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Luzerne observe que les dépositaires des pouvoirs judicaire et militaire n'auront pas le droit d'assister à l'assemblée coloniale, à moins qu'ils n'aient été élus; vous-même, dit-il, après avoir fait l'ouverture de l'assemblée, vous vous retirerez; et si Vous y avez aucune influence directe, vous obtiendrez toujours le crédit dû à votre zèle et à vos talents. M. de La Luzerne observe, dans une note qui se trouve au bas de la copie de cette lettre, qu'il faut faire lire si vous n'y avez aucune, etc. La suppression de la lettre n est une faute du secrétaire.

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Il parait que les lettres de convocation n'ont point eu de suite; mais il existait des assemblées antérieurement formées dans les trois provinces; c'est notamment celle du Cap-Français que concernent les différentes pièces. Dans sa première séance, elle proscrit le cahier de doléances du mois de janvier 1789, comme injurieux à la colonie; dans celle du 13 novembre, elle déclare que les pouvoirs et les volontés de toute la dépendance du Nord résident dans la présente assemblée; que toute autre serait séditieuse et tendant à empècher le rétablissement de l'ordre. Elle continue dans leurs fonctions les agents du pouvoir exécutif. Le 18 novembre, avant de statuer sur les milices, elle ordonne un recensement nouveau. Le 23, elle fixe à 2 gourdes le paiement de chaque tête de nègre pris dans la campagne : n'entendant rien changer à la maréchaussée en tout ce qui concerne la sûreté publique. Le 25, elle demande à M. de Poissy, faisant les fonctions d'intendant, les détails et les comptes exacts de sa comptabilité; elle ordonne que désormais il sera tenu de distinguer la recette du Nord, et de n'en ordonner l'emploi que de concert avec elle; elle députe vers l'assemblée du Sud, pour l'engager à convenir que désormais il ne sera payé d'autre droit que 1 pour 100 pour frais d'entrepôt; elle se charge du droit municipal de 30 sous par tête de nègre; établit un receveur, et se réserve de statuer sur la ferme, etc.

Il s'agit, dans la séance du 24, du refus de M. de Poissy, à la demande de l'assemblée, de la réduction des fonctions du conseil à l'administration de la justice, et de l'emprisonnement de M. Dubois, pour avoir, au fort Dauphin, dit que l'esclavage des nègres est contraire au principe de la liberté naturelle.

La pièce suivante est une lettre de l'assemblée provinciale du Nord à M. le comte de Pénier. Vous nous demandez ce que c'est que SaintDomingue c'est une belle et immense contrée, qui s'est, par préférence, réunie à la France, sous la condition qu'elle ne paierait d'autres impôts que ceux qu'elle aurait consentis. Par le premier décret de l'Assemblée nationale, en date du 17 juin, tous les anciens impôts ont été conservés ; nos députés n'ont pas concouru à ce décret: ignorez-vous que c'est le 20 du même mois seulement qu'ils ont été admis dans cette Assemblée ? Que serions-nous devenus, si nous avions laissé la partie la plus pure de notre industrie dans les mains de ceux qui la dissipaient; si nous ne l'avions enlevée à un administrateur infidèle, oppressif, concussionnaire et fugitif? On vous a trompé quand on vous a dit que nos députés consentiraient aveuglément aux décrets de l'Assemblée nationale. Pourraient-ils consentir, par exemple, à un décret qui compromettrait notre sùreté personnelle? La nécessité des circonstances a entraîné l'assemblée provinciale dans les arrêtés que vous croyez dignes de censure et qu'on lui aurait épargnés si on avait songé à veiller à sa sù

