Page images
PDF
EPUB

siège à Saintes, voyant qu'il était impossible et snjuste de l'établir à la Rochelle.

Ces deux villes avaient la caisse des décimes du clergé, celle des aides, qui ne versaient à la Rochelle qu'en papier sur Paris; celles des domaines qui n'y comptaient que de cette manière; celles de quatre élections, dont l'une est diminuée par une cession à l'Angoumois. Elles ont donc besoin pour elles et pour les établissements de commerce qui les entourent, que tous les avantages ne soient pas donnés à la Rochelle.

Cette ville a trois ressources pour le numéraire : 1° Sa caisse des fermes; 2° son hôtel des monnaies; 3o les remises en espèces, qu'une balance avantageuse nécessite.

La Saintonge n'a pas ces ressources, elle a besoin qu'on lui en donne d'autres: et si elle consent à partager avec la Rochelle, la caisse qui établira le nouveau régime, elle ne consent pas à lui céder tous les établissements.

Elle ne consent pas surtout que les assemblées de département et le directoire soient à l'extrémité d'un département de forme longue, ce qui augmente encore la distance; car ce serait alors que les regrets les plus vifs empoisonneraient pour la Saintonge les bienfaits de l'Assemblée nationale.

Il faut faire pour la Rochelle et son commerce tout ce qu'on pourra, sans nuire essentiellement à l'intérêt général, sans violer les principes de l'Assemblée; mais il ne faut pas lui sacrifier une province qui l'a adoptée; il ne faut pas qu'une association à laquelle elle a consenti pour le bien du royaume, soit la source de sa ruine et de ses malheurs.

Il faut lui donner un moyen d'animer son commerce, en y versant du numéraire ; il faut joindre de nouvelles ressources en ce genre à celles qu'elle a déjà; il faut après que les barrières fiscales qui la séparaient de la Saintonge seront rompues, augmenter les relations, multiplier les communications, les habitudes et bien confondre les intérêts.

Vainement objectera-t-on qu'à Saintes et à Saint-Jean-d'Angely l'esprit de commerce sera étouffé par une administration dont ces villes seront alternativement le siège.

Oublie-t-on que cette administration sera composée des habitants de l'Aunis comme de ceux de la Saintonge; que par conséquent son système embrassera les intérêts des deux provinces. Oublie-t-on que l'homme cherche plutôt à multiplier qu'à restreindre ses jouissances, et que quand on supposerait que la Saintonge est sans industrie et sans mouvement commercial, ce qui n'est pas, elle prendrait plutôt l'esprit d'activité de ses voisins, qu'elle ne leur communiquerait Bon engourdissement.

On se trompe, en disant que Saintes n'a que 7 à 8,000 âmes de population. Saint-Jean-d'Angely en a davantage; il en réunit environ 10,000 et Saintes à 1/4 en sus. La portion de la Saintonge qui s'unit à l'Aunis, fait presque les trois quarts de l'étendue et de la population du département entier; et c'est une portion du quart restant qui veut qu'on lui sacrifie le surplus. Car il faut remarquer que toute la portion de l'Aunis qui n'est pas sur la côte, et qui avoisine la Saintonge, Rochefort, par exemple, préférera avoir dans cette province le siège de son département.

Qu'on observe que la Saintonge moins animée que la Rochelle par le mouvement des étrangers, parce qu'elle est plus dans les terres, a besoin de l'être davantage par le mouvement intérieur de

ses habitants. Sans lui, sans ce mouvement qui est remplacé sur la côte et dans un port par mille avantages divers, les villes du centre, Saintes et Saint-Jean-d'Angely perdraient toutes les ressources dont elles ont joui; et les terres qui les environnent, n'étant plus fécondées par ces ressources mêmes, laisseraient dans la misère et le propriétaire des terres et les malheureux qui les cultivaient.

Qu'on observe que plusieurs raisons s'opposent encore à ce qu'on établisse à la Rochelle le siège du directoire, et militent en faveur de Saintes.

