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M. Necker se plaint que les rapports habituels avec l'Assemblée lui ont constamment manqué : pourquoi n'en a-t-il donc pas établi avec le grand comité des finances? Pourquoi, du moins, a-t-il fait si peu d'usage du petit comité choisi pour communiquer avec lui? M. Necker n'était certainement pas homme à demander son comité de trésorerie, pour qu'on le lui refusât. Mais comment pouvait-il croire que l'Assemblée se mit, en le lui accordant, en contradiction si manifeste avec elle-même ?

Jusqu'ici j'ai défendu l'opinion du comité des finances en soutenant la mienne; il me reste à me défendre personnellement sur une inculpation qui paraît assez grave. Voici les paroles de M. Necker:

la

Je ne dois pas finir ce mémoire sans faire connaltre le rapport donné au nom du comité que des finances, n'a été connu de ce comité que veille au soir du jour où il a été présenté à l'Assemblée nationale; et malgré l'attention qu'exigeait une grande diversité de calculs, il n'a été fait qu'une seule lecture du mémoire; et les membres du comité des finances, au nombre de douze ou quinze seulement, au lieu du soixante-quatre dont il est composé, n'ont pas été réunis d'opinion.

Qui ne croirait, en lisant ce passage dans l'ouvrage d'un homme tel que M. Necker, que tous les faits en sont incontestables? Qui ne croirait que mon rapport a été faussement donné sous le nom du comité des finances, que son approbation lui a été enlevée par surprise, qu'à dessein j'ai attendu la veille du rapport pour en faire lecture au comité, que les formes ordinaires usitées en cas pareil, n'ont pas été observées et qu'enfin j'avais choisi pour cette communication un moment où le comité n'était pas en nombre suffissant pour délibérer?

A ces assertions je n'opposerai que le récit des faits.

L'Assemblée nationale a reçu le mémoire de M. Necker le samedi 6 mars. Le dimanche 7 elle en a décrété le renvoi au comité des finances pour en faire son rapport le vendredi suivant. Ce décret de l'Assemblée a été porté au comité des finances le lundi 8 : le comité a nommé commissaires pour ce rapport MM. Dupont, de Canteleu et moi; nous nous sommes assemblés le matin du mardi 9 à la salle du comité. Il y a été décidé que je ferais le rapport, j'ai commencé à m'en occuper le mardi au soir : le mercredi 10 j'ai demandé officiellement au comité s'il voulait s'assembler extraordinairement le jeudi 11 à 7 heures du soir, pour entendre et juger mon rapport; ma proposition a été acceptée. Il s'est trouvé au comité, ce jour-là, 24 ou 25 membres; il est rare qu'il s'en trouve un plus grand nombre, Ils ont eu la bonté de m'entendre et de discuter mon rapport jusqu'à onze heures du soir. On m'en a fait retrancher plusieurs articles avec beaucoup trop de faveur.

Vers dix heures, il est vrai, ainsi qu'il nous arrive tous les jours, quelques-uns des assistants se sont retirés; je ne sais pas exactement dans quel nombre mais voici au sujet du nombre qui restait un fait positif. Environ à 10 heures et demie du soir, il s'éleva une discussion relative à ce que je disais sur le bureau de trésorerie, dont je traitais la question au fond. Les uns voulaient que je n'en parlasse pas, parce que le roi ne nous consultait pas sur l'établissement en lui-même; les autres voulaient admettre ma critique; il fallut aller aux voix il y eut partage absolu; huit d'un côté et huit de l'autre

et les avis furent conciliés ensuite par un parti mitoyen qui fut unanimement adopté.

Je n'ai rapporté cette petite circonstance que pour démontrer que vers la fin de notre séance, au moment où nous étions le moins nombreux, nous étions encore dix-sept.

