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depuis longtemps, ait procuré une augmentation derichesses d'environ soixante millions par année, il n'en est pas moins vrai que la somm du numéraire circulant dans les temps même les plus heureux, ne suffisait pas à l'accélération que demandent les opérations journalières du commerce. Il n'en est pas moins vrai que, chez nous, l'escompte de l'argent ne se soit soutenu au plus bas, et dans les meilleures affaires, au taux très cher de 6 0/0, taux qui est bien plus élevé que chez nos voisins.

Partout le prix de l'escompte et de l'intérêt de l'argent dépend de son abondance ou de sa rareté, et de ce que ce prix est plus fort chez nous que chez les autres nations, on ne peut conclure que chez elles les moyens de payer, soit en numéraire réel, soit en numéraire ticuf, sont ou plus nɔmbreux ou plus proportionnés aux affaires qui s'y font: apparemment que cela est ainsi en Angleterre et en Hollande, puisqu'il s'y fait beaucoup plus de Commerce qu'en France, qu'il s'y solde des affaires bien plus considérables, et qu'en genéral, quoique le numéraire réel, surtout en Angleterre, y soit moins abondant, ce pays, nous ne pouvons en disconvenir, est dans un état de prospérité dont malheureusement nous sommes bien éloigués en ce moment.

A quelle cause peut-on raisonnablement attribuer cette prospérité, si ce n'est à la grande quantité de papier-monnaie représentatif de l'argent que l'Angleterre a mise en circulation, et qui s'est répandue comme une eau vivifiante dans toutes les branches du commerce et des arts de ce royaume? Et n'est-il pas vrai, nous le demandons, que toutes les fois que, dans un royaume, la somme de l'argent ou du papier qui en tient lieu, se rapprochera de la soimme des affaires qui s'y traitent, les emprunts de particulier à particulier se feront plus aisément et à meilleur marché, qu'où cette proportion ne se rencontrera pas, et aussi que le commerce d'échange et de consommation y jouira d'une activité infiniment plus grande que si l'on était réduit au seul numéraire effectif, comme nous le sommes en France. Si aux considérations de commerce que nous venons d'énoncer, et qui ont été de tous temps pour nous, se joignent les circonstances impérieuses par lesquelles nous sommes maîtrisés dans ce temps de crise, on ne pourra disconvenir que l'établissement d'un papier-monnaie ne soit rigoureusement et sagement nécessaire en France.

L'embarras que nous éprouvons de toutes parts nous prouve assez qu'il est sorti beaucoup de numéraire effectif par la fuite de nos émigrants, et que la méfiance générale en a fait enfuir une bien plus grande quantité. Si, à ces deux grandes causes, nous joignons celle de la rentrée forcée d'espèces que la caisse d'escompte est contrainte de se procurer pour satisfaire à bureau ouvert, à son paiement du mois de juillet, nous trouverons que. quoique le commerce soit anéanti, le numéraire circulant ne peut pas être demeuré eo proportion avec les affaires courantes; et visiblement il n'y est pas resté, puisqu'il est impossible aux entrepreneurs et aux manufacturiers de se procurer, dans leurs quinzaines, suffisamment d'argent pour payer le peu d'ouvriers qu'il leur reste; que, pour les payer, ces ouvriers, ils sont forcés d'en acheter à 6 0/0 de perte dans la rue Vivienne (1). Il est bien certain que, quand on

(1) Pour venir au secours des marchands, entrepreneurs, manufacturiers, etc., l'administration fait donner 1re SERIE, T. XII.