1° L'air de la Rochelle est mauvais, le tiers de l'année, on y éprouve une espèce de contagion qui gagne plutôt encore les étrangers que les indigènes, et qui ne permettrait pas aux membres du directoire d'aller s'y établir sans compromettre leur santé ;

2o Les logements, les vivres, tout enfin est plus cher à la Rochelle qu'à Saintes, et ce sera grever le sort des administrateurs, qu'il est important de ne pas prendre dans les classes opulentes, que de les obliger d'aller s'établir à grands frais à la Rochelle, tandis qu'il leur en coûtera moitié moins pour vivre à Saintes et pour s'y rendre.

Concluons que, par sa position géographique, la Rochelle ne peut absolument être le lieu où s'assemblera le département; où résidera le directoire.

Que ses prétendus droits pris de l'ancien régime, sont une chimère sous la nouvelle constitution; Qu'elle n'est point centrale en géométrie, ni eu politique ni en convenances;

Qu'il faut lui assurer par le versement d'une masse de numéraire qui peut, sans un grand inconvénient, être compté loin du directoire un moyen de vivification pour son commerce;

Qu'enfin, ainsi que les députés de Saintonge y consentent, le directoire doit être fixé à Saintes, les assemblées de département doivent s'y tenir dans le cas où Saint-Jean-d'Angely pourra être dédommagé par l'établissement du tribunal de département, si on en établit un ;

Et que, dans le cas où il n'en serait pas formé, le directoire restera bien à Saintes également ; mais les assemblées de département alterneront à Saint-Jean-d'Angely, à moins que la prochaine législature n'en décide autrement.

Le tribunal de département, d'après ces données, ne peut être fixé qu'à Saint-Jean-d'Angely.

Il ne peut pas plus être à la Rochelle que le département, par la même raison, sans réplique, des distances.

On ne contestera pas à la Rochelle le mérite de ses magistrats; ses députés à l'Assemblée nationale le justifient. Mais Saintes a, comme la Rochelle, un présidial; Saint-Jean-d'Angely a une sénéchaussée importante, un barreau nombreux et éclairé.

Les convenances de toute espèce assurent donc qu'à Saint-Jean-d'Angely seul peut être fixé le tribunal de département.

Une raison de plus pour le décider, c'est qu'une portion du Poitou, réunie à la Saintonge par échange entre les deux provinces, ne voudrait surement pas aller à la Rochelle plaider dans un pays éloigné et aussi inconnu pour elle que pour les habitants de la Haute-Saintonge, qui iraient chercher à plus de quarante lieues la justice qu'ils trouvent au milieu de tous les justiciables et qu'il est sage de mettre à la moindre distance possible. Nous finissons en suppliant avec des sentiments fraternels, MM. les députés d'Aunis, d'être justes avec nous de considérer que notre réunion doit resserrer les nœuds de confiance et d'amitié qui unissaient les deux provinces, au lieu d'exciter des chocs violents d'intérêt et des rivalités d'ambition;

Que vouloir tout envahir en prétextant qu'on ne veut que conserver, c'est montrer une injustice qui doit être loin de leurs cœurs;

Que dans la distribution des avantages entre les villes, c'est l'intérêt général de 350,000 habitants, ou de la majorité, qu'il faut chercher, avant de songer à l'avantage particulier des cités et des citadins.

Enfin nous leur assurons que lorsque nous trouverons l'avantage du peuple, qui doit être notre boussole, notre signe de ralliement, nous serons prêts à lui tout sacrifier; mais que nous mettrons à repousser les prétentions qui le blessent toute l'énergie que doit inspirer aux représentants de la nation la défense d'une cause sacrée pour eux.