Il résulte de ce récit: 1° qu'il eût été difficile de faire plusieurs lectures d'un rapport aussi long qui n'était pas commencé le mardi et qui devait avoir lieu le vendredi; 2° qu'il ne se fait jamais de seconde lecture des rapports qui ont été approuvés à la première; 3° que le comité, dès qu'il à été convoqué, est légalement assemblé dans quelque nombre que soient ses membres et qu'il est réputé complet à un nombre même inférieur à celui qui s'y trouvait ce jour-là, sans quoi les affaires ne se raient jamais expédiées et seraient aux ordres de la paresse ou de la malveillance.

Si j'osais joindre à ces preuves de fait une preuve d'assentiment très flatteuse pour moi, j'ajouterais que le vendredi 12, jour même où j'ai fait le rapport en question, était le jour où le comité des finances devait renouveler ses officiers, et que, ce jour-là même, il m'a de nouveau honoré de ses suffrages pour le présider.

M. Necker trouve désagréable le travail auquel il s'est livré pour me réfuter mais ce travail importait-il ou à sa gloire ou à la chose publique? S'il avait pu n'être dirigé que contre moi, ce n'était pas la peine; mais contre le comité des finances exécutant les ordres de l'Assemblée nationale, M. Necker y a-t-il bien pensé?

Les ministres auraient-ils donc le droit d'imposer leur influence plus ou moins grande à la liberté des opinions dans les rapports qui se font à l'Assemblée? Est-il juste qu'un rapporteur soit forcé de joindre au courage quelquefois nécessaire pour braver des préjugés ou pour lutter contre des passions, celui de se mettre personnellement en scène, de s'exposer aux haines des partis, à l'amertume des discussions politiques, au déchaînement de tous les poursuivants de la faveur? M. Necker trouve son travail désagréable. Mais qui l'obligeait de l'entreprendre? Si je m'étais trompé dans mon rapport, craignait-il que, sans examen, l'Assemblée nationale adoptåt mes erreurs? Ne serais-je pas mieux fondé à dire combien m'a coûté le travail auquel il m'a condamné? C'est moi qui peux m'en plaindre, car il ne m'a pas été libre de l'éviter. Compromis à la fois par les observations de M. Necker, vis-à-vis de l'Assemblée nationale, vis-à-vis du comité des finances, vis-à-vis du public si avide à saisir tout ce qui peut exercer fa malignité; il m'a été impossible de suivre le combat trop inégal dans lequel son attaque m'a obligé malgré moi.

J'ai rempli ma triste et pénible tâche. Je ne crois pas avoir éludé une objection. J'ai suivi l'ouvrage auquel je réponds phrase à phrase, et pour ainsi dire ligne à ligne. Sans me dissimuler aucune des difficultés de mon entreprise, je les ai toutes affrontées, et cependant je n'ai été soutenu par aucun des motifs qui animent ordinairement dans de semblables controverses, Je le déclare avec sincérité si j'étais parvenu à affaiblir quelques-uns des arguments de M. Necker et à reconquérir, pour mes calculs, la confiance qu'il avait cherché à leur enlever, cet avantage que je ne pourrais devoir qu'à l'irrésistible empire de la vérité, ne me consolerait pas encore de tous les sacrifices que j'ai dû faire et que j'ai faits à mon devoir. Il n'adoucirait pas la peine que j'éprouve en écartant de moi les illusions d'un

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M. Camus fait une motion sur le mode suivant lequel les décrets de l'Assemblée nationale doivent être signés, contresignés et scellés.

J'observe, dit l'orateur, que la distinction essentielle et déterminée par l'Assemblée nationale, entre l'acceptation des décrets constitutionnels et la sanction des lois proprement dites, n'est point assez marquée dans la forme employée jusqu'à présent, que deux seuls des décrets constitutionnels déposés dans les archives de l'Assemblée, portent au bas ces mots : j'accepte; signé, Louis; et que tous les autres portent seulement cette formule le roi mande, etc. Je fais remarquer combien il est important de maintenir l'acceptation pure et simple qui forme le véritable contrat entre le roi et la nation, et je demande que le président soit chargé de demander au garde des sceaux de faire donner aux décrets constitutionnels la forme d'acceptation déterminée par l'Assemblée, c'est-à-dire avec cette mention : j'accepte et, en outre, contresigné par le ministre. (Cette motion est adoptée.)

