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biens, qu'on aurait pu en tirer les plus grands avantages, en disant à ce corps : vous désirez assez le bonheur public pour y concourir par la réduction de vos dépenses personnelles, d'un tiers, d'un quart, ou même moins, afin de fournir annuellement dans une caisse publique 50, 40, ou même seulement 30 millions, quoique eu continuant d'aider vos pauvres, de payer vos dettes et l'impôt commun; et avec la sûreté d'une hypothèque qu'on aurait pu donner sur ces 30 millions seulement, je voyais un emprunt de 300 millions pour faire le fonds de la banque de secours; et par des opérations combinées, je trouvais en outre 5 à 600 millions de remboursement ou d'autres secours très prompts; enfin des combinaisons de plus de 900 millions qui protégeaient une foule de vues d'utilité publique. Cette réduction aurait d'autant moins coûté au clergé, qu'on l'aurait déchargé du fardeau d'une partie des pauvres par la vie que les secours de la banque aurait donnée à toutes les parties du

royaume.

La crainte de paraître d'un avis opposé aux décisions de l'Assemblée nationale me forçant, dans ce moment, de taire tout ce que j'aurais pu dire, avant les décrets, des avantages infinis que ces opérations auraient présentés à la nation, je me bornerai à conclure sur les autres parties d'administration publique qui sont réunies dans le plan général que je viens d'exposer dans mes projets de décrets et dans les observations qui les suivent, que l'ordre et l'enchaînement qui les lient entre elles, présentent tous les moyens possibles de fonder, d'une manière aussi solide qu'inaltérable, la prospérité et la liberté publiques.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. RABAUD DE SAINT-ÉTIENNE.

Séance du dimanche 21 mars 1790 (1).

M. le Président ouvre la séance à onze heures du matin.

M. Gossin, secrétaire, donne lecture du procèsverbal de la séance du 19 mars.

Ce procès-verbal est adopté.

M. Guillaume, autre secrétaire, lit le procèsverbal de la séance du 20 mars au matin.

M. Voidel demande un changement dans la rédaction de l'article 6 du décret concernant la gabelle. I propose de déterminer la liberté entière du sel à compter du jour de la promulgation du décret, en supprimant les mots : le premier avril.

M. Fréteau demande que le décret soit conservé tel qu'il a été rendu les journaux répandent les décrets dans toute la France, et les peuples, ne voyant pas arriver la liberté qu'on leur a promise et qu'ils attendent pour le 1er avril, se porteraient d'eux-mêmes à en jouir.

Le procès-verbal reste sans changement.

M. le baron de Cernon, sur la réclamation présentée le 19 mars, par M. Verchère de Reffye, député d'Autun, propose un décret qui est adopté en ces termes :

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

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L'Assemblée nationale déclare que dans le cas où Marcigny sera choisi par les électeurs pour être chef-lieu du district, cette ville ne pourra prétendre, en même temps, au tribunal, qui, dans ce cas, sera à Semur en Brionnais. »

M. le Président fait part d'une lettre qu'il a reçuc de M. le maire Paris, relativement à une députation que la majorité des districts de Paris a arrêté de faire à l'Assemblée nationale.

M. de Toulongeon. L'Assemblée a décrété qu'elle ne recevrait à sa barre que les seules députations de la commune.

M. le comte de Croix. Une députation présidée par le maire de Paris doit être reçue sans difticulté.

L'Assemblée, par suite d'une erreur de date contenue dans la lettre du maire de Paris, charge son président d'éclaircir celte erreur avant de prendre un parti sur le jour et l'heure de la réception.

M. le baron de Cernon. Plusieurs membres font des réserves sur les procès-verbaux de division quelques-uns refusent de signer ces mêmes procès-verbaux. Toutes protestations et réserves sont contraires à la majorité et aux principes adoptés par l'Assemblée; tout refus de signature est également coupable, parce que les députés qui signent n'expriment pas leur avis, mais affirment, comme témoins, que la division décrétée est le résultat de la majorité des suffrages. Le comité pense que nul ne peut refuser sa signature, et demande à être autorisé à s'opposer à toute protestation ou réserve ajoutée aux procès-verbaux. et à rayer toutes celles qui pourraient avoir été faites.

