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communautés riveraines, ou en partager la jouissance entre les deux.

Quant aux alluvions ainsi qu'aux bords des rivières, la nation rougirait, sans doute, de faire renaître ces honteuses prétentions, en vertu desquelles on les disputait aux propriétaires riverains, à qui la nature et les vrais principes les accordent, et je crois pouvoir me dispenser de justifier ici les droits des propriétaires riverains.

Je ne vous parlerai point, Messieurs, des droits de péage, passage, bacs et bateaux que vous avez jugés appartenir plus spécialement à une autre partie de votre travail; mais je ne puis me défendre de vous faire part des difficultés qui peuvent naître au sujet des moulins construits ou à construire.

Le cours de l'éau est nécessaire à un moulin, d'où il suit qu'au propriétaire seul du cours de l'eau appartient le droit de construire un moulin; mais, d'un autre côté, les bâtiments se construisent sur l'une des rives. Il faut donc être propriétaire d'un terrain près le cours de l'eau pour pouvoir construire un moulin. Il n'y a pas grande difficulté pour les moulins à construire; car, ou une communauté acquerrait ce qui serait nécessaire de terrain pour asseoir les bâtiments d'un moulin qu'elle ferait établir, ou le propriétaire d'un terrain voisin d'une rivière se ferait concéder le cours d'eau, moyennant une redevance annuelle, par une sorte de bail emphyteotique.

Mais quel parti prendre pour les moulins qni existent en ce moment, et que les seigneurs ont fait construire d'après l'opinion reçue qu'ils étaient propriétaires du cours de l'eau ? Considérera-t-on la propriété du moulin et des bâtiments comme accessoire du cours de l'eau, devant suivre le principal, c'est-à-dire rentrer dans les mains des communautés, en payant par elles la valeur des constructions et du terrain sur lequel elles sont assises? ou, prenant un parti moins conforme aux principes, mais plus approprié aux circonstances, ne pourrait-on pas confirmer les seigneurs, qui le désireraient, dans la propriété de leurs moulins, en les assujettissant à payer aux communautés une redevance qui serait déterminée par les assemblées de départements ?

Après des discussions aussi étendues que celles que viennent de nécessiter les chemins et les rivières, entrerai-je ici, Messieurs, dans celles que pourraient exiger les droits de minage, stellage, hallage et tous autres quí, sous différents noms se perçoivent sur les grains et denrées qui vendent sur les marchés et places publiques? ne Si ces différents droits n'avaient pour origi que celui en vertu duquel les seigneurs inte disaient toute espèce de ventes et d'achats entre particuliers, lorsqu'ils voulaient vendre leurs denrées, tyrannie révoltante à laquelle plusieurs auteurs prétendent qu'ont été substitués les droits de minage, stellage, hallage, etc; si ces différents droits étaient, suivant le témoignage d'autres auteurs, la récompense du soin que prenaient les seigneurs justiciers de prévenir par des rẻglements de police, et les injustices des ventes, et les querelles qui en pouvaient naître; si, comme je suis porté à le croire, ces différents objets étaient un prix stipulé par les seigneurs, à raison de leur prétendue propriété des places publiques, sur lesquelles ils consentaient que les marchés s'établissent; sous tous ces rapports, il n'y aurait pas de difficulté à abolir sans indemnité des droits infiniment odieux, puisqu'ils frappent sur les denrées de première nécessité et sur la classe la plus indigente des peuples,

Mais on se dissimulerait vainement que, dans un grand nombre de lieux, ces droits ont des causes particulières. Ici, c'est une convention qui a des causes légitimes, peut-on la dissoudre? Là, c'est une concession des rois et quoique les rois n'aient pu valablement faire de nouvelles concessions, qui sont des impôts non consentis, le prix qu'a déboursé le seigneur ou autre titulaire (car ce ne sont pas toujours les seigneurs qui exercent les droits en question), le prix, dis-je, au moyen duquel ils ont été acquis, ne doit-il pas être remboursé comme dette nationale?