reté. Une grande société qui se voit abandonnée, opprimée ou trahie par ceux qui sont chargés des détails de son administration, a sans doute reçu de la nature le droit de faire des lois pour sa sûreté, de prononcer des amendes, d'intercepter des lettres perfides, et de se saisir d'un particulier qui prêchait un évangile dangereux et contraire à la propriété. Quand un ministre se plaisait à favoriser, par des voies sourdes, la destruction des colonies, que fallait-il faire? L'assemblée provinciale gémit de la manière dont vous la jugez; elle n'est pas sans inquiétude sur un point de votre conduite: ni vous, ni les troupes à vos ordres, ni MM. de la marine n'ont pas encore prêté le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Nous croyons avoir assez prouvé qu'ayant reçu nos pouvoirs de notre province, et notre province du droit naturel des lois et des conventions, l'assemblée provinciale a fait ce qu'elle a dû. Quand vous aurez convoqué l'assemblée coloniale, nous soumettrons nos opinions et notre conduite à nos concitoyens. » Cette lettre est signée par M. Bacon de La Chevalerie, président de l'assemblée provinciale du Nord.

Dans la séance du 24 décembre, cette assemblée s'était plaint de ce que le conseil avait abusé du droit de nommer aux places de comptabilité, en passant en règle que ces places ne seraient remplies que par des parents des officiers de ce tribunal, et qu'on ne trouvait dans les caisses que des bons de MM. du conseil : elle avait nommé un receveur du droit municipal, etc.

Le 29, le conseil déclare nuls et de nul effet l'emprisonnement de M. Dubois, la nomination d'un receveur du droit municipal; fait défense à l'assemblée, dite assemblée provinciale du Nord, de s'immiscer dans l'administration des pouvoirs civil, judiciaire et militaire; ordonne qu'il sera informé sur la conduite de cette assemblée, et que le résultat de ces informations sera envoyé à l'Assemblée nationale.

Le 4 janvier, l'assemblée du Nord, délibérant sur l'arrêt du soi-disant conseil supérieur, considère qu'étant de droit naturel que, dans des circonstances fâcheuses, les nations se forment en assemblées pour se donner les lois qui paraissent nécessaires, elles ont le pouvoir législatif; que ne pouvant faire des lois sans les faire exécuter, l'assemblée du Nord avait donc le pouvoir exécutif, qu'ainsi elle réunissait tous les pouvoirs, et pouvait les exercer dans l'étendue de la dépendance du Nord. Elle arrête unanimement que le réquisitoire du substitut du procureur général est faux, séditieux, qu'il tend à priver les citoyens des travaux tutélaires de l'assemblée provinciale, pour les ramener sous le joug du despotisme ministériel et de l'aristocratie; déclare l'arrêt séditieux, attentatoire à l'autorité de l'assemblée, rendu sans pouvoir et nul; ordonne de plus fort l'exécution de tous ses arrêtés; prend sous la sauvegarde de la dépendance du Nord les milices nationales et les officiers comptables; déclare les juges qui ont concouru à l'arrêt, fauteurs du despotisme, coupables de spoliation des deniers pu blics, criminels de lèse-nation et ennemis del colonie; leur interdit à toujours l'entrée de la province du Nord, et les voue au mépris de bons citoyens; fait défense aux geoliers d'élargir M. Dubois; ordonne que l'arrêt du soi-disant conseil sera conservé dans les registres de l'assemblée du Nord, comme un monument de la honte de ce tribunal; déclare nulle la réunion du conseil supérieur du Cap à celui de Port-auPrince; ordonne que celui du Cap reprendra le

11 ses fonctions, et que, dès aujourd'hui, l'assemblée nommera les officiers nécessaires pour le compléter.

Lettre de M. Bacon de La Chevalerie au comte de Pénier, en date du 7 janvier. Vous reconnaitrez la sagesse de notre conduite quand vous cesserez d'être séduits par l'aristocratie qui vous entoure; en attendant, nous vous disons très affirmativement que nos députés à l'Assemblée nationale n'ont pu concourir qu'aux décrets qui, rendus pour le continent, ne peuvent s'appliquer à la colonie. C'est respecter la loi et le pouvoir législatif que de s'en saisir..... Mais pour faire cesser une correspondance qui pourrait vous déplaire, il faut vous dire que nous ne vous reconnaîtrons plus comme un agent du pouvoir exécutif, tant que vous ne serez pas soumis à la loi nationale du serment; quant à la convocation de l'assemblée coloniale, nous n'avons besoin que du concours des trois provinces, et nous ne nous chargeons pas d'écarter nos ennemis, les vôtres, et la vermine qui nous ronge.

