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dis que tout homme qui a un père et qui sait
combien cet être est sacré, doit respecter un fils
qui veut partager les malheurs de l'auteur de ses
jours. Il est beau de faire marcher avant tout les
droits de la nature. Il n'appartiendrait qu'à des
âmes insensibles, et qui redouteraient la vérité,
de repousser un fils qui vient parler pour son
père, en lui opposant des fins de non-recevoir.

M. Alexandre de Lameth. Vous venez d'entendre M. Dudon de l'Estrade fils; en rendant hommage à sa piété filiale, on ne peut se déguiser qu'il n'a pas justifié son père. Il nous parle de l'opposition des parlements au pouvoir arbitraire il me semble qu'ils ont été moins les ennemis du despotisme que ses rivaux... Il faut, pour rendre la justice, être honoré dans l'opinion publique; il faut que la justice soit rendue, et les provinces en sont presque privées. Je voudrais que, par une mesure provisoire, les parlements fussent remplacés par des tribunaux qui méritassent la confiance des citoyens.

M. l'abbé de Barmond. Si je croyais qu'il fût nécessaire de disculper le parlement de Bordeaux,

M. le comte de Mirabeau. Il me semble que le préopinant se trompe également et dans l'objet qu'il nous suppose et dans les motifs de sa compassion vraiment généreuse. L'Assemblée juget-elle lorsqu'elle demande des motifs? Au contraire, elle suspend sa délibération. Nul autre ne peut rendre compte des motifs du magistrat que le magistrat lui-même. Je vais plus loin; si le réqui-je rappellerais à l'Assemblée qu'elle ne peut être sitoire est un délit, vous avez le corps de délit ; et, quels que soient les motifs qui ont dicté cet acte, il n'en est pas moins ce qu'il est; vous pourriez le juger. On vous propose de demander les motifs; cette modération convient toujours à une assemblée législative. Je ne crois pas que le président de la chambre des vacations mérite le même sort que le procureur général. Je ne trouve qu'une faute dans l'arrêt : l'injonction faite aux municipalités est inconstitutionnelle; il faut apprendre aux parlements qu'ils n'ont rien à enjoindre et à ordonner aux municipalités.

M. de Cazalès. Si la ville de Bordeaux s'était bornée à dénoncer ce réquisitoire, et n'avait pas interprété ses expressions, je serais de l'avis de M. de Mirabeau. Le fils du magistrat accusé vient défendre son père contre les interprétations calomnieuses il paraît extraordinaire que quand tout citoyen est admis à dénoncer, le fils d'un citoyen accusé ne puisse prendre sa défense.

(On ferme la discussion.)

L'Assemblée délibère. M. Dudon de l'Estrade fils est admis à la barre. Il entre avec rapidité.

M. Dudon de l'Estrade fils. Je savais bien, Messieurs, que la nature serait la plus forte; et si quelque chose peut nuire à mes moyens, c'est la sensibilité dont je suis affecté. Je ne prendrai point la raideur de la discussion pour justifier ici mon père. Je regrette qu'il s'en soit servi dans son réquisitoire, puisqu'elle a donné lieu à d'aussi fâcheuses interprétations. S'il s'est livré à quelques expressions trop fortes, il faut donner quelque chose à la faiblesse humaine... (On entend quelques murmures.) Vous ne pourrez, par ces improbations, atténuer mes réclamations.

M. le Président. Je vous prie de continuer
purement et simplement l'apologie de votre père.

M. Dudon de l'Estrade fils. Je pourrais l'ex-
cuser en vous retraçant sa vie tout entière. Le
peuple qui le maudit aujourd'hui est trompé.
Quand les parlements se sont opposés avec vigueur
au despotisme; quand mon père bravait les vio-
lences et les injustices des ministres, on l'applau-
dissait, on lui préparait des triomphes. Ce n'est
pas un mauvais citoyen qui a employé toute l'au-
torité de sa place pour alimenter la ville de Bor-
deaux pendant l'hiver dernier. Si vous considérez
le grand âge de mon père, si vous savez qu'il est
malade en ce moment, vous le dispenserez d'un
Voyage qui altérerait encore sa santé. M. Dudon
ajoute que les improbations qui se sont manifes-
tées ne lui permettent pas d'entrer dans de plas
grands détails sur la justification de son père.
Il se retire.