Signé: DE LA ROCHEFOUCAULD-BAYERS, eve-
que de Saintes. REGNAUD. AUGIER. LAN-
DREAU. LEMERCIER, RICHIER. DE BONNE-
GENS. Le comte PIERRE DE BREMOND
D'ARS. RATIER. Le marquis DE BEAUCHAMPS.
GARESCHE. LA BROINSE DE BEAUREGARD.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. RABAUD DE SAINT-ÉTIENNE.

Séance du mercredi 24 mars 1790 (1).

M. le Président, en conformité du décret du 21 mars, ouvre la séance à 9 heures précises du matin.

L'Assemblée ne comptant qu'une trentaine de membres, il est donné lecture des adresses suivantes :

Adresse de la ville de Langres, contenant adhésion aux décrets de l'Assemblée nationale; et félicitation sur les travaux auxquels elle s'est livrée et se livre sans interruption, ainsi que sur la bonne harmonie qui règne entre elle et le monarque adoré de la France.

Cette ville joint à ces expressions de son patriotisme, la remise d'une somme de treute mille livres dont elle est créancière de l'Etat, et envoie les titres acquittés de cette créance.

Adresse de la ville de Bar-sur-Aube après l'expression des mêmes sentiments, elle annonce la formation constitutionnelle de sa municipalité, laquelle s'est faite à la grande satisfaction de tous Bes citoyens.

Adresse de la ville d'Allunèse : elle offre à la nation le montant des impositions sur les ci-devant privilégiés, pour les six derniers mois 1790.

Adresse des officiers et soldats composant la garde nationale de la ville de Mende elle rend compte de la solennité avec laquelle elle a prêté le serment civique, proteste de maintenir la nouvelle constitution du royaume, et se félicite de vivre dans un Etat libre, et sous un monarque si digne de l'amour de son peuple.

Adresse des officiers municipaux de la ville de Bar-le-Duc ils présentent à l'Assemblée nationale l'hommage de leur respect, et l'assurance d'une ferme et entière adhésion à tous ses décrets. Ils annoncent que la commune de la ville, par un vœu unanime, les a chargés d'exprimer de sa

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

part les mêmes sentiments à l'Assemblée, et fon. don patriotique de 854 livres en leur nom, et de 324 livres de la part des écoliers de leur collège.

Adresses des municipalités réunies de Miribel, Rillieux, Neyron, Thil et Satonay en Bresse, contenant, avec leur adhésion aux décrets de l'Assemblée nationale, les expressions de leur respect pour ses membres, le renouvellement entre leurs mains du serment civique qu'ils ont fait de maintenir les décrets, de les observer, et de les faire observer dans toute leur plénitude, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir la tranquillité qui a régné jusqu'à présent dans leur canton, et de préserver leurs concitoyens des désordres qui ont eu lieu dans les provinces voisines. Ils demandent l'établissement d'un tribunal de district à Miribel.

Adresse des nouvelles municipalités des villes de Reims et de St-Etienne en Forez.

Adresse de la ville d'Huriel, district de Noyon, qui supplie l'Assemblée de lui abandonner les biens d'un prieuré situé dans son territoire, pour les faire servir à des établissements de bienfaisance et d'éducation.

Adresse de la communauté de Boussès en Albret elle annonce que le peuple ne s'est livré à des actes de violence dans cette contrée, que parce qu'il avait été trompé; mais que bientôt désabusé de son erreur, la tranquillité publique n'a pas tardé à se rétablir dans son territoire.

M. le Président. L'Assemblée étant devenue plus nombreuse, MM. les secrétaires vont donner lecture du procès-verbal.

M. Gossin lit le procès-verbal de la séance d'hier matin.

M. Merlin lit le procès-verbal de la séance d'hier soir.

Il ne s'élève aucune réclamation.

M. le Président fait part à l'Assemblée de l'hommage qui lui est fait de plusieurs ouvrages. L'un, de M. de Granthe, a pour titre Abus de l'ancienne éducation dévoilée et réformée par les progrès de la raison. L'autre, en deux parties: la première intitulée : La vie de tous les criminels, et la seconde La mort de tous les criminels, était accompagnée d'une lettre qui annonce que l'auteur est M. Hector de Chaussier. Un dernier enfin est le Compte de l'administration de M. Raimond de Saint-Sauveur, intendant de Roussillon.