J'estimerais donc qu'en considérant même les droits de minage, hallage, stellage et autres de cette nature, comme étant, en quelques pays, des propriétés, il ne faudrait pas moins les abolir, parce qu'il faut détruire toute propriété nuisible au public. Mais comme on ne doit enlever à personne une propriété sans l'indemniser, je croirais qu'on pourrait proposer à l'Assemblée de décréter que tous les droits dont il est question, sont et demeurent abolis sauf aux seigneurs et autres titulaires desdits droits, qui pourront justifier qu'ils auraient été non usurpés, mais acquis, à répéter une indemnité qui sera payée sur les impositions locales du département dans l'étendue duquel se trouveront les balles et marchés, où les droits abolis étaient perçus.

Vous trouverez, Messieurs, infiniment moins de difficultés quant aux droits que les seigneurs s'étaient attribués sur les poids et mesures, et quant à ceux qu'ils prélevaient sur les boissons débitées dans les cabarets. C'est sous prétexte de la police qu'il fallait maintenir dans ces différentes parties que les seigneurs ont établi ces diverses espèces de droits. On leur a retiré l'exercice de la justice, on leur a interdit celui de toute puissance publique, on les a donc dispensés de tous les soins qu'exigeait la manutention de la police; ils n'ont donc plus de prétexte pour prélever des droits qui n'ont été inventés que par l'avidité de leurs officiers.

Il ne me reste, Messieurs, que peu de choses à vous dire de ces officiers seigneuriaux, tant de ceux préposés à la juridiction contentieuse, que de ceux préposés à la juridiction volontaire.

Toute démonstration serait sans doute superflue pour établir que l'institution des notaires et tabellions était de la part des seigneurs, un droit ne dépendant pas moins de la haute justice que l'établissement des autres officiers préposés à la juridiction contentieuse.

Si quelqu'un pouvait avoir le moindre doute à cet égard, il serait facile de lui faire reconnaître que la juridiction volontaire et la juridiction forcée ont une seule et même origine; que l'une et l'autre sont des émanations de la puissance publique dont les seigneurs étaient investis; que si c'est un exercice de puissance publique que de préposer des officiers pour terminer les différends entre des particuliers, c'en est un aussi que de préposer d'autres officiers qui, en vertu de cette puissance publique qu'ils empruntent, donnent de l'authenticité aux conventions, et communiquent aux actes la force qui les rend exécutoires.

Aussi, les lois romaines avaient-elles attribué aux juges eux-mêmes les fonctions des notaires. Il fut une époque en France où ces mêmes fonctions furent de même exercées par les juges.. Ce ne fut que par l'ordonnance de 1302, que Philippe le Bel détacha l'office de notaire de celui de juge. Mais, par cette même ordonnance, Philippe le Bel, en se réservant à lui et à ses successeurs le droit d'instituer des notaires, ajouta en parlant des

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seigneurs, que ceux qui étaient dans l'usage de laire exercer dans leurs terres les fonctions du notariat, conserveraient cette prérogative.

Les notaires ou tabellions seigneuriaux, comme tous autres officiers seigneuriaux, trouvent donc leur suppression formellement prononcée par le décret qui a supprimé toutes les justices seigneuriales. Mais peut-on prolonger leur existence? Ceux qui ont été pourvus moyennant finance ou à titre onéreux, auront-ils une action pour leur remboursement? Et cette action, contre qui la dirigeront-ils ? C'est sur quoi il paraît encore nécessaire de s'expliquer.

Une nouvelle organisation du pouvoir judiciaire dont l'Assemblée nationale va s'occuper incessamment nous dispense de nous occuper des officiers seigneuriaux proprement dits: le décret du 4 août a textuellement prononcé que leurs fonctions cesseraient à l'instant où le nouvel ordre serait établi; mais cette nouvelle organisation ne s'étend point aux notaires; jusqu'à ce que cette partie des fonctions publiques subisse la réforme qui peut y paraître nécessaire, quel inconvénient y aurait-il à conserver le droit d'instrumenter, au moins pendant leur vie, aux notaires que ces seigneurs ont institués ?