est arrivé à ce point d'astuce et d'agiotage, d'être forcé de payer l'escompte de l'argent lui-même 6 0/0 par heure, il ne reste plus rien à faire, pour éviter une ruine entière, que de fermer les boutiques, les ateliers, les manufactures, et de renvoyer tous les ouvriers; c'est aussi l'état de détresse où tout le monde est réduit; il est tel que le commerce étant écrasé, les travaux suspendus, les manufactures languissantes, grand nombre de personnes ne voulant pas payer, et le reste ne le pouvant réellement pas, tout est dans le désordre, et que si on n'y remédie promptement, le désospoir pourra s'emparer des malheureux ouvriers. Ils ont souffert avec toute la patience que donne le zèle pour la chose publique, et la fidélité pour leur roi, mais cependant, contre la faim et la misère qui les poursuivent encore avec tant d'acharnement, que peuvent-ils faire? Ce sont donc ces mêmes ouvriers qui, par leur valeur et après leur bonne conduite, ont affermi notre glorieuse Révolution, qui, sans pain, sans ouvrage, et après avoir sacrifié jusqu'au peu de linge et d'habits qu'ils avaient pour procurer une faible nourri ture à leur femme et à leurs malheureux enfants, sont réduits au désespoir et condamnés à périr de peine et de misère.

Au moment où nous écrivons, un malheureux père de famille, irréprochable, désespéré de ne rien vendre, de ne pouvoir être payé de qui que ce soit, de se voir hors d'état de satisfaire ses ouvriers, auxquels il n'avait jamais manqué, vient de se donner la mort. Combien, dans Paris, de milliers de citoyens, qui, sans aucune ressource, sont menacés d'éprouver un pareil sort? Combien d'ouvriers qu'il est impossible d'employer dans les ateliers de charité, qui sont réduits à mendier leur pain au milieu des rues? Nous en connaissions un auquel cette ressource même ayant marqué pendant plusieurs jours, s'est tué de désespoir.

Ce n'est donc qu'en établissant une monnaie fictive, représentative de l'argent dans toutes les affaires, dans toutes les caisses, et servant à payer les impositions, que l'on parviendra à remédier à tant de maux, dont le moindre, porté à son comble, peut, d'un moment à l'autre, bouleverser l'Etat et anéantir les flatteuses espérances que les travaux de nos infatigables représentants nous out fait concevoir.

Si cette représentation de l'argent est destinée à en faire toutes les fonctions, il est absolument nécessaire que, comme lui, elle ne porte aucun intérêt, aucune prime, qu'elle se donne et se reçoive comme un écu, lequel, une fois sorti de la main, ne compte que pour ce qu'il vaut, solde pour sa valeur de toute autre chose, consomme une affaire, et ne laisse rien, absolument rien derrière lui (1).

En effet, tout papier-monnaie, établi avec inté

de l'argent par la voie des districts; mais, ou il y a encore de l'abus dans cette opération, ou ce que l'on en donue ne suffit pas aux besoins journaliers, puisque dans les commencements on le recevait quatre jours après l'avoir demandé, et que déjà il faut en attendre quinze.

(1) Nous avouons que nous ne pouvons voir qu'avec peine que plusieurs personnes de mérite, même dans l'Assemblée nationale, penchent pour attacher un intérêt au papier-monnaie, qu'on se propose d'établir, et flottent entre l'opinion d'y attacher un intérêt, ou de le rendre semblable à un écu. Ce sera le plus grand mal qu'on puisse nous faire que d'adopter le système du papier à intérêt. De ce moment, il fau ra regarder le commerce et l'industrie comme absolument perdus dans ce malheureux royaume, qui ne doit son état de détresse et de gêne qu'au trop grand nombre de ses rentiers.

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rêt, avec prime ou avec chance, alimentera l'agiotage, sera ruineux pour le commerce qu'il achèvera de détruire, et perdra lui-même de sa valeur réelle. Nous avons une grande preuve de cette vérité, dans le sort qu'éprouvent les assignats créés au mois de décembre de l'année dernière, dans l'intention de rembourser la Caisse d'escompte, puisque, quoi qu'on les ait enrichis, d'un intérêt de 5 0/0 et que plusieurs districts aient fait leurs soumissions pour en acheter argent comptant, dans la vue bienfaisante de mettre cette caisse en état de payer à bureau ouvert au mois de juillet, on n'a pu les garantir du discrédit, et leur sauver le malheur de perdre sur la place (1) ceci est une grande leçon et qui doit corriger entièrement de l'envie d'en créer de

nouveau.

