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avaient été offertes par le prieur de l'abbaye de Belleval cette abbaye possédait une somme considérable, fruit des économies de plusieurs années; voisine d'une armée étrangère, à la suite de laquelle marchent des brigands dans l'espoir du pillage, elle vient de faire remettre cette somme entre les mains du maire de Sedan, qui est chargé de l'envoyer à la caisse des dons patriotiques. Je demande que M. l'évêque de Montpellier, abbé de Belleval, et les députés de Sedan, soient autorisés à écrire à ces religieux, pour leur témoigner la satisfaction de l'Assemblée.

(On applaudit, et la proposition est acceptée.)

M. Lanjuinais, membre du comité ecclésiastique, observe que dans plusieurs monastères il y a eu des soustractions de mobilier faites par les religieux, et qu'il est instant d'entendre la lecture d'un projet de décret préparé sur ce sujet par le comité, ainsi qu'un autre projet de décret relatif à l'exécution de la loi qui a supprimé les ordres monastiques.

L'Assemblée met cette question à son ordre du jour de demain, à l'ouverture de la séance.

M. Bouche. Je demande si le comité des pensions a enfin reçu communication du fameux Livre rouge et s'il est prêt à en rendre compte

à l'Assemblée?

M. Camus, membre du comité des pensions, annonce au contraire que le comité désire que son compte rendu soit renvoyé à un autre jour, lorsque le comité aura pris une plus ample connaissance du Livre rouge. Il annonce seulement que par la lecture rapide qu'il en avait faite, le comité s'était confirmé dans l'opinion déjà commune à tous les Français, et avait reconnu partout les traces de la sage économie du roi, qui, trop facile peut-être à céder aux prodigalités de quelques ministres, et à l'avidité de quelques courtisans, n'avait réservé que pour lui les sacrifices et les privations.

L'Assemblée nationale, toujours heureuse de trouver de nouveaux motifs d'aimer son roi, applaudit vivement à ce récit.

M. Gossin, membre du comité de constitution, propose un décret qui est adopté ainsi qu'il

suit :

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L'Assemblée nationale, de l'avis de son « comité de constitution, décrète :

"

Que les communautés du comté de Vaufray, petit canton du Sundgaw en Alsace, celle dé Goumoy et leurs territoires, sont réunies à la Franche-Comté, suivant le choix que les habi"tants de ces lieux ont fait, en exécution des « décrets précédemment rendus, et que ces com«munautés sont comprises dans le district de St.-Hippolyte, département du Doubs. »

M. le marquis de Bonnay, secrétaire. Des contestations journalières s'élevent sur l'ordre de la parole; je demande qu'il soit pris des mesures pour y mettre un terme et je vous propose le décret suivant :

« L'Assemblée nationale décrète que nul mem"bre à l'avenir ne pourra demander la parole • que dans la séance même où il voudra l'obtenir, et que toutes listes de paroles antérieures

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« à cette séance seront annulées. »

(Ce décret est mis aux voix et adopté.)

M. le marquis d'Estourmel propose de charger le comité de constitution de présenter

incessamment un projet de décret pour expliquer, à cause de la coutume, comment le décret du 28 décembre dernier, sur l'ordre judiciaire, sera exécuté dans le Cambrésis.

Cette motion est renvoyée au comité de constitution.

M. Rabaud de Saint-Etienne, président, prend place au fauteuil, à 10 heures et demie.

La discussion est reprise sur le projet de décret pour le remplacement de la gabelle.

Sur les représentations de quelques membres, l'article 3 précédemment décrété est modifié ainsi qu'il suit :

Art. 3. «Une contribution sur le pied de deux millions par année, formant les deux tiers seulement du revenu que le Trésor national retirait des droits de traite de toute espèce sur le transport du sel destiné à la consommation des provinces franches et rédimées, sera (provisoirement aussi et pour la présente année seulement) répartie sur les départements et les districts qui formaient ces provinces et payaient ces droits, en raison de la consommation que chacun de ces départements et districts faisait du sel soumis à ces droits, et de la somme dont il contribuait pour chacun de ces droits, lesquels seront supprimés, ainsi que tous autres droits qui se perçoivent sur les sels à leur extraction des marais salants, sauf à ceux qui auraient acquis ces droits du roi à poursuivre le recouvrement de leur finance. »> L'article 4 est supprimé.

