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jusqu'à ce jour. C'est donc moins pour prévenir une résolution déjà prise par vous, Messieurs, que pour soumettre à votre jugement mon opinion sur une matière dont j'ai fait longtemps une étude particulière, que j'ai l'honneur de vous proposer le décret suivant dans les dispositions duquel je crois que vous pouvez trouver les moyens de faire cesser les alarmes qui se sont manifestées et qu'il importe de dissiper sans retard.

L'Assemblée nationale désirant pourvoir à la sûreté des opérations du commerce et à la tranquillité des colonies, décrète :

1° Qu'elle n'a point entendu et qu'elle n'entend point comprendre dans la constitution du royaume les objets relatifs à la constitution intérieure et au régime particulier des colonies;

2° Que les colonies seront assemblées chacune dans leur territoire pour élire librement un corps de représentants qui travaillera immédiatement à leur constitution, c'est-à-dire à la forme de leur gouvernement et de leur administration intérieure;

3° Que cette constitution sera soumise à l'examen du corps législatif de la métropole dans tout ce qui peut avoir rapport avec elle, et présentée ensuite à la sanction du roi;

4° Que nulles branches du commerce soit direct soit indirect de France avec les colonies, particulièrement de celles qui intéressent leur culture seront supprimées et qu'elles continueront d'avoir lieu sous la protection des lois qui les ont garanties jusqu'à ce jour;

5° Qu'à l'égard de l'admission des pavillons étrangers, et de leurs cargaisons dans les colonies françaises, il sera nommé tant de la part des colonies que des négociants de France, des commissaires instruits qui conviendront entre eux des conditions respectives les plus avantageuses aux deux patries, et qui en communiqueront ensuite le résultat au corps législatif de France, pour qu'il statue définitivement ce qu'il appartiendra;

6° Que le roi sera supplié de prendre en considération la situation actuelle des colonies et dans le cas où cette mesure paraîtrait nécessaire à Sa Majesté pour la sûreté des colonies, d'y envoyer des forces protectrices capables de les préserver de tout dommage.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY, ANCIEN PRÉSIDENT.

Séance du mercredi 3 mars 1790 (1).

M. Bureaux de Pusy, ex-président, prévient l'Assemblée que la santé de M. l'abbé de Montesquiou, actuellement président, et celle de M. de Talleyrand, évêque d'Autun, son prédécesseur, ne leur permettent pas de venir à la séance; en conséquence, il occupe le fauteuil pour les suppléer l'un et l'autre dans la fonction de la présidence.

M. Pélissier, député de la sénéchaussée d'Arles, absent de l'Assemblée à la séance du

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

4 février dernier, prête le serment qui lie tous les membres au maintien de la Constitution.

M. l'abbé Guépin, député de Touraine, demande et obtient la permission de s'absenter.

M. l'abbé Brignon, député de la sénéchaussée de Riom, demande et obtient également un congé.

M. le baron de Racle de Mercey, député suppléant du bailliage d'Amont en Franche-Comté, dont les pouvoirs ont été vérifiés et trouvés en règle, est admis à remplacer M. le marquis de Toulongeon, démissionnaire.

M. Gaultier de Biauzat, l'un de MM. les secrétaires, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. le comte de La Villarmois, député de Coutances, demande que la traite des noirs soit nominativement désignée dans les objets de travail dont s'occupera le comité des colonies.

M. Dufraisse-Duchey dit que le procès-verbal n'indique pas d'une façon suffisamment explicite la motion de M. l'abbé Maury sur la nécessité de s'occuper sans délai de la traite des noirs, ce qui a été cause de la demande en division de la motion de M. Alexandre de Lameth.

M. Gaultier de Biauzat, secrétaire et rédacteur du procès-verbal. L'honorable membre qui vient de parler, n'aurait pas fait sa réclamation s'il eût bien entendu la lecture du procès-verbal : Voici en quels termes il est conçu :

« On a demandé la division de la motion, c'està-dire que l'on a proposé de discuter, dès à présent, les pétitions des négociants de Bordeaux et des députés des manufactures et commerce de France, sauf à établir un comité qui s'occupera ensuite des affaires des colonies. »

M. le Président met le procès-verbal aux voix. La rédaction est approuvée.

M. Defermon. J'ai vu entre les mains de l'imprimeur l'article 10 du titre 2 des droits féodaux, et j'ai remarqué que dans cette phrase: « sans avoir égard à l'ancienne qualité noble des biens et des personnes, on a supprimé le mot noble. » Ce changement est contraire au sens de l'article, et détruit entièrement son effet. Il se trouve également dans la minute du décret, signée par le président : tout le monde se rappelle que le décret a été rendu sans ce changement. Je demande que l'Assemblée décide que l'article 10 sera imprimé tel qu'il a été décrété.