L'Assemblée applaudit à la délicatesse de cet administrateur, qui donne ainsi l'exemple de soumettre le compte de sa gestion à l'examen des représentants de la nation.

Un membre rappelle le don patriotique offert par M. le comte de Pawlet dans une des séances précédentes, d'un plan combiné qui embrasse les milices auxiliaires, les travaux publics et la police générale du royaume.

L'Assemblée ordonne de nouveau l'impression de ce travail et autorise M. le président à témoigner à ce citoyen la satisfaction de l'Assemblée sur l'utilité des travaux dont il s'occupe.

M. le Président fait part à l'Assemblée d'une lettre de M. d'Ogny, intendant des postes, par laquelle cet administrateur expose qu'il est arrivé de Beauvais quatorze paquets contresignés et cachetés du sceau de l'Assemblée nationale; ce qui, suivant lui, peut faire soupçonner qu'on abuse

dans quelques municipalités du contreseing de J'Assemblée.

A cette lettre est joint un des paquets, effectivement timbré de Beauvais, et scellé du cachet de l'Assemblée.

Un membre observe que ces paquets ont vraisemblablement été adressés par des députés de l'Assemblée nationale à la municipalité de Beauvais, chef-lieu d'un département, pour être par elle envoyés aux municipalités des chefs-lieux de ses districts, et qu'ils peuvent contenir des instructions pour la formation des assemblées de district et de canton; ce qui s'est ainsi pratiqué pour plusieurs autres départements.

Cette réflexion détermine l'Assemblée à renvoyer la lettre et le paquet adressés à M. le Président par M. d'Ogny, aux députés du département de l'Oise, lesquels rendront compte à l'Assemblée de ce qui a donné lieu à l'envoi de Beauvais des quatorze paquets contresignés de son cachet.

M. Baron, membre du comité des domaines, expose à l'Assemblée les abus des échanges faits depuis quelques années; lui propose de suspendre l'exécution de ceux qui ne sont pas encore consommés; et, pour cet effet, il présente un projet de décret qui est adopté par l'Assemblée et qui est conçu en ces termes :

"

L'Assemblée nationale, après avoir ouï son comité des domaines, a décrété et décrète qu'il sera sursis à toutes opérations relatives aux échanges des domaines de la nation non consommés, et notamment à l'expédition et au sceau de toutes lettres de ratification de ces échanges, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par l'Assemblée. »

M. l'abbé Gouttes présente, au nom du comité de liquidation, un projet de décret relatif à la lettre de M. de La Tour-du-Pin. Ce projet est ainsi conçu: «Les appointements des officiers de l'état-major des places frontières, pour 1789, seront compris dans les dépenses courantes, et comme tels acquittés par le Trésor royal. L'Assemblée n'entend comprendre dans cette disposition que les lieutenants de roi, majors, aides-majors, sousaides-majors, capitaines des ports et autres officiers subalternes qui sont en pleine activité de service. »

M. Camus fait lecture de quelques-uns des articles des états des paiements faits au Trésor royal, pour le département de la guerre, depuis le 1er janvier au 4 mars. A la date du 18 janvier, c'est-àdire quatre jours après le décret qui défendait toute espèce de paiement, se trouve M. le prince de Condé, pour son gouvernement de Bourgogne, 35,000 livres pour les six premiers mois et les six derniers mois de 1788; M. le duc de Bourbon, gouverneur de Champagne, 31,510 livres; M. le duc du Châtelet, gouverneur du pays de Toul, 28,000 livres. Les deux états réunis forment un total de 620,471 livres 13 sous.

M. Camus propose de mander sur-le-champ à la barre le caissier de l'extraordinaire des guerres, pour qu'il rende compte des ordres en vertu desquels il a fait les paiements contenus dans les deux états déposés au comité de liquidation, et pour exhiber lesdits ordres.