Quant aux Finances des différents officiers seigneuriaux, il est évident que ces finances étant le prix de l'hérédité des offices, les titulaires sont fondés à les réclamer du moment où les offices sont supprimés, ou cessent d'être héréditaires; mais contre qui peuvent-ils diriger leur action?

Sera-ce contre les seigneurs qui, par eux-mêmes ou par leurs auteurs, ont touché le montant des finances? mais lorsqu'en supprimant les justices des seigneurs, on leur enlève, sans indemnité, tous les droits qu'ils percevaient à raison de ces justices, n'y aurait-il pas de la rigueur à les laisser exposés à des répétitions de la part des officiers institués par eux ? cette extrême rigueur ne seraitelle pas désavouée par l'équité même ? Et puisque la nation rentre dans la souveraineté du droit de justice, n'est-ce point à la nation à indemniser tous ceux qui avaient déboursé quelques sommes pour acquérir ce même droit?

Je croirais donc que tous officiers seigneuriaux qui auraient été pourvus, moyennant finances, devraient être autorisés à faire liquider ces finances de la même manière que les officiers royaux, pour être, comme eux, reniboursés au nom de la nation et des deniers de la caisse nationale.

Si vous adoptez, Messieurs, les différentes vues que j'ai eu l'honneur de vous présenter dans ce mémoire sur l'effet du décret qui a supprimé les justices seigneuriales sans indemnité; si vous jugez que, pour le parfait développement de ce décret, il soit nécessaire que l'Assemblée nationale statue positivement sur toutes les questions que j'ai discutées, en ce cas, lorsque l'opinion du comité sera fixée sur chacune d'elles, j'en formerai les divers articles du règlement que vous aurez à proposer à l'Assemblée nationale.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. L'ABBÉ DE MONTESQUIOU.

Séance du samedi 6 mars 1790, au matin (1).

M. Merlin, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance de jeudi soir.

Un autre de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. Ces procès-verbaux sont adoptés.

M. Bertrand, député de Saint-Flour, prétend qu'il s'est glissé une erreur dans la rédaction du décret qui fixe la limite des départements de la province d'Auvergne et il demande, qu'en la rectifiant, il soit dit que les paroisses de Montgreleix et de Condat, seront définitivement réunies au département de la Haute-Auvergne.

M. Gaultier de Biauzat soutient que le décret est bien tel qu'il a été rendu par l'Assemblée et propose, au surplus, de renvoyer la question au comité de Constitution.

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M. le baron Tessier de Marguerittes, nommé maire de Nimes, sa patrie, demande et obtient, à cette occasion, la permission de s'absenter pour six semaines, pendant lesquelles il dit que sa présence est nécessaire dans cette ville.

M. Lesure, député de Vitry-le-François, prete le serment civique.

M. le Président annonce qu'il vient de recevoir une lettre de M. Necker, et le mémoire dont il a été question dans la séance d'hier; cependant il propose, avant d'en mettre la lecture à l'ordre du jour, qu'on s'occupe pendant quelques instants de la continuation du travail sur les droits seigneuriaux, ce qui est agréé par l'Assemblée.

L'ordre du jour appelle, en conséquence, la suite de la discussion sur le projet de décret relatif à l'abolition des droits féodaux.

M. Merlin, rapporteur, dit qu'avant de passer

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

à l'article 2 du titre III, qui devait être proposé, il a à proposer au titre lor deux articles additionnels. Le premier est relatif à la garde royale, la garde seigneuriale et le déport de minorité; le second concerne les effets qui résultaient, sous le régime féodal, de la qualité noble ou censuelle des terres relativement aux estimations des biens, au douaire et à d'autres objets.

Le rapporteur explique que la garde seigneuriale est ce droit en vertu duquel le seigneur féodal jouit, dans la province de Normandie, ainsi que dans quelques terres particulières de la Bretagne, des revenus des fiefs tenus immédiatement de lui, pendant que ses vassaux sont en bas âge, à la charge d'entretenir les héritages et payer les dépenses annuelles dont ils peuvent être tenus.

