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dépouiller ce magistrat du caractère dont la loi l'a revêtu, et le renvoyer comme un criminel de lèse-nation au châtelet de Paris; car si, à l'exemple de votre comité des rapports, vous ne pouvez justifier votre décret, que par des faits postérieurs à ce décret même, vous serez forcés de convenir qu'il avait été rendu sans motif légitime, et que le roi n'avait pas dû le sanctionner.

D'ailleurs, Messieurs, ce magistrat n'a fait à l'égard de la municipalité de Marseille, que ce qu'il devait en pareil cas.

Il était troublé dans ses fonctions par des officiers municipaux qui osaient lui demander compte de sa procédure, et même l'élargissement de plusieurs prévenus qui sont devenus leurs collègues.

Le magistrat devait donc, et c'était un devoir impérieux pour lui, faire rentrer dans les bornes de leur mission les officiers municipaux, faire respecter l'autorité de son tribunal, et les obliger à se contenir dans les limites que vos décrets leur ont tracées.

J'ajouterai à cette occasion, que si le prévôt général de Provence eût été aussi terrible dans ses actes de justice qu'on le prétend aujourd'hui, il aurait appris à ces officiers municipaux par un jugement sévère, mais avoué par les lois, quelles sont les fonctions propres au pouvoir municipal, quelles sont celles qui peuvent lui être déléguées, et quel est l'exercice qui lui est confié sous la surveillance des agents du pouvoir exécutif, et toujours sous l'autorité du roi.

Voilà ce que les officiers municipaux ne doivent jamais oublier; tout acte de leur part qui sortirait de ces principes serait une entreprise répréhensible, une usurpation de l'autorité souveraine; et certainement, Messieurs, lorsque vous avez décrété que le pouvoir exécutif suprême résidait exclusivement dans la personne du roi, vous n'avez pas entendu que des officiers municipaux pourraient convertir leur administration subordonnée et circonscrite en une audace téméraire et en un despotisme intolérable contre les tribunaux établis pour punir le crime.

Je reviens donc aux autres griefs qu'on impute au prévôt général de Provence; ils ne présentent, comme on l'a déjà vu, que des moyens de récusation contre sa personne, et des moyens de nullité et de cassation contre la procédure qu'il a instruite.

L'article 26, titre 2, de l'ordonnance de 1670, s'explique en ces termes Les récusations qui seront proposées contre les prévôts de maréchaussée seront réglées au siège où le procès criminel devra être jugé; ce qui ne peut s'entendre que par-devant les cinq magistrats qui sont toujours pris dans les présidialités qui doivent assister aux jugements prévôtaux, et, à défaut, parmi les gradués.

Hé bien, Messieurs, puisque vous avez ordonné l'observation de cette loi, que les prévenus, que les dénonciateurs du prévôt aillent faire valoir devant le juge qui leur est indiqué leurs moyens de récusation, et qu'ils ne viennent plus ici pour nous faire perdre un temps précieux, et un temps surtout qui aurait pu être employé plus utilement qu'à écouter leurs plaintes et leurs déclamations.

L'article 13, titre 17, de la même ordonnance porte qu'avant de passer au règlement à l'extraordinaire, il sera examiné si la procédure est valablement faite, et qu'au cas qu'il y ait quelque nullité, on doit ordonner qu'elle sera recommencée aux dépens de celui qui l'a faite. Hé bien, Messieurs, puisque vous avez ordonné que la dispo

sition de cette loi serait observée, renvoyez donc les parties devant le tribunal qui doit connaître des moyens de nullité et de cassation qu'ils font donner si haut.

Enfin l'article 24, du titre 15, de la même ordonnance porte que, s'il est ordonné que les témoins seront ouïs une seconde fois, ou le procès fait de nouveau à cause de quelque nullité dans la procédure, le juge qui l'aura commise sera condamné à faire les frais et à payer les va cations de celui qui y procédera, et encore les dommages et intérêts de toutes les parties.

