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dent mettre à la place de ceux qui servent d'assises à nos institutions.

Il faut que tous ceux d'entre nous dont l'esprit de parti n'a pas encore entièrement corrompu le jugement, sachent ce que préparent dans l'ombre ces prétendus apôtres de la liberté qui déclarent sérieusement qu'ils ne sont pas des fanatiques exploités, et qui proclament non moins sérieusement le roi Louis-Philippe le plus grand des tyrans.

Il est bon qu'ils jugent l'œuvre sur ses moyens d'exécution et d'accomplissement.

Il est bon qu'ils sachent à quoi s'en tenir sur le profond savoir et le génie fécond des hommes les plus avancés du parti républicain.

Il est bon qu'ils mesurent, non pas ce que la liberté aurait à gagner, mais tout ce qu'elle aurait à perdre au triomphe des principes qui ont été solennellement adoptés et proclamés à Londres le 14 septembre 1840, APRÈS DISCUSSION, par la Société démocratique française.

Il est bon qu'ils voient comment ceux qui se plaignent que la liberté de la presse ne soit qu'un monopole, entendent qu'elle serait exercée le jour où le pouvoir serait tombé assez bas pour être accessible à leurs mains teintes de sang.

Il est bon qu'ils voient comment ces grands économistes entendent la liberté de l'industrie et résolvent le double problème de la concurrence et de l'organisation du travail. Il est bon qu'ils voient comment ces grands professeurs de l'humanité entendent la liberté de l'enseignement et ménagent l'autorité du père sur ses enfants.

Il est bon qu'ils voient comment ces grands financiers entendent le crédit public, fondé, non plus sur la confiance, mais sur la séquestration et la violence.

II est bon enfin qu'ils voient comment ces grands défenseurs du genre humain conçoivent la fraternité universelle, en faisant répandre par la France le sang de tous les peuples sous le prétexte de les délivrer de la tyrannie de tous les rois.

Nous publions donc un supplément où nous passons ra

pidement sur la partie du rapport qui est relative à Darmès et à ses deux complices, mais où nous avons réuni tous les renseignements précieux que la commission de la Chambre des pairs a mis sept mois à recueillir, et qui font exactement connaître l'organisation, les principes et le but des sociétés secrètes au milieu desquelles il a été constaté que vivaient les accusés. Cette partie du rapport mérite toute l'attention de nos lecteurs. Ce qui importe, en effet, ce n'est pas que Darmès soit condamné à mort et que sa tête tombe sous la main du bourreau, c'est que les principes qui lui ont mis une carabine à la main pour tirer sur le roi soient bien connus: c'est que tout ce qui ne veut ni échafaud, ni confiscation, ni meurtre, ni vol, se fasse une juste idée de l'ardeur avec laquelle le parti révolutionnaire poursuit contre la société son travail souterrain, pendant que nous disputons sans fin sur des mots sans valeur; pendant que nous nous divisons, chaque jour un peu plus, sur des questions qui n'ont pas même une importance secondaire, et qui sont oubliées une heure après que le scrutin les a vidées; pendant que nous ne sommes occupés que de renverser ministère sur ministère; pendant que nous nous assourdissons au vain bruit que nous faisons; pendant enfin que nous nous attaquons les uns les autres au lieu de nous réunir tous dans la pensée d'un péril commun, auquel la tête et la fortune d'aucun de nous n'échapperaient, puisqu'il suffirait, pour être atteint, d'être accusé d'appartenir à a une famille ayant participé aux actes gouvernementaux » depuis 1793 (1). »

Ce qui importe, c'est que tout père qui a un enfant, tout individu qui possède un champ, tout homme laborieux qui dépense moins qu'il ne gagne, tout électeur qui sait lire, aient dans les mains la charte démocratique de 1839, promulguée à Londres, car elle est le commentaire le plus décisif et l'apologie la moins suspecte qui se puissent jamais faire de la Charte de 1830.

(1) Textuel. Voir le paragraphe 18 du Manifeste de Londres.

Ce qui importe enfin, c'est que tous ceux qui se plaignent avec un reste de bonne foi du régime oppressif et honteux sous lequel nous avons le malheur de vivre, soient éclairés sur le benin et glorieux régime que nous préparent ces vengeurs et régénérateurs de la société, qui préludent au régicide par le vol (1); régime vers lequel tout nous pousse et l'abus que nous faisons du système représentatif; et la faiblesse d'un pouvoir immobile; et la présomption d'un journalisme ignorant; et l'audacieuse activité de tout ce qui est intrigant; et la coupable apathie de tout ce qui est honnête; et l'orgueil fatal de quelques hommes qui ont mis leur point d'honneur, non dans l'application de leurs principes, mais dans le triomphe de leurs prétentions, qui tous voulant le même portefeuille, s'excluent ainsi par une puérile et funeste rivalité qui les abaisse au lieu de les élever.

Voyez donc sur quelle pente vous êtes, voyez donc quelle force vous entraîne, quel fil vous retient!

IV.