Nous le répétons, le papier-monnaie qu'il nous faut créer, doit l'être absolument sans intérêt quelconque, car il n'est pas difficile de remarquer les mauvais effets d'une méfiance générale, ainsi que l'intention formée par tous les capitalistes de retirer à eux tous les fonds qu'ils pourront : Alors si l'on crée un papier qui porte intérêt, ayant retiré des mains des commerçants, entrepreneurs et manufacturiers, la plus grande partie de leurs fonds, ils les replaceront en papiers municipaux, gagnant 50/0; et comme elle ne l'est déjà que trop et depuis trop longtemps, la France sera encore inondée de rentiers. Eh! qui ne sait le mal que fait à un Etat leur trop grand nombre!

Qu'on ne nous dise pas qu'assurés de leur sort, ils se livrent aisément à des dépenses que leur permettrait de faire le surplus de leur subsistance; c'est le contraire: la plus grande partie des rentiers qui ont lésiné pour amasser le capital du revenu avec lequel ils subsistent, lésinent et économisent encore en le dépensant, n'achètent que le moins possible, ne font travailler que le moins possible, enfin se retranchent sur tout. Ceci est si vrai que c'est dans la classe des marchands, entrepreneurs, etc., qu'il se fait le plus souvent des petites dépenses, qu'on appelle dépenses courantes et de consommation.

Nous aurions beaucoup d'autres choses essentielles à dire contre l'admission d'un papier-monnaie à intérêt, mais nous pensons en avoir dit assez pour mettre sur la voie des réflexions toute personne que l'esprit de parti, de système et d'agiotage n'aveugle pas.

L'argent étant devenu d'une si grande rareté, qu'on ne peut qu'avec peine et en l'achetant fort cher, s'en procurer, même pour les besoins ordinaires de la vie et pour les paiements ordinaires à faire aux ouvriers. Pour remplir cet objet, il serait nécessaire, en créant le papier-monnaie que nous demandons, de faire des billets de petites sommes, qui pusseut se rapprocher de res utiles et indispensables besoins, sans quoi ce ne serait pas venir efficacement au secours des classes les moins

(1) Qui ignore que la classe dangereuse des agioteurs a établi une espèce d'empire despotique, dont le siège est à la Bourse de Paris; que les maîtres de toutes les opérations qu'ils concertent entre eux avant d'y entrer, font perdre ou gagner à leur gré le papier de l'Etat? et ce jeu illicite est quelquefois poussé à un tel point, que le particulier confiant, qui a cu placer avantageusement son argent, achetant de tel ou tel papier, est tout étonné de perdre gros dessus, du jour au lendemain?

Nous faisons des vœux sincères pour que l'Assemblée nationale, ferme dans ses principes, daigne nous délivrer de ce gouffre d'usure plus dangereux pour nous, que ne l'étaitpour la Sicile,ceux de Charybe et de Syl la.

fortunées des citoyens, de celles qui, sans contredit, dans les circonstances présentes, sont. à nos yeux, les plus intéressantes; il faudrait donc faire pour elles un papier qui fùt tellement divisé, qu'il pût leur servir de remplacement de l'argent et se rapprocher de tous leurs besoins journali rs.

Ce papier-monnaie serait créé en somme suffisante pour rembourser tous les objets souffrants susceptibles de l'être, et divisé en somme de 1,000 livres, 300 livres, 100 livres et 25 livres ; il servirait à solder tous les comp'es, tels forts qu'ils fussent, sans difficulté; par le moyen de la monnaie d'argent et de celle de billon, on parviendrait, comme à présent, à faire les plus petits appoints.

Il serait hypothéqué sur le produit de la vente des biens du domaine et du clergé; de cette manière il n'y aurait aucune inquiétude à concevoir sur sa solidité, puisque la somme des biens du domaine et du clergé, sur laquelle il reposerait, est de beaucoup supérieure à la sienne; que d'ailleurs l'Etat le recevant en paiement dans toutes ses caisses, en établirait rapidement la circulation, et le ferait promptement jouir d'une grande confiance (1).