Jamais, Messieurs, non jamais le magistrat qui a contrevenu à la loi dans l'instruction d'un procès quelconque, jamais le magistrat qui a péché par précipitation, par ignorance, par imprudence ou par esprit de prévention, jamais, dis-je, le magistrat qui est devenu récusable par trop de passion, et qui a persisté à demeurer juge, n'a été accusé de crime de lèse-nation, ní traduit devant un tribunal institué pour punir les crimes les plus atroces et en même temps les plus vagues et pour faire trembler la vertu même.

Parcourez la loi romaine; elle était bien plus rigoureuse, puisqu'elle déclarait le juge comptable du mal jugé; parcourez les lois du royaume et les autographes, nulle part vous ne trouverez qu'un magistrat devenu récusable, qu'un magistrat qui a contrevenu à la loi dans l'exercice de ses fonctions par ignorance ou par préjugé ait été avili et confondu avec les criminels les plus odieux et les plus exécrables; vous y trouverez sans doute des magistrats, et certainement c'est assez pour des hommes qui consacrent leur vie aux fonctions les plus pénibles; vous y trouverez, dis-je, des magistrats qui ont eu, en pareil cas, la douleur et là mortification de voir leur propre ouvrage cassé avec éclat; de voir que la réfaction de leur procédure était ordonnée à leurs frais et dépens; de voir leurs personnes et leurs biens assujettis aux dommages-intérêts occasionnés par leur impéritie ou par leur faute, et de se voir enfin obligés de descendre de leur place.

Hé bien, Messieurs, supposons actuellement que le prévôt de Provence soit coupable de tous les faits qu'on lui impute. Mettons à leur aise ses calomniateurs; que la honte que l'un des préopinants a imprimée sur leur front en leur opposant la vérité des faits qu'ils avaient si artificieusement dénaturés ne les empêchent pas de se montrer de nouveau; et qu'ils apprennent que vous n'êtes pas ici pour prononcer sur des moyens de cassation, sur des moyens de récusation, mais bien pour surveiller l'exécution des lois que vous n'avez point abrogées, et qu'il ne vous reste d'autre parti à prendre que celui de renvoyer les prévenus et les déronciateurs à faire valoir leurs moyens de cassation et de récusation par-devant le tribunal qui leur est indiqué par la loi même dont vous avez ordonné l'observation.

Si le prévôt général de Provence a contrevenn à vos décrets, s'il s'est rendu récusable, s'il a prévariqué dans ses fonctions, il sera puni; il cessera d'être leur juge; les parties seront dédommagées, et ses dénonciateurs obtiendront tout ce qu'ils ont intérêt de désirer, puisqu'ils n'auront plus à craindre la vigilance et l'intégrité de ce magistrat.

Mais, Messieurs, y a-t-on bien réfléchi quand on vous a proposé de dépouiller ce magistrat du caractère dont la loi l'a revêtu sur une simple dénonciation, et de le livrer au châtelet de Paris comme un criminel de lèse-nation. Qu'on songe donc que vous êtes à la veille d'organiser le pou

voir judiciaire et de remplacer l'ancienne magistrature; qu'on songe qu'avec un décret semblable à celui qu'on vous surprit le 8 octobre, il serait difficile pour ne pas dire impossible, de trouver à

traité de criminel de lèse-nation sur la réclamation d'un ou plusieurs prévenue qui ne manqueraient jamais d'accuser leur juge de partialité, de prévarication et de contravention aux lois, ne fût-ce que pour se donner de nouveaux juges, ou pour délayer leur supplice, à moins qu'à l'exemple des citoyens actifs de la ville de Marseille, on ne fit porter les élections dans les cachots et sur les tètes qui sont sous le glaive de la justice.