La garde royale est une espèce de garde seigneuriale, qui a néanmoins plus d'étendue, en ce qu'elle donne au_monarque le droit de jouir de tous les fiefs, nobles et rotures, rentes et revenus même tenus immédiatement d'autres seigneurs, droit qu'il n'exerce jamais, et dont il fait toujours la remise à chaque ouverture par des brevets particuliers.

Le déport de minorité, semblable à la garde seigneuriale, a spécialement lieu en Anjou.

Ces droits dérivent du régime féodal puisqu'ils n'ont lieu que sur les vassaux.

Les fiefs, ajoute M. Merlin, devinrent héréditaires avant que leur possession eût cessé d'assujettir au service militaire. Lorsque le vassal laissait, en mourant, un héritier en bas âge, il fallait à la fois que le service du fief se fit et que l'enfant qui devait y succéder, reçût l'éducation convenable pour pouvoir aussi le desservir un jour. Le prince obtenait ces deux buts en élevant l'héritier à sa cour, tandis qu'il chargeait une autre personne du service militaire et lui abandonnait la jouissance du fief jusqu'à ce que l'héritier eût atteint l'âge propre à porter les armes; il en était à peu près de même lorsque le vassal laissait en mourant une ou plusieurs filles pour héritières. Le prince les élevait jusqu'à ce qu'elles fussent nubiles et il leur donnait alors des époux capables de remplir l'obligation du service militaire.

Un Anglais, disciple de Montesquieu, observe à ce sujet que ce n'était pas une loi dure que celle qui donnait ainsi le droit de disposer arbitrairement de la main d'une héritière, dans un temps où, réduites par leur éducation grossière à n'avoir aucun goût, les nouvelles mariées restaient des jours entiers dans les églises, jusqu'à ce que leurs amants eussent vaincu leur répugnance ou composé avec elles pour les en faire sortir.

Mais cette belle institution, comme tant d'autres établissements féodaux, dégénéra partout en un vrai brigaudage. Guillaume le Mauvais, roi de Sicile, au milieu du douzième siècle, en abusa tellement qu'il défendit à ses vassaux de marier leurs filles sans son consentement, qu'il ne donnait jamais ou qu'il donnait seulement lorsqu'elles avaient passé l'âge d'avoir des enfants, afin de réunir leurs fiefs à son fisc, à défaut d'héritiers.

Dans l'état actuel des choses, il est évident que, les fiefs n'étant plus soumis au service militaire, la garde seigneuriale n'a plus de cause et dès lors elle doit nécessairement cesser.

Le comité féodal vous propose d'adopter l'article suivant :

La garde royale, la garde seigneuriale et le déport de minorité sont abolis.

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Cet article mis aux voix est décrété sans contestation.

M. Merlin donne lecture du second article relatif aux effets qui résultaient sous le régime féodal de la qualité noble ou censuelle des terres relativement aux estimations des biens.

M. de Lachèze propose à cet article un amendement relatif aux veuves et aux femmes mariées; il est adopté et fondu dans l'article. Le décret suivant est ensuite rendu :

(

Sont pareillement abolis tous les effets que les coutumes, statuts et usages avaient fait résulter de la qualité féodale ou censuelle des biens, soit par rapport au douaire, soit pour la forme d'estimer les fonds, et généralement pour tout autre objet quel qu'il soit, sans néanmoins comprendre dans la présente disposition ce qui concerne le douaire des femmes actuellement mariées ou veuves, et sans rien innover, quant à présent, aux dispositions des costumes de nantissement, relativement à la manière d'hypothéquer et aliéner les héritages, lesquelles continueront, ainsi que les édits et déclarations qui les ont expliquées, étendues ou modifiées, d'être exécutées suivant leur forme et teneur, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné. »

Ces décrets formeront les articles 11 et 12 du titre premier du règlement général sur les droits seigneuriaux.

M. l'abbé Maury. Je dois rappeler à l'Assemblée que, depuis plusieurs jours, elle a chargé le nouveau comité des rapports de lui rendre un nouveau compte des faits relatifs à la dénonciation portée contre M. de Bournissac, grand prévôt de Provence, au sujet de sa procédure prévotale dans l'affaire de Marseille et dans l'affaire de Baux. L'état d'insurrection manifeste dans lequel se trouve la ville de Marseille m'oblige à demander que le comité presse le rapport de cette affaire.