M. La Poule, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier au soir.

Divers membres demandent la parole sur le décret relatif à la Compagnie des Indes, qui est relaté dans ce procès-verbal.

M. le Président. J'ai reçu au sujet de ce décret la lettre suivante :

Monsieur le Président,

Nous venons d'apprendre que le décret qui renvoyait à aujourd'hui la discussion de l'affaire de l'Inde, avait été changé hier au soir, dans l'instant même où les défenseurs du commerce se préparaient à éclairer la justice de l'Assemblée.

Cet avis, Monsieur le président, nous a consternés; et ce qui ajoute à notre chagrin, c'est la crainte du désespoir de toutes nos places, qui attendaient incessamment, d'après nos assurances, la solution de la question qui est soumise à l'Assemblée nationale.

Daignez, Monsieur le président, lui donner connaissance de notre juste réclamation. Les motifs puissants qui l'étayent ne pourront échapper à sa sagesse.

Nous sommes avec respect, etc.

Signé: Les députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

M. Bouche. Je vois, dans le procès-verbal de la séance d'hier soir, que l'affaire de la Compagnie des Indes est ajournée après la Constitution; rien n'est plus surprenant que cet ajournement. Vous avez déjà placé deux fois cette discussion à l'ordre du jour, elle était inscrite sur le tableau pour aujourd'hui; un ajournement décidé dans une séance du soir, ordonné en l'absence de la plupart des membres instruits sur la matière, après avoir entendu des commissaires de la Compagnie des Indes, défenderesse, sans avoir admis le commerce, demandeur, par les députés; un ajournement de cette nature est une surprise faite à l'Assemblée. Dans ce moment, les vaisseaux sont prêts à partir; ils prendront, dit-on, le pavillon étranger; mais cet arrangement coùterà 28 0/0 au commerce de France. Il ne sera plus temps, dit-on, de mettre en mer lorsque votre décret sera rendu; mais il peut l'être aujourd'hui; mais M. de Suffren a appris à tous les navigateurs qu'on pouvait aller dans l'Inde malgré les moussons... Je demande que les députés du commerce soient entendus, et que la première affaire, discutée dans cette séance, soit celle de la Compagnie des Indes.

M. de Noailles. J'insiste pour que la discussion soit ouverte malgré le décret qui l'ajourne. On dit que la saison du voyage est passée, mais ceux qui ont tenu les parages des Indes détruisent cette fausse assertion; il est constant que les commerçants entreprendront ce voyage jusqu'au 25 mai et que, malgré le décret, les vaisseaux déjà prêts partiront.

M. Mougins de Roquefort. Cette affaire a été longtemps débattue hier; l'Assemblée était très nombreuse on a cru les finances et la Constitution bien plus pressantes. Si l'on veut revenir sur l'ajournement, il faut du moins attendre le moment où tous les députés seront rassemblés.

M. le marquis de Vaudreuil. On peut partir pour l'Inde jusqu'à la fin d'avril, et même dans le commencement de mai. Cependant l'observation relative à M. de Suffren n'est pas absolument juste; il y a bien de la différence entre des vaisseaux du roi et des vaisseaux marchands, très chargés.

(La délibération sur cet objet est renvoyée à deux heures.)

M. La Planche, comte de Ruillié, député de la province dite anciennement de l'Anjou, demande l'agrément de l'Assemblée pour s'absenter quelques jours.