Mais, me dira-t-on, peut-être, l'Assemblée nationale a déjà rendu, sur cette affaire, un décret qui ne diffère de celui que propose le comité des rapports qu'en ce que l'un renvoie au châtelet de Paris certaines pièces de la procédure, et l'autre la personne du prévôt.

Mais, Messieurs, qu'importe ce premier décret non sanctionné, si votre religion a été surprise? Je répondrai à ceux qui pourraient être retenus par cette considération, que nous pouvons nous tromper, et que, si notre faiblesse ne nous permet pas d'aspirer au rare et glorieux privilège d'être exempts d'erreur et de surprise, nous avons du moins l'avantage que la droiture du cœur offre à ceux qui ne cherchent que la vérité, de reconnaître sans peine une erreur involontaire; affligés de nous être trompés, et non pas d'être obligés de l'avouer, quand, d'ailleurs, c'est à l'invitation de notre monarque qui a tout fait pour le bonheur de son peuple et qui n'a cessé de nous donner l'exemple de la justice nous devons au moins cette marque de respect à la pureté de ses intentions, à ses touchantes sollicitudes sur les désordres qui affligent tant de provinces du royaume.

Ne perdez jamais de vue, Messieurs, qu'en reprenant tous les pouvoirs que notre roi tenait de ses ancêtres, vous lui avez laissé le pouvoir exécutif suprême, et que cependant il n'en jouit pas encore; quoique les malheurs dont nous gémissons l'exigeassent plus impérieusement que jamais pour le salut de l'Etat et la conservation de la constitution et de la liberté; ne perdez pas de vue qu'en retenant devers vous la puissance législative, vous avez entendu l'y associer puisque Vous avez voulu que vos décrets n'eussent force de loi qu'autant qu'ils fussent sanctionnés par lui et qu'il fût libre de suspendre ou de refuser sa sanction pendant deux législatures.

Veuillez vous pénétrer encore que, si ce vertueux monarque avait voulu user de la plénitude de ses droits, il aurait refusé sa sanction au lieu de nous inviter à revenir sur cette affaire et à examiner la justification du prévôt général de Provence. Songez enfin qu'il pourrait encore refuser sa sanction, et que s'il préfère de se réunir à vous pour n'avoir qu'un même vou, qu'une même volonté, qu'une même justice, cet acte de générosité vaut bien la peine, sans doute, que Vous vous conformiez à la disposition des lois, qu'il est de son devoir de faire exécuter puisque vous en avez vous-mêmes recommandé l'observation.

Et, qu'il me soit permis, Messieurs, de vous le dire, le décret qui vous est proposé par votre comité des rapports, tend évidemment à dépouiller le roi d'un dépôt précieux, d'un dépôt salutaire, que vous avez reconnu ne pouvoir exister ailleurs

que dans ses mains et dans celles de ses descendants.

En vous proposant d'ôter au prévôt.général de Provence la connaissance d'une affaire qui lui est dévolue par la loi, et de le renvoyer au châtelet de Paris, votre comité des rapports vous propose de transgresser les lois dont vous avez recommandé l'observation, et qu'il n'appartient qu'au roi de faire exécuter.

Vous n'êtes ici, Messieurs, que pour préparer des lois, que pour établir une séparation de pouvoirs qui peut seule maintenir notre liberté naissante, que pour empêcher à jamais que ces pouvoirs ne soient confondus dans les mêmes mains; et on ose cependant vous proposer un décret qui tend évidemment à les confondre sur vos têtes; et à vous rendre comptables de l'anarchie qui désole le plus bel empire de l'Europe; car il ne faut pas se dissimuler, Messieurs, que si le pouvoir exécutif est sans vigueur, sans activité, que si ses agents sont sans action, que si ses tribunaux sont muets, que si les désordres augmentent depuis huit mois, que si les lois modernes comme les anciennes ne sont pas toujours observées, que si chaque citoyen, pour ainsi dire, croit être en droit de faire prévaloir sa volonté, que s'il est des municipalités qui empiètent sur le pouvoir judiciaire, et que s'il n'a pas été possible jusqu'à présent de remédier à ces désordres, nous ne devons attribuer tous ces malheurs qu'à notre trop grande facilité à recevoir les pétitions, les plaintes, les réclamations que l'existence, les décisions et les réponses de plusieurs de nos comités ou détournées de leur véritable direction, pour nous en rendre les juges.