Un membre du comité des rapports répond que le rapport pourra, peut-être, être fait dans la séance de ce soir.

M. le Président. Je dois informer l'Assemblée que la commune de Paris et des députés extraordinaires de la ville du Havre demandent à être entendus à la barre.

(Il est arrêté que ces députations seront reçues dans la séance de ce soir.)

M. Dupont (de Bigorre) demande qu'il y ait séance demain dimanché pour l'audition des comptes des trésoriers des dons patriotiques.

Cette proposition est adoptée et la séance est fixée à onze heures du matin.

M. le Président. Un de MM. les secrétaires va donner lecture du mémoire de M. Necker sur les finances.

Cette lecture, à peine commencée, est interrompue par un incident extraordinaire.

Par ordre exprès du président, les huissiers avaient fait sortir de la salle des séances, les étrangers qui y avaient été admis faute de place dans les tribunes. Néanmoins, un suppléant, dont on ignorait d'abord le nom, était resté assis sur les bancs du côté droit de la salle.

Un huissier, ayant remarqué l'étranger, le prie de se conformer aux ordres du président et de sortir de la salle. Refus obstiné de l'inconnu : le président lui enjoint alors de se retirer et donne l'ordre à l'officier de garde de l'expulser.

Enfin, le suppléant sort, mais en s'en allant, il exprime son mécontentement par des gestes qui sont comme une menace adressée au président. Cette conduite excite dans l'Assemblée une vive désapprobation.

M. le comte de Mirabeau. M. le président, nous avons tous vu la personne envers laquelle vous avez exercé votre droit vous menacer, c'està-dire menacer l'Assemblée. J'ai l'honneur de vous observer que ni vous, ni nous, n'avons le droit de remettre un tel délit; c'est une insulte grave qui doit être punie sévèrement. Je demande que la personne soit jugée à l'instant même.

M. le Président. Si l'outrage me regarde comme individu, je prie l'Assemblée de considérer qu'il est des délits en eux-mêmes, si ridicules et tellement insensés qu'ils ne doivent, en vérité, mériter que de la pitié; si c'est comme président que la menace m'a été faite, j'observe qu'il ne peut y avoir d'injure que d'égal à égal et que le président de l'Assemblée nationale ne connaît point d'égal.

M. le comte de Mirabeau. C'est parce que nous n'avons pas considéré ce délit comme une insulte particulière que j'ai demandé que la personne fût punie; j'ai pensé que le délit devait être l'objet d une délibération soudaine; nous avons incontestablement le droit d'exercer la police dans cette salle et nous ne devons pas nous exposer au reproche de n'avoir pas fait respecter le Corps législatif. Je propose que le coupable soit envoyé pour 24 heures aux prisons de l'Abbaye.

M. Hébrard. Je propose, en outre, qu'il soit décrété que les commettants nommeront un suppléant nouveau.

M. l'abbé de Barmond. Je cède au désir que témoigne l'Assemblée de connaître les faits d'après un témoin oculaire et auriculaire. Je me permettrai de contredire M. le comte de Mirabeau sur quelques faits. La personne à qui l'huissier s'est adressé lui disait je suis suppléant, je désire entendre la lecture du mémoire du ministre des finances, on ne doit pas aller aux voix; je n'ai pas trouvé place dans la tribune, je puis donc demeurer dans la salle sans inconvénient. Nous lui avons dit qu'il devait cependant sortir, et, en s'en allant, il a accompagné ses paroles de gestes qui ne regardaient point M. le président.

M. le comte de Mirabeau. Nous ne parlons ni du même lieu, ni du même fait, je ne parle que des gestes que cette personne a faits au haut de l'escalier. Je ne me serais pas fié à la vue d'un seul homme, mais quand j'ai entendu un grand nombre de voix s'écrier: il menace le président, je me suis élevé contre cette offense. Le haut de l'escalier est le moment où le prévenu a manqué à l'Assemblée. S'il pouvait y avoir des doutes sur un fait aperçu par tout le monde, je demanderais que l'officier de garde fût entendu; mais le fait est connu de tous et je persiste dans mon opinion.