M. Lambel veut excepter les réserves faites sur la démarcation des districts.

M. Fréteau soutient que ces limites ne peuvent faire l'objet d'aucune réserve, qu'elles ont été déterminées par les députés et fixées par le comité de constitution lorsque les députés ont refusé de le faire, et qu'elles doivent être maintenues sans l'ombre d'une restriction.

Cette opinion réunit la presque unanimité des suffrages, et le décret suivant est rendu :

«L'Assemblée nationale a décrété et décrète que toutes protestations et réclamations qui pourraient avoir été insérées lors de la signature des procès-verbaux de division de cantons et des cartes remises au comité de constitution, sont nulles et non-avenues. Autorise les commissaires du comité à en faire la radiation, et défend expressément qu'il en soit fait aucune à l'avenir. »

M. le chevalier de Murinais déclare qu'il ne signera pas.

M. le marquis de Saint-Mars, député d'Etampes, demande à s'absenter pour quinze jours. M. Labeste, député de Reims, demande un congé de trois semaines.

Ces congés sont accordés sans opposition.

M. l'abbé Gouttes, membre du comité des finances, avait fait hier, à la séance du soir, deux rapports sur des affaires particulières qui avaient été ajournées. L'une d'elles rend une décision nécessaire pour l'ordre et la tranquillité des localités

intéressées, il propose, en conséquence, un décret qui est adopté en ces termes :

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Que la demande faite par le bourg Saint-Espritlès-Bayonne sera envoyée aux départements des Basses-Pyrénées et des Landes, lesquels enverront leur avis à l'Assemblée nationale, pour être statué, par elle, ce qu'il appartiendra.

M. le Président. L'Assemblée passe à son ordre du jour et reprend la suite de la discussion sur la gabelle.

M. Dupont (de Nemours) donne lecture de l'article 7 auquel il propose de substituer le mot revendeurs à celui de regratiers et minotiers. (On entend un bruit de conversations.)

M. Charles de Lameth demande que la loi du silence soit religieusement observée, afin que lorsqu'une motion est mise aux voix, on sache sur quel objet on vote. Il se plaint que, depuis quelques jours, il a été impossible d'obtenir le silence.

L'article 7 est mis aux voix et adopté ainsi qu'il suit:

«Art. 7. Les revendeurs autorisés par la ferme générale à débiter du sel, et qui n'auraient pu vendre la totalité de celui qu'ils ont levé aux greniers de l'Etat, seront admis à l'y remettre, d'après les inventaires qui en seront faits; et la valeur leur en sera restituée, sans qu'en aucun cas ils puissent rapporter plus de sel qu'il ne leur en a été délivré lors de leur dernière levée : et pour jouir du bénéfice du présent article, lesdits revendeurs seront tenus de faire, dans les vingt-quatre heures de la publication du présent décret, à la municipalité du lieu de leur résidence, la déclaration de la quantité de sel de la ferme, qu'ils pourraient avoir entre les mains. Ladite quantité sera vérifiée, dans le même délai, par la municipalité, qui prendra échantillon de la qualité. »

M. Dupont (de Nemours) propose ensuite un article 8 qui tend à l'anéantissement de tous les procès pour fait de gabelle, sans aucun frais, et qui a pour but de rendre la liberté à tous les individus condamnés pour fait de contrebande.