Je ne m'arrêterai pas davantage sur ces idées, je me propose de les développer, lorsque vous vous occuperez, Messieurs, de renouveler ces comités.

Voici le décret que je me borne à vous proposer quant à présent :

:

L'Assemblée nationale, ouï le nouveau rapport du comité des rapports, a retiré et retire son précédent décret non sanctionné du 8 décembre dernier ce faisant, déclare n'y avoir lieu à délibérer sur les faits dont s'agit; sauf aux prévenus en conformité de l'ordonnance de 1670, dont l'exécution a été ordonnée en tout ce qui n'est pas contraire aux précédents décrets de l'Assemblée, à se pourvoir si bon leur semble, par-devant qui de droit, pour y proposer leurs moyens de récusation contre le prévôt général de Provence, et leurs moyens de cassation contre les procédures instruites par lui.

M. Laborde de Méréville. Je fais la motion de ne pas nous séparer, sans avoir prononcé sur l'affaire du prévôt de Provence.

M. le marquis de Foucault. Je fais un amendement à cette motion et je demande que l'Assemblée délibère tout de suite.

(L'Assemblée ferme la discussion.)

On donne lecture du projet de décret du comité qui est ainsi conçu:

« L'Assemblée nationale décrète : 1o que le président se retirera devers le roi, pour supplier Sa Majesté de faire renvoyer par-devant les officiers de la sénéchaussée de Marseille, les procédures criminelles intentées depuis le 29 août dernier, par le prévôt général de Provence, contre MM. Rebecqui, Granet, Paschal et autres, et d'ordonner que ceux des accusés qui sont détenus par suite des décrets de prise de corps lancés par le prévôt, seront trans,

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M. l'abbé Maury. Je persiste dans mes conclusions de mardi dernier, et je demande que le prévôt, les accusés et la municipalité soient renvoyés au Châtelet; le prévôt, comme prévenu du crime de lèse-nation; les décrétés, pour être jugés en vertu d'attributions nouvelles que vous donnerez à cet effet au Châtelet; et la municipalité pour s'être arrogé tous les pouvoirs.

M. Duval d'Eprémesnil demande la division du projet de décret du comité.

M. Castellanet. La municipalité est au-dessus du blâme de ceux qui l'accusent. Je ne chercherai point à le prouver.

M. Charles de Lameth. M. l'abbé Maury demande la priorité pour ses conclusions; je ne la demande pas pour l'avis du comité; un instant de rivalité serait injurieux pour lui: je demande seulement la question préalable sur les conclusions de M. l'abbé Maury.

M. *** demande la priorité pour le projet de décret de M. Faydel.

Cette demande est rejetée. La division du projet du comité est adoptée.

On lit la première partie.

M. le marquis Guilhelm de ClermontLodève propose en amendement de renvoyer l'affaire à la sénéchaussée d'Aix, au lieu de celle de Marseille.

M. Fréteau appuie cet amendement, sur les motifs de l'affinité inévitable qui se trouvera entre les juges et les décrétés.

M. le comte de Mirabeau. Quelque répugnance que j'aie à être d'un autre avis que le préopinant, plusieurs raisons m'empêchent de penser comme lui. Je lui demande comment il établit l'affinité des accusés avec le tribunal de la sénéchaussée de Marseille, et si les mêmes motifs ne pourraient pas être opposés à tout autre tribunal de la Provence ?... Je conclus à ce que le décret du comité soit mis aux voix, de manière que la seconde partie soit décrétée la première. L'amendement de M. de Clermont-Lodève est écarté par la question préalable.