M. Poncet d'Elpech, député de Montauban, donne lecture à l'Assemblée d'une adresse de la milice nationale de Montauban, à laquelle est jointe la copie d'un acte d'association, par le quel les bas-officiers et les soldats du régiment de Languedoc, infanterie, en garnison à ontauban, se sout unis à la milice nationale de Montauban sous la foi d'un serment devenu réciproque, d'être soumis irrévocablement aux décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le roi, d'en maintenir l'exécution de tout leur pouvoir, et de la forcer même, à la première réquisition de la municipalité.

Cette adresse, remplie des sentiments du plus pur patriotisme, obtient de grauds applaudisse

ments.

M. Roussillon propose que M. le président soit chargé d'écrire au régiment de Langue loc et à la milice nationale de Montauban, pour donner à ces deux corps un témoignage authentique de la satisfaction de l'Assemblée.

M. Faydel, député de Cahors, observe: 1° que la milice nationale de Montauban ayant voulu étendre cette confédération patriotique jusqu'à la milice nationale de Toulouse et des villes voisines, en avait fait imprimer des exemplaires, et avait envoyé directement cette adresse d'association à la milice nationale de Toulouse en particulier: 2o que cette dernière n'avait pas cru devoir l'accepter; 3° que le conseil municipal de Montauban, qui n'avait pas été prévenu de cet envoi avant qu'il eût été fait par la milice nationale de la ville, avait désapprouvé cette démarche, et l'avait annulée par une ordonnance de police. Il conclut en disant qu'il n'y pas lieu à ce que le président écrive la lettre proposée.

(1) On a bien eu pendant longtemps une entière confiance dans le papier de la Caisse d'escompte, quoi que la solidité n'en fût assurée que sur le crédit de quelques particuliers à plus forte raison en aurait-on dans un papier garanti par la nation entière, creé par la nation pour payer une grande partie des individus qui la composent, et assuré sur les rentrées provenant d'une vente continuelle et avantageuse d'excellents biens.

M. Charles de Lameth. L'Assemblée doit témoigner sa satisfaction à une adresse qui porte le plus précieux caractère. Si, comme on vient de l'avancer, la municipalité a désapprouvé cet acte de patriotisme, je demande que les pièces qui en font foi soient remises au comité des recherches pour que, sur le rapport qui en sera fait à l'Assemblée, cette coupable municipalité soit renvoyée au Châtelet. Je crois cependant que ceux qui viennent de montrer une inquiétude si patriotique, ne peuvent pas s'empêcher de prouver le fait.

M. de Lachèze. J'atteste le fait et j'offre de le prouver.

M. de Cazalès. Il est facile de produire les pièces propres à constater l'existence de cette ordonnance du conseil municipal; mais les faits ont besoin d'être expliqués. L'association formée entre la milice nationale de Montauban et le régiment de Languedoc n'a éprouvé aucune opposition de la part de la municipalité; mais la milice nationale de la ville ayant voulu étendre cette espèce de confédération jusqu'aux milices nationales de Toulouse et des villes voisines, celle de Toulouse s'y est refusée; c'est alors que le conseil municipal de Montauban a réprouvé cet acte comme contraire à l'esprit de subordination établi par les décrets de l'Assemblée nationale, entre les milices nationales et les municipalités. Je conclus et je pense que l'Assemblée doit passer à l'ordre du jour sans se livrer à une discussion plus étendue sur cet objet.

M. La Poule rappelle la motion faite par M. Roussillon et demande qu'elle soit adoptée (Une grande agitation règne dans la salle). La motion, mise aux voix, est ainsi décrétée :

<< Il sera fait une mention honorable dans le procès-verbal de l'adresse commune de la milice nationale de Montauban et du régiment de Languedoc. Le président est chargé d'écrire tant à cette milice qu'au régiment pour leur témoiguer la satisfaction de l'Assemblée. "}

M. de Cazalès représente de nouveau qu'il y a deux choses très distinctes dans ce qui concerne l'affaire de Montauban, et qu'il peut y avoir de l'inconvénient à avoir l'air de les confondre dans la lettre que M. le président est chargé d'écrire.