M. le marquis de Lancosne. Après avoir détruit un impôt aussi funeste que la gabelle, laisserez-vous un pareil bienfait incomplet, en ne rappelant pas, dans un nombre infini de familles désolées, des époux, des pères, des enfants, enfin ce qu'elles ont de plus cher et de plus nécessaire à leur existence? Lorsque vous avez aboli le privilège exclusif de la classe, votre humanité vous a porté à faire sortir des galères ceux qui avaient été condamnés pour fait de chasse, à faire cesser toute procédure et à annuler tous décrets et jugements rendus à cet égard. Pourquoi les malheureux coupables de simple faux saunage, qui ne sont prévenus ni de meurtre, ni de vol, ni d'aucun autre crime, gémiraient-ils éternellement dans les prisons ou dans les liens d'un décret? Ils n'ont été souvent privés de la liberté, que parce qu'ils ne pouvaient payer l'amende à laquelle ils auraient été seulement condamnés s'ils avaient été présumés en état d'y satisfaire; car c'est ainsi que les fermiers généraux et leurs tribunaux mettaient prix la liberté et souvent la vie des citoyens. De l'argent ou aux galères; c'est la seule consolante réponse que l'on faisait aux malheureux qui imploraient leur clémence. J'en parle de science certaine, cette réponse m'ayant été faite plusieurs fois, lorsque j'ai réclamé en faveur de pères de 1 SÉRIE, T. XII.

famille, que la misère avait engagé à faire momentanément la contrebande du sel.

M. de Lancosne termine en proposant un décret en sept articles tendant à donner la liberté à tous les galériens et prisonniers pour le simple fait de faux saunage; il établit différentes exceptions pour ceux qui, coupables d'autres crimes, ne pourraient sans danger être remis danз la société.

M. Grelet de Beauregard demande la liquidation des offices de juridiction de grenier à sel. Cette demande est jugée prématurée.

M. Goupil de Préfeln propose un amendement au terme duquel les détenus ne pourront être élargis que sur la réclamation des municipalités en exceptant les homicides pour fait de gabelle.

M. le chevalier de Murinais demande que la perception des amendes non payées soit suspendue et que les obligations extorquées aux prisonniers entre les deux guichets soient annulées.

M. Roederer dit que ces obligations ont été faites pour prévarications; que les amendes étaient de droit; qu'elles ont été prononcées suivant la loi et qu'elles sont méritées. Il demande la question préalable sur l'amendement.

M. le Président prend les voix et l'article est décrété en ces termes :

« Art. 8. Les procès criminels, commencés pour fait de gabelle, seront annulés sans frais. Le roi sera supplié de permettre le retour des bannis pour fait de gabelle seulement, et de faire remettre en liberté les détenus en prison ou aux galėres, qui n'y ont été envoyés que pour la même cause; comme aussi d'ordonner qu'il soit pris des précautions pour assurer leur retour à leur domicile, conformément à ce qui a été précédemment réglé au sujet des détenus pour fait de chasse.

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M. le Président. M. le baron de Menou a obtenu depuis plusieurs jours l'autorisation de soumettre à l'Assemblée un plan et un ordre de travail. Je lui donne la parole pour développer sa motion.

M. le baron de Menou (1). Messieurs, vous avez été envoyés, de toutes les parties du royaume, pour fonder une constitution. Chacun de vous a juré de remplir cette importante mission, et nous avons tous ensemble fait serment de ne plus nous séparer que cet ouvrage ne fût accompli. Pour y parvenir, il a fallu faire ce que jamais nation n'avait osé détruire à la fois tous les abus, toutes les erreurs, rompre toutes les habitudes, et substituer la raison et la justice à l'ignorance, aux préjugés et à l'intérêt personnel.

Je sais que les détracteurs de nos travaux diront que nous avons tout renversé, que nous avons attaqué toutes les fortunes, que nous n'avons rien respecté; mais pourquoi (répondronsnous) la nation s'est-elle assemblée par ses représentants? parce que la chose publique était en péril, parce que les finances étaient dans un état de déprédation tel que la banqueroute était iné

(1) La motion de M. le baron de Menon est incomplète au Moniteur.