La première partie du projet du décret du comité est adoptée.

Le décret suivant est rendu :

« L'Assemblée nationale, ouï son comité des rapports, décrète que, conformément à son décret du 8 décembre dernier, son président se retirera par devers le roi pour supplier Sa Majesté de faire renvoyer par-devant les officiers de la sénéchaussée de Marseille, les procès criminels, instruits depuis le 19 août dernier, par le prévôt général de Provence, contre les sieurs Rebecqui, Granet, Paschal et autres, et d'ordonner que ceux des accusés qui étaient détenus en suite des décrets de prise de corps, lancés par ce prévôt, seront transférés dans les prisons royales de Marseille, pour y être jugés en dernier ressort. »

La seconde partie du projet de décret du comité est ensuite mise aux voix.

Une première épreuve est douteuse.

Une seconde épreuve a lieu. La seconde partie est rejetée.

M. Guillaume propose de charger le président d'écrire au conseil de la commune de Marseille qui a dénoncé le sieur de Bournissac à l'Assemblée, pour le féliciter sur la manière dont ses membres se sont acquittés du premier de leurs devoirs, en réclamant contre les vexations dont ils croyaient que leurs concitoyens étaient victimes.

Les murmures empêchent l'orateur de continuer. La proposition n'est pas mise aux voix.

M. le Président lève la séance à dix heures et demie, après avoir indiqué celle de demain pour 9 heures du matin.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. L'ABBÉ DE MONTESQUIOU.

Séance du vendredi 12 mars 1790 (1).

M. le Président ouvre la séance à 9 heures du matin.

Deux de MM. les secrétaires donnent lecture des procès-verbaux des deux séances d'hier. Il ne s'élève pas de réclamation.

M. Cochelet, député de Charleville, fait une motion portant que les membres du Corps législatif ne pourront être ni électeurs ni éligibles aux élections des assemblées primaires de district et de département.

L'orateur s'exprime en ces termes : Messieurs, les assemblées primaires, celles de départements et de districts vont se former: leurs élections doivent se faire d'après les principes de la Constitution, sans aucune influence particulière des membres du Corps législatif. Cependant, Messieurs, plusieurs membres de cette assemblée, les uns sous prétexte de devoirs pastoraux, d'autres sous prétexte d'affaires, et d'autres par raison de santé, se sont déjà rendus et se disposent à se rendre dans les lieux de ces élections. Vous verriez ainsi déserter partiellement l'Assemblée nationale, et ses membres aller solliciter les suffrages dans les élections, soit en faveur de leur ville, soit en faveur de leur personne.

Vous avez, Messieurs, laissé au choix des électeurs, tantôt le lieu de la première assemblée, tantôt la fixation des chefs-lieux des départements, souvent la liberté d'alterner et presque toujours le partage des établissements utiles. On ne peut se dissimuler que les réclamations d'un membre du Corps législatif, présent aux assemblées des électeurs, ne fussent d'un grand poids sur leur détermination, parce qu'à l'autorité des raisons se joindrait celle de l'opinion.

Mais cet ascendant serait presque irrésistible pour rallier les suffrages en faveur d'un homme honoré de la confiance publique et qui joindrait à ce titre la reconnaissance due à dix mois de travaux continuels pour la patrie.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

Nous devons prévenir, Messieurs, ces deux dangers, assurer la liberté naissante des élections dans toute sa pureté, et en rappelant aux membres de l'Assemblée, le serment de ne pas en désemparer avant que la Constitution soit achevée, priver du droit d'éligibilité ceux qui auraient quitté ou quitteraient leur poste pour aller solliciter les suffrages dans les prochaines élections.

C'est, Messieurs, l'objet du décret que j'ai l'honneur de vous proposer:

L'Assemblée nationale décrète qu'aucun de ses membres ne doit être présent dans les lieux des prochaines élections des assemblées primaires de départements et de districts; et que ceux de ses membres absents, qui seraient dans les lieux de ces prochaines élections, ne pourront être ni électeurs, ni éligibles. »

Le projet de décret de M. Cochelet est fort applaudi.