juge dans sa propre cause: mais je ne crois pas que cette cour ait besoin d'être défendue. Elle a enjoint aux municipalités d'user de tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour ramener l'ordre. Quel était alors l'état du ressort du parlement de Bordeaux ? J'étais membre du comité de rapports; nous recevions des procès-verbaux effrayants, qui constataient des brigandages, des massacres, des incendies..... On confond le réquisitoire, qui n'a rien de commun avec l'arrêt, et cet arrêt n'a rien de coupable. Voilà donc l'affaire réduite à un seul particulier, et ici la cause devient bien belle; elle a été plaidée par le fils de l'accusé, par un fils trouble par le respect que vous lui avez inspiré. Je dénie toutes les intentions qu'on croit voir dans son réquisitoire; il n'a pas attaqué la constitution qu'il a juré de maintenir: il a demandé que la force publique fût employée pour arrêter les brigandages..... C'est un citoyen respectable, âgé de quatre-vingts ans, et qui pendant cette longue carrière, a rendu de grands services à sa patrie: il n'y a que quatre ans qu'il gémissait sous une lettre de cachet, pour avoir défendu avec courage les intérêts de ses concitoyens.... Sa réponse est dans la dénégation que je fais en son nom des interprétations qu'on donne à une phrase de son réquisitoire.

M. Le Chapelier. Toutes les expressions du réquisitoire annoncent l'intention de s'élever contre vos décrets. Il est certain que les troubles étaient calmés lorsque le réquisitoire a été prononcé.

Cette dernière assertion est fortement déniée.
L'Assemblée commence à devenir très tumul-

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tions de l'Assemblée. Je demande que le parlement de Bordeaux soit supprimé, et les membres de la chambre des vacations déclarés incapables d'exercer les droits de citoyen actif.

(Les mouvements d'une partie de l'Assemblée augmentent.)

M. Alexandre de Lameth. L'Assemblée est très décidée à ne pas abandonner cette question sans la traiter: il faudrait donc la laisser délibérer paisiblement. Ne vous aveuglez pas; on peut frapper la liberté dans sa naissance. Si l'Assemblée faisait bien, elle renverrait cette affaire au Châtelet. Sous peu de jours, d'autres parlements nous occuperont encore; qu'on ne nous parle pas des prétendus services des membres du parlement de Bordeaux, quand ils sont coupables de délits certains...

M. Lambert de Frondeville. Il est temps de délivrer les parlements des persécutions véritables qu'ils éprouvent; c'est une persécution que de les accuser sans preuves. Je fais la motion que, dès ce moment, toutes les chambres de vacations soient supprimées.

M. Defermon propose le décret suivant: « L'Assemblée nationale supprime la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, et défend aux membres qui la composent de continuer leurs fonctions. Ordonne que son président se retirera pardevers le roi, pour le supplier de donner des ordres pour la formation d'une nouvelle cour. » La question préalable est demandée sur divers amendements, successivement présentés et rejetés ou adoptés. Après de longs et tumultueux débats, l'Assemblée décrète ce qui suit :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le comité des rapports sur la dénonciation faite par les officiers municipaux et les citoyens de la ville de Bordeaux, de l'arrêt de la chambre des vacations, du 20 février 1790, et du réquisitoire du procureur général du roi :

Décrète que le président de la chambre des vacations et le procureur général du roi du parlement de Bordeaux, seront mandés à la barre pour rendre compte des motifs de leur conduite, et qu'ils s'y rendront dans un intervalle de quinze jours, à compter de celui de la notification du présent décret;

Et cependant l'Assemblée nationale, prenant en considération le grand âge du sieur Dudon, procureur général, le dispense de se rendre à la barre, et lui ordonne de rendre compte par écrit des motifs de sa conduite.

« L'Assemblée charge en outre son président de témoigner par une lettre aux officiers municipaux, à la milice nationale et aux citoyens de la ville de Bordeaux, la satisfaction avec laquelle l'Assemblée a reçu les nouvelles preuves de leur zèle et de leur patriotisme. >>

M. le Président lève la séance à minuit et demi, après avoir indiqué celle du lendemain pour neuf heures et demie du matin.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. L'ABBÉ DE MONTESQUIOU.

Séance du vendredi 5 mars 1790 (1).

