mettre de l'ordre dans ses affaires; sans quoi toute sa fortune est en péril. Les biens du clergé sont à la disposition de la nation; ses ministres, ainsi que les pauvres, en qualité de citoyens, sont les enfants de l'Etat ; il faut donc suivre la même marche. Et comment ne pas concevoir qu'une grande famille diminuant la masse de ses dettes, tous les membres qui la composent acquièrent une certitude sur la portion qui leur revient !

Si mon patriotisme m'a égaré, le motif mérite de l'indulgence. Je soumets mes idées à l'Assemblée.

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, considérant la nécessité indispensable et urgente de mettre de l'ordre dans les finances, a cru devoir employer les moyens les plus sages et les plus prompts pour diminuer le fardeau de la dette de l'Etat qui pèse sur le peuple, et lui enlève une partie de son nécessaire pour fournir aux intérêts de cette somme; en conséquence, elle a décrété et décrète ce quí suit :

« Art. 1er. Il sera vendu par les municipalités, sous la direction des départements, pour 600 millions des biens du domaine et du clergé, en sus des 400 millions déjà décrétés, de manière que la

totalité de la vente se porte à la somme d'un milliard.

« Art. 2. La partie des biens qui se trouve maintenant aux économats, ainsi que celle des maisons et abbayes supprimées par le nouvel ordre de choses, formeront d'abord le premier objet de la vente, et les départements désigneront les autres biens qu'il sera nécessaire d'y joindre pour compléter ladite somme.

« Art. 3. Il sera créé des assignats hypothéqués sur ces biens, jusqu'à la concurrence d'un million. Ces assignats ne pourront être au-dessous de 1,000 livres; et, pour ne pas trop les multiplier, on pourra en faire de 10,000 livres et au-dessous.

« Art. 4. Ces assignats, à commencer du 1er mai 1790, seront délivrés eu paiement et liquidation de toutes les anticipations et de toutes les dettes portant les plus gros intérêts.

Art. 5. Il sera nommé dans le comité des finances huit commissaires pour désigner les effets les plus onéreux, s'assurer du complément de la somme et veiller à l'exécution de la confection et de la distribution des assignats.

« Art. 6. Ces assignats seront le signe représentatif des biens du domaine et du clergé. Il seront seuls reçus en paiements. L'argent comptant même n'y sera pas admis.

« Art. 7. Ces assignats ne porteront point d'intérêt, et ne pourront pas être mis en circulation forcée.

«Art. 8. Aussitôt la vente faite, les municipalités feront brûler devant elles ces assignats, et les départements s'assureront de l'exacte exécution. Les municipalités ne pourront consommer la vente sans l'autorisation des départements, qui vérifieront si ces biens ne sont pas donnés audessous de leur valeur, auquel cas ils arrêteraient la vente.

« Art. 9. Les départements jugeront des cas où il serait plus avantageux de morceler les biens, et les vendre en détail pour en tirer un meilleur parti.

« Art. 10. Il sera dressé par les municipalités un compte exact des biens vendus et du mon'ant des assignats brûlés, lequel sera remis aux départements pour en tenir état, et le faire parvenir tout de suite à l'Assemblée nationale.

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M. Martineau. Je ferai remarquer à l'Assemblée qu'il y a connexité entre le projet de décret proposé par M. de La Rochefoucauld, au nom du comité des douze, et les rapports que le comité des finances et le comité des dîmes vont nous présenter; en conséquence, je demande que, préalablement à toute délibération, nous entendions d'abord le rapport sur les assignats, ensuite le rapport sur la dime.

M. Fréteau. J'appuie la motion de M. Martineau et je pense que l'Assemblée voudra voir clair en cette affaire avant de se décider. Cela est d'autant plus nécessaire que la caisse d'escompte a des plaintes à formuler contre les assignats.

M. le duc de La Rochefoucauld. J'ai vu des administrateurs de la Caisse d'escompte qui ne m'ont fait aucune plainte sur l'émission prochaine des assignats, et je ne crois pas qu'il y ait lieu d'attendre d'autres rapports pour prononcer sur le projet de décret qui vous est soumis par votre comité d'aliénation.

M. de Bouthillier. Le retard qu'entraînerait l'adoption de la motion de M. Martineau ne serait

pas long et il y aurait grand avantage à connaître les trois projets afin d'en apprécier l'économie et la concordance.

M. Boutteville-Dumetz. Si nous différons de prononcer sur le projet de décret du comité des douze, nous empêchons l'exécution du décret qui ordonne la vente de 400,000,000 de biens ecclésiastiques. Je propose de délibérer sur-lechamp.

M. de Castellane. J'observe que le décret proposé par le comité des douze n'a d'autre objet que de faire assurer par la municipalité de Paris la perception prochaine d'une somme de 70,000,000 qui seront fournis, sans attendre les ventes qui seront faites dans la suite et qu'il serait dangereux de précipiter.

(On demande une nouvelle lecture du projet de décret.)

M. le Président, après cette lecture, consulte l'Assemblée et le décret est rendu ainsi qu'il suit :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il est important d'assurer le paiement à époques fixes, des obligations municipales qui doivent être un des gages des assignats, décrète :

«Que toutes les municipalités qui voudront, en vertu des précédents décrets, acquérir des biens domaniaux et ecclésiastiques, devront, préalablement au traité de vente, soumettre au comité chargé par l'Assemblée de l'aliénation de ces biens, les moyens qu'elles auront pour garantir l'acquittement de leurs obligations aux termes qui seront

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M. Anson, au nom du comité des finances, fait le rapport suivant sur les assignats-monnaie (1).

Par votre décret du 26 février dernier, vous avez demandé au premier ministre des finances l'état des besoins de l'année présente, et des moyens d'y pourvoir.

Le premier ministre des finances s'est conformé à ce décret; il vous a adressé un mémoire très détaillé, qui vous a été lu le 6 du mois dernier; il présente le tableau de la situation des revenus en 1790, et des ressources que le ministre vous propose pour suppléer à leur déficit. Votre comité des finances, chargé de l'examen de ce mémoire, vous en a rendu compte le 12; et après vous avoir exposé ses vues, un peu différentes de celles du premier ministre des finances, il vous a soumis un projet de décret.

Quelques articles de ce projet avaient rapport aux assignats sur les biens domaniaux et ecclésiastiques, ainsi qu'à la vente de ces biens. Votre décret postérieur du 17 ayant décidé que cette vente serait faite aux municipalités du royaume, et celle de Paris ayant presenté un plan qui avait paru mériter votre attention, il était naturel

(1) Le rapport de M. Anson est incomplet au Moniteur.

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