M. Fréteau observe que ce décret ne peut être exécuté sur-le-champ, parce qu'il doit être envoyé

à la sanction; l'Assemblée n'ayant point encore établi que cette formalité n'est pas nécessaire en pareil cas.

M. Camus. Par un décret sanctionné, il est ordonné à tous les ordonnateurs des départements de remettre aux différents comités toutes les pièces et renseignements qui seront demandés; la faculté accordée aux comités n'appartient-elle pas, de plein droit, à l'Assemblée, et n'est-il pas en ce moment uniquement question de renseignements nécessaires pour une opération aussi pressante que celle dont les comités sont chargés?

M. Target. Les observations du préopinant sont extrêmement justes un fait vient encore à leur appui. L'Assemblée a déjà jugé la question, en ne faisant point sanctionner le décret par lequel, dans le mois de novembre, M. le garde des sceaux a été mandé.

(La proposition de M. Camus est mise aux voix et décrétée.)

M. le duc du Châtelet. Quand hier j'ai été interpellé, j'ignorais que celui qui est chargé de mes affaires eût touché plus de 3,000 livres; il a encore reçu 2,655 livres. Il n'est pas étonnant que je n'en aie pas été instruit, parce que cette somme ne lui a été remise que le 20 de ce mois, et je ne compte pas tous les jours avec lui. C'est au Trésor royal à savoir ce qu'il doit payer, et non à des gens d'affaires, dont toute la niission est de recevoir. Les 3,000 livres dont il était hier question m'ont été données en vertu d'un décret de l'Assemblée. Je demande qu'il me soit permis de faire un don patriotique des 2,655 livres dont je parle aujourd'hui.

M. Devillas. Si M. le duc du Châtelet a recu ce qui lui est légitimement dû, on ne peut accepter son offre; les circonstances lui donneraient l'apparence d'un don forcé. S'il a reçu ce qu'il ne devait pas recevoir, il ne peut donner : c'est une restitution qu'il doit faire.

M. Voidel. Je demande comment il se fait que M. le duc du Châtelet se trouve pour 28,000 livres sur l'état des paiements de l'extraordinaire des guerres; je demande encore s'il est possible qu'il ait reçu, soit de l'argent, soit des ordonnances de paiement, sans avoir fourni ses quittances.

M. le duc du Châtelet. Le préopinant ne connaît pas les arrangements d'usage. On remet à un homme d'affaires des blancs-seings pour toucher; les blancs-seings sont arrangés de manière qu'il ne puisse pas en user pour un autre objet. J'ai vu ce matin des ordonnances payables de mois en mois, qui auraient été payées à mon homme d'affaires, à mesure qu'elles se trouveront sur les rôles de distribution. On a dit hier que les gouvernements étaient donnés à la faveur. Je serais bien fâché d'avoir ainsi obtenu les grâces dont je jouis. Cinquante ans de service, un coup de fusil à travers le corps, six campagnes, huit ans d'ambassades; voilà mes titres.

M. Garat l'atné. Quand un fait est sujet à deux interprétations, l'une bonne et l'autre mauvaise, la justice et la raison veulent qu'on s'arrête à la première; et rien n'est digne de cette Assemblée que ce que veut la raison, que ce que veut la justice. Il suffit que M. du Châtelet atteste les détails qu'il nous a donnés, pour que nous n'en doutions

point. Attendu les circonstances particulières du don qu'il a offert, pour la délicatesse même de M. du Châtelet, nous ne devons pas l'accepter.

M. le duc du Châtelet. J'affirme sur mon honneur que les détails que j'ai donnés sont vrais. Si on le croit plus convenable, je retirerai les 2,655 livres déposées sur le bureau des dons patriotiques, et je remettrai cette somme au caissier de l'extraordinaire des guerres.