M. de Ballidart, député de Vitry-le-Français, demande un congé de peu de durée pour affaires urgentes.

M. l'abbé Gibert, député de Vermandois, que des affaires indispensables appellent dans sa province, demande l'autorisation de s'absenter. Ces trois congés sont accordés.

M. le Président annonce que M. Perrin, député de Villefranche-de-Rouergue, mort hier, sera enterré ce soir à cinq heures; que le convoi partira de la rue Saint-Joseph-Montmartre pour aller à l'église Saint-Eustache. Il invite les membres de l'Assemblée à y assister.

M. le Président donne la parole à M. Target,

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Vous avez dû ne vous occuper des finances qu'après avoir posé les bases de la constitution; cette règle vous était prescrite; vous l'avez observée malgré la crise des affaires. L'Assemblée nationale n'a délibéré sur la contribution patriotique, qu'après l'acceptation royale de la déclaration des droits, des articles fondamentaux de la constitution, et de ces décrets imprévus, autant qu'admirables, qu'un patriotisme unanime a formés, et qui contiennent tous les germes de la prospérité de l'Empire.

Jusque-là vous aviez développé l'énergie d'un courage inébranlable; mais les grandes choses qu'il promettait, vous n'aviez pu les réaliser : ceux qui mesuraient vos pas sur l'impatience de leurs désirs, n'avaient pas vu qu'il vous faudrait près de trois mois pour soumettre les préjugés qui résistaient à votre organisation, et que pendant longtemps, cette Assemblée qui devait tout faire, ne serait pas faite elle-même.

Depuis, marchant toujours, mais souvent retardés, plus de la moitié de vos séances a été enlevée par les détails qui vous poursuivent, de sorte qu'il faut s'étonner, non des lenteurs qu'on vous reproche, mais de la rapidité qu'on vous reproche encore.

Qu'est-ce qu'une constitution politique? C'est la juste distribution des pouvoirs publics. Le premier de tous, c'est le pouvoir législatif; il est dans l'Empire ce que la volonté est dans l'homme. Le second est le pouvoir exécutif; semblable à la force physique qui, gouvernée par la volonté, doit opérer tout ce qu'elle commande, la réunion des forces de tous les citoyens constituant le pouvoir exécutif, réalise tout ce qu'ordonne la réunion des volontés; mais pour ne former qu'un seul tout de ces forces réunies, il faut qu'elles soient dirigées. Cette direction suprême doit appartenir au roi; contre les ennemis du dehors, il doit disposer d'une armée; dans l'intérieur, administrer par des assemblées de citoyens élus et faire exécuter les jugements rendus suivant les formes de la loi; des milices de citoyens armés doivent appuyer l'exécution des ordres administratifs et celle des jugements. Cette puissance publique doit être soutenue par des contributions; accordées par la volonté générale, elles doivent être supportées par tous les citoyens, selon la proportion de leurs facultés.

Voilà l'organisation tout entière de l'Empire, et c'est là ce que vous êtes chargés d'établir. A quel point de cette carrière êtes-vous parvenus?

Toute action superflue, tout pouvoir inutile embarrassent le mouvement de la machine politique. Vous avez trouvé la France couverte de ces pouvoirs usurpés, étrangers à la chose publique. Partout des corporations isolées, des ordres, des privilèges; il a fallu renverser ces bases sur lesquelles rien ne pouvait s'élever. Les fiefs ont dis

(1) Le Moniteur ne donne qu'un sommaire du rapport de M. Target.

paru; la justice est retournée à sa source et n'est plus un patrimoine; l'égalité proportionnelle des charges publiques est rétablie; il n'y a plus aucune distinction d'ordres; les provinces se vantaient de leurs antiques prérogatives, elles s'honorent de n'en plus avoir; chose plus étonnante encore, il n'y a plus de province; les biens dont jouissaient les ministres du culte, rempliront leur destination, mais au delà, ils seront nationaux.