L'article 5, devenu le quatrième, est ainsi conçu: Art. 4. « La contribution ordonnée par les articles 2 et 3 sera répartie sur les contribuables par forme d'addition proportionnelle à toutes les impositions réelles et personnelles, et aux droits d'entrée des villes, tant de ceux qui appartiennent à la nation, que de ceux qui se lèvent au profit des villes elles-mêmes. >>

M. Dupont (de Nemours) propose, après ces mots, « sera répartie», d'ajouter ceux-ci, « suivant l'ancienne division du royaume. »>

M. Armand présente cet amendement : « L'Assemblée nationale n'a pas entendu renoncer au remplacement entier de ce qui rentrait net au Trésor royal, ni porter atteinte aux intérêts des provinces rédimées. »

M. Nairae. Cet amendement est injuste les provinces rédimées n'ont donné, pour se racheter de la gabelle, que 1,900,000 livres; les provinces de grandes gabelles vont payer 40 millions.

M. le comte de Crillon. Cet amendement tend à faire renaître une question dangereuse, jugée et rejetée.

(L'amendement de M. Armand est écarté par la question préalable.)

M. Delley d'Agier. Je propose d'imposer les 40 millions destinés à remplacer les deux tiers de l'impôt de la gabelle, de manière qu'il en soit réparti un quart sur les impôts réels ou territoriaux; un quart sur la capitation; un quart sur les vingtièmes des maisons, châteaux, maisons bourgeoises et de campagne; un quart sur les entrées qui se perçoivent aux portes des villes et des bourgs ayant plus de mille habitants.

M. de Lafare, évêque de Nancy (1). Messieurs,

(1) L'opinion de M. de Lafare n'a pas été insérée au Moniteur.

la gabelle était jugée les peuples en ont fait justice. Cet impôt inégal dans sa répartition, inquisitionnel et désastreux dans sa perception; cet impôt, qui, depuis cinq siècles, cause chaque année des malheurs locaux sans nombre, et qui prive annuellement la France du travail utile de tant de bras armés contre leurs concitoyens, a été brisé par le choc d'une liberté nouvelle ses débris existent encore, épars çà et là, dans ce vaste empire; mais c'en est fait pour toujours : ce colosse est enfin renversé; et la constance du génie fiscal, quelque infatigable qu'elle puisse être, ne sera pas capable de le relever.

Aussi, Messieurs, il ne peut pas être question de rendre à cet impôt une existence durable. Le premier ministre des finances s'est borné à vous proposer d'étayer, s'il était possible, pour quelque temps encore, cet impôt chancelant.

Accablant dans ses effets, il était d'une res source importante dans son produit, puisqu'il rendait annuellement à l'Etat une somme de 58,000,000; dans les circonstances où nous sommes, un pareil produit est d'une grande nécessité sans doute, mais la force de l'opinion commande, et le peuple ne veut plus acheter à ce prix arbitraire, qui n'avait aucune proportion avec la valeur réelle, une denrée de nécessité première que la nature a voulu prodiguer à la France.

Ce n'est donc qu'un parti provisoire que le premier ministre des finances a voulu et pu proposer à l'Assemblée nationale, lorsqu'il lui demande de statuer que, jusqu'à l'établissement du nouveau système de finances, le sel soit payé au taux uniforme de 6 sols la livre, dans toutes les provin ces de gabelles, où le taux était ci-devant supérieur.

Mais cette opération a des inconvénients sensibles. Elle en a de généraux pour la France entière elle en a de particuliers et locaux; et sous ce rapport, la province de Lorraine, dont j'ai l'honneur d'être député, a des intérêts impor

tants à défendre.

Les inconvénients généraux pour la France, seraient :

1 Le rétablissement légal d'un impôt qu'il faut proscrire et anéantir. Modeste à son retour comme il le fut à son origine, cet impôt pourrait grandir encore; et malheur à la France s'il y jetait de nouvelles racines!