(On revient à la discussion du projet de décret présenté par le comité de liquidation.)

M. d'Estourmel demande qu'on ne dise pas places frontières, mais places de guerre.

M. de Sinéty demande que les officiers généraux, commandants de place, actuellement en activité et en résidence, soient compris dans les dispositions du décret.

M. Delley d'Agier. Il faut faire un article particulier, dans lequel on dira que toutes les fois qu'il se trouvera dans les places, soit de l'intérieur, soit des frontières, des officiers dont les appointements pourront être considérés comme des pensions de retraite, ces appointements seront payés dans la proportion ordonnée par les décrets relatifs aux pensions.

M. d'Harambure. La demande du ministre n'a rapport qu'aux états-majors des places frontières; il faut se renfermer dans les bornes de cette demande.

M. de Cazalès. Aux termes de vos décrets, on ne peut pas plus suspendre les appointements de toute personne en activité de service, officiers supérieurs ou sulbalternes dans les places, soit frontières, soit intérieures, que ceux des officiers qui sont à leurs régiments.

M. d'Harambure. Il ne doit pas être ici question des officiers généraux, pour lesquels il n'y a rien d'arriéré.

M. Démeunier. Il faut mettre aux voix le décret présenté, et ne rien préjuger quant aux officiers généraux et quant aux places qui ne sont pas frontières.

L'Assemblée ajourne à vendredi, et ordonne au comité de liquidation de prendre sur ces deux objets les renseignements nécessaires.

-Le caissier de l'extraordinaire des guerres est introduit à la barre.

M. le Président lui expose les motifs pour lesquels il est mandé.

Le caissier de l'extraordinaire des guerres. Nous ne connaissons pas les ordres sur lesquels les paiements sont faits; nous payons sur les mandats des administrateurs ou de leurs représentants les administrateurs conservent les ordres.

M. Camus. L'Assemblée désire savoir par qui sont signés les mandats.

Le caissier de l'extraordinaire. Ils sont signés par l'administrateur.

M. Camus. Quel est l'administrateur?

Le caissier de l'extraordinaire. M. de Biré, ou ses représentants.

[merged small][ocr errors][merged small]

Le caissier de l'extraordinaire. Dès que les objets dont il s'agit sont portés sur l'état comme acquittés, ils ont été payés en argent ou en billets. Quand j'ai fait les paiements, je remets les mandats au caissier général; il me donne sur mon bordereau une décharge, et je ne connais rien de plus.

M. l'abbé Maury. C'est manquer essentiellement à la majesté de cette Assemblée, que de faire subir des interrogatoires sans préparation... (A ce mot, il s'élève un murmure général : M. l'abbé Maury n'achève pas.)

M. Camus présente au caissier de l'extraordinaire la copie des états qui ont été remis au comité de liquidation.

M. Camus. Voilà des états; monsieur ne les nie pas il convient que, puisqu'ils ont été fournis, ils ont été payés par lui. M. de Biré ou son représentant sont-ils en état de nous donner des éclaircissements?

Le caissier de l'extraordinaire. Il n'y a pas de doute.

(Le caissier de l'extraordinaire des guerres se retire.)

M. Le Chapelier. Je suis d'avis, ainsi que M. Camus, que M. de Biré doit être mandé sur-lechamp. J'observe à M. l'abbé Maury qu'il n'est nullement contraire à la majesté de cette Assemblée de demander des éclaircissements sur des objets qu'il est de notre devoir d'examiner avec la plus sérieuse attention. J'observe encore que l'Assemblée peut, sans blesser sa dignité, interroger les personnes en état de lui donner les éclaircissements dont elle a besoin : j'ajoute que, pour beaucoup de motifs, l'Assemblée ne doit pas différer d'un instant à mander M. de Biré.

M. l'abbé Maury monte à la tribune.

L'Assemblée consultée lui refuse la parole. Elle ordonne, à une grande majorité, uniquement formée par le côté gauche, que M. de Biré sera mandé sur-le-champ.