Toute puissance est donc abaissée sous la loi que la nation dicte, que le roi sanctionne et exécute; il ne reste enfin que les pouvoirs nécessaires, sans lesquels il n'y a point de gouvernement ni par conséquent de liberté.

Après avoir aboli les distinctions injustes, il fallait consacrer les droits des hommes; vous les avez proclamés.

Pour donner une constitution à la France, il fallait poser les bases du pouvoir législatif; vous l'avez fait, en l'attachant à une Assemblée permanente des représentants de la nation, qui rentrent, tous les deux ans, dans la masse des citoyens, après avoir créé la loi, voté les contributions et l'armée; il fallait poser les bases du pouvoir exécutif, vous l'avez fait en le fixant dans les mains du roi, en déclarant sa personne inviolable et sacrée, en consacrant son droit héréditaire à un trône indivisible: il fallait garantir la nation des invasions du despotisme, vous l'avez fait par la responsabilité des ministres; il fallait appuyer le pouvoir exécutif de la force publique, vous avez commencé à le faire, en lui donnant, contre les ennemis du dehors, une armée de citoyens soumis au roi comme chef suprême, réglée par les législatures, et pour le nombre et pour la solde, commandée par des officiers que l'argent ne pourra plus faire, liés par un double serment à leurs drapeaux et à leur patrie; en lui donnant, dans l'administration intérieure, des assemblées de citoyens élus, chargés de transmettre les décrets de la législature et les ordres du monarque à des administrations subordonnées, et par elle aux corps municipaux, rattachées à la constitution et ralliées à l'unité par une responsabilité rigoureuse. Ces corps administratifs s'élèvent et vont se montrer dans toute la France. La force de la nation elle-même en affermira l'autorité; toujours citoyens, soit qu'ils délibèrent paisiblement et sans armes, soit qu'ils combattent ou contiennent les ennemis des lois constitutionnelles, les Français en assureront ainsi la durée et contracteront cette fierté, aussi naturelle aux hommes libres, que l'insolence l'a toujours été aux esclaves du despotisme.

On se demande ce que vous avez fait ? le voilà, Messieurs, sans parler d'une foule de lois salutaires dont la France recueille déjà les fruits. Il vous reste à organiser l'ordre judiciaire.

Il vous reste à fixer la constitution du ministère ecclésiastique.

Il vous reste à prononcer sur l'organisation de l'armée et des gardes nationales.

Il vous reste à vendre les biens qui sont le gage de la dette exigible, assurer la rentrée des revenus, fixer le détail des dépenses, l'état et la comptabilité des caisses, le système des impositions.

Il vous reste à compléter la déclaration des droits et des lois constitutionnelles des deux pouvoirs suprêmes commencées, elles furent le fondement nécessaire de votre édifice; développées et finies, elles en seront le couronnement et le faite.

Tout est pressé, Messieurs, il faut pourtant se tracer un ordre.

Le ministère des juges imprime à tout un caractère de justice, d'ordre et de paix, bien nécessaire à la suite des révolutions; il rend présente, à tous les citoyens, l'action bienfaisante du gouvernement, il touche à leurs intérêts les plus chers; vous avez commencé la discussion sur cette partie, il faut la continuer sans interruption, cela est ordonné par un de vos décrets.

Mais votre comité vous invite à vous occuper sans délai de la constitution définitive de l'état ecclésiastique, et d'abord, du remplacement de la dime, ordonné par votre décret du mois d'août; travail qui se líe, d'un côté, à la tranquillité publique, et de l'autre, au rétablissement des finances et au crédit national. Destinez-y l'un des quatre jours consacrés à la Constitution, et l'un des trois réservés pour la finance, car cet objet tient également à l'une et à l'autre.