Lettre de M. Vincent à M. de Pénier, le 17 janvier. Elle annonce que M. Bacon de La Chevalerie est nommé capitaine général des troupes nationales; qu'il refuse aux nègres assemblés la faculté de nommer leurs officiers, et que douze électeurs de l'Ouest sont députés près de M. de Pénier pour l'engager à prêter et à faire prêter le ser

ment.

Le 13 janvier. Arrêté des électeurs de l'Ouest, par lequel ils ordonnent que les administrateurs surseoiront à l'éxécution de toute loi nouvelle jusqu'à la convocation de l'assemblée coloniale. M. de Pénier accède à cette demande.

Lettre du 14, à M. le commandant général. On lui rend compte du serment prêté par la milice nationale et de l'installation du conseil supérieur du Cap.

Lettre de M. de Parade à M. de Poissy, au sujet des honoraires du conseil du Cap. 11 demande ce qu'il doit faire, si les officiers de ce tribunal exigent leur paiement. Il ajoute: J'ai dit un jour à quelqu'un qui me questionnait : les ordres de M. de Poissy, voilà mon premier moyen; le second, les baïonnettes; c'est péremptoire.

Voilà les faits; vous jugerez peut-être que l'assemblée du Nord et le conseil du Port-au-Prince se sont éloignés des bornes; mais les circonstances rendent peut-être leur conduite excusable. Rien n'annonce que les colonies veuillent se séparer de la métropole. Le comité n'a pas eu le temps de faire le travail nécessaire pour vous présenter un autre résultat. Les trois provinces de Saint-Domingue doivent envoyer incessamment des mémoires; le comité pense qu'il serait peut-être convenable d'attendre qu'ils fussent parvenus.

M. de Richier. Existe-t-il quelques pièces qui donnent les détails de la formation de l'assemblée du Nord? Si elles existent, indiquent-elles la proportion des colons avec celle des habitants qui n'ont d'autres propriétés que leur industrie?

M. de Cocherel. Les pièces n'annoncentelles pas que des vaisseaux anglais sont dans le port de Saint-Domingue? M. de La Luzerne n'en dit rien dans son mémoire.

M. Goupilleau, rapporteur du comité. Je n'ai trouvé aucune pièce relative aux demandes des préopinants.

M. Alexandre de Lameth. Avant de passer à la discussion du rapport qui vient de vous être fait, on pourrait vous soumettre quelques réflexions préalables, qui ne seraient pas inutiles. Vous aurez à considérer la question sous trois points de vue importants qui amèneront le développement de principes de morale, de philosophie, de politique et de commerce; la discussion de tous ces objets sera longue. Cependant les troubles des provinces nous ont fait sentir la nécessité de nous occuper sans retard des droits féodaux : notre détermination à ce sujet est un moyen sûr de dissiper l'erreur du peuple, et cette erreur est assurément la première source des insurrections. Il me semble qu'il serait possible de concilier l'intérêt du commerce, celui des colonies et celui de la France entière; et pour cela je propose de nommer un comité auquel seront remis toutes les pièces relatives à Saint-Domingue et à la Martinique, ainsi que tous les détails instructifs à cet égard. Ce coinité vous présentera, dans peu de jours, un plan fixe de travail. Nous gagnerons ainsi du temps, et d'ici à ce que votre comité puisse vous communiquer ses vues, nous travaillerons à la constitution, qui est notre premier devoir.

M. de Cocherel. L'Assemblée est déjà assez instruite; les colonies sont en péril; je pense que nous ne pouvons différer de nous occuper d'elles.

M. de Cazalès. L'état d'insurrection de SaintDomingue n'est que trop certain, et je ne crois pas que l'Assemblée ait des devoirs plus importants que celui de porter le calme dans les colonies. Je ne suis pas, comme le préopinant, effrayé du nombre des objets à examiner il s'agit seulement de s'occuper à resserrer les liens qui lient les colonies à la métropole, liens qu'elles sont à la veille de briser. Je demande qu'on revienne à l'ordre du jour.