M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). Sans contredit, un citoyen ne peut exercer en même temps des fonctions dans les assemblées administratives et dans le Corps législatif; mais je demande que tout autre membre de l'Assemblée soit exclu de l'éligibilité, par cela seul qu'il se trouve dans la province où se font les élections. Voici ma motion:

« Ceux des membres de l'Assemblée nationale qui sont actuellement dans les provinces, ne pourront être électeurs ni éligibles, ni même se présenter dans les assemblées de districts et de départements. »

(Cet amendement est très applaudi.)

M. Naurissart. Les deux préopinants sont trop modérés. La correspondance supplée aisément à la présence. Je demande qu'aucun membre de l'Assemblée nationale ne puisse être électeur ou éligible.

M. de Sinéty. Je réclame la priorité pour la motion que j'ai déjà faite, et qui tendait à ce que tout membre du Corps législatif fût déclaré incapable de toute espèce d'éligibilité.

M. Guillaume propose un autre projet de décret. Le voici:

« L'Assemblée nationale décrète que toutes fonctions dans les assemblées administratives sont incompatibles avec celles du Corps législatif.

«En conséquence, aucun de ses membres actuels, ni aucun de ceux qui auraient donné ou qui donneraient par la suite leur démission, ne pourront paraître aux assemblées primaires, ni être électeurs ou éligibles pour les assemblées de districts et de départements.

» Cette incapacité aura lieu non seulement pendant la durée de la législature actuelle, mais encore pendant les deux années qui la suivront. >>

M. Bureaux de Pusy. J'adopte et j'appuie la motion de M. Cochelet et l'amendement de M. Regnaud tout ce qui a été ajouté est inutile, s'il n'est pas dangereux. Exclure des affaires publiques tous les membres de l'Assemblée nationale, ne serait-ce pas faire le mal des administrés? La plupart de nos collègues sont des magistrats, ils ont passé leur vie dans l'étude des lois, ils deviendront précieux dans les nouveaux tribunaux; ne serait-il pas dangereux de les en exclure? Je n'irai pas plus loin, et je demande la question préalable sur toute proposition.

(L'Assemblée nationale décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur toute autre proposition que sur la motion de M. Cochelet et l'amendement de M. Regnaud.)

M. Le Bois-Desguays. En s'attachant aux termes de la motion, on pourrait être à une demi-lieue de la paroisse où se tient l'assemblée, et influer directement sur les élections. Il est indispensable d'adopter l'amendement de M. Regnaud.

M. Martineau. La motion et l'amendement ont l'un et l'autre le même sens: on pourrait rédiger ainsi le décret: « Aucun membre de l'Assemblée nationale ne pourra être présent aux élections, et n'y pourra être ni électeur, ni éligible. »>

M. de Noailles. Il y a une incompatibilité manifeste entre les fonctions du pouvoir administratif et celles du pouvoir législatif: il faut déclarer formellement cette incompatibilité elle ne prononcera rien relativement aux élections dans les tribunaux, parce qu'elle ne peut pas porter sur les places qui sont à vie.

M. Destutt de Tracy. Les propositions de MM. Martineau et de Noailles rentrent absolument dans celles que nous venons d'écarter par la question préalable.

M. Boutteville-Dumetz. Il s'agit d'un article constitutionnel. Il est nécessaire d'établir des différences entre les fonctions administratives et les fonctions judiciaires à vie. Je demande le renvoi au comité de constitution.

(L'Assemblée renvoie les différentes motions au comité de constitution, et charge ce comité d'en rendre compte lundi prochain.)

M. le Président. M. le premier ministre des finances vient de m'adresser un mémoire relatif à l'établissement d'un bureau de trésorerie. L'Assemblée veut-elle en entendre la lecture tout de suite ou après le rapport de son comité des finances sur le même objet ?