M. le Président propose de renvoyer au comité des rapports les pièces relatives à l'ordonnance de police, par laquelle le conseil municipal de Montauban a improuvé la confédération proposée aux milices nationales voisines de Montauban, et d'écrire seulement une lettre de satisfaction au régiment de Languedoc et à la milice de Montauban.

Cette proposition est mise aux voix ; l'Assemblée la décrète dans les termes suivants :

« Les pièces relatives à l'ordonnance de police rendue par le conseil municipal de Montauban, sont renvoyées au comité des rapports, et M. le président est chargé d'écrire une lettre de satisfaction à la milice nationale de Moutauban et au régiment de Languedoc, infanterie. »

M. le Président dit ensuite qu'il a reçu une lettre de M. Dudon, procureur général du parlement de Bordeaux; il propose à l'Assemblée d'en entendre la lecture.

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conçue:

« Monsieur le Président, si ma santé et mes infirmités m'eussent permis de me rendre à la barre de l'Assemblée nationale, je n'aurais pas usé de la faculté qu'elle me donne de rendre compte par écrit des motifs de ma conduite. En usant de cette faculté, je renonce à un très grand avantage, celui qui serait le plus précieux à mon cœur, celui de paraître devant les représentants de la nation et de leur offrir un hommage qu'ils n'auraient pas dédaigné. J'aurais pu espérer de les convaincre de la solidité des motifs qui m'ont forcé à donner le réquisitoire sur lequel est intervenu l'arrêt de la chambre des vacations du 20 février dernier, et l'approbation de l'Assemblée nationale eût été pour moi le dédommagement le plus honorable de tous les dégoûts qu'on a voulu me donner.

« Oui, Monsieur le Président, ma confiance dans les lumières et la justice de l'Assemblée, est telle, que je ne peux douter que l'arrêt qui lui a été uéféré n'eût mérité son approbation. Elle avait déjà ordonné, par ses précédents décrets, que tous les pouvoirs civils et militaires se réuniraient pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité publique dans le royaume.

« C'est donc pour entrer dans les vues de l'Assemblée nationale et pour m'acquitter d un des premiers devoirs de mon ministère, que j'ai déféré à la chambre des vacations les insurrections et les brigandages de toute espèce qui avaient été commis dans le Limousin, le Périgord, l'Agenois et le Condomois.

་་

Il m'était d'autant moins permis d'en douter que, dans le même temps, on faisait partir, par ordre du roi, le régiment de Champagne pour l'Agenois et le régiment de cavalerie Royal-Pologne pour le Périgord.

«Tous les avis que je recevais, Monsieur le Président, m'annonçaient la grandeur du mal et la nécessité d'y apporter un prompt remède, par la réunion de tous les pouvoirs civils et militaires; il était donc essentiel de faire parler les lois, de dé romper le peuple qu'on avait abuse, et d'intimider les méchants; il ne l'était pas moins de ranimer le courage des juges inferieurs effrayés et sur qui la terreur avait fait une telle impression, que pas un n'avait osé faire usage de son mini-tére.

"Tels sont, Monsieur le Président, les motifs de ma conduite; et je ne crains pas de vous dire qu'il n'y a rien d'exagéré dans le tableau que j'ai fait des malheurs qui affligeaient quatre provinces de notre ressort. Ce n'est même qu'une légère exquisse des maux qu'ont éprouvé les malheureux habitants.

<< Comment est-il donc possible qu'on se soit permis de qualifier l'arrêt du 20 février, d'arrêt incendiaire et qu'on ait eu l'assurance de dire que tout était calme dans les provinces? Je ne veux point repousser cette assertion comme je pourrais le faire, j'aurais trop d'avantages sur mes dénonciateurs et je ne cherche pas à m'en prévaloir.