M. Bégouen. Il y a très longtemps que le commerce, les manufactures appellent les regards de l'Assemblée nationale; il n'y a pas un moment à perdre pour s'occuper de ces intérêts; le moindre retard mettrait la chose publique en péril. Votre comité d'agriculture et de commerce a un rapport très intéressant à vous faire sur les adresses qui vous ont été présentées jeudi par les députés du commerce et par ceux de l'armée bordelaise. Je demande que ce comité soit entendu préliminairement à tout.

M. Blin. Je demande qu'on s'occupe sur-lechamp de la traite des nègres et je suis prêt à parler sur ce sujet. - (La parole lui est retirée. Voyez son discours annexé à la séance.)

MM. le marquis de Gouy et Garat l'aîné invoquent la question préalable sur la motion de M. Alexandre de Lameth.

M. Alexandre de Lameth demande la parole.

M. Barnave la demande aussi pour la question préalable.

M. le Président se dispose à la mettre aux voix.

M. le baron de Menou et plusieurs membres demandent à parler sur la manière de poser la question.

M. le Président consulte l'Assemblée, et prononce que le second rapport sera entendu.

Une partie de la salle se plaint vivement de ce que le président a posé la question sans entendre ceux qui demandaient à parier sur la manière de la poser.

M. le Président. Je crois avoir donné dans cette Assemblée des preuves du désir que j'ai de ne pas lui faire perdre un seul moment ; c'est dans ces vues que je viens de poser la question: je prouverai encore, dans cette occasion, que je suis avare du temps de l'Assemblée, et je demande que le président ne soit jugé qu'après deux jours de discussion sur l'objet qui nous occupe.

M. l'abbé Grégoire, président du comité des rapports. Nous n'avons encore que deux pièces relatives à la Martinique: la première est un mémoire en date du 10 décembre 1789, envoyé par M. de Vioménil. On ne connaît les faits que par ce mémoire.

Plusieurs des arrêtés de l'assemblée de cette colonie paraissent à ce commendant tenir de si près à l'autorité exécutive et legislative, qu'il croirait passer les bornes de sou pouvoir s'il les autorisait. Il pense que la colonie ne peut se dispenser d'adresser son væru à l'Assemblée nationale: il adopte la demande de vendre aux étrangers les nègres condamnés à la chaîne, et admet provisoirement le service de la maréchaussée, que la colonie propose de faire faire par des compagnies de milices. Il autorise provisoirement un règlement formé pour l'établissement d'une municipalité dans les villes et bourgs de la colonie, ainsi qu'un règlement pour la tranquillité publique. Il adopte la permission accordée d'entrer dans les ports aux bâtiments espagnols chargés de mulets. Le commandant observe que la situation de la colonie exige plus que jamais l'abordage des vaisseaux, et il consent provisoirement, et sous le bon plaisir du roi, à ce que, pendant quatre mois, les navires américains soient admis dans les quatre ports de la colonie, comme aussi à ce que tous les droits soient suspendus; autorise néanmoins les représentants du commerce de France à placer dans les ports des commis pour empêcher les fraudes, contrebandes, etc., et consent enfin à ce que la session de l'assemblée coloniale soit annuelle.

La seconde pièce est un mémoire en date du 15 décembre dernier, contenant les protestations des commissaires, des négociants, capitaines, géreurs, etc., des deux paroisses de Saint-Pierre. Ils observent que l'assemblée coloniale, étant composée de cent vingt membres, avait arrêté qu'elle ne pouvait rien statuer, si elle n'était composée au moins de quatre-vingt-un membres; que cependant, depuis la fin de novembre, les différentes délibérations ont été prises en nombre bien inférieur; que cette assemblée s'est déclarée complète au nombre de vingt, et que cette déclaration est illégale, puisqu'elle a été formée par un nombre inférieur à celui qui avait été déterminé par l'assemblée générale; qu'en conséquence ils protestent de nullité contre tout ce qui a été fait en nombre incomplet. Ils s'opposent notamment à ce que les quatre ports reçoivent tous les navires américains, parce qu'ils regardent cette admission comme l'occasion d'un grand nombre d'opérations frauduleuses, et que d'ailleurs, aux termes de la loi, le port de Saint-Pierre deit seul leur être ouvert. L'arrêté à cet égard est contraire au ser

ment par lequel le commandant a juré de protéger particulièrement la ville de Saint-Pierre.