M. le Président. M. Dubois de Crancé a la parole, pour faire un rapport au nom du comité des finances, sur la contribution patriotique du quart des revenus.

M. Dubois de Crancé (1). Messieurs, dans un temps où l'extrême besoin ne s'était pas encore fait sentir, mais dont votre prévoyance calculait les dangers, vous avez voté la contribution du quart des revenus, et cette offrande à la patrie a été répétée avec enthousiasme par nos commettants jusques dans les plus petites bourgades.

Par un second décret vous avez ordonné l'impression des listes de tous les contribuants, ainsi que des sommes par eux offertes, afin de soumettre à l'opinion publique l'appréciation des efforts, que, relativement à sa fortune, chaque citoyen ferait pour le salut de la patrie.

(1) Le Moniteur ne donne qu'une analyse de se rapport.

Le terme que vous avez fixé, Messieurs, pour recevoir ces déclarations est arrivé, et votre comité croit pouvoir vous assurer que vos vœux ne sont pas complètement remplis.

Notre intention n'est pas d'accuser ici le patriotisme de nos concitoyens; mais il est de notre devoir de vous rendre compte des obstacles naturels qui s'opposent à l'exécution de vos décrets, et de vous indiquer les moyens d'y pourvoir.

Nous avons considéré d'abord, comme une des principales causes de l'impossibilité où se sont trouvés plusieurs individus, plusieurs cantons même, de signaler leur patriotisme, l'instant du passage de l'état ancien à la nouvelle administration, et nous croyons qu'il est nécessaire d'attendre que tous les districts, que tous les départements soient organisés, pour asseoir une opinion déterminée sur les résultats de ce dévouement à la chose publique, si naturel à tous les Français.

En second lieu, Messieurs, quel moment avezvous pris pour appeler au secours de la patrie tous vos concitoyens? Celui du besoin sans doute, et personne ne peut vous blâmer d'avoir voulu justifier votre loyauté envers les créanciers de l'Etat, et les rassurer sur leur sort; mais ce moment était aussi celui où, déracinant tous les abus, rompant tous les préjugés, vous avez agité les esprits de beaucoup de personnes entre la crainte et l'espérance. Ab! convenons-en: le bien public a exigé de grands sacrifices, et ceux-mêmes qui, par un retour très naturel sur le passé, ont balancé longtemps à adopter vos principes, méritent plus d'égards que de reproches.

Aujourd'hui, Messieurs, nous sommes tous frères; il n'existe plus qu'un corps dans la nation, qu'un chef dans la nation, qu'un intérêt dans la nation; la loi sera donc exécutée, car elle sera l'expression de la volonté générale; le roi sera obéi, car il ne commandera qu'au nom de la loi, et tous les Français connaîtront le prix d'une constitution qui assure à tout citoyen le respect dû à ses droits, et la récompense de ses talents et de ses vertus.

Votre comité, Messieurs, ne doute donc pas que dès que les administrations seront formées par le choix libre de tous les citoyens; dès que vous aurez organisé, dans les mêmes principes de fraternité, le pouvoir judiciaire; dès que vous aurez fixé les bases de la nouvelle administration des finances, et démontré pour l'avenir un équilibre certain entre la recette et la dépense publique, la nation entière, voyant réaliser ses espérances, ne se dévoue avec facilité à toute l'étendue des sacrifices du moment que les circonstances exigent, pour lui procurer un bonheur qui ne finira qu'avec les siècles.

D'après ces réflexions, Messieurs, nous croyons devoir vous proposer de reculer le terme que vous avez fixé pour les déclarations, à quinze jours après l'époque de l'établissement des assemblées administratives de districts et de départements, et de déterminer que le premier paiement ne sera exigible qu'au premier juillet.