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vitable, si, dans cette extrémité, le gouvernement, qui, par sa faute, avait accumulé tous les malheurs, et dont toutes les ressources fiscales étaient épuisées, n'eût convoqué la nation, pour lui exposer sa situation et la mettre à même de chercher les remèdes convenables. Que ces ennemis du bien public nous disent donc s'ils eussent préféré la banqueroute et leur ruine totale, au sacrifice d'une partie de leur fortune, nécessaire pour sauver l'autre.

Mais on eût pu remédier à l'état déplorable de nos finances, disent-ils, sans tout attaquer et détruire. Mais d'où était donc venu le désordre de nos finances? N'était-il pas le produit de tous les abus, de tous les privilèges, de l'égoïsme, de l'oubli de tous les devoirs et de toute moralité, de la confusion de tous les pouvoirs? et la nation n'était-elle assemblée que pour apporter un misérable palliatif aux maux dont elle était accablée? Non, sans doute, son devoir était de réparer le mal actuel; mais il était encore plus essentiel d'établir un ordre de choses tel, qu'il fût impossible au mal de reparaître; et pour y parvenir, il fallait tout détruire parce que tout était vieux.

Je ne devrais peut-être pas m'arrêter à réfuter une autre calomnie, et d'autres bruits injurieux qu'on répand de toutes parts contre l'Assemblée nationale. Son projet secret, disent nos ennemis, est de renverser la monarchie, et d'enlever au monarque toute son autorité. Insensés qu'ils sont! nous voulons détruire la monarchie! qu'ils jettent les yeux sur nos travaux, ils n'ont tous pour but que d'établir une monarchie parfaite; celle qui est composée de parties semblables entre elles, gouvernées par les mêmes lois, et qui toutes aboutissent à un centre d'unité, qui leur imprime à la fois un même mouvement.

Nous voulons enlever au roi son autorité ! et nous travaillons tous les jours à lui en donner une véritable, celle qui a pour base la loi et la justice. De quelle autorité jouissait le roi avant l'Assemblée nationale? Sans doute, elle paraissait importante, elle embrassait tout; mais qu'on l'examine attentivement: partout elle était éludée, Partout

il fallait employer la force pour obtenir l'obéissance. Etait-ce là une véritable autorité? le monarque devait-il être heureux? sa position n'était-elle pas la plus fâcheuse, la plus précaire? Tyrannisé tour à tour par ses ministres et par ses courtisans, le roi n'avait que les formes et les dehors de la puissance, il n'en avait pas la réalité. Que va-t-il arriver au contraire dans le nouvel ordre de choses? le monarque rendu, pour ainsi dire, à la nation, et devenu chef et centre du pouvoir administratif et exécutif, imprimera dans toutes les parties de la monarchie un mouvement qui la vivifiera. Son autorité sera entière et respectée, parce qu'il ne commandera qu'au nom de la loi; personne ne tentera de s'y soustraire, sans être puni à l'instant avec la dernière sévérité, parce que tous les citoyens sont intéressés à soutenir et faire exécuter les lois qui sont leur ouvrage. Le monarque aura toute la puissance nécessaire pour faire le bien, il sera dans l'heureuse impuissance de faire le mal. Et j'ose demander à ceux qui calomnient l'Assemblée nationale, si, dans une semblable position et avec une telle prérogative, le roi des Français ne sera pas le plus respecté, le plus heureux, et par conséquent le plus grand monarque de l'Univers. Si les méchants osaient porter leurs calomnies jusqu'aux pieds du trône, si ceux qui ont perdu leur pouvoir et leur influence, tenaient au roi luimême les discours qu'ils répandent dans le pu