M. le comte de Castellane, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier matin.

M. le comte de Croix observe qu'on a omis d'insérer dans la rédaction du décret portant suppression de la féodalité la liberté accordée aux communes de se pourvoir, dans cinq ans, contre les usurpations qui ont été faites de leurs biens

communaux.

L'Assemblée décide que cette omission sera réparée au procès-verbal.

M. l'abbé Gouttes, membre du comité des finances, fait un rapport sur une demande de la ville d'Orléans qui sollicite l'autorisation de faire un emprunt pour le soulagement des pauvres.

M. Salomon de La Saugerie appuie le décret proposé par le comité des finances.

Le décret est mis aux voix et adopté en ces termes :

‹ L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des finances, a décrété et décrète ce qui suit :

Art. 1or. La commune d'Orléans est autorisée à faire un emprunt de la somme de deux cent quarante-trois mille six cents livres, dont le gage spécial sera le capital des rentes dues à la commune d'Orléans par la ville de Paris, et dont l'intérêt est de 12,180 livres.

Art. 2. Les fonds provenant de cet emprunt seront employés à faire des achats de grains; et les sommes provenant des ventes qui seront faites, au marché, desdits blés conformément à la délibération de la commune, serviront au remboursement des sommes prêtées au comité dans l'urgent besoin que la ville a éprouvé au mois dernier.

Art. 3. La municipalité d'Orléans justifiera du remboursement ci-dessus, par les quittances qu'elle produira à l'administration du district, et par un compte public. »

M. l'abbé Gouttes. Comme nous sommes assaillis par un grand nombre de demandes semblables, votre comité a cru devoir vous proposer l'article suivant :

« L'Assemblée nationale exhorte toutes les municipalités du royaume à pourvoir, de la manière la plus prompte et la plus convenable, à la subsistance des pauvres de chaque municipalité.»

On demande l'ajournement de ce projet de dé

cret.

Le rapporteur consent à l'ajournement, qui est prononcé.

M. le baron de Cernon, rapporteur du comité de constitution, fait le rapport d'une difficulté survenue entre les districts de Riom et de Thiers en Auvergne. Chacun de ces districts réclame la ville de Maringues et les paroisses de Limons, Luzillat, la Vialle, la Tissonnière et Joze. Le comité est d'avis de les comprendre provisoirement dans

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

le district de Riom avec faculté d'option ultérieure pour Thiers.

M. Gaultier de Biauzat combat les conclusions du raport en disant que le vœu des habitants s'est déjà manifesté pour Thiers.

M. Riberolles de Martinanges. Il a été délibéré que la ville de Maringues serait réunie au district de Riom, jusqu'à ce qu'elle eût pu faire parvenir des réclamations contraires, et qu'il eût été prouvé que ces reclamations étaient fondées. Les habitanis de la ville de Maringues, instruits des dispositions de ce décret, se sont, à l'invitation des officiers municipaux, réunis dans un même lieu; le nombre des délibérants était de soixante et un, et il a été décidé, à l'unanimité, qu'il serait adressé à l'Assemblée nationale la demande expresse de réunir cette ville au district de Thiers. Comme député de la ville de Maringues, j'ai le droit d'appuyer ses réclamations; je demande s'il ne serait pas despotique, et conséquemment indigne de vous de faire venir des administrés dans un lieu qui ne leur convient pas, et pour lequel ils montrent une si grande répugnance; je demande enfin que le vœu de la ville de Maringues soit décrété par l'Assemblée.

M. le Président. Je vais mettre aux voix l'avis du comité.

M. Lavie. Nous demandons la priorité pour la proposition du député de Maringues.

La priorité est accordée et le décret suivant est rendu :

«L'Assemblée nationale, d'après l'arrêté de la ville de Maringues, pris à l'unanimité des suffrages dans une délibération générale de la commune du 22 février 1790, décrète que la ville de Maringues. ensemble les paroisses de Limons, Luzillat, la Vialle, la Tissonnière et Joze resteront au district de Thiers. »

M. le Président. Je donne la parole à M. Camus qui la demande pour proposer un décret au nom du comité des pensions.

M. Camus. Vous avez chargé votre comité des pensions de vous rendre compte des différents abus qui s'étaient multipliés dans la distribution des grâces. Votre comité n'a pas encore pu faire connaître les obstacles qu'il a rencontrés et qu'il rencontre tous les jours pour arriver à la perfection de son travail : tel est le rapport que votre comité des pensions m'a chargé de vous pré

senter:

«Messieurs, il est juste de vous rappeler deux décrets que vous avez rendus relativement aux pensions; vous avez dit, par le premier, que, sur le compte qui vous sera remis de l'état exact des pensions, vous vous occuperez de la suppression de celles qui ne sont pas légitimes, et de la réduction de celles qui seront trop fortes; sauf à déterminer ensuite une somme quelconque, dont le roi pourra disposer pour cet objet. Par un autre décret vous avez dit que le paiement des pensions sera différé jusqu'à ce que l'Assemblée ait connu les motifs de chacune d'elles, et statué sur leur légitimité.

« Ces deux décrets ont été sanctionnés par le roi; jugez, Messieurs, de notre surprise, lorsque nous avons reçu une lettre de M. de Saint-Priest, qui nous annonce que le roi a cru devoir aug. menter de 1,200 livres une pension de la même

somme déjà accordée au commissaire M. de Chennon. Les principaux motifs de cette nouvelle grâce sont l'âge de M. de Chenon, son peu de fortune, et le zèle avec lequel il a rempli ses devoirs d'inspecteur de la Bastille. Plusieurs brevets postérieurs à vos décrets ont été expédiés, et plusieurs surtout en faveur de gens occupés à la Bastille, et par exemple à M. Jourdan de Saint-Sauveur, 4,000 livres: à la veuve du lieutenant de roi, 600 livres; à un major 600 livres, etc., etc. Total arrêté à Paris, le 19 janvier 1790: 17,593 livres.

« Cet exposé fait frémir: d'abord les pensions n'ont pas dû être accordées, parce que les décrets que vous avez rendus, et qui s'opposent à une nouvelle distribution de grâces, ont été sanctionnés par le roi; en second lieu, est-ce dans un temps où la fortune publique est presque ébranlée, où les ressources sont difficiles, je ne dis pas impossibles; est-ce enfin dans un temps où la rareté du numéraire est certaine, qu'on doit payer des pensions accordées à la faveur? est-ce dans ce temps que l'on doit contracter de nouveaux engagements? et avec qui ? avec les vils suppôts du despotisme. Quoi! à cause qu'un homme aura o devenir le porte-clefs de la Bastille, il faudra qu'un malheureux qui aura obtenu du gouvernement un mince dédommagement pécuniaire, puisse être arrêté dans la jouissance de sa somme par celui qui l'aura retenu dans les fers! Non, Messieurs, on n'examinera pas la conduite des gouverneurs, sous-gouverneurs, inspecteurs, sous-inspecteurs de la Bastille; mais la récompenser cette conduite, serait le scandale le plus révoltant pour la nation. Le ministre s'est donc rendu coupable de contravention à vos décrets; je l'ai prouvé, et je passe à un autre objet.

"

Nouvel obstacle au travail de vos comités des finances, des pensions, etc. Vous avez décrété que les états authentiques, ainsi que les pièces justificatives des finances et des pensions, seraient remis à vos comités, pour par eux vous en être rendu compte. Vous avez décrété qu'un livre. connu sous le nom de Livre rouge, serait surtout remis à vos comités. Ce livre a été longtemps demaudé, et longtemps on a eu l'espoir de l'obtenir. Le comité des finances s'est enfin adressé au premier ministre sa lettre à ce sujet était renplie de sentiments d'égards et de respect. M Necker a répondu, et son billet est en date du 27 janvier. L'Assemblée nationale ne m'a jamais fait connaître son désir d'avoir tous les détails contenus dans le livre dont vous me parlez : ce livre est entre les mains du roi; je lui communiquerai votre lettre; il recevra avec satisfaction l'expression de votre respect et de vos égards; j'aurai l'honneur de vous faire connaître ses inten

tions. >>

a

« Quelques jours après, le ministre a demandé d'avoir une conférence avec un membre du comité cette conférence a eu lien. Le 14 janvier, nouvelle lettre du premier ministre : « Le roi a désiré de garder le Livre rouge; il m'autorisera sans doute à en donner communication à une députation du comité des finances ou de celui des pensions: j'aurai l'honneur de vous faire conaître les dernières intentions de Sa Majesté. » Votre comité a cru devoir réitérer ses demandes; il a encore écrit au premier ministre, et a obtenu une nouvelle réponse en date du 25 janvier: « Le roi m'a remis dimanche le Livre rouge, avec permission de le communiquer à une députation du comité des finances ou de celui des pensions. Je ne crois pas que l'Assemblée y trouve tous les renseignements qu'elle en attend. Au reste, je ne