M. Alexandre de Lameth. Le premier devoir de tout membre de l'Assemblée est de ne point faire perdre du temps. Je dois donner raison des motifs qui me déterminaient à demander la parole. M. le président a eu tort de me la refuser, et je le prouve. En effet, M. le président, je vous ai demandé la parole pour abréger le travail de l'Assemblée, et vous me l'avez refusée. M. Barnave vous a demandé la question préalable, et vous la lui avez refusée. M. le baron de Menou vous l'a demandée sur la manière de poser la question, et vous la lui avez refusée...

M. le Président. En deux mots, Monsieur, j'ai eu tort; voulez-vous bien passer à la discussion?

M. Le Chapelier. Avant que la discussion commence sur les rapports qui viennent de vous être faits, il faut savoir si elle commencera. (On interrompt par des murmures.)

M. Camus. Je fais la motion expresse de la nomination d'un comité qui discutera et présentera à l'Assemblée un rapport plus simple.

(Cette motion est appuyée par un grand nombre de membres.)

M. Le Chapelier. On vient de renouveler la motion de nommer un comité pour abréger le travail et fixer l'ordre de la discussion. Je l'appuie, et voici mes raisons. Deux rapports vous ont été présentés; peu de membres, sans doute, en ont suivi clairement les détails : je défie qu'on puisse asseoir une opinion quelconque sur leur objet. Cette affaire présente de grandes questions. Il faudrait établir ces questions, et déterminer l'ordre dans lequel elles doivent être examinées; sans cela nous nous perdrons dans une foule de raisonnements et de projets: trente-trois personnes se sont déjà fait inscrire; si chacune donne son avis et présente ses vues particulières, nous emploierons peut-être huit jours à une discussion à laquelle deux séances auraient suffi, si l'on eût marché avec méthode. Toute l'Assemblée est convenue de la nécessité de terminer promptement le travail sur les droits féodaux. (On interrompt.) Je m'étonne d'autant plus de cette interruption, que j'ai vu désirer le terme de ce travail à toute l'Assemblée. Nous devons hâter nos opérations, de manière cependant que la précipitation ne nuise pas à leur sagesse. Quand nous aurons posé les bases de l'affaire des colonies, notre marche sera plus sûre et plus rapide. C'est hâter notre travail que de nommer un comité qui serait tenu de faire son rapport dans un temps très court.

(On demande la question préalable.)

L'Assemblée décide qu'il y a lieu à délibérer sur la question de savoir si on nommera un comité.

M. de Richier. Les pétitions du commerce de France et de l'armée bordelaise sont particulièrement à l'ordre du jour. Il faut savoir de quoi sera chargé le comité. Sera-ce de discuter sur ces pétitions? Dans ce cas, il faudrait entendre le comité de commerce, qui a un rapport à vous présenter à ce sujet. Sera-ce de préparer un rẻsultat sur les affaires de Saint-Domingue et de la Martinique? Alors il faut s'occuper des pétitions et revenir ainsi à l'ordre du jour.