2o L'uniformité du prix de six sols la livre dans toutes les provinces où le prix était ci-devant supérieur, serait distributivement injuste, puisqu'il est évident que le prix ne doit pas être le même pour la province voisine de la fabrication, et où le sel se transporte à moindre frais, que pour celle qui, située à une grande distance, nécessite des frais de transport beaucoup plus considérables.

3o Ce système couvrirait encore une partie de la France de contrebande, de gardes, et par conséquent de malheurs.

Dans les inconvénients particuliers et locaux, la Lorraine serait essentiellement intéressée; et c'est spécialement son intérêt compromis que j'ai cru de mon devoir de mettre sous les yeux de l'Assemblée.

Jusqu'à l'époque de 1771, cette province était en possession de ne payer le sel de la consommation, qu'à raison de six sols trois deniers de Lorraine la livre.

Dans le calcul du pays, la différence du cours de l'argent de France au cours de l'argent de Lorraine, est d'un quart en sus, et du sixième du quart, de manière que trois livres au cours de

France, valent au cours de Lorraine trois livres dix-sept sols, six deniers.

Cette explication, Messieurs, vous était nécessaire pour concevoir, qualifier et juger l'iniquité de l'opération d'un contrôleur général des finances, aussi connu par l'énergie de ses talents, que par l'injustice ordinaire de ses moyens.

En 1771, par un acte émané du conseil, l'abbé Terray fit convertir pour la Lorraine la valeur du prix du sel, du cours de Lorraine au cours de France; et par cette opération, la livre de sel, qui jusque-là s'était vendue six sols trois deniers de Lorraine, a été vendue, depuis cette époque, six sols trois deniers, cours de France, c'est-àdire huit sols vingt et un vingt-quatrième de Lorraine.

La Lorraine, Messieurs, n'a cessé de réclamer contre ce grief; et s'il était possible que la gabelle put se relever du coup qui l'a frappée, elle attendrait de votre justice ce redressement.

Aujourd'hui, à l'exemple des provinces voisines, et notamment de la Champagne, le prix du sel a été baissé de moitié dans toute l'étendue de la province, de manière que la livre de sel ne se paie plus que trois sols, cours de France.

A l'époque de 1771, le prix était de quatre sols sept deniers vingt-trois vingt-septièmes, cours de France; il fut alors indûment porté à six sols trois deniers, même cours; de sorte qu'en le fixant désormais à trois sols, le peuple a semblé vouloir compenser le grief du surhaussement de prix qu'il a éprouvé pendant dix-huit années.

Quoi qu'il en soit, Messieurs, votre décret ne pourrait assujettir la Lorraine à payer le sel au taux uniforme de six sols la livre, sans continuer et confirmer l'injustice qu'elle a éprouvée, et sans lui imposer une loi plus onéreuse qu'à aucune autre province de gabelles.

Votre sagesse va apprécier aisément combien sa plainte serait juste et sa réclamation fondée. Deux sortes de sels approvisionnent généralement le royaume; le sel gris, autrement dit le sel marin, et le sel blanc.

La Lorraine est approvisionnée de ce dernier sel, et la fabrication s'en fait dans les salines mêmes de la province.

Je dois dire en passant, qu'à raison du traité fait entre la France et la Suisse et divers Etats d'Allemagne, il se fait une grande extraction de ce sel pour l'étranger, auquel il est vendu à un prix très inférieur à celui que paient les habiiants de la province.

Je dois aussi vous faire remarquer, Messieurs, que la fabrication des sels consomme dans nos salines une quantité immense de bois : il résulte de là que le bois de chauffage augmente annuellement de prix dans la province; et ce surhaussement graduel du prix du bois doit nécessairement être réputé additionnel du prix du sel de notre consommation.

:

Mais il est une considération plus importante encore c'est qu'il a été prouvé, reconnu et constaté par des expériences réitérées, que la différence de qualité, entre le sel de Lorraine et le sel marin, est du tiers, de sorte qu'une livre de sel marin équivaut à une livre et demie de sel de Lorraine."