(L'Assemblée décide que le rapport du comité des finances sera d'abord entendu.)

M. le marquis de Montesquieu, au nom du comité des finances, monte à la tribune et fait un rapport sur le mémoire de M. le premier ministre des finances, lu dans la séance du 6 mars (1). Ce rapport est ainsi conçu:

Messieurs, lorsque le premier ministre des finances vint dans cette Assemblée, le 14 novembre dernier, vous entretenir de la situation pressante du Trésor public, et des projets qu'il méditait pour l'avenir: « Ce sera, vous disait-il alors, l'objet d'un second mémoire, où l'arrangement final des finances sera traité. Mes idées sont arrêtées à cet égard; mais j'attends, pour vous en rendre compte, que l'on sache positivement le résultat des économies que vous avez exigées du département de la guerre. ›

Quoique la dépense de ce département soit encore incertaine, pressé par les circonstances; pressé par l'état de sa santé, et sans doute pour obéir à votre décret du 26 février, M. Necker vous a adressé, le 6 de ce mois, un mémoire dont vous

(1) Le Moniteur ne donne qu'un sommaire du rapport de M. le marquis de Montesquiou.

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avez chargé votre comité de vous faire aujourd'hui le rapport.

Nous commencerons par faire passer rapidement sous vos yeux les différents objets qu'il embrasse, et que nous reprendrons ensuite chacun en particulier.

M. Necker vous retrace les différentes circonstances qui ont préparé l'état de détresse où se trouve le Trésor public. Il les avait prévues et annoncées dans un de ses précédents mémoires. L'ancien déficit non encore comblé, les anticipations non renouvelées, la cessation de quelques impôts, l'altération de plusieurs autres, les dépenses extraordinaires et enfin l'intérêt des derniers emprunts; tous ces objets réunisf orment, pour les dix derniers mois de cette année, un vide de 294 millions.

Occupé des moyens d'y suppléer, il vous présente l'alternative d'une création suffisante de billets d'Etat, ou d'une réunion de moyens tenant à un plan de conciliation, d'arrangement ou de mitigation.

Suivant ses calculs, ce qui lui reste en caisse, ce que doit y verser encore la caisse d'escompte, la diminution prochaine des dépenses, la cessation des privilèges, le renouvellement espéré d'une partie des anticipations, le rapprochement des termes de payement des recettes générales, la contribution patriotique, un emprunt modéré sous une forme attrayante, des paiements de rentes et pensions, ou appointements faits partie en argent, partie en papiers, et enfin l'acquittement de certaines dépenses en billets sur l'année 1791; tels sont les moyens par lesquels le premier ministre des finances espère remplacer le vide des revenus de l'année; et dans le cas où quelques-unes de ces ressources viendraient à lui échapper, il désire se ménager un nouveau crédit éventuel de 30 ou 40 millions sur la caisse d'escompte.

Pour favoriser la circulation si nécessaire des billets de cette caisse, le ministre propose d'accorder, le 15 de juin, une prime de 2 0/0 aux billets qui seront encore dans le commerce; et, par le même motif, il indique une souscription générale, à l'effet d'acheter des assignations sur les biens dont les ventes ont été décrétées, comme un moyen de mettre plus tôt la caisse d'escompte en état de payer à bureau ouvert.

M. Necker passe ensuite à la grande question des avantages et des inconvénients du papiermonnaie: nos assignats, représentatifs d'une partie des domaines royaux ou ecclésiastiques, lui paraissent avoir, sur les billets de la caisse d'escompte, l'avantage d'une solidité plus grande, ou du moins plus apparente, tandis que ceux-ci ont, à leur tour, l'avantage de l'habitude, et peut-être encore celui d'un remboursement plus prochain. Au reste, les uns et les autres paraissent à M. Necker propres à être employés à peu près également dans tous les systèmes, et les assignats lui semblent, pour les fonctions de monnaie fictive, aussi bons que les billets de caisse.