blic, Louis XVI, le restaurateur de la liberté française, leur répondrait (n'en doutez pas, Messieurs), que c'est inutilement qu'ils tentent de lui donner des regrets sur ce qu'ils appellent la perte de son autorité et qui n'est véritablement que la perte de celle qu'ils avaient usurpée sur le roi luimême. Mais, disent encore les ennemis de la chose publique, l'Assemblée nationale ne parle que de liberté, de tranquillité et d'autorité du roi, tandis que ni la libertẻ, ni la tranquillité, ni l'autorité du roi n'existent dans le royaume. Mais si tous ces raisonnements, qui ne cherchent qu'à semer la discorde, voulaient être de bonne foi; ne diraient-ils pas, au contraire, que les révolutions sont les crises nécessaires des corps politiques, qu'elles n'arrivent jamais quand elles ne sont pas le résultat d'une conquête, que lorsque le peuple, accablé sous le joug de la misère et du despotisme, cherche à reprendre des droits qu'il ne peut jamais perdre; que les travaux dont s'occupe actuellement l'Assemblée nationale, pour réparer les maux qui désolaient la France, sont un remède peut-être violent par les inconvénients momentanés qu'il entraîne, mais que ce remède était nécessaire et inévitable, et que tant qu'il agit avec force, ni la liberté, ni la tranquillité des peuples, ni l'autorité du monarque, ne peuvent exister dans toute leur étendue, parce qu'elles ne sont que le résultat de toutes les parties et de l'ensemble de la constitution, qui n'est pas encore terminée? Ceux qui parlent autrement ne cherchent qu'à tromper la nation et le monarque, mais tous leurs efforts seront inutiles. Nous surmonterons tous les obstacles. Leurs intrigues ne serviront qu'à les couvrir du mépris et de l'animadversion publiques, et le monarque luimême éclairé sur ses véritables intérêts, et qui fait que la nation ne peut rien faire pour elle qu'elle ne fasse en même temps pour lui, rend et rendra à l'Assemblée nationale la justice que mérite la pureté de ses intentions.

Mais toutes ces considérations, Messieurs, nous engagent plus que jamais à hâter nos travaux. Les finances et la constitution doivent occuper tous nos instants: les finances, parce que sans argent et sans impôt, la meilleure et la plus belle constitution devient inutile; la constitution, parce que sans elle et sans les lois, les impôts ne peuvent être perçus. Il serait donc à désirer que, laissant à l'écart toutes les affaires particulières, et les renvoyant, conformément à nos anciens décrets, aux séances du soir, nous nous occupassions uniquement et exclusivement dans celles du matin des finances et de la constitution; et que nous prescrivissions à nous-mêmes un ordre de travail qui ne fût jamais dérangé dans aucun temps, ni par aucune circonstance. J'ajouterai encore que, même dans les séances du soir, on ne devrait pas s'occuper des affaires particulières, mais de celles qui peuvent avoir quelques liaisons ou rapports avec l'intérêt public, où dont la décision serait l'application d'une de nos lois générales.

Dans les différentes parties de la constitution qui nous restent encore à organiser, celle qui me paraît la plus pressante et la plus importante, est l'ordre judiciaire; car, pour faire exécuter les lois que nous décrétons journellement, nous avons besoin de tribunaux et de juges; et vous savez, Messieurs, que partout la justice languit, que partout elle est sans force. Plus nous avons attaqué et détruit d'abus, plus nous devons chercher à rassurer ceux qui craignent pour leur fortune, et à rétablir leur confiance. L'un et l'autre objet

ne seront parfaitement remplis que par l'établissement d'un ordre judiciaire, simple, rapproché des justiciables et peu dispendieux. Nous sommes d'autant plus intéressés à tenter nos travaux sur cet objet, que j'entends dire de toutes parts qu'il se forme des coalitions, des partis dans le royaume, surtout dans les villes où existent encore les anciens tribunaux souverains. Mais mon intention n'est pas de vous effrayer, l'Assemblée nationale est incapable de terreur: je n'ai d'autre projet que celui d'exciter votre vigilance; et sans doute ceux qui, partisans de l'ancien système judiciaire, cherchent à le maintenir, ne sont coupables que d'erreur, par attachement à d'anciennes habitudes et à de vieux préjugés.

Il est encore un autre travail bien essentiel à terminer, Messieurs, c'est celui de l'organisation de l'armée, des gardes nationales, et généralement de tout ce qui constitue la force publique. Je sais qu'un des jours de la semaine où nous entrons, le ministre de la guerre doit vous soumettre de la part du roi, son plan pour la formation de l'armée.