Ainsi la Lorraine payant son sel indigène le même prix que la Champagne paierait le sel marin, c'est-à-dire six sols la livre, ce serait, dans le fait, comme si elle le payait neuf sols la livre à raison de la différence de qualité de l'une et de l'autre espèce de sel: bien loin donc que la Lorraine trouvât aucun avantage dans le parti pro,

posé par le ministre des finances, elle serait, au contraire, d'autant plus grevée que la première injustice dont elle demande le redressement, semblerait confirmée, et par le fait elle serait plus chargée respectivement qu'aucune autre province de gabelle.

Au surplus, ce parti ne remplirait pas plus en Lorraine que dans les autres pays de gabelle l'objet du gouvernement, celui d'assurer un recouvrement pour cette année. Tous les cantons de la province sont approvisionnés de sel pour un temps considérable, et d'ici à plusieurs mois. la perception serait à peu près nulle.

Un honorable membre a proposé de supprimer dès à présent la gabelle dans chaque province, et d'y permettre la vente libre du sel, en substituant une taxe en argent, laquelle serait répartie pour les six derniers mois de la présente année, et serait versée le plus tôt possible au Trésor public.

Mais quelle serait la base de cette imposition? sera-t-elle additionnelle aux vingtièmes, ou à la capitation? additionnelle aux vingtièmes, elle serait, pour chaque contribuable, plus considérable que la taxe même des vingtièmes, puisque le produit des deux-vingtièmes et quatre sols pour livre du premier ne s'élève qu'à 55 millions, et que celui de la gabelle est de 58 millions. Ce serait donc pour le propriétaire et le cultivateur une charge insupportable, qui n'aurait plus aucune proportion avec la consommation qu'elle représenterait; car il ne faut pas oublier que la gabelle est un impôt de consommation, et que de convertir, comme par un coup de baguette, un impôt de consommation en un impôt direct, additionnel et au marc la livre d'un impôt direct déjà existant, c'est une opération monstrueuse qui, n'ayant plus ni mesure ni proportion avec le premier état, dérange l'équilibre de l'impôt direct, ébranle infailliblement et peut renverser tout l'édifice de l'impôt, déjà mal affermi.

Il faut donc renoncer à rendre le remplacement du sel, additionnel aux vingtièmes.

Encore moins peut-il être additionnel à la capitation, cet impôt étant le plus arbitraire et le plus mal assis de tous.

Quelle ressource reste-t-il donc ? C'est de se hâter d'organiser les assemblées provinciales, pour les consulter sur le meilleur et le plus facile remplacement local de la gabelle.

Un système de remplacement qui serait précipité, ou qui ne serait pas applicable partout, nuirait plus qu'il ne serait utile... Le bien local ne se fera jamais sans les agents locaux. Ces agents locaux doivent être les assemblées provinciales; et quelque pressantes et impérieuses que les circonstances puissent être relativement à l'impôt, l'institution et l'organisation des assemblées provinciales pressent davantage encore. L'impôt, quel qu'il soit, est une des fins de l'administration. Les assemblées provinciales sont les moyens de l'asseoir et de le recouvrer. Il est dans l'ordre essentiel des choses, que les moyens précèdent la fin qu'ils doivent procurer.

Néanmoins, Messieurs, avant cette organisation un moyen peut-être pourrait être employé utilement, et tendrait à moins grever les peuples, dans cette année de misère et de calamité; ce serait d'autoriser, sans délai, chaque province ou commission intermédiaire, à traiter avec le ministre des finances, pour la fixation amiable de la somme représentative de l'impôt de la gabelle, qu'elle serait dans le cas de redevoir pour les six derniers mois de cette année, et à ouvrir

chez elle, d'après cette fixation, un emprunt de pareille valeur, pour le reverser au Trésor public. L'approvisionnement du sel pour le reste de l'année, lui serait remis par la Ferme générale au prix qui serait réglé d'un commun accord, et la province aviserait, dans son intérieur, à la distribution du sel et à la fixation du prix.

Aussitôt après l'organisation des assemblées provinciales, chacune d'elles prendrait pour le remboursement de l'emprunt que le remplacement instantané de la gabelle l'aurait forcé de faire, les mesures les plus promptes et les plus convenables.