«Ya-t-il eu des insurrections? a-t-il été commis des brigandages de toute espèce? C'est une question de fait. Les informations qui auraient pu être faites en auraient fourni la preuve juridique et je n'avais besoin que des avis que j'avais reçus et de la rumeur publique pour être autorisé à demander l'instruction judiciaire, afin d'acquérir les preuves nécessaires.

"

L'arrêt ordonne que les juges redoubleront de zèle et d'activité pour poursuivre les coupables

par les voies judiciaires; peut-on dire à celui qui se plaint que le fait n'est pas prouvé, lorsqu'il demande à en faire la preuve? C'est pour faire cette preuve selon les règles indiquées et les formes prescrites par les ordonnances, que l'arrêt ordonne à tous les tribunaux de redoubler de zèle et d activité. Il fallait donc attendre que les procédures eussent été faites avant d'annoncer avec tant d'assurance qu'il n'y avait aucune preuve des faits contenus dans le réquisitoire. Là notoriété publique, les avis reçus de toutes parts n'étaient-ils par suffisants pour engager le procureur général à les déférer au parlement, ou pour mieux dire, son ministère ne lui en faisait-il pas un devoir impérieux ?

<< Mais, du reste, Monsieur le Président, on peut dire en quelque sorte que la preuve est déjà faite. Les déclarations fournies par les personnes les plus considérables, les procès-verbaux dressés par la maréchaussée et par les comités des villes, établissent, de la manière la moins équivoque, les excès auxquels les brigands se sont portés. M. le président d'Augeard est muni de toutes ces preuves et il pourra les mettre sous vos yeux si`l Assemblée nationale l'ordonne.

« Je ne vous parlerai point, Monsieur le Président, de tout ce qui s'est passé à Bordeaux, à l'occasion de cet arrêt. Il était impossible de le prévoir et j'aime mieux garder le silence que d'inculper personne. Ma conduite est connue, ou rend justice à la pureté de mes intentions et je ne veux pas perdre dans vingt-quatre heures la confiance que j'ai acquise par cinquante années d'une magistrature laborieuse dans l'exercice du ministère public.

« Permettez-moi de joindre à ma lettre le tableau abrégé des excès coinmis dans les provinces du Périgord, de l'Agenois et du Condomois; il est fait sur les pièces dont M. le Président d'Augeard a bien voulu se charger. Je ne parle point des horreurs qui se sont passées dans le Limousin parce que je sais que l'Assemblée nationale doit en être parfaitement instruite.

«Il est malheureux pour les magistrats de la chambre des vacations, et pour moi plus particulièrement, que l'Assemblée nationale se soit hâtée de couronner les dénonciations qui lui ont été présentées, avant de demander les motifs de l'arrêt du 20 février. Nous nous serions empressés, Monsieur le Président, à les développer, et nous sommes assurés que les dénonciations n'auraient pas été favorablement accueillies. Alors j'aurais été dans le cas de repousser les reproches que l'on m'a faits, en me supposant des vues et des intentions que je n'ai jamais eues, qui sont bien éloignées des sentiments dont je fais profession. On s'est permis d'isoler certaines phrases de mon réquisitoire au lieu de les réunir, et on n'a pas craint d'en déduire des conséquences directement contraires au but que je me suis proposé. Je n'en avais d'autre que d'arrêter les progrès des insurrections et de faire punir les coupables. C'est ce même but que l'Assemblée nationale a manifesté par ses décrets, que je me suis empressé de faire publier dans tout le ressort du parlement l'exactitude que j'ai apportée à cet égard doit me mettre à l'abri de toutes les inculpations qu'on a osé me faire.

« J'espère, Monsieur le Président, que ma conduite paraîtra aux yeux de l'Assemblée nationale celle d'un magistrat pénétré de l'étendue de ses devoirs, et plus encore celle d'un bon citoyen, et que j'obtiendrai de sa justice un témoignage de sa satisfaction.

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M. le Président consulte l'Assemblée qui renvoie cette lettre et les pièces qui y sont jointes, au comité des rapports.

M. le Président annonce ensuite que M. Augeard, président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, attend le moment de paraître à la barre.

L'Assemblée ordonne qu'il soit introduit.