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puis pas fixer l'heure et le jour de ma conférence avec les personnes que l'Assemblée chargera de voir ce livre, parce que toutes mes soirées sont occupées. » Votre comité a demandé que cette conférence fut fixée au lundi d'après, et le lundi le ministre a été indisposé: il nous a paru que, puisqu'il était si difficile de voir ce livre chez le ministre, il était juste de demander qu'il fût envoyé à votre comité, et nous avons pensé que l'Assemblée devait en faire la demande. Le fait est que, depuis six semaines, le Livre rouge, dont l'existence est connue et sa communication indispensable, n'a encore point été communiqué.

Nous avons éprouvé une continuité de refus sur un autre objet non moins important. Il nous a été dénoncé qu'il existait un grand nombre de bons et brevets, non pas signés du roi, mais seulement de certains ministres.

« Il est juste d'observer que cette dénonciation ne porte pas sur le ministère actuel. Votre comité a demandé que ces bons lui fussent présentés; il n'est pas un de nous qui n'ait dit, après avoir eu connaissance de la dénonciation: il faut ouvrir le dépôt de ces bons. Votre comité s'est adressé à M. Dufresne d'abord, et ensuite au premier ministre; je ne sais pas ce que les ministres ont à perdre à cette communication, mais elle n'a point eu lieu. Après mainte et mainte sollicitation, nous avons enfin reçu une lettre de M. Dufresne, qui nous annonce qu'on est occupé à faire un relevé de ces bons, qui sera ensuite communiqué à votre comité. Je ne sais pourquoi on nous promet un relevé lorsque nous avons demandé des pièces originales. Votre comité, non moins étonné que moi des retards apportés aux éclaircissements qu'il sollicite, m'a chargé de vous présenter le projet de décret suivant:

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« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité des pensions, déclare que, d'après ses décrets des 4 et 5 janvier, sanctionnés par le roi le 14 du même mois, il ne peut ni n'a pu être accordé aucunes nouvelles pensions sans son autorisation particulière, décrète que le président se retirera dans le jour pardevers le roi, pour le supplier de défendre à tous ses ministres et à tous autres ordonnateurs et agents de son autorité de lui présenter de nouveaux bons et brevets de pensions, contradictoirement aux décrets de l'Assemblée, sanctionnés par Sa Majesté; charge en outre sou président de supplier le roi d'eujoindre à ses ministres, ordonnateurs, etc., de remettre aux différents comités de l'Assemblee, et sur leur première réquisition, les pièces justificatives qui leur seront demandées, et notamment le Livre rouge. »

M. Fréteau. J'ai l'honneur de vous faire observer messieurs, qu'il est d'autant plus important de rendre le décret qui vous est présenté par M. Camus, qu'il est naturel de penser qu'après avoir pris connaissanee du Livre rouge, nous aurons encore beaucoup d'autres choses à demander. Je conclus à ce que le décret soit adopté sur le champ.

M. Glezen. Je ne fais qu'une observation dans l'état des pensions communiqué par M. le minis

tre.

M. de Maissemy, ci-devant directeur de la librairie, est employé pour 16,000 livres. Il est dit que cette somme est pour lui et pour quatre hommes de lettres qu'il occupe. J'ai la certitude que M. de Maissemy n'a jamais occupé d'hommes de lettres; j'ai encore la certitude qu'il n'a jamais reçu 16,000 livres; 12,000 livres seulement ont été

accordées à M. de Maisseny. Toutes les quittances par quartier sont de 3,000 livres chacune. La dernière est du mois de septembre dernier. M. de Maissemy avait donné sa démission au mois de juillet. Je demande que le fait que j'allègue soit vérifié. L'Assemblée y réfléchira dans sa sagesse. (On demande à aller aux voix sur le projet de décret présenté par M. Camus.)