M. Dufraisse-Duchey. Quand un décret est rendu, le président le signe; quand il l'a signé, il ne peut plus être changé.

M. Merlin, comme rapporteur du comité féodal, affirme que le décret a été rendu sans le changement dénoncé par M. Defermon.

L'Assemblée décide que le mot noble sera rétabli dans l'article 10 qui sera ainsi redigé :

TITRE PREMIER.

ART. 10.« Tous privilèges, toute féodalité et nobilité de biens étant détruits, les droits d'aînesse et de masculinité à l'égard des fiefs, domaines

et aleux nobles, et les partages inégaux, à raison de la qualité des personnes, sont abolis.

<< En conséquence, l'Assemblée ordonne que toutes les successions, tant directes que collatérales, tant mobilières qu'immobilières, qui écherront à compter du jour de la publication du présent décret, seront, sans égard à l'ancienne qualité noble des biens et des personnes, partagées entre les héritiers suivant les lois, statuts et coutumes qui règlent les partages entre tous les citoyens; abroge et détruit toutes les lois et coutumes à ce contraire.

« Excepte du présent décret ceux qui sont actuellement mariés, ou veufs ayant des enfants, lesquels partageront entre eux et leurs co-héritiers, conformément aux anciennes lois, les successions mobilières et immobilières, directes ou collatérales, qui pourront leur échoir.

« Déclare, en outre, que les puînés et les filles, dans les coutumes où ils ont eu jusqu'à présent sur les biens tenus en fiefs plus d'avantages que sur les biens non féodaux, continueront de prendre, dans les ci-devant fiefs, les parts à eux assignées par lesdites coutumes, jusqu'à ce qu'il ait été déterminé par l'Assemblée nationale un mode définitif et uniforme de succession pour tout le royaume ».

M. le comte de Crécy propose de décréter qu'à l'avenir chaque individu ne portera plus que son nom de famille, accompagné d'un nom de baptême, pour le distinguer de tous les parents du même nom.

M. Lanjuinais observe que les principes de la déclaration des droits et la suppression de toute distinction d'ordres et de tous privilèges, qui ont depuis longtemps été décrétés, emportent la suppression absolue de la noblesse qui n'exista jamais qu'en raison de ses privilèges et de ses distinctions: il rappelle ces mots de l'adresse de l'Assemblée nationale aux Français: Tout a disparu devant la qualité de citoyen.

La motion de M. de Crécy est ajournée.

M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet de décret du comité féodal.

M. Merlin donne lecture de l'article 16.

Art. 16. Lorsque les propriétaires des droits. réservés par les articles 9, 10, 11 et 15 ne seront pas en état d'en représenter le titre primitif, ils pourront y suppléer par deux connaissances conformes, énonciatives d'une plus ancienne donnée par la communauté d'habitants pour un droit général, ou par les individus intéressés lorsqu'elle concerne des droits particuliers, pourvu qu'elles soient soutenues par une possession de quarante ans, et qu'elles rappellent, soit les conventions, soit les concessions des droits mentionnés dans lesdits articles.

M. Buzot. A mon sens, il ne peut y avoir de reconnaissance qui supplée le titre primitif; je ne fais pas cette observation sur le décret, mais elle me conduira à l'amendement que j'ai l'intention de proposer. Je demande si ces reconnaissances ne seront pas détruites par deux reconnaissances antérieures dans lesquelles le droit ne serait point énoncé. Puisqu'on a été obligé de recourir à des probabilités, cette non énonciation n'en est-elle pas une?... Je propose en amendement ces mots : Excepté dans le cas où l'on représenterait des

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reconnaissances antérieures aux nouvelles reconnaissances et à la possession de quarante ans. >>

Après quelques contestations sur cet amendement, l'article est adopté dans les termes suivants :