Il nous semble qu'à ces travaux urgents doit succéder immédiatement l'organisation de l'armée et celle des gardes nationales. Vous déterminerez les rapports qui attachent l'armée à l'ordre civil, et qui lui préparent les forces auxiliaires dont elle aura besoin aux premières annonces des hostilités, si la France, paisible, désintéressée, renfermée dans ses limites, et dépourvue de toute autre ambition que celle de conquérir les nations à la liberté et au bonheur, peut avoir des hostilités à craindre.

Cependant, fidèles à la distribution que vous avez déjà faite de vos journées et de vos heures, vous poursuivrez vos travaux sur l'ordre des finances; vos décrets relatifs à cette matière, s'avançant du même pas que les décrets constitutionnels se prêteront une force mutuelle: ceux-ci, en assurant la certitude des recouvrements; ceuxlà, en réduisant les dépenses, en retranchant les profusions, en retranchant aux créanciers de l'Etat des gages infaillibles, en réalisant leur valeur, en montrant la France, telle qu'elle est, plus réellement solvable, qu'elle ne l'a jamais été sous les plus accrédités des ministres; en soulageant le peuple enfin, par les mêmes lois qui rappelleront la confiance égarée aujourd'hui par l'intrigue.

Vous håterez les résolutions fermes et tranchantes qui peuvent révéler à tout le royaume l'étendue de vos ressources; il se passe, en effet, quelque chose de bien extraordinaire.

La liberté et les bonnes lois n'appauvrissent jamais les Empires; le sol du royaume n'est pas changé; sa fertilité est la méme; l'industrie n'est que suspendue par la Révolution. La France ne doit pas davantage, et elle dépense moins; 60 millions sont provisoirement réformés, 400 mil. lions de secours inattendus s'offrent aux créanciers. Ci-devant la fortune, ou plutôt la misère du peuple était tourmentée par mille impôts, excédant 600 millions, arrachés par la force, dévorés par les frais, insuffisants aux dépenses : quelques contributions doucement recueillies, qui ne surpasseront pas 500 millions, suffiront, au contraire, aux intérêts de la dette, même des offices supprimés, en prépareront l'amortissement, couvriront tontes les dépenses réglées par une sage économic. Telle est notre situation réelle; il ne s'agit que de franchir un intervalle de crise, qui sépare toujours péniblement les dérèglements passés et l'ordre prêt à renaître. Pourquoi donc l'argent venait-il chercher des ministres dissipateurs, et se retire-t-il en présence d'une nation économe? pourquoi, dans les périls d'un grand

désordre, parvenait-on à conserver un crédit artificiel? et pourquoi le crédit le plus raisonnable est-il suspendu, quand la solvabilité devient chaque jour plus certaine? C'est qu'aux inquiétudes vagues, qui accompagnent toujours les temps de révolution, se joint une grande intrigue; c'est que vos réformes n'enrichiront que le royaume, mais attaquent ces immenses fortunes qui se grossissaient aux dépens des misérables; c'est qu'il y a des riches profondément indignés de votre justice; c'est qu'avec la puissance inséparable de la richesse, espérant du malheur de quelques mois le retour des abus si chers à leur avidité, assez aveugles pour ne pas voir qu'ils courent à leur perte, il ne leur est pas difficile d'opérer un engorgement momentané, qu'ils voudraient faire regarder comme la ruine du royaume, et qui n'est que le précurseur de la prospérité.

Un signe bien sensible distingue les amis et les ennemis de la Constitution: les premiers soulagent de tout leur pouvoir les malheureux que les circonstances du moment multiplient; mais ils annoncent hautement la certitude de la grandeur de nos moyens ils exhortent, ils encouragent les citoyens aisés à venir au secours de la chose publique par une contribution franche et loyale ; les seconds, au contraire, savent trop bien que si l'Etat est secouru, l'ordre qu'ils détestent sera rétabli pour toujours; ils ne parlent de ruine et ne sément l'effroi, que parce qu'ils se flattent d'empêcher, par là, que le secours ne parvienne; les désastres imaginaires qu'ils vont publier de tous côtés, ne commencent à prendre quelque réalité que par leurs discours, et ce mal dont ils paraissent épouvantés, eux seuls, s'il arrivait, en seraient volontairement les auteurs.