Vous auriez peut-être encore quelques articles à discuter sur les départements, districts, municipalités et autres assemblées; ils sont d'une importance majeure, parce que c'est là le pivot sur lequel doit rouler toute la machine du gouvernement. Après l'ordre judiciaire et le pouvoir militaire, vous aurez à organiser le clergé, de manière à ne conserver que ce qui est utile pour la majesté de la religion et du culte public. Vous aurez aussi à statuer sur les jouissances qui seront conservées aux titulaires actuels des bénéfices.

Mais quelque pressées que soient toutes ces opérations, elles cèdent cependant à la nécessité de délibérer promptement sur les projets de décrets relatifs aux finances, qui vous ont été soumis, et je crois de mon devoir de dire ici, en passant, que ceux qui se plaignent du peu de liaison et d'ensemble de nos travaux en matière de finance, n'ont pas réfléchi qu'ils n'étaient que provisoires pour l'année 1790, et que notre comité d'imposition était chargé de vous présenter un travail sur le mode et la nature des impôts, qui, à commencer de 1791, seront établis dans tout le royaume.

Je n'entrerai point dans de plus grands détails sur la série des objets que vous avez à traiter; c'est à votre comité de constitution à vous la présenter. Plus exercé sur ces matières par son travail assidu, il rassemblera plus facilement dans un même tableau tout ce qui doit entrer dans la constitution; il vous soumettra l'ordre dans lequel toutes ces portions doivent se placer, et pour ainsi dire s'enchaîner; et l'Assemblée plus éclairée sur ses opérations, et touchant, pour ainsi dire, de la pensée le but qu'elle s'est proposé, redoublera, s'il est possible, de force et de courage pour l'atteindre. Le peuple, impatient de voir arriver le moment où il jouira du bonheur que lui procureront vos décrets, attendra avec tranquillité la fin de vos travaux ; et les méchants eux-mêmes qui, pour renverser l'édifice que nous construisons, cherchent à jeter de la défaveur sur l'Assemblée nationale, en répandant que nous voulons nous transformer en un long parlement, nous ériger en despotes, en publiant enfin les atrocités les plus noires contre nous; les méchants dis-je, seront confondus et méprisés par le peuple, qui, connaissant nos intentions, saura résister à toutes les perfides insinuations des ennemis de la chose publique.

Peut-être le comité de constitution vous objec

tera-t-il, qu'accablé par les demandes qu'on lui fait de toutes les parties du royaume, pour l'interprétation de vos décrets sur les fonctions et le mode d'élection des différentes assemblées que vous avez établies, il ne peut se livrer, avec l'assiduité que vous désirez, aux travaux constitutionnels dont vous l'avez chargé. Ne serait-il pas possible, Messieurs, de diviser ce comité en deux sections, dont la première ne s'occuperait que des travaux qui vous restent à faire sur la constitution, et la seconde serait chargée de la correspondance et de l'examen des demandes qui vous sont faites en interprétation de vos lois? cette section vous présenterait des projets de réponses ou de décrets.

Mais, si vous adoptez, Messieurs, un ordre et des heures fixes de travail, il est de toute nécessité que vous preniez la ferme résolution de ne jamais vous en écarter. Permettez-moi de vous rappeler que, plusieurs fois, vous avez formé ce projet, mais qu'entraînés par une infinité de circonstances, vous ne l'avez jamais mis à exécution.