D'après ces considérations, Messieurs, mon avis est 1. Qu'il n'y a lieu à délibérer sur la proposition du premier ministre des finances;

2° Que la motion de l'honorable membre, sur la conversion actuelle de la gabelle en argent, est prématurée et inapplicable, tant que les assemblées provinciales ne seront point organisées;

3° Que le seul moyen de compenser le vide qu'éprouvera le Trésor public, par la suppression locale ou partielle de la gabelle, est d'autoriser chaque province ou commission intermédiaire, à traiter avec le ministre des finances pour la fixation amiable de la somme représentative de la partie du produit de la gabelle qu'elle serait dans le cas de redevoir sur cette année, et à ouvrir ensuite chez elle, d'après cette fixation, un emprunt de pareille valeur, pour en verser, le plus promptement possible, le montant dans le Trésor public.

M. de Saint-Martin. En admettant le mode proposé par le comité, le peuple ne serait nullement soulagé ; les capitalistes ne seraient point assez imposés, car pour que leur contribution soit exacte et vraiment proportionnelle, elle doit être en raison composée de leur condition et de l'excédent de leur revenu. Les cultivateurs paient tous les impôts, les capitalistes ne paient que la capitation. Je propose de faire porter uniquement sur la capitation le remplacement de la gabelle.

M. Fricaud. La taille forme les deux tiers des impositions: elle est établie à raison des propriétés foncières les propriétaires fonciers paient aussi une partie de la capitation ainsi une seule classe de citoyens paierait les trois quarts des 40 millions. M. de Beaumetz a déjà proposé de faire porter l'imposition des 40 millions sur la capitation: une partie de cette somme peut être perçue sur les droits d'entrée des villes. Ce mode est le plus équitable; il ne blesse les intérêts de personne; chacun est capité suivant sa fortune, chacun supportera et paiera donc ce qu'il doit payer. Tout le monde consomme du sel; l'impôt atteindra tout le monde.

M. Jac. Il est des villes qui n'ont pas de droits d'entrée, d'autres en ont pour subvenir à leurs propres besoins; on ne peut donc pas toucher à ces droits. Il est cependant nécessaire de ne pas trop augmenter les impositions que supportent les terres. Je propose de faire porter un tiers du remplacement sur les terres, un tiers sur la capitation, un sixième sur les maisons des villes, et un sixième sur celles des campagnes.

M. Vieillard (de Reims) propose d'ajouter à la fin de l'article, «la répartition sur les municipalités sera faite dans la proportion de la consommation et du prix du sel. »

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Dupont (de Nemours). Le comité s'est occupé de la forme de la répartition des impôts dans les villes. On doit prendre garde qu'il faut adopter un impôt qui n'existe que pendant cette année, et qui puisse se percevoir promptement. Toutes les mesures ont été prises sur cet objet; les moins imparfaites seront les meilleures. L'imposition sera moins onéreuse, en l'étendant le plus possible sur toutes les autres contributions. La somme ainsi divisée sera plus facile à porter.

M. de Cazalès. On propose de rétablir sur les terres le remplacement de la gabelle; cette manière d'imposer, funeste dans tous les temps, serait impossible dans les circonstances présentes. L'impôt demandé porterait sur la taille; la taille porte sur le blé ainsi l'impôt du sel sera remplacé sur le blé. Si la taxe sur les terres est excessive, la culture de toutes les terres médiocrement bonnes sera abandonnée; le prix du blé s'élèvera à la hauteur de l'impôt, et le peuple n'y pourra atteindre. Je défie l'économiste le plus intrépide de me nier ces résultats. J'ai déjà parlé de la proportion nécessaire entre les impôts directs et les impôts indirects: il est simple de remplacer une imposition directe par une imposition indirecte; cela est bien plus sage, cela est bien plus juste, parce qu'alors la proportion n'est pas violée. L'impôt direct, tel qu'il existe, n'était perçu que par le moyen des saisies et des contraintes; il ne peut être augmenté, ou bien la perception effective ne sera pas réalisée. La proposition que je vous ai déjà faite d'établir un droit de timbre, est plus commode, plus sûre et plus facile à exécuter.