« Art. 16. Lorsque les possesseurs des droits réservés par les articles 9, 10, 11 et 15 ne seront pas en état d'en représenter le titre primitif, ils pourront y suppléer par deux reconnaissances conformes, énonciatives d'une plus ancienne et non contraires à une reconnaissance antérieure donnée par les individus intéressés lorsqu'elles concerneront des droits particuliers, pourvu qu'elles soient soutenues par une possession actuelle qui remonte sans interruption à quarante ans, et qu'elles rappellent, soit les conventions, soit les concessions mentionnées dans lesdits articles. »

M. Merlin. Il n'y a qu'un devoir rigoureux et pressant qui ait pu déterminer votre comité à vous présenter l'article 17: il est conforme aux principes; mais nous ne pouvons vous dissimuler, et le comité m'a expressément chargé de vous représenter que cette disposition va anéantir la fortune de plusieurs familles, et notamment celle d'un membre de l'Assemblée nationale (l'Assemblée désapprouve cette observation par un murmure général), qui, après s'être dévoué, dans le cours d'une longue carrière, au service de la patrie... (De nouveaux murmures ne permettent pas à l'opinant d'achever.)

M. Populus. L'Assemblée demande à passer à l'article; de semblables réflexions ne doivent pas lui être présentées.

M. Merlin. C'est à la justice générale à nous absoudre des maux particuliers. Il fait lecture de l'article.

Art. 17. Toute redevance ci-devant payée par les habitants, à titre d'abonnement des banalités, de la nature de celles ci-dessus supprimées sans indemnité, et qui n'étaient point dans le cas des exceptions portées par l'article 15, est abolie et supprimée sans indemnité. »> (Cet article est adopté.)

M. Merlin. Nous avons à vous présenter un article additionnel pour remédier à un abus qui s'est introduit dans diverses provinces et qu'on a dénoncé à votre comité. On fait croire aux paysans que la destruction des banalités emporte, pour le seigneur, la perte des moulins, pressoirs et fours banaux: les paysans se croient propriétaires. Voici cet article, qui formerait l'article 18.

Art. 18. L'Assemblée nationale fait défense aux ci-devant baniers d'attenter à la propriété des moulins, fours, pressoirs et autres objets de la banalité dont ils ont été affranchis par l'article 14; met cette propriété sous la sauvegarde de la loi, et enjoint aux municipalités de tenir la main à ce qu'elles soient respectées.

M. de Viefville des Essarts propose, en amendement, que les propriétaires de moulins, fours et pressoirs banaux ne puissent les supprimer que six mois après la publication du présent décret. Pendant ce temps les baniers se soumettraient à la banalité aux mêmes conditions que ci-devant.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cet amendement. L'article est adopté.

Art. 19. Toutes les corvées, à la seule exception des réelles, sont supprimées sans indemnité. Seront réputées corvées réelles celles qui ne sont dues qu'à cause de la propriété d'un fonds ou d'un droit réel, et dont on peut se libérer en aliénant ou déguerpissant le fonds ou le droit.

M. Lanjuinais. Il y a deux sortes de corvées réelles dans le sens de l'article du comité. Celles qui sont dues à cause de la propriété d'un fonds, et celles qui sont seulement fondées sur la coutume, sur l'usage du pays, sur le fief, sur la jurisprudence des arrêts rendus par des magistrats propriétaires de fiefs: ces dernières doivent être abolies sans indemnité. Il est encore des corvées réelles trop bizarres, trop humiliantes, trop outrageantes pour être conservées; telles sont la chevauchée, la quintaine, le saut du poisson, etc. Toutes ces corvées, sujétions, ou autres semblables, doivent être abolies sans indemnité. Il me semblerait convenable d'assurer, par un troisième amendement, aux corvéables où débiteurs de la corvée, le droit de s'en libérer suivant l'estimation qui serait faite.

M. Goupil de Préfeln propose de rédiger ainsi l'amendement auquel donne lieu la seconde observation de M. Lanjuinais. « Toutes sujétions qui, par leur nature, ne peuvent apporter aucune utilité réelle à celui auquel elles sont dues sont supprimés sans indemnitée. »

M. Defermon. En vous proposant de supprimer toutes les corvées fondées seulement sur la coutume, sur l'usage du pays ou sur la jurisprudence des arrêts, mon collègue n'a pas développé ces objets. Par exemple, il vous aurait parlé de corvées de collectes, réservées aux fonds roturiers et aux personnes roturières; c'est une corvée vraiment mixte, vraiment personnelle. Il faut adopter l'amendement par un léger changement dans la rédaction de l'article. M. Defermon propose ce changement.