Hatez-vous donc, je le répète, de dissiper ces vaines et hideuses espérances, par l'usage de toute la puissance d'un grand royaume, et en accélérant l'exécution de vos mesures.

Il me reste à vous dire, Messieurs, que durant cette marche ainsi ordonnée de vos travaux, il vous surviendra des détails essentiels, qui doivent obtenir quelques-uns de vos moments, soit à l'ordre de deux heures, soit aux séances du soir, dont il faudra bien se résoudre à ne pas les exclure, sans refuser le reste de ces séances, aux affaires particulières que vous jugerez dignes de vos délibérations. La plupart des objets dont je vais vous parler sont déjà préparés par vos comités, et voici l'ordre dans lequel nous croyons devoir les présenter à votre attention.

Un règlement sur la chasse, qu'il est important de ne pas différer davantage.

La fin des décrets sur les droits féodaux et sur ceux de justice.

La composition particulière de la municipalité de Paris.

Les décrets sur la procédure criminelle.

La liquidation des finances des offices judiciaires.

Les règlements sur l'administration en général et sur la police en particulier.

La loi sur les délits commis par la voie de la presse.

Les matières d'agriculture et de commerce. L'administration des pauvres et des travaux de

charité.

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Vous communiquer ses espérances; comptant sur la plus grande activité de vos travaux, il lui semble que le jour où le roi, environné d'un peuple immense, proclamera, jurera solennellement la Constitution du royaume, et recevra nos serments et nos hommages, jour qui sera consacré à jamais par des fêtes annuelles dans tous les lieux de l'univers où il y aura des Français, pourrait être l'anniversaire de celui, où seul, sans appareil, après avoir ordonné l'éloignement de l'armée, il vint au milieu de vous déclarer qu'il ne voulait être qu'un avec sa nation, et qu'il s'abandonnait à son amour.

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale décrète ce qui suit : 1o Des quatre premiers jours de chaque semaine, aux séances du matin, il en sera employé trois à délibérer sur l'ordre judiciaire.

2o Le quatrième jour, et le premier des trois autres qui sont destinés aux finances, seront employés à régler la constitution de l'état ecclésiastique, et le remplacement de la dîme.

M. le Président consulte l'Assemblée qui approuve le plan de travail du comité de constitution et en ordonne l'impression.

L'ordre du jour ramène la discussion sur l'organisation du pouvoir judiciaire.

30 Immédiatement après l'organisation du pou voir judiciaire et du ministère ecclésiastique, l'As-ne semblée nationale s'occupera, aux séances du matin des quatre premiers jours de la semaine, de l'organisation de l'armée et des gardes nationales.

4° L'Assemblée travaillera ensuite, dans ses séances des mêmes jours, à compléter la déclaration des droits, et les lois constitutionuelles du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.

5o Le travail sur les finances sera cependant continué sans interruption, aux séances qui lui sont destinées.

6o L'Assemblée nationale se réserve de délibérer sur les objets suivants, le plus tôt qu'il sera possible:

La fin des décrets sur les droits féodaux et sur
ceux de justice, et le règlement sur la chasse.
La formation particulière de la municipalité de
Paris;

Les règlements de l'administration en général, et de la police en particulier;

L'éducation publique;

Les réformes de la procédure criminelle;
Les règles de la liquidation des finances des of-
fices judiciaires.

Les délits commis par la voie de la presse;
Les matières d'agriculture et de commerce;
L'administration des pauvres et des travaux de

charité.