(On demande à aller aux voix sur la motion de M. le comte de Mirabeau.)

M. le Président. Je viens de recevoir du suppléant, sur le sort duquel vous délibérez, la lettre suivante :

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Mémoire de M. le premier ministre des finances

envoyé à l'Assemblée nationale (1).'"

Messieurs, ce n'est pas sans beaucoup de peine que je me vois dans la nécessité de vous entretenir, avec inquiétude, de la situation des finances, et cependant, éclairés par vos propres calculs, Vous vous y attendez, et je ne dois pas différer de remplir le devoir que m'imposent ma place et la confiance du roi.

Au mois de novembre dernier, je vous informai, Messieurs, qu'un secours extraordinaire de 80 millions suffirait probablement aux besoins de l'année; mais je vous fis remarquer que ces besoius s'accroîtraient :

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Si, à commencer du 1er janvier prochain, (alors 1790) l'équilibre entre les revenus et les dépenses n'était pas encore établi dans son entier;

Si le remplacement de la diminution du produit sur la gabelle n'était pas effectué, à commencer pareillement du 1er janvier prochain 1790:

«Si le paiement de l'année ordinaire des droits et des impositions essuyait des retards;

Si les anticipations sur l'année 1790, quoiqu'infiniment réduites, ne pouvaient pas être renouvelées complètement. »>

(1) Il est nécessaire de faire remarquer que ce mémoire doit être rapporté à la date du 20 février, époque à peu près de sa composition.

:

Telles sont les observations extraites littéralement du rapport que j'eus l'honneur de vous faire le 14 novembre de l'année dernière.

Ces diminutions de revenus ont eu malheureusement un effet trop réel; et je ferai connaître : 1° Que le vide résultant des circonstances dont je viens de rendre compte, montera depuis le 1er janvier dernier, jusqu'à la fin de février, à quarante et un millions;

2o Que les dépenses extraordinaires, dont la majeure partie est relative aux approvisionnements de grains, monteront, pendant le même intervalle, à 17 millions.

Total des deux articles... 58 millions.

Le Trésor public a reçu de la caisse d'escompte 39 millions, (1) à prendre sur les 80 millions qu'elle s'est engagée de fournir pour le secours de cette année. Ainsi, il n'eût pas été possible de remplir le vide des deux premiers mois de l'année, si l'on eût payé en plein tout ce qui était dû; mais on a continué à faire usage des délais qu'a pu permettre la sage complaisance des créanciers de l'Etat, et des autres parties prenantes.

C'est à l'aide de tous ces muyens qu'on s'est encore ménagé 28 millions sur les secours promis par la caisse d'escompte, et qu'il restera encore au 28 février, dans le Trésor public, environ 20 millions. Ainsi, tous les bruits alarmants, répandus depuis quinze jours, ont été l'effet d'une erreur ou d'une mauvaise intention.

Les inquiétudes, en les dirigeant sur le reste de l'année, sont très naturelles et très bien fondées : chacun connaît aujourd'hui les causes de l'embarras présent des finances; il n'en est aucune de relative à leur administration intérieure: ainsi, tout est en dehors, tout est visible.

J'espérais, le 14 novembre, qu'à la suite des dispositious favorables au crédit et aux finances, dont vous paraissiez prêts à vous occuper, les besoins du Trésor public auraient diminué, que les ressources auraient augmenté, et qu'ainsi la tâche de l'administration serait devenue moins difficile.

Les circonstances sont restées les mêmes, et plusieurs ont sensiblement empiré : elles s'amélioreront sans doute par l'effet de vos soins et de vos déterminations prochaines; mais le temps gagne, et il faut chercher à se tirer d'une manière tolérable des embarras de l'année, embarras très grands comme vous en jugerez bientôt.

Le vide de cette année doit provenir des dépenses extraordinaires qu'il reste à acquitter, des conséquences de l'ancien déficit, dont la balance n'est pas opérée, et plus essentiellement encore ce vide résultera du défaut de renouvellement des anticipations, et de la diminution des revenus par le déperissement d'une grande partie des impôts indirects.