M. Charles de Lameth. Il me semble que le préopinant s'est un peu rapproché de la question; car il est impossible de traiter l'affaire des colonies d'une manière partielle. Il faut bien se persuader que la moindre faute que ferait l'Assemblée dans cette longue et difficile affaire exposerait la métropole à perdre les colonies. Il faut bien convenir que le gouvernement a fait des fautes considérables, qu'il s'agit de réparer; et l'Assemblée à laquelle on reproche tant de torts, parce qu'elle a réformé tant d'abus, sera facilement calomniée dans cette affaire où la calomnie peut être si utile. On lui reproche en ce moment qu'il n'y a pas de crédit, et tout le monde sait que quand elle a été appelée, il n'y avait plus de crédit en France. De même, quand les colonies sont en danger, on remet cette affaire entre ses mains, on la presse, on voudrait qu'elle prit un parti dans une seule séance, bien sûr qu'une telle précipitation donnerait lieu à quelques erreurs. Il n'est pas possible d'envisager la question d'une manière isolée; il est nécessaire de lier le système politique des colonies au système général politique de la métropole. Si l'on discutait en ce moment, chacun parlerait suivant ses principes, ses goûts et le point de ses méditations; on divaguerait sans cesse. En toute chose il faut commencer par le principe; il faut s'occuper de la constitution des colonies; c'est là ce que vous devez faire. Je crois cette marche de la plus grande importance pour les colons; c'est comme Français, c'est comme colon que je demande qu'elle soit suivie. Il faut donc nommer un comité. Si vous n'en nommez pas, il faut au moins renvoyer au comité de constitution. En dernière analyse, je crois qu'on ne peut conserver les colonies qu'en les faisant jouir des bienfaits de la constitution, avec les modifications qu'elles croiront nécessaires, et qui seront soumises à la prochaine législature.

M. l'abbé Maury. On a entamé une foule de questions qui ne peuvent être traitées que successivement. Voici, Messieurs, l'ordre des faits. Vous avez entendu jeudi les adresses de l'armée bordelaise et du commerce de France. Vous avez dit que vous ne pouviez discuter sur l'objet de ces adresses qu'après avoir pris connaissance des dépêches que le ministre avait reçues de SaintDomingue et de la Martinique. Je ne suis pas frappé, comme le préopinarit, du danger qu'il y a à répandre des calomnies contre l'Assemblée.... Le rapport de ces dépêches vient de vous être fait, et vous allez décréter que les pièces seront renvoyées à un comité qui sera chargé de vous présenter un plan de travail; mais, en les renvoyant même à un comité, il est une question majeure, et la voici abolira-t-on la traite des noirs, oui ou non, dont vous devez vous occuper préalablement, et qu'il faut aborder sans délai? Il est impossible que l'Assemblée ne s'explique pas sur cette question: il s'agit de la tranquillité, de la sûreté de nos colonies; il s'agit de la banqueroute qu'il faut éviter; et telles sont les circonstances qui nous environnent, que votre silence sur la traite des nègres rend la banqueroute inévitable. Je conclus donc, Messieurs, à ce qu'on renvoie à un comité tout ce qui regarde la constitution, l'organisation des colonies; mais je de mande que la discussion soit ouverte demain même sur la grande question de la traite des negres.

(On demande à aller aux voix.)

M. le Président. On demande la division de

la motion de M. Camus, et cette division consiste à ce que la question de la traite des nègres soit traitée isolément et demain. Je vais mettre aux voix cette division.

(On demande la question préalable sur la division.)

M. de Cazalès. Les deux préopinants ne sont pas, ce ne semble, dans la question; il ne s'agit point ici ni de la constitution de Saint-Domingue ni des principes du régime positif, ni du privilege exclusif des Compagnies des Indes et du Sénégal : il s'agit de trouver un moyen provisoire pour arrêter les insurrections qui affligent les colonies, et pour les mettre en état de recevoir vos lois. Le rapport que vous avez entendu doit suffire pour fixer votre opinion; le reste doit être renvoyé au comité si vous adoptez quelque moyen dilatoire, il ne sera peut-être plus temps de revenir sur vos pas.

(On s'obstine à demander la question préalable sur la division.)

M. le Président. Que ceux qui sont d'avis qu'il y a lieu à délibérer sur la division demandée, c'est-à-dire que la question de la traite des nègres soit discutée demain, veuillent bien se lever. (Une grande partie de l'Assemblée se lève. La contre-partie est posée.)