M. le Président de l'Assemblée commence le discours qu'il a préparé; mais après avoir prononcé un petit nombre de phrases, il est interrompu par un très grand bruit.

Ce trouble ayant continué dans la partie droite de la salle, M. le Président fait prier, par un huissier, le président de la chambre des vacations de se retirer pour un moment.

Plusieurs membres s'opposent à ce que le président de la chambre des vacations se retire. Le tumulte est encore accru par un incident qui survient.

MM. Duval d'Eprémesnil et l'abbé Maury, placés dans la partie de la salle où le bruit s'est élevé, se plaignent que quelques personnes situées dans les tribunes publiques, les ont insultés. Les officiers de garde de la milice nationale étant venus prendre les ordres de M. le Président, relativement à cet incident, M. le Président ordonne que celui ou ceux désignés pour avoir manqué de respect à l'Assemblée, soient arrêtés dans les tribunes; ce qui est exécuté sur-le-champ.

M. le Président ayant ensuite obtenu du silence, dit qu'il ne croit pas possible que l'Assemblée délibère en présence du président de la chambre des vacations, sur la convenance ou la disconvenance du discours que le Président de l'Assemblée a préparé, et qu'il convient d'aller aux voix pour savoir si le président de la chambre des vacations doit se retirer ou non pour un moment.

Cette proposition est mise aux voix, elle est décrétée, et le président de la chambre des vacations se retire.

M. le Président dit alors que l'exemple de M. l'abbé de Montesquiou, et celui de plusieurs autres Présidents, l'ont dirigé dans le parti qu'il a pris de préparer son discours sans le communiquer préafablement à l'Assemblée; mais que voulant lui donner une marque de sa respectueuse déférence, il la supplie d'entendre son discours, et de décider ensuite pour savoir s'il doit être prononcé

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L'Assemblée décide qu'il doit le prononcer. Le président de la chambre des vacations étant de nouveau introduit à la barre, M. le Président lui dit :

« Monsieur,

« Si l'Assemblée nationale n'avait écouté que la rigueur des principes; si, pesant tous les termes de l'arrêt de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, en date du 20 février dernier, elle se fût déterminée par cette seule considération, peut-être eût-elle déployé une sévérité capable de contenir dans la soumission tous ceux qui tenteront inutilement de mettre des obstacles au succès de ses travaux.

"Mais l'Assemblée nationale ayant égard aux circonstances, et cherchant à se persuader qu'en croyant faire le bien, on peut s'égarer sans être coupable d'intention, vous a mande pour apprendre de vous-même quels ont été les motifs de la conduite de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux.

« Punir est pour l'Assemblée nationale le fardeau le plus pesant; persuader et convaincre, voilà son vou le plus einpressé elle ne cessera d'être indulgente qu'au moment où on la forcera d'être sévère. »>

fidèle et juridique des calamités dont je viens de tracer le tableau; en douter encore, ce serait ajouter l'outrage au malheur des infortunés qui en ont été les victimes.

Si ces détails sont vrais, la chambre des vacations pouvait-elle être insensible aux gémissements, aux réclamations de ces familles dont on dévastait les propriétés!

Le roi était venu épancher sa douleur au milieu de vous, ce roi si bienfaisant, si digne de l'amour de ses peuples, dont les malheurs présentent à l'Europe étonnée un si étrange contraste avec ses vertus, s'était plaint avec attendrissement des cruels effets de la licence. La loi, l'humanité, vos décrets, tout sollicitait la punition de crimes dénoncés à la justice de la chambre; elle devait donc rendre l'arrêt du 20 février; son silence eût été une prévarication.

Des motifs si pressants auraient-ils égaré le zèle des magistrats qui composent la chambre des vacations? Les lois sont leur garant; la religion du serment fut toujours la règle de leur conduite et le courage du devoir leur unique appui.

L'étendue de juridiction, la plénitude du pouvoir judiciaire, les autorisaient à rendre cet arrêt. Le magistrat, selon l'expression d'un philosophe du dernier siècle, est un autel auprès du

M. le Président lit ensuite le décret par lequelquel l'opprimé doit trouver un asile. · l'Assemblée nationale a mandé le président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, puis il donne la parole à ce magistrat.