Mais ce qu'il serait important de déterminer avec précision, c'est la quantité de ces billets qui peuvent circuler sans inconvénient; et, sur ce point, M. Necker n'ose prononcer d'une manière absolue. Il témoigne des craintes sur l'effet que pourraient produire deux ou trois cent millions de billets ajoutés à ceux qui existent déjà de là, un engorgement fâcheux, si l'Assemblée ne voulait pas étendre leur circulation aux provinces,

et peut-être quelque résistance de la part des provinces, si l'Assemblée favorisait cette extension. Dans ce dernier cas, il prévoit le danger de l'emploi exclusif des billets au paiement des impositions, ce qui priverait le Trésor public de tout numéraire pour la solde des troupes, et pour les autres objets auxquels son usage est indispensable.

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Enfin M. Necker, apercevant dans ce moyen plus de dangers que d'avantages, se résume au parti d'employer des ménagements journaliers, de combattre séparément chaque difficulté, d'entrer, pour ainsi dire, en composition avec tous les obstacles, et d'user avec patience d'une grande diversité de moyens, afin qu'aucun ne soit exagéré, et ne pèse trop fortement sur aucune classe de citoyens.

Pour ce travail, qui doit rendre pendant quelques mois l'administration des finances très compliquée, M. Necker vous apprend qu'il a senti le besoin d'être aidé, qu'il a conçu l'idée de confier l'administration du Trésor public à un nombre de commissaires de la trésorerie, lesquels, réunis à un président, dirigeraient toute l'action de ce Trésor sans aucune exception ni réserve; que le roi a adopté ce plan, qu'il l'a autorisé à en faire part à l'Assemblée, et que le dessein de substituer à l'administration d'un seul homme celle de plusieurs personnes obligées d'agir et de délibérer ensemble, doit être mis au nombre des bienfaits multipliés de Sa Majesté.

Mais pour l'exécution de ce projet, le ministre des finances vous demande de déroger au décret que vous avez rendu, pour obliger les membres de votre Assemblée à n'accepter, pendant cette session, aucune place donnée par le gouvernement. Il juge que le comité de trésorerie ne peut être choisi avec convenance que dans cette Assemblée. Il appuie cette opinion de plusieurs motifs publics et particuliers, auxquels il en ajoute un bien affligeant pour nous, celui du dérangement de sa santé, d'une absence nécessaire à son rétablissement, et de la crainte que ses forces ne lui permettent plus de se livrer à des travaux aussi pénibles.

Enfin, M. Necker déploie devant nous l'heureuse perspective de l'avenir; les ventes successives anéantissant la masse des billets en circulation, de cette masse que des soins multipliés pour se procurer un peu de numéraire ont jusqu'ici rendue moins accablante qu'elle n'aurait pu l'être; la réduction des dépenses faisant évanouir ce malheureux déficit de 56 millions; la diminution des anticipations, les extinctions de rentes viagères, l'établissement des moyens de remboursements, des ressources, même pour acquitter l'arriéré, qui s'élèvera, suivant ses calculs, tout au plus à 150 ou 200 millions: voilà ce qui se succédera rapidement, à partir du 1er janvier 1791.

Au milieu de ces grands objets, le ministre, au nom du roi, arrête vos regards sur une calamité particulière dont vous aviez tous gémi. Vous n'avez point oublié, Messieurs, avec quel enthousiasme vous avez reçu la proposition de mettre au nombre des dettes nationales, la juste indemnité de ces malheureux propriétaires que les lois sans appui n'ont pu garantir des horreurs de la dévastation.

Un dernier objet entre dans le plan du mémoire dont nous vous offrons l'analyse, c'est le remplacement de la gabelle, et l'examen des différents impôts directs et indirects. Des vues sages, des conseils fondés sur l'expérience, se

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