M. le Président consuite l'Assemblée et le décret suivant est rendu:

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des pensions, déclare que, d'après les décrets des 4 et 5 janvier, sanctionnés par le roi le 14 du même mois, il n'a pu et ne peut être accordé aucune pension jusqu'à ce que les règles pour leur concession aient été décré› tées par l'Assemblée et acceptées par le roi; décrète, en conséquence, que son président se retirera dans le jour par devers Sa Majesté, pour le supplier de défendre à ses ministres et à tous autres ordonnateurs, de lui présenter aucune demande de pension jusqu'à ce que les règles d'après lesquelles elles doivent être accordées, aient été décrétées et acceptées.

« L'Assemblée nationale charge également son président de supplier Sa Majesté d'enjoindre à ses ministres et à tous autres agents de son autorité, de délivrer des copies et communiquer les originaux des pièces qui leur sont demandées par ses comilés, et à leur première réquisition, notamment le registre connu sous le nom de Livre rouge, et les originaux des bons des pensions, dons et gratifications accordés dans les différents départements. »

M. le Président. J'ai reçu de M. Necker ie billet suivant, dont je donne connaissance à l'As semblée :

Le premier ministre des finances croit devoir informer M. le président qu'il aura l'honneur de lui adresser demain, avant midi, pour l'Assemblée nationale, un mémoire relatif essentiellement à la situation actuelle des finances. Il regrette que l'état de sa santé ne lui permette pas d'aller le présenter lui-même à l'Assemblée.

Le premier ministre des finances prie M. le président d'agréer l'hommage de son respet. « NECKER.

« Ce vendredi 5 mars 1790.

« Le mémoire sera de deux heures de lecture. »

M. le Président annonce ensuite que le ministre de la marine lui a envoyé diverses pièces nouvellement arrivées de la Martinique; ces pièces seront transmises au comité des rapports.

M. Dupont (de Nemours). Le comité des finances a cru devoir retarder le rapport qu il a à vous faire relativement à la suppression de la gabelle, jusqu'à ce que le mémoire qu'il savait devoir vous être envoyé par M. Necker eût été con u par l'Assemblée. Le comité continue à promettre de faire tous ses efforts pour présenter à l'Assemblée les moyens de couvrir les embarras de la présente

année.

M. Fréteau. Vous avez été informés du nombre infini de malheureux que la ville de Paris renferme dans son sein. Ce nombre, vous a-t-on dit, s'élève à cent vingt mille; il ne m'a pas été possible de vérifier l'exactitude de ce calcul; mais,

ayant eu des rapports avec plusieurs présidents de districts, je puis assurer que le nombre des malheureux est grand, et que dans deux districts particulièrement il se porte à dix mille. Je rappelle à l'Assemblée un décret par lequel elle a chargé les trésoriers des dons patriotiques de lui rendre compte de l'état des sommes effectives qu'ils ont reçues; quand il n'y aurait dans la caisse patriotique que de quoi payer les petites rentes, il faudrait se hâter d'avoir recours à ce moyen, pour calmer en partie les maux qui affligent la capitale. Je demande que les trésoriers des dons patriotiques rendent compte de l'état de leur caisse et que les fonds provenant des dons patriotiques soient employés au paiement des petites rentes dues sur le trésor royal.

M. Bouche. Je réclame l'exécution du décret que vous avez rendu et qui prescrit que les directeurs des monnaies rendront compte du produit des dons patriotiques convertis en mon

naie.

M. le comte de Virieu, l'un des trésoriers des dons patriotiques. Je déclare avoir remis l'état de la caisse au comité des finances, ainsi que le prescrivait le décret, dont les préopinants réclament l'exécution.

(La discussion de la motion de M. Fréteau est renvoyée à une séance indiquée pour dimanche prochain.)

L'Assemblée reprend la suite de la discussion du projet de décret sur l'abolition des droils féodaux.

M. Merlin, rapporteur, propose un article additionnel relatif au droit de tiers-denier qui a lieu en Lorraine et dans d'autres provinces.

L'article mis aux voix est décrété ainsi qu'il suit :

Le droit de tiers-denier est aboli dans les provinces de Lorraine, du Barrois, du Clermontois et autres où il pourrait avoir lieu, à l'égard des bois et autres biens qui sont possédés en propriété par les communautés; mais il continuera d'ètre perçu sur le prix des ventes des bois et autres biens dont les communautés ne seront qu'usagères.