M. le Président. Je demande pour mon compte une seconde épreuve.

(On fait une seconde épreuve, elle paraît douteuse comme la première.)

M. le Président. Je demande pour mon compte l'appel nominal.

M. l'abbé Maury. Il est, ce me semble, inutile de faire un appel nominal sur une question préalable; je demande qu'il soit fait sur la motion principale s'occupera-t-on demain de la traite des nègres? oui ou non.

M. Ræderer. La question préalable a été demandée sur la division; elle a été mise aux voix; deux épreuves ont paru douteuses, et M. le président a demandé l'appel nominal. Je demande que l'ordre accoutumé ne soit point interverti, et que l'appel soit fait sur la question préalable seulement.

L'avis de M. Roederer est adopté; la question est posée comme elle l'avait été déjà; l'appel nominal est fait, et l'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la division demandée.

On passe à la motion principale; elle est mise aux voix, et l'Assemblée décide qu'elle renverra l'affaire des rolonies à un comité composé de douze membres, pris indistinctement dans l'Assemblée, et que le rapport sera fait lundi matin. La séance est levée à sept heures et demie.

ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 2 mars 1790.

OPINION de M. Blin, député de Nantes, sur les réclamations adressées à l'Assemblée nationale, par les députés extraordinaires du commerce et des manufactures de France, relativement aux colonies (1).

Messieurs, on ne peut se dissimuler que les grands intérêts dont la discussion s'ouvre en ce moment ne soient du nombre de ceux qui demandent l'attention la plus sévère, l'examen le plus scrupuleux et les détails tout à la fois les plus approfondis et les plus étendus. Cependant, après y avoir murement réfléchi, il me semble que, sans embrasser toutes les relations successives et multipliées à l'infini, qui lient de si grands intérêts au seul intérêt national, et à la prospérité de la France, on peut, par la simple exposition de quelques vérités de fait, accompagnées d'un petit nombre d'observations indispensables, d'un côté prouver l'importance majeure des réclamations qui vous sont adressées de la part des députés extraordinaires du commerce et des manufactures, des députés de Guyenne et de toutes les villes maritimes du royaume; et, de l'autre côté, déterminer les mesures que vous avez à prendre dans les circonstances actuelles, pour prévenir la ruine de notre commerce, et celle de l'Etat, qui en est inséparable.

Votre principal commerce, Messieurs, est celui des Indes Occidentales. Ceux qui cultivent les fertiles possessions que vous avez aux îles du vent et sous le vent, consomment presque tout le superflu de vos produits dans l'agriculture et dans l'industrie; vous en tirez en retour des denrées précieuses, qui font la base de tous nos échanges avec les nations de l'Europe, et qui multiplient au sein de l'empire les jouissances du riche et les

(1) Lorsque l'affaire des colonies a été appelée à l'ordre du jour du mardi 2 mars, après avoir entendu le comité des rapports, on a fait une motion pour renvoyer la discussion de cette affaire ainsi que des pétitions adressées le samedi précédent à l'Assemblée nationale par les députés extraordinaires du commerce et ceux de Guyenne, à un comité particulier qui serait établi spécialement pour cet objet. Cette motion ayant été adoptée, la discussion publique n'a pas eu lieu, et le discours suivant que j'avais préparé pour l'ouverture de la séance n'aurait point vu le jour si quelques personnes versées dans les affaires des colonies et à qui je l'avais communiqué ne m'avaient fortement engagé à le faire imprimer. C'est pour souscrire à leur désir que je le fais paraître aujourd'hui, espérant d'après le jugement qu'en ont porté les mèmes personnes, que l'on y rencontrera des vérités utiles. Un autre motif m'a encore déterminé. Tous les papiers publics ont avancé que j'avais appuyé la division demandée par M. l'abbé Maury, et la discussion immédiate d'une question dont j'ai pris le plus grand soin d'écarter jusqu'au texte. Mon discours prouvera quelle a été ma circonspection cet égard; elle n'a pas été moindre dans l'Assemblée, où je me suis contenté d'observer à M. le président que la question ne devait pas être posée comme l'avait fait M. l'abbé Maury; mais qu'il fallait demander si, en établissant le nouveau comité, on s'occuperait, dans la séance même on au commencement de la suivante, des pétitions adressées à l'Assemblée par les députés extraordinaires du commerce et des manufactures de France, en remontrant que ces pétitions étaient d'un intérêt majeur et pressant.