Vous auriez désiré, Messieurs, que la contribution du quart des revenus fût libre, uniquement confiée à la conscience de chaque individu, afin que cette contribution, ne participant en rien à la nature ordinaire de l'impôt, pût recevoir un plus grand effet du patriotisme qui l'offrirait; mais votre sagesse a cependant prévu certains cas, en ordonnant aux municipalités d'appeler ceux qui ne feraient aucune déclaration et en décrétant que la liste de ces déclarations serait imprimée. Vous avez donc considéré, Messieurs, comme obligatoire pour tous, un sacrifice dont dépend essentiel

lement le salut de l'Etat, la sûreté de vos engagements envers ses créanciers, et l'affermissement de la constitution. Vous avez senti qu'il y aurait même une injustice évidente à contraindre de payer ceux qui, par le dévouement le plus louable, ont volontairement fait une offrande, et pourraient en témoigner du regret, si vous n'employez aucun moyen coactif contre ceux qui ne montreraient que de l'indifférence pour la chose publique, et dont la patrie n'aurait obtenu que des refus ou des déclarations dérisoires.

Nous ne croyons pas exagérer, Messieurs, en avançant que la contribution patriotique du quart des revenus territoriaux ou industriels, monterait à plus de 400 millions, si le même zèle, le même civisme dirigeaient toutes les déclarations, et nous ne comprenons pas dans ce calcul les sacrifices que nos frères des colonies s'empresseront sans doute d'offrir à une mère-patrie, qui a épuisé tant de sang et de trésors pour les défendre, et qui, plus généreuse encore, parce qu'elle est plus libre, va leur assurer tout le bonheur qu'ils peuvent désirer. D'aussi puissantes ressources jointes à celles que procurera la vente décrétée de parties des biens du domaine et du clergé, fonds morts la plupart, et qui enrichiront la France, en rentrant dans la circulation, ne doivent laisser aucun doute, aucune inquiétude sur la réalisation de vos engagements envers les créanciers de l'Etat.

Le salut de la patrie dépend donc uniquement, Messieurs, des mesures que vous prendrez pour éviter de voir s'anéantir des espérances aussi légitimes et aussi bien fondées. Car, assurés de l'égalité de répartition des impôts, et d'une exacte combinaison de dépense et de recette pour 1791, vous aurez tout fait, si, profitant avec sagesse des secours extraordinaires qui sont à votre disposttion, vous acquittez les charges de 1790, et si vous parvenez à améliorer le sort de tous ces rentiers, dont M. Necker, dans son dernier rapport, vous a présenté la pénible situation.

Votre comité, Messieurs, doit vous soumettre encore une observation qu'il croit digne de toute votre attention, et qui a dirigé en grande partie l'esprit du nouveau décret qu'il va avoir l'honneur de vous proposer. C'est qu'au milieu du concours presque général des actes de patriotisme, il se trouve cependant, dans toutes les classes de la société, des individus, qui, inquiets sur la publicité des listes, et sur les effets qui pourraient en résulter, intéressés, par des raisons particulières, à ne pas mettre en évidence leurs facultés, préféreraient de ne pas faire de déclarations, quoique très disposés à acquitter la taxe à laquelle ils demandent d'être assujettis. Cette opinion, dont il est facile de saisir la délicatesse, est spécialement applicable au commerce, et suspend les preuves de dévouement d'une foule de citoyens riches et bien intentionnés.

Il a donc semblé à votre comité, Messieurs, plus utile au bien général et plus convenable à vos vues, de supprimer l'impression des listes, parce que, outre que cette impression sera très dispendieuse, elle peut entraîner de très graves inconvénients, susciter des haines, donner prétexte à des moyens de reproche ou de jalousie, et livrer des réputations très méritées, aux calculs exagérés de la multitude. Mais nous vous proposerons de suppléer à cette coaction très sévère sans doute, puisque par elle le patriotisme appelle à son secours l'opinion publique, en confiant aux municipalités la surveillance des intérêts nationaux, sans que cependant elles puissent s'écarter des principes de justice et de modération, qui doivent

« PreviousContinue »