Il y aura aussi un vide momentané par l'effet du retard de la confection des rôles de la taille et de la capitation; retard dû aux changements des

(1) Cette caisse a fourni en apparence 52 millions, mais qui ne nous ont valu que 39 millions de secours, parce que les administrateurs ont voulu fournir en paiement 13 millions qu'ils avaient avancés ci-devant sur les produits de la foterie, et sur les emprunts de Languedoc, de Bretagne et d'Artois. Cependant, d'après ma ferme opinion, et une sorte de convention tacite avec quelques administrateurs, j'avais toujours compté qu'ils ne déduiraient point cette avance particulière des 80 millions promis pour 1790, et qu'ils s'en rembourseraient sur le produit des recouvrements successifs que je viens d'indiquer.

municipalités, et encore plus à la nécessité où l'on a été de refaire toutes les opérations commencées, lorsque vous avez attribué au soulagement des taillables la nouvelle contribution des privilégiés.

Quoi qu'il en soit, vous sentirez facilement, Messieurs, qu'aux dépenses extraordinaires près, dont on peut se former une juste idée, il est impossible d'évaluer avec certitude le vide qui pourra résulter des autres causes de déficit dont j'ai donné l'indication. Personne n'est en état de déterminer, si, dans le cours de cette année, le crédit nécessaire pour le renouvellement des anticipations se ranimera, ou s'il déchoira tout à fait : on ne saurait prévoir non plus quel sera le moment où, d'après une détermination que vous n'avez pas encore prise, le remplacement de ces impôts par d'autres équivalents en produits, fera partie des ressources et des recouvrements.

être

Enfin, l'époque précise de cette année, où l'ancien déficit sera couvert, ne peut encor fixée, puisqu'elle dépend du moment où l'épargne praticable dans le département de la guerre sera définitivement arrêtée, et du moment où toutes les autres réductions sur les dépenses fixes pourront être mises en exécution.

Vous voyez donc, Messieurs, qu'autant l'avenir, à commencer du premier janvier 1791, peut être fixé par vous avec précision, autant les besoins de cette année sont dépendants d'une grande diversité de circonstances incertaines et problématiques.

Il faut pourtant chercher à s'en former une idée, et je vais tâcher de le faire de la manière la plus simple:

1° Supposons que l'ancien déficit, c'est-à-dire la différence qui existait au premier mai 1789 entre les revenus fixes et les dépenses fixes, subsistât dans son entier pendant tout le cours de cette année ce déficit étant, comme vous pouvez vous le rappeler, de 56 millions, le vide pour dix mois, à commencer du premier mars, serait d'environ 47 millions, ci...... 47 millions.

2o Les revenus engagés par des anticipations se montent, pour les dix derniers mois de l'année, à 124 millions: ainsi, en supposant qu'aucune de ces anticipations ne pût être renouvelée pour un an, le vide du premier mars au 31 décembre, serait augmenté de cette même somme de 121 millions, ci..... 124 millions.

3° La diminution du produit des gabelles, l'altération du produit des entrées de Paris, de la régie des aides, de la ferme du tabac et de l'administration des domaines, l'anéantissement actuel du produit des monnaies par la révolution des changes, la suspension du produit de la régie des poudres par les obstacles opposés à leur circulation; la diminution des droits de marc d'or, de centième denier et de mutation, diminution occasionnée par la stagnation survenue dans la vente et l'achat de toutes les charges; la suppression formelle du droit de franc-fief, et de plusieurs droits relatifs à l'exercice de la justice; je devrais dire enfin la perte ou la diminution de tous les impôts indirects, le seul revenu des postes excepté tous ces objets divers peuvent produire, dans le cours des dix derniers mois de l'année, une diminution de produit que j'ai peine à évaluer, tant elle est hypothétique, mais que je désiguerai cependant par un aperçu de 60 millions, avec une grande crainte, néanmoins, qu'elle ne 60 millions. se monte plus haut, ei...

4° Les dépenses extraordinaires pendant les dix derniers mois de l'année, en satisfaisant simple

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