Les arrêts du conseil et lettres-patentes qui, depuis trente ans, ont distrait, au profit de certains seigneurs desdites provinces, des portions des bois et autres biens dont les communautés jouissent à titre de propriété ou d'usage, sont rẻ voqués, et les communautés pourront, dans le temps et par les voies indiqués par l'article précédent, rentrer dans la jouissance desdites portions, sans aucune répétition des fruits perçus, sauf aux seigneurs à percevoir le droit de tiers-denier dans les cas ci-dessus exprimés.

M. Merlin. Vous venez d'adopter, sauf deux dispositions que nous vous soumettrons tout à l'heure, les divers articles qui composent le titre II. Votre comité a pensé qu'avant de passer au titre III de son projet de décret sur l'abolition des droits féodaux, il était convenable que vous entendissiez le rapport qui doit vous être fait au nom des comités domanial, d'agriculture et de commerce, sur les droits de minage, péage, etc.; il vous invite à entendre ce rapport à présent. (Cette proposition est adoptée.)

M. Gillet de La Jacqueminiè" monte à la

tribune et, au nom des comités de féodalité, domaine, agriculture et commerce, fait à l'Assemblée le rapport suivant, sur les droits de péage, minage, hallage, étalonnage et autres semblables (1):

Messieurs, vous avez ordonné à vos comités de féodalité, agriculture et commerce, de vous présenter de concert on rapport et des projets de décrets sur les moyens de supprimer sans injustice le droit de minage, hallage, leydes, étalles, péages et autres droits semblables.

Vous n'ignorez pas, Messieurs, que quelquesuns de ces droits sont au nombre de ceux qui font une partie du domaine, et votre comité des domaines, persuadé qu'il était de son devoir d'envisager les biens domaniaux dans toutes leurs différentes espèces, a de son côté fixé son attention sur les péages.

Instruits du travail auquel ce comité s'était livré sur un objet aussi essentiel, les comités de féodalité, agriculture et commerce se sont empressés de puiser dans des conférences communes avec celui des domaines, des connaissances que les lumières de ce comité et l'importance du sujet qu'ils avaient à traiter devaient leur rendre infiniment précieuses.

Ainsi, Messieurs, c'est au nom de ces trois comités que je viens essayer de remplir le devoir que vous avez imposé à deux d'entre eux, et vous Soumettre un travail auquel l'amour du bien public a engagé le troisième à s'associer.

Ce rapport nous a paru, Messieurs, devoir être, dans l'ordre des choses, la suite immédiate de celui que M. Merlin vous a fait sur les droits féodaux au nom du comité de féodalité; établi sur les mêmes bases, puisse-t-il obtenir le même succès!

Il est inutile de vous parler ici, Messieurs, des réclamations qui se sont perpétuellement élevées et contre les droits de péages et minages en euxmêmes, et surtout contre les extensions données à leur perception; nous ne nous reporterons pas à l'époque peu reculée où la faculté de s'affranchir avec les plus grands sacrifices pécuniaires de servitudes mème injustes, était inutilement sollicitée.

Vous avez rétabli les Français dans tous les droits que l'homme libre, vivaut en société, aura toujours la certitude d'obtenir quand il aura l'énergie de les réclamer, et vous avez brisé en une nuit des chaînes que la féodalité rivait depuis huit siècles.

Vos comités n'ont donc point pensé, Messieurs, qu'il fallut juger les droits dont il s'agit par des lois anéanties avec le système qu'elles étayaient, ni rechercher au milieu des décombres de la féodalité, les principes d'après lesquels vous devez vous déterminer, pour en conserver ou en détruire les vestiges. Ils ont laissé de côté les réclamations de ceux qui étaient assujétis à ces droits, les défenses de ceux qui les faisaient percevoir, et sans s'arrêter à débattre les principes qui ont servi constamment de règle aux commissions chargées, depuis près d'un siècle, des travaux relatifs à la suppression ou modération de ces droits, et particulièrement à celle connue sous le non de commission des péages, à démontrer combien la jurisprudence qu'elle s'était faite. d'après les décisions particulières du conseil, était en contradiction avec les anciennes lois et ordonnances

(1) Le Moniteur insère seulement le projet de décret qui termine ce rapport.

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