Pour me résumer, Messieurs, j'ai l'honneur de vous proposer le projet de décret suivant :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'elle a déjà décrété que les lundis, mardis, mercredis et jeudis seront entièrement consacrés à la constitution, et les vendredis, samedis et dimanches aux finances, et que toutes autres affaires seront portées aux séances du soir, décrète:

1° Que dorénavant les séances du matin commenceront à neuf heures, excepté celle du dimanche, qui commencera à onze heures;

20 Que chaque séance du matin sera divisée en deux parties; la première, de neuf heures à une heure, sera employée à lire les procès-verbaux et à discuter la constitution et les objets majeurs d'intérêt général; la seconde, à examiner des objets d'intérêt général moins importants et moins majeurs;

« 3° Qu'elle n'entend cependant pas s'astreindre à ne point employer la séance entière aux objets les plus importants quand les circonstances l'exigeront.

« 4° Afin que tous les députés soient instruits des matières dont l'Assemblée s'occupera, on affichera au bas de chaque tribune un tableau de l'ordre du lendemain, qui contiendra l'énumération des objets qui devraient être traités, ou qui auront été ajournés;

« 5° Que tous les députés qui auront quelque motion importante à proposer en préviendront d'avance le président, afin qu'on puisse afficher l'objet de la motion et le nom de son auteur;

«6° Que le comité de constitution présentera le dimanche, 28 de ce mois, la série ou tableau raisonné de tous les objets à décréter pour achever la constitution, et les articles nécessaires pour expliquer les décrets dans lesquels les principes ont été consacrés ;

« 7° Que l'Assemblée s'occupera, sans discontinuer, de décréter les projets de décrets relatifs aux finances, et présentés par le comité; et qu'ensuite elle reprendra, les jours désignés, le travail de la constitution, en commençant pas l'ordre judiciaire;

8° Que, dans l'espace de huit jours, les différents comités présenteront l'ordre de leurs travaux et dresseront le tableau des objets primitifs de leur travail et des objets qui leur ont été renvoyés ;

«9° Que désormais il ne sera reçu de députation que dans les séances du soir;

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< 10° Qu'enfin, dans aucun cas, l'Assemblée ne lèvera la séance que le président ne l'ait prononcé. »

M. de Lafayette. J'appuie la motion de M. de Menou et toutes celles qui pourront assurer notre marche, calmer l'inquiétude, confondre la calomnie.

Que diront, en effet, nos détracteurs, lorsque l'Assemblée nationale, repoussant les motions incidentes, évitant les séances stériles ou orageuses, aura déterminé ses devoirs et son travail par deux mots: constitution et finances?

Finances, parce qu'en même temps que la Révolution, en rendant au peuple tous ses droits, doit assurer pour toujours son bonheur, il n'est pas moins vrai que, dans le moment actuel, le peuple souffre, le commerce languit, les ouvriers sont sans ouvrage, et que, dans ce grand mouvement de la fortune publique, tout délai nous perd.

Constitution, parce qu'avec elle on a tout; législatures représentatives, où la loi se forme avec sagesse; ordre judiciaire dont les jurés soient la base; administrations électives, mais graduellement subordonnées au chef suprême; armée disciplinée sans qu'on puisse en abuser; éducation qui grave tous les principes et recueille tous les talents; une nation tranquille sous les armes de la liberté; un roi investi de toute la force qu'exige une grande monarchie, et de l'éclat qui convient à la majesté d'un grand peuple; enfin, une organisation ferme et complète du gouvernement, et cette définition distincte de chaque pouvoir, qui seule exclut toutes les tyrannies.

Je dois rappeler à l'Assemblée que les gardes nationales, dont le zèle est aussi constant qu'éner. gique, brûlent de trouver dans nos décrets leur place constitutionnelle, et d'y lire leurs devoirs; mais je conviens que le travail judiciaire presse d'autant plus que trop souvent la loi rencontre dans ses principaux organes des adversaires, et que des factions de tous genres peuvent encore tenter, dans leurs coupables égarements, d'opposer des obstacles ou des prétextes à l'établissement de l'ordre public.

Et peut-être quelque impatience est-elle permise à celui qui, ayant promis au peuple, non de le flatter, maís de le défendre, s'est promis à luimême que la fin de la révolution, « en le replaçant exactement où il était lorsqu'elle commença, » le laisserait tout entier à la pureté de ses souvenirs.