On a dit que ce droit serait étendu sur les provinces qui ne porteraient pas de gabelles; mais on peut le fixer pour les provinces gabelées seulement, et différer de l'établir sur les autres jusqu'à ce qu'un système général ait été présenté. Je conclus à ce qu'un impôt direct ne remplace pas un impôt indirect; que le comité des finances présente incessamment un projet d'impôt indirect, et que ce comité entende ma proposition sur le timbre. Le succès de vos vues dépend de l'établissement des départements je fais la motion expresse que le roi soit supplié d'ordonner le plus promptement possible l'exécution de vos décrets à cet égard.

M. l'abbé Maury. Nous éprouvons en ce moment combien il est dangereux de discuter partiellement. Nous n'avons encore aucun principe arrêté sur l'impôt, et l'Assemblée se trouve pour ainsi dire abandonnée au milieu d'un chaos où douze cents pensées se croisent et se combattent. Vous n'avez pas encore énoncé votre von sur la proportion entre les impôts directs et les impôts indirects. Comme le remplacement de 60 millions ne doit pas s'étendre sur la totalité du royaume, je pense qu'en dernier résultat, malgré les moyens proposés pour soulager la terre, ce remplacement n'est qu'un véritable impôt territorial qui, d'un côté, est funeste à tous les citoyens, et de l'autre, impossible à percevoir.

Les impositions directes, en France, s'élèvent à 200 millions; 40 millions sont le sixième de l'imposition totale; ainsi, un particulier qui paie aujourd'hui 5,000 livres, paiera désormais 6,000 livres, c'est-à-dire que 50 ou 60 livres de sel lui coûteront 100 pistoles. Ce calcul me paraît évident il est donc vrai que le remplacement de la gabelle est une calamité pour tous les citoyens. La perception est impossible. M. de Cazalès a

dit que tout impôt indirect porte sur le blé : j'adopte pleinement ce principe, et pour le rendre plus sensible, je demande si votre humanité, votre patriotisme ne seraient pas sensiblement révoltés si quelqu'un de vous proposait de mettre un impôt sur le pain?... (Des murmures s'élèvent dans une partie de l'Assemblée). Tout impôt direct est un impôt sur la terre; tout impôt sur la terre est un impôt sur le blé; tout impôt sur le blé est un impôt sur le pain, et toutes vos opérations doivent tendre à diminuer les impositions directes plus vous les diminuerez, plus l'agriculture, plus le commerce seront tlorissants, plus vous assurerez le bonheur du peuple. Je sens que ce raisonnement est contraire au système des économistes; une nation sage ne peut se livrer, contre l'expérience, à des idées systématiques. Chez les peuples barbares, les impositions directes surpassaient les impositions indirectes; chez d'autres peuples il en était autrement la misère des uns et l'opulence des autres a jugé cette grande question. Il serait inconcevable qu'on parvint à nous faire croire que l'imposition ne sera que provisoire; on fera bien voter pour trois ans ce qui aura été adopté pour trois mois ; la police d'un grand empire doit veiller sur la santé des citoyens. Sur les bords de l'Océan on ne ramasse pas le sel, le flux et reflux agitent trop l'eau pour qu'elle soit stagnante et qu'elle puisse s'évaporer par le soleil : sur les bords de la Méditerranée, il se forme naturellement dans les marais infects, et cette manière de se former a occasionné deux cents épidémies dans le royaume. Ce sel est d'autant plus dangereux qu'on ne peut le reconnaître il a la même couleur, le même goût, la même forme. Il est donc certain que le corps législatif doit prendre en considération ces dangers. La santé du peuple ne peut vous paraître indifférente. (On observe que le remplacement de la gabelle est l'objet de la question). Le gouvernement a recueilli ces connaissances en 1711, au sujet d'une épidémie mémorable qui fit un grand ravage dans les provinces du Midi. Je propose un projet de remplacement qui concilie la liberté, la sûreté des citoyens et les intérêts du fisc. Il y a quatorze cents ans que l'impôt du sel est établi en France: il était connu dans la république romaine; or, quand il s'agit de charges publiques, je vous observe que les mœurs du peuple prennent de certaines habitudes qu'il est dangereux de rompre. On a parlé du timbre: je n'en parlerai pas, quoique je le croie très avantageux; mais je propose un impôt très modéré sur le sel lui-même. Je ne demande pas le rétablissement de la gabelle; je suppose au contraire le sel libre et marchand dans tout le royaume. (Murmures). Je supplie ceux qui murmurent de mettre à la place un plan plus raisonnable; je l'adopterai avec transport. Le mien consiste à lever dans tous les marais salins un sou par livre de sel, payé par le vendeur, comme tous les impôts indirects doivent l'être; il en résultera que le sel sera libre et marchand dans tout le royaume, qu'il sera bon, puisque les collecteurs de l'impôt y veilleront, et que cet impôt sera d'un produit énorme pour l'Etat.