23 décembre 1841.

La cour des pairs a rendu son arrêt. Puisse-t-il compléter, pour les classes laborieuses, les enseignements qui sont sortis des débats !

Si la condamnation prononcée contre l'accusé Dupoty (prévenu de complicite morale) ne l'a été que par des motifs exclusivement puisés dans les faits de la cause et dans la conviction profonde de sa culpabilité, nous n'avons qu'à l'enregistrer avec respect; car si le respect est dû à la chose jugée, c'est assurément lorsqu'elle a eu pour juges des hommes d'autant de conscience et de

(1) Il résulte de l'instruction que Darmès est arrivé au crime à travers une existence plongée dans le vice, la débanche et une misère dégradante; qu'il a volé 6,000 francs à sa femme et les a perdus dans des jeux de bourse, qu'il a ensuite enlevé 5,000 francs à sa mère, recueillis de la succession d'un second mari, et qu'il les a honteusement dissipés.

savoir que MM. le chancelier Pasquier, le duc de Broglie, le comte Molé, les trois anciens gardes des sceaux, MM. Barthe, Mérilhou et Persil, MM. le président comte Portalis, le président comte de Bastard, le président baron Zangiacomi, le président Boyer. le président baron Séguier, MM. Bérenger, Rossi, etc.; mais si, au contraire, la condamnation a été déterminée par des considérations plus politiques que judiciaires, par des raisons d'État tirées, soit des excès de la presse radicale, soit des dangers auxquels l'organisation des sociétés secrètes expose nos institutions, soit enfin de la nécessité de frapper un coup qui impressionne vivement les esprits, et rende de la force au sens moral affaibli, quel que grand que soit le respect que commandent les noms éminents que nous venons de citer. quelque douleur que nous éprouvions à nous séparer, en cette circonstance, de la pairie. qui nous a toujours trouvés les premiers à la défendre contre toutes les attaques injustes, nous ne manquerons pas aux grands principes que nous avons constamment professés; nous saurons avoir, même contre elle, le courage de notre opinion; nous persisterons aujourd'hui comme hier à soutenir que s'il est une vérité immuable, sacrée, tutélaire, c'est que la politique ne doit jamais intervenir dans les décisions de la justice. La société a d'autre moyen de se défendre; quand elle croit n'avoir plus que celui-ci pour se sauver, elle est perdue!

V.

30 juillet 1846.

Deux attentats en moins de quatre mois! l'un le 16 avril 1846, l'autre le 29 juillet!

Ce dernier, commis hier dans le jardin des Tuileries, contre la personne du roi, est l'acte d'un insensé. L'homme qui en est l'auteur échappe à l'indignation par le mépris. On ne peut expliquer cette entreprise sauvage que par la raison qu'il en a donnée lui-même : il était las de la vie, et, décidé à en finir, il a préferé un dénoûment tragique et écla

tant à un suicide obscur et ignoré. Cette explication serait une nouvelle preuve qu'avec des misérables de cette espèce il y a peut-être danger à entourer de formes trop solennelles les jugements qui ont pour résultat de les retrancher du sein de la société. Le désir de jouer un rôle est quelquefois si vif pour certaines natures dépravées, qu'elles acceptent, faute d'autres, le rôle le plus infâme et le plus odieux. Un mauvais sujet perdu de honte et de débauche, réduit à terminer au fond de la Seine une vie inutile à tous et oné-reuse à lui-même, peut se laisser tenter par cette abomi-nable célébrité qu'on s'applique trop généralement à faire aux meurtriers qui tirent sur le roi. Peut-être vaudrait-il mieux qu'un châtiment prompt, vulgaire, dépourvu de tout appareil préalable. leur enlevat jusqu'à la détestable satisfaction qu'ils ambitionnent. C'est ainsi que les choses se passent en Angleterre et en Allemagne, et le retour de ces affreuses tentatives y est beaucoup moins fréquent que chez nous.

Mais la cour des pairs est déjà saisie; nous ne pousserons pas plus loin des réflexions qui ne sauraient désormais empêcher l'instruction de suivre sa marche accoutumée. C'est dire assez que nous ne chercherons en aucune manière à nous faire d'un attentat odieux une arme électorale. Non, l'ardeur de la lutte ne nous fera jamais sortir des bornes de la modération et de la justice. Nous nous sentons assez forts contre ceux que nous combattons sans avoir à recourir à de pareils moyens d'attaque. Il y a trois mois, au moment de l'attentat du 16 avril, nous avons protesté contre la tactique de ceux qui n'y ont vu qu'un supplément à leur polémique. On ne nous verra point faire pour notre compte ce que nous avons blàmé chez les autres. Et d'ailleurs avonsnous besoin de les imiter? Le parti conservateur, précisément parce qu'il a une force réelle, peut mieux que tout autre se dispenser de chercher la victoire dans des expédients étrangers à ses principes. Le pays, par des manifes- . tations non equivoques, a montré qu'il comprenait ces principes et qu'il s'y associait chaque jour davantage. Le pays.

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