moyens de subsistance du pauvre. Ce commerce est menacé d'une suspension soudaine, et les milliers de Français, qu'il met en activité sur nos vaisseaux, dans nos ports, dans nos manufactures, daus nos ateliers, dans nos campagnes, peuvent en peu de temps ou déserter une patrie qui ne récompenserait plus leurs utiles travaux, ou périr de misère sur son sein desséché, peutêtre même déchiré par les excès de leur désespoir.

Ne soyez donc point surpris, Messieurs, des vives alarmes que sont venus nous témoigner les députés extraordinaires de tant de villes de France, que leur position particulière et le genre d'occupations du peuple nombreux qui les habite, a destinées à devenir, les premières, le théâtre des malheurs effrayants qu'il faut détourner. Ces alarmes ne sont point vaines, elles vous ont été annoncées par un grand nombre d'adresses; et des nouvelles récentes vous confirment qu'elles sont parvenues jusques dans nos colonies, accompagnées d'une mortelle défiance (1) et suivies de mouvements qui peuvent nous faire craindre, avec raison, de voir anéantir les rapports qui les unissent avantageusement à nous depuis plus d'un siècle.

Je n'examinerai point toutes les causes qui ont produit ces alarmes; la connaissance de leur origine est inutile à la recherche des moyens qu'il faut mettre en usage pour les apaiser. Ces alarmes existent c'est, je pense, ce qu'on ne saurait révoquer en doute, ce dont trop de témoignages attestent l'affligeante vérité. Mais écartons-en le souvenir pour un instant; et, afin de bien sentir à quel point elles sont dignes d'intéresser toute votre sollicitude, permettez-moi, Messieurs, de parcourir, en peu de mots, les avantages bien évidents que procure à la France le commerce spécial qui est en danger, et qu'il faut bien se garder de ne pas envisager comme une des plus précieuses propriétés de la nation.

Plus de huit cents grands navires, et environ cinq cents autres bâtiments de moindre tonnage sont employés uniquement à la navigation et au commerce de nos iles à sucre; le prix des cargaisons qu'ils transportent s'élève à environ 90 millions tournois, tant en productions de l'agriculture, qu'en objets manufacturés à Paris (2), et dans toutes les provinces de France; mais avant que tous ces navires aient déployé leurs voiles

(1) Il y a plus de deux mois que j'ai reçu des bulletins de Saint-Domingue dans lesquels on annonce que l'on visite soigneusement tous les navires et tous les passagers afin de ne laisser pénétrer dans la colonie aucuns des écrits qui pourraient troubler la paix domestique qui règne sur les habitations. Dès ce moment l'on avait pris les plus grandes précautions, on s'était armé et les navires de France étaient consignés, comme le sont à Marseille et à Toulon ceux qui arrivent des Echelles du Le

vant.

(2) Paris fournit principalement pour les colonies des meubles, des bijoux, des modes, de l'argenterie, de la coutellerie, des chaussures de femmes, etc. Les objets qui sont exportés des provinces sont entr'autres des gingas, des basins, des toiles de fil et de coton, des manufactures de Normandie, des fayences et des poteries de la même province; des toiles de fil et de ménage de Flandres, de Picardie, de Bretagne, d'Anjou; des étoffes et soieries de Tours, de Lyon, de Montpellier, de Nimes; des draps d'Abbeville, de Carcassonne, de Sédan, de Louviers; des quincailleries de Farez; des verres de Lorraine et d'Alsace; des farines, des vins de Bordeaux, de Bourgogne et de Champagne; des huiles, des savons, des fruits de Languedoc, de Provence, etc, etc.

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