Chaque individu consomme douze livres de sel par an; vingt-quatre millions d'hommes fourniront dès lors au Trésor public 14 millions. Voilà le peuple délivré de toute entrave, assuré de sa santé, vraiment soulagé; eh bien ! ce n'est rien encore. Ajoutez les bestiaux; voyez ce que consomment soixante millions de moutons; voyez ce que consomment les chevaux, etc. Cette augmen

tation est incalculable. Je n'ose répondre de tous mes calculs; mais je trouve, en me défendant de toute exagération, 50 millions sur le sel, payés d'une manière douce et insensible. La crainte du retour de la gabelle n'est qu'une effrayante chimère. Si l'on peut rétablir la gabelle, on peut nous enchaîner tous dans des cachots; mais on dira que cet impôt porte sur toute la France. (Murmures.) Si jamais, dans une discussion, on a dû s'attendre à des murmures, c'est dans ce moment: je serai doncfréquemment interrompu; mais je préviens que cela n'avance pas la discussion. J'avoue qu'avec la persuasion profonde où j'étais l'année dernière, que les provinces avaient des privilèges, que le régime ne devait pas être uniforme, l'objection est insoluble. J'avoue avec la même bonne foi (Il s'élève des clameurs)... On plairait donc à cette Assemblée en changeant de principe quand on change de cause? Quoi! le 11 du mois de janvier, on aurait jugé la Bretagne comme n'ayant pas de privilèges, et on la jugerait, le 18 mars, comme ayant des privilèges? Que peut-on répondre à ce dilemme ? Ou les privilèges existent, ou ils n'existent pas. S'ils n'existent pas, rien n'empêche de mettre de niveau toutes les provinces, et d'y établir le même impôt. S'ils existent, est-ce à vous à accorder ou à refuser des faveurs? Mais dans le cas où les privilèges de quelques provinces existeraient, je demande que ces provinces n'entraînent pas le malheur de tout le royaume. On dira enfin que ce système pourra être adopté l'année suivante. Je dis qu'il est absurde de demander le sixième des impositions, et que c'est leurrer les créanciers de l'Etat, que de leur présenter ce gage. Il faut vingt-deux mois pour percevoir un impôt direct. Quels malheurs ne peut-on pas prévoir jusqu'à ce que ce temps soit écoulé ! Je dis que c'est assez nous fatiguer de palliatifs inutiles, qui n'ont rien appris, si ce n'est qu'on nous abandonne à nous-mêmes. Nous cherchons la cause du discrédit; la voici : nous n'avons nul ordre dans nos délibérations. (On rappelle l'opinant à la question); j'y suis; ne vous effrayez pas, quand je parle du désordre de nos délibérations; je dis qu'on ne nous présente pas de plan général, qu'on ne nous a jamais dit: voilà ce que vous devez, voilà ce que vous avez, voilà ce qu'il faut vous procurer. On nous a demandé un jour 30 millions, un jour 60 millions, un autre jour une contribution patriotique du quart du revenu; où est ce génie qui devait éclairer la nation? comment avons-nous été conduits ? qu'a-til fait? L'état des finances, qui ne devait être un secret pour personne, est un mystère impénétrable pour le corps législatif; pourquoi craint-on de nous faire connaître nos maux ? C'est ainsi qu'on se voit forcé de rendre des décrets partiels, incohérents, qui se contredisent et se combattent. Ce n'est point ainsi que les ministres se conduisent en Angleterre, et le crédit y est puissant et la prospérité y règne. Il semble qu'on ait voulu nous fatiguer du poids de notre propre ignorance, nous envelopper de ténèbres. (On applaudit presque dans toutes les parties de la salle.) Quelle aurait dû être la conduite d'un ministre auquel on avait donné les talents et le génie ? ll serait venu dans cette Assemblée vous éclairer de ses lumières; remarquez que c'est son silence qui a occasionné les divisions de cette Assemblée. (Grands cris, longues clameurs de quelques membres.)