M. Augeard, président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux. Messieurs, le roi m'a fait notifier votre décret, qui m'enjoint de venir rendre compte des motifs de ma conduite. La dénonciation qui vous a été faite de l'arrêt rendu par la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, le 20 février dernier, a provoqué ce décret. J'obéis aux ordres du roi et me présente devant vous avec la sérénité que doit inspirer à tout magistrat la certitude d'avoir rempli ses devoirs.

La chambre des vacations, dont je suis en ce moment l'organe, a pu, a dû rendre cet arrêt: prorogée pour exercer toutes les fonctions et tous les pouvoirs du parlement lui-même, la chambre a cherché inutilement quels reproches légitimes il était possible d'élever contre un arrêté que le ministere public, et bien plus encore les calamités de quatre différentes provinces, sollicitaient hautement de son patriotisme. Elle n'a eu d'autre regret que celui d'avoir été forcée de différer trop longtemps cet acte solennel de justice.

Les meurtres, les dévastations, les incendies se propagcaient dans les provinces du Limousin, du Périgord, de l'Agenois et du Condomois: des hordes de brigands, pour qui le nom de la liberté n'était devenu que le prétexte de la licence, dévastaient les propriétés, violaient les asiles les plus sacrés, le fer et la flamme à la main. Les temples de la religion n'avaient pas été respectés. Chaque famille, chaque pasteur, chaque citoyen, plongés dans la terreur et le désespoir, se demandaient avec effroi s'il n'existait plus de justice publique.

Ce ne sera pas en présence des ministres de la loi qu'on osera dire que ces malheurs sont exagérés ou imaginaires; la réalité n'en est que trop prouvée: les procès-verbaux que je viens déposer entre vos mains, les pièces remises au comité des rapports par les députés des différentes villes de la Guyenne n'en constatent que trop l'affligeante certitude: vous y trouverez le récit

Ces mêmes magistrats exercent avec assiduité des fonctions pénibles que vos décrets semblaient limiter à une plus courte durée. Impossible, au milieu des orages, ils n'ont élevé la voix que pour réprimer la licence, rassurer les juges inférieurs, ranimer leur courage, rétablir l'ordre et la tranquillité. Ils ont ordonné la publication et l'affiche de leur arrêt, pour s'acquitter envers les peuples et pour annoncer aux scélérats la plus indissoluble alliance de la force publique avec la loi.

J'ai honoré mon nom et mon ministère, en souscrivant cet arrêt si juste, si conforme aux dispositions des ordonnances et au vœu de l'humanité.

Voilà, Messieurs, les considérations qui ont déterminé la conduite de la chambre que j'ai l'honneur de présider. Si vous demandez quels ont été nos motifs, vous les découvrirez tous dans l'intérêt du bien public et daus l'amour de nos devoirs.

M. Président. Monsieur, l'Assemblée a entendu vos motifs; elle en délibérera: vous pouvez Vous retirer.

(M. Augeard quitte la barre et sort de la salle.)

M. le comte de Croix. Je demande le renvoi au comité des rapports du discours de M. Augeard et des pièces qu'il vient de déposer.

M. de Clermont-Tonnerre. J'appuie la motion du préopinant, et je demande, comme lui, le renvoi du discours de M. Augeard, dont il lui est peut-être plus difficile de se disculper que de l'arrêt pour lequel il a été mandé. J'avoue que je n'ai point entendu sans surprise parler de la plénitude du pouvoir judiciaire. (Le côté droit recommence ses murmures. — M. Duval d'Eprémesnil est remarqué parmi les perturbateurs, et M. de Lameth demande qu'il soit rappelé à l'ordre, et que son nom soit inséré au procès-verbal.)

M. de Clermont-Tonnerre reprend : Per sonne n'est plus vivement affecté que moi des malheurs que M. Augeard nous a rappelés; personne n'a plus fortement séparé le bien de la Ré

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