M. de Lafare, évêque de Nancy. Le projet de décret qui vous est soumis contient un article relatif à l'organisation du ministère ecclésiastique. S'il ne s'agit que d'un règlement politique, je ne parlerai pas, mais s'il est question de l'exercice spirituel, je réclame d'avance contre toute entreprise qui pourrait être faite à cet égard. (Voyez plus loin, annexé à la séance de ce jour, le travail de M. l'évêque de Nancy, intitulé: Quelle doit étre l'influence de l'Assemblée nationale sur les matières ecclésiastiques et religieuses?)

M. de Bonnal, évêque de Clermont. Je demande que ces mots: ministère ecclésiastique soient supprimés et remplacés par ceux de corps ecclésiastique. Les premiers s'appliquent à des fonctions purement spirituelles et les seconds offrent un rapport temporel.

(Cette réclamation est rejetée et le mot ministère est remplacé par celui d'état.)

M. Lanjuinais. Je ne dirai rien d'étonnant, de ravissant, je n'emploierai pas ces saillies brillantes, ces phrases ambitieuses qui semblent commander les applaudissements. (L'Assemblée n'applaudit pas, elle murmure.) J'attaque par la base le systéme de M. Duport: l'instruction, telle qu'il la propose, est inutile, dangereuse, impraticable. A quoi bon ces magistrats ambulants qui jugeraient en voyageant? Est-ce afin d'avoir des juges plus purs? Leur pureté sera également assurée, si l'on adopte le scrutin d'épreuve proposé par cet homme sublime et profond, à qui l'on doit la constitution de France, M. l'abbé Sieyes; ce scrutin d'épreuve serait fait chaque année, et le peuple exclurait les juges qui auraient cessé d'être dignes de sa confiance. Il faut, dit-on, diminuer le nombre des avocats; oui sans doute: si les avocats sont un mal, c'est un mal nécessaire; mais les assemblées nationales, puisqu'elles sont payées, sont aussi un mal nécessaire. Nulle part les avocats ne sont plus nombreux, plus promptement enrichis, plus estimés; nulle part ils n'ont plus d'influence qu'en Angleterre. Si nous avons des jurés, comme les Anglais, il nous faudra également un grand nombre d'avocats. Le troisième avantage du plan de M. Duport semble consister dans la distinction du fait et du droit. Eh bien! cette distinction est impossible dans les procès; je ne parle pas seulement ici d'après vingt années d'expérience, mais d'après un homme auquel vous ne refusez pas le titre de penseur philosophique et profond, M. l'abbé Sieyes. Il fait imprimer un système de jurés où cette distinction est inutile. Quand le fait est distingué du droit, il n'y a plus de procès; ou si l'on veut que cette distinction soit faite, il y aura autant de procès séparés, de sentences et de jugements, que de moyens et d'exceptions. Le quatrième avantage ne me séduit pas; il consiste à avoir (passez-moi l'expression) des juges chevaucheurs: il faudra toujours de longues études, de longues réflexions, une longue expérience dans les juges les sentences de ces juges vagabonds, qui prononceraient le pied dans l'étrier, seraientelles justes? ces juges seraient-ils éclairés? J'ai donc démontré que le système de M. Duport est inutile et dangereux; il est encore impraticable sur la forme et sur le fond. Nous avons un droit incertain et obscur; l'autorité des jurisconsultes, les usages et la jurisprudence des tribunaux, tout est incertitude et obscurité; il faut donc des hommes instruits et expérimentés; il est donc impossible d'admettre des jurés, tant que la législation actuelle ne sera pas réformée: le système de M. Duport est donc impraticable. D'après ces observations, je préférerais le système du comité avec les amendements nécessaires, en le corrigeant par diverses institutions proposées par M. l'abbé Sieyes.

M. Barrère de Vieuzac. Je ne discuterai rien, je ne présenterai ni plan, ni articles, ni système, mais des résultats. Trois projets ont été soumis à l'Assemblée; celui du comité ressemble bien moins aux deux autres, qu'à l'ancien ordre de choses; il offre des parlements dédoublés, et des bailliages changés de place. Les publicistes

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