M. le Président rappelle au silence.

M. l'abbé Maury. Il serait bien malheureux

qu'un vœu formé par un citoyen, par un représentant de la nation, fût travesti en personnalité, quand on regrette qu'un grand ministre n'ait pas voulu ou n'ait pas pu nous renfermer dans la question... S'il eût voulu devenir le compagnon de nos travaux (M. de Toulongeon: Il l'a voulu!) nous montrer ce qu'il fallait envisager dans toute son étendue et sous tous ses rapports, la nation connaîtrait ses ressources; et pour retrouver le crédit, elle n'a qu'à les connaître. Je n'ai point offensé le ministre : vous avez parlé d'impositions, je me suis permis de vous tracer la route que j'aurais voulu suivre ; je l'ai fait sans passion, sans vengeance; mon cœur n'est pas capable de tels sentiments. J'aurais désiré qu'on eût tracé cette route à votre patriotisme, parce qu'il était empressé d'y entrer; j'aurais désiré que la confiance du roi et de la nation pour un ministre ne vous aveuglåt pas sur vos droits de représentants. Rappelez-vous que jamais corps législatif n'a été assemblé pendant onze mois, sans qu'on lui ait présenté un plan général des finances; on vous a traités, je rougis de le dire, comme des enfants mineurs on ne vous a présenté ni la dette, ni le revenu, ni la masse totale des besoins; aucun député de bailliage n'est venu pour administrer les finances; il y avait un administrateur, nous comptions sur ses lumières; ces lumières existent encore, nous n'avons pas recueilli les avantages.

M. le Président rappelle l'opinant à la question.

M. le comte de Mirabeau. M. le président, je demande à prouver que vous avez tort de dire que le préopinant n'est pas dans la question.

M. l'abbé Maury reprend : Les moyens qu'on a proposés ont toujours été des moyens particuliers: on a demandé des emprunts, on a demandé une contribution patriotique, on a emprunté à la caisse d'escompte. Il faut un plan général; il faut traiter les principes. Je déclare que je ne veux plus rien adopter de confiance. Je demande au ministre s'il a un plan, et au bout de onze mois, ma question n'est point indiscrète; s'il a un plan, son génie et sa vertu nous en font espérer le succès. L'ensemble de toutes les questions sera moins difficile qu'une seule; l'art de généraliser est l'art de simplifier. Puisque le premier ministre n'a pas été consulté sur le remplacement de la gabelle, je demande que l'on nomme sur-le-champ quatre membres, pour lui demander s'il a un plau général de finances. Il l'a annoncé le 5 du mois dernier; s'il n'en a pas, l'Assemblée ne saurait prendre des mesures trop promptes; c'est de ses lumières qu'elle devait l'attendre; c'est dans le zèle de ses membres que l'Assemblée doit le trouver.

M. le comte de Mirabeau demande la parole.

M. de Toulongeon la demande aussi.
On crie à l'ordre du jour.

L'Assemblée est consultée.

Le côté droit est d'avis d'entendre M. le comte de Mirabeau; le côté gauche refuse la parole; la majorité ne la lui accorde pas.

M. Démeunier. Nous sommes loin de l'ordre du jour, je vais m'y replacer. Vous avez décrété que la gabelle sera abolie dès le 1er avril prochain; vous avez décrété un remplacement de 40 millions; il fallait s'occuper de ce remplace

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