M. le vicomte de Toulongeon. Tant que le pouvoir judiciaire n'est point organisé, nous n'avons rien fait; s'il était possible qu'il ne le fût pas pendant que nous sommes réunis, le pouvoir judiciaire nous désorganiserait quand nous serions séparés. Je demande que la discussion commence demain, et que tout ce qui concerne la constitution, l'établissement et les fonctions de l'ordre judiciaire soit décrété pendant la prochaine tenue des assemblées de département et de district, et qu'elles ne puissent être séparées ni prorogées jusqu'à ce qu'elles aient procédé à l'élection des officiers qui composeront les tribunaux.

M. le comte de Clermont-Tonnerre. La motion présentée par M. de Menou me paraît d'une telle importance, et tellement propre à rapprocher et réunir tous ceux qui, différant peut-être d'opinion, ne diffèrent pas de sentiment et sont également attachés à la constitution, que

je me reprocherais de vous arrêter un moment. Si quelqu'un veut parler contre la motion, je réserve la parole pour lui répondre.

M. Goupilleau. Je propose en amendement que la séance du matin ne soit pas divisée en deux parties.

M. de Montlosier. Je réclame une exception en faveur de la compagnie des Indes, et je demande que le comité de constitution fixele terme de la séparation de l'Assemblée actuelle. (Il s'élève beaucoup de murmures.) Je le demande pour la liberté, pour la constitution; je le demande pour l'ordre; je le demande pour la paix; je le demande pour la tranquillité publique; je demande qué le comité dise: « Voilà une assemblée permanente revêtue de tous les pouvoirs; mais ce monstre, si j'ose le dire, ne sera pas éternel. » Il faut en fixer la durée, soit à six mois, soit à un an, soit à deux ans.. (Les murmures ne laissent pas achever M. de Montlosier.)

M. Charles de Lameth. Ce n'est pour combattre ni M. de Menou, ni M. de Toulongeon que j'ai demandé la parole, mais simplement pour les accorder. C'est pour rappeler qu'il y a aujourd'hui trois semaines que vous avez décrété les articles qui font prendre à l'armée sa place dans la constitution. Ces articles ne sont point acceptés. Je rappelle avec quelle activité l'Assemblée demandait autrefois cette acceptation; je rappelle qu'à Versailles un seul our separait pas que les articles constitutionnels ne fussent acceptés. C'est avec cette énergie, c'est avec ce courage que rien n'a pu ébranler, que nous sommes arrivés à l'époque où nous nous trouvons; et je puis dire qu'en ce moment même nous avons encore besoin de ce courage et de cette énergie.

Je demande que dans le jour M. le président se retire pardevers le roi, et que demain l'Assemblée ne désempare pas que l'acceptation n'ait été donnée aux décrets constitutionnels sur l'armée.

M. le comte de Montmorency. La motion de M. de Menou, par ses motifs et par ses avantages reconnus, ne demande pas une plus longue discussion: je propose de délibérer sur-le-champ, et d'adopter l'amendement de M. Goupilleau. Je demande la question préalable sur la proposition de M. de Montlosier. Il me semble extraordinaire qu'à l'instant même où nous témoignons le désir d'accélérer nos travaux, on vienne les arrêter encore. Nous ne pouvons fixer un temps que nous ne connaissons pas, et dont la durée dépend peutêtre de plusieurs motions comme celle-là.

M. de Saint-Martin. Vous savez que tous ces grands corps appelés parlements sont antirévolutionnaires. Une lettre que j'ai reçue hier de Toulouse m'annonce que ce parlement se distingue par son aristocratie. Il emploie toutes sortes de moyens pour empêcher l'exécution de vos décrets, et notamment la déclaration pour la contribution patriotique. La chambre des vacations travaille beaucoup, mais elle ne juge que les grands procès par écrit, et très peu de procès d'audience: les audiences ne durent qu'une demibeure.

MM. de Cazalès et de Lautrec demandent la preuve de ces faits.

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