M. Garat l'arné. Il faut supprimer cette espèce de corvées; cette suppression est prononcée par la destruction du régime féodal. Si vous ne la reconnaissiez pas, ce régime subsisterait encore en entier.

M. Merlin. Il n'est pas possible d'adopter cet amendement. Il se peut que le parlement de Bretagne ait abusé de son autorité pour étendre les corvées réelles; mais en cherchant à réparer cette injustice, voulez-vous être injustes envers les possesseurs de corvées réelles dans tout le royaume? Toute corvée pour propriété de fonds ne peut être détruite; toute corvée, dont on peut se libérer en déguerpissant le fonds, ne peut être détruite voilà le principe.

La question préalable est invoquée sur l'amendement appuyé par M. Defermon.

Cet amendement est adopté.

M. Pison du Galand. Il faut mettre aux voix l'article et l'amendement qui vient d'être adopté. On fera un article à part de celui qui a rapport aux sujétions.

Ces deux articles sont décrétés en ces ter

mes :

Art. 19. Les corvées, à la seule exception des corvées réelles, sont supprimées sans indemnité; et seront réputées corvées réelles celles qui seront prouvées être dues pour la concession d'un fonds ou d'un droit réel."

Art. 20. Toutes sujétions qui, par leur nature, ne peuvent apporter aucune utilité réelle à celui auquel elles sont dues, sont supprimées sans indemnité.

M. Bouche. Je propose de décréter sans délai un article qui porte sur un droit seigneurial très oppressif, et que voici.« Toute clause prohibitive de clore les biens vendus et accensés par les cidevant seigneurs est abolie sans indemnité. »

M. Merlin. L'article qui vous est soumis par M. Bouche a déjà été porté à votre comité féodal qui n'a pas cru devoir vous le présenter avant de l'avoir sévèrement discuté: il faut, sur cette question, consulter les baux à cens et les titres. On m'objecte que les titres n'existeront peut-être plus, mais alors la clause est supprimée par ellemême, et le décret devient inutile. Je pense donc que cet article doit être ajourné.

M. Prieur. Je demande que l'article soit ren voyé à l'examen du comité féodal.

M. Goupil de Préfeln. Je demande la question préalable.

M. Démeunier. J'en demande l'ajournement jusqu'à ce que le comité d'agriculture ait été entendu, et j'en fais la motion expresse.

Cette motion est appuyée, mise aux voix et décrétée.

On fait ensuite lecture de l'article 21. Il est ainsi conçu Le droit de triage, auquel les biens concédés en propriété par les seigneurs aux communautés d'habitants ont été assujettis par l'article 4 du titre XXV de l'ordonnance des eaux et forêts de 1669, est aboli pour l'avenir.

Plusieurs amendements sont proposés, et après une courte discussion, l'article est décrété dans la forme suivante:

« Art. 21. Le droit de triage, établi par l'article 4 du titre XXV de l'ordonnance des eaux et forêts de 1669, est aboli. »>

M. le Président. L'Assemblée va se retirer dans ses bureaux pour procéder à la nomination du comité colonial; mais avant de nous séparer, j'invite M. le rapporteur à donner lecture des articles adoptés dans cette séance, tels qu'ils se trouvent définitivement rédigés et selon le numérotage qu'entend leur donner le comité.

M. Merlin, rapporteur, fait cette lecture ainsi qu'il suit :

TITRE SECOND.

Art. 16. Toute redevance ci-devant payée par les habitants à titre d'abonnement des banalités, de la nature de celles ci-dessus supprimées sans indemnité, et qui n'étaient point dans le cas des exceptions portées par l'article 15, est abolie et supprimée sans indemnité.

Art. 17. L'Assemblée nationale fait défense aux ci-devant baniers d'attenter à la propriété des moulins, pressoirs, fours et autres objets de la banalité desquels ils sont affranchis par l'art. 145; met ladite propriété sous la sauvegarde de la loi, et enjoint aux municipalités de tenir la main à ce qu'elle soit respectée.

Art. 18. Toutes les corvées, à la seule exception des réelles, sont supprimées sans indemnité, et ne

seront réputées corvées réelles, que celles qui seront prouvées être dues pour prix de la concession de la propriété d'un fonds ou d'un droit réel.

Art. 19. Toutes sujétions qui, par leur nature, ne peuvent apporter à celui auquel elles sont dues, aucune utilité réelle, sont abolies et supprimées sans indemnité.

Art. 20. Lorsque les possesseurs des droits conservés par les articles 9, 10, 11, 15 et 18 ci-dessus, ne seront pas en état de représenter des titres primitifs, ils pourronty suppléer par deux reconnaissances conformes, énonciatives d'une plus ancienne non contredite par des reconnaissances antérieures données par la communauté des habitants lorsqu'il s'agira de droits généraux, et par les individus intéressés lorsqu'elles concerneront des droits particuliers, pourvu qu'elles soient soutenues d'une possession actuelle, qui remonte, sans interruption, à quarante ans, et qu'elles rappellent, soit les conventions, soit les concessions mentionnées dans lesdits articles.

Art. 21. Le droit de triage établi par l'article 4 du titre XXV, de l'ordonnance des eaux et forêts de 1669, est aboli.

M. le Président annonce l'ordre du jour de demain et lève la séance à 2 heures.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. L'ABBÉ DE MONTESQUIOU.
Séance du jeudi 4 mars 1790 au matin. (1).

M. Champagny (de Nompère de), l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance de la veille.

Aucune réclamation ne se produit.

M. d'Arraing, député du pays de Soule, prête le serment civique.

M. Poulain de Corbion, député de SaintBrieuc, est également admis à la prestation du même serment.

M. le Président. L'ordre du jour ramène la discussion sur le projet de décret portant abolition des droits féodaux.

M. Merlin, rapporteur, rappelle qu'hier le comité pour mettre de l'ordre dans la discussion, a proposé et l'Assemblée a approuvé la série suivante des questions:

1o Le droit de triage sera-t-il aboli? 2° Le sera-t-il à l'avenir seulement?

3o En cas qu'il ne le soit, en général, que pour l'avenir, n'exceptera-t-on pas de cette décision, et n'abolira-t-on pas, avec un effet rétroactif, le droit particulier de triage auquel des lettres patentes, par arrêt de 1777 et de 1779, ont assujetti, en Flandre et en Artois, les biens communaux concédés à titre onéreux?

4o Conservera-t-on ou abolira-t-on, dans la Lorraine, le Barrois, les Trois-Evêchés et le Clermontois, le droit de tiers-denier des ventes de bois et profits communaux ?

(1) Cett séance est incomplète au Moniteur.

Le premier point a été résolu dans la dernière séance.

La question qui doit d'abord occuper l'Assemblée aujourd'hui, est donc celle-ci :

« L'abolition du droit de triage aura-t-elle un effet rétroactif? »

Le comité féodal s'est déterminé pour la négative.

M. Cochard. Le triage est un des effets les plus désastreux de la maxime: nulle terre sans seigneur... Parun édit de 1647, Louis XIV déclara l'inaliénabilité, l'imprescriptibilité des biens de communauté, comme patrimoine de la nation; il supprima l'effet de tous les actes contraires à cette inaliénabilité avant 1620; ordonna la restitution des fruits perçus en vertu du triage et la revision de tous les actes de cette nature, faits pendant les trente années qui avaient précédé l'époque de l'édit. Par ces dispositions, il donna un effet rétroatif à la loi qu'il portait... La maxime nulle terre sans seigneur a été insidieusement insérée dans les coutumes par les rédacteurs; la jurisprudence des arrêts a répété cette odieuse maxime, et l'a étendue à toutes les provinces... C'est la généralité de la censive qui a fait établir le droit de triage. Cependant ce n'est pas le seigneur censier qui en jouit, c'est le haut justicier, c'est la justice territoriale... En pays de droit écrit, où toutes les terres sont allodiales, le triage ne pouvait avoir lieu; mais, en Franche-Comté, le parlement a toujours accueilli les demandes formées à cet égard par les seigneurs; et lorsque le triage était demandé par eux, il exigeait que la communauté présentat le titre primordial d'une concession à titre onéreux; aussi, avec cette rigueur, pouvait-il ne refuser jamais le droit de triage aux seigneurs? Il s'est notamment rendu coupable d'une grande injustice dans une circonstance dont voici le détail : trente communautés possédaient leurs communaux avec le seigneur, à titre de propriété indivise: les seigneurs en ont demandé le partage, puis ils ont prétendu avoir le tiers dans la partie qui restait à la communauté le parlement le leur a accordé. Je propose d'ajouter à l'article décrété hier:

« Et en ce qui concerne les triages adjugés aux seigneurs depuis trente ans, en vertu dudit article 4, les communautés d'habitants pourront rentrer dans la propriété desdits triages, sans néanmoins rien pouvoir prétendre au delà. »

M. Goupil de Préfeln. Le préopinant s'est écarté de l'état de la question. Il prétend que l'ordonnance de 1669 établit le droit de triage sur un droit de censive générale la loi ne dit rien de semblable, et tout prouve que ce n'est pas l'esprit de cette loi. Il a dit que le triage était accordé aux seigneurs hauts justiciers ; le préopinant ne s'est pas aperçu de son erreur : c'est aux seigneurs ayant directe et non justice, que la loi accorde le triage. Il vous a fait un tableau touchant des injustices du parlement de Franche-Comté; mais qu'est-ce que ces injustices peuvent avoir de commun avec la question que vous agitez? La question est de savoir si vous ferez perdre à un légitime acquéreur les domaines qui faisaient partie de son acquisition, et qui y étaient attachés en vertu de la loi. Vous vous êtes montrés, dans tous vos décrets, fidèlement attachés à ce grand principe, qu'on ne peut donner un effet rétroactif à une loi introductrice d'un droit nouveau : l'article décrété hier établit un droit nouveau ; vous ne lui donnerez pas un effet rétroactif. Cette loi pourrait être injuste; mais lorsqu'elle a été la

oi commune, la loi universelle, si vous la dé'ruisiez, les hommes n'auraient plus entre eux sur quoi compter avec assurance.

M. de Robespierre. Mon opinion est conforme aux principes du comité féodal, quoique contraire à ses conclusions. Qu'est-ce que le droit de triage? C'est le droit que se sont arrogé les seigneurs, depuis une époque assez moderne, de s'emparer d'une partie des biens des communautés; ils ont fait consacrer cette usurpation par l'ordonnance de 1669: elle y a apporté des modifications; d'abord, il fallait que les communautés eussent reçu des seigneurs à titre gratuit; mais ce qui nous est donné nous appartient aussi réellement que ce que nous avons acquis à titre onéreux. Ravir à quelqu'un le bien donné ou vendu, c'est attenter à la propriété. L'ordonnance de 1669 a dit aux seigneurs: vous convoitez une partie des biens de vos vassaux, eh bien! prenez-en le tiers! Cette loi est un acte de despotisme, ou plutôt ce n'est point une loi : un législateur ne peut prendre à une classe de citoyens pour donner à une autre. D'après cela, aux yeux du législateur et de la raison, le droit de triage n'a jamais été qu'une rapine. Les communautés peuvent-elles demander une restitution? pouvez-vous l'ordonner? Voilà la question. Elles peuvent demander puisque c'est une chose juste; vous devez ordonner la réparation d'une injustice; il faut opter entre l'ordonnance de 1669 et la justice éternelle. Avez-vous moins de pouvoir pour faire un acte de justice, que le despotisme n'en avait pour enfreindre la loi de la propriété ? C'est en vain qu'on veut nous opposer les inconvénients de cette restitution. Quand on a été volé, n'a-t-on pas gardé ses droits à sa propriété? Ne peut-on pas toujours la réclamer? Le peuple réclame la sienne; répondrezvous par un refus? Le despotisme lui-même, Louis XIV, dans un de ces moments si rares où la voix du peuple arrive jusqu'au trône, a reconnu que les biens communaux devaient être restitués aux communautés. Le peuple aurait-il moins de crédit auprès de ses représentants? La loi n'aura pas un effet rétroactif, mais un effet immédiat en ordonnant la restitution d'une propriété légitime. Je demande que cette restitution soit faite pour les quarante-six dernières années.

M. Lanjuinais, après quelques détails sur la question, annonce que des lettres du pays de Dol, viennent d'apprendre aux députés de Bretagne que les paysans ont renversé les clôtures; il propose, er conséquence, d'ajouter à l'article Toutes voies de fait contre cette disposition : la possession annale, en cette partie, est défendue, à peine de la perte de leur droit contre ceux qui les auraient commises.

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M. l'abbé de Barmond. Depuis deux jours nous discutons sur l'ordonnance de 1669, et l'on n'en a pas encore cité les expressions... Je demande si cette loi est vexatoire, et je prie qu'on examine combien elle ménage, au contraire, les intérêts du peuple. En matière politique, c'est un principe général qu'une loi nouvelle peut bien avoir un effet rétroactif quand elle est vraiment nouvelle, mais non quand elle détruit des lois anciennes. Le législateur doit faire tout le bien possible et le moins de mal possible. L'abolition du triage fait déjà un grand tort aux seigneurs. Si vous donnez à cette loi un effet rétroactif, elle ne sera pas seulement onéreuse, mais elle sera injuste. Je conclus, d'après les principes généraux en lé1re SERIE, T. XII.

gislation, et d'après les principes rigoureux de l'ordonnance de 1669, à ce que l'effet rétroactif ne soit point accordé. On pourrait ajouter en amendement à l'article décrété hier « que les procès commencés seront jugés d'après la loi nouvelle. »> (On demande à aller aux voix.)

M. l'abbé Grégoire. Il est bon d'observer que l'ordonnance de 1669 a été enregistrée au parlement en lit de justice, et à la chambre des comptes de très exprès commandement. On n'ignore pas ce que pouvait être, sous un prince tel que Louis XIV, un lit de justice et un exprès commandement.

(On ferme la discussion.)

M. Merlin. La question doit être ainsi posée : ajoutera-t-on ces mots, pour l'avenir, à l'article par lequel l'Assemblée a hier aboli le droit de triage?

Quelques amendements et plusieurs rédactions nouvelles sont proposés.

L'Assemblée délibère, et décrète que les mots : pour l'avenir, seront ajoutés à l'article adopté hier.

M. Merlin. Prononcerez-vous de la même manière sur une autre espèce de triage créée par des arrêts du conseil, rendus sur des requêtes qu'il faut nommer seigneuriales? Vous rappelezVous que, suivant l'ordonnance de 1669, le triage ne peut avoir lieu:

1 Si les fonds de la communauté ont été concédés à titre onéreux;

2o Si les deux tiers restants peuvent suffire aux besoins de la communauté.

:

En 1777, les seigneurs des deux Flandres ont cherché à s'affranchir de ces deux conditions. Les Etats de Flandre, c'est-à-dire les baillis des quatre seigneurs principaux, ont présenté au conseil une requête par laquelle ils ont demandé que toutes communautés qui comprendraient des marais et des landes fussent tenues de défricher, pour faire avec eux le partage de ces défrichements, et qu'avant le partage ils puissent prendre le tiers de ces landes et marais, quoique ces propriétés eussent été accordées à titre onéreux. Soit que l'on fût persuadé que le vœu des habitants était suffisamment exprimé par les quatre baillis, soit que ce fût l'effet de quelque intrigue financière, le 27 mars 1777, un arrêt du conseil accorda aux seigneurs tout ce qu'ils demandaient le parlement de Douai s'empressa de donner à cet acte de l'autorité arbitraire le sceau de ce qu'on appelait enregistrement. Les Etats d'Artois ont imité les Etats de Flandres. Le 13 de novembre 1779, un arrêt du conseil, revêtu de lettres-patentes, étendit à l'Artois les mêmes conditions, avec cette différence, qu'au lieu d'un tiers, il n'accorda aux seigneurs qu'un sixième sur les propriétés concédées à titre onéreux. Le parlement de Paris engistra sans difficulté. Le conseil provincial d'Artois ne fut ni si complaisant, ni si facile; il était dirigé par un chef (M. de Baumetz) qui montrait sur son tribunal autant d'horreur pour l'injustice qu'il a dans cette Assemblée montré d'amour pour la liberté. Le conseil d'Artois rejeta donc les lettres patentes. Dans cette lutte intéressante, les Etats avaient en leur faveur les ininistres et la force publique ; le conseil, la justice et la raison; les ministres ont cassé l'arrêt du conseil d'Artois; la force publique a prodigué les emprisonnements et les violences, et les Etats, par ces moyens désastreux, sont arrivés à leur but. Plusieurs communautés ont plaidé 2

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