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ment; M. le général de Lamoricière n'objecte que la nécessité de certaines réserves transitoires très secondaires; enfin, c'est à cette idée qu'adhère et qu'aboutit en ces termes le dernier rapport de l'honorable M. de Tocqueville :

« Il ne faut pas imaginer que la méthode à suivre pour faire naître et développer les sociétés nouvelles differe >> beaucoup de celle qui doit être suivie pour que les socié»tés anciennes prospèrent. Voulez-vous attirer et retenir »les Européens dans un pays nouveau? Faites qu'ils y ren» contrent les institutions qu'ils trouvent chez eux ou celles » qu'ils désirent y trouver; que la liberté civile et religieuse » y règne; que l'indépendance individuelle y soit assurée; » que la propriété s'y acquière facilement et soit bien ga

rantie; que le travail y soit libre, l'administration simple » et prompte, la justice impartiale et rapide, les impôts lé»gers, le commerce libre; que les conditions économiques

soient telles qu'on puisse facilement s'y procurer l'aisance Det atteindre souvent la richesse; faites, en un mot, qu'on »y soit aussi bien, et, s'il se peut, mieux qu'en Europe, et » la population ne tardera pas à venir s'y fixer. Tel est le » secret, messieurs; il n'y en a point d'autres.

» Avant de se jeter dans des théories exceptionnelles et » singulières, il serait bon d'essayer d'abord si la simple » méthode dont nous venons de parler ne pourrait pas, par hasard, suffire; ce n'est pas celle, assurément, qui a été le plus souvent suivie en Afrique. »

Tel est l'état dans lequel a été laissé la question d'Afrique, après le vote de l'article additionnel suivant, proposé par la commission et auquel le gouvernement, n'osant le combattre, a prudemment adhéré :

« Il sera rendu compte aux Chambres, dans la session de 1848, de l'organisation de l'administration civile en Al» gérie. D

XI.

17 septembre 1847.

M. le duc d'Aumale est nommé gouverneur-général de

l'Algérie. Cette nomination est une faute, en ce qu'elle ne résoudra pas les difficultés existantes et qu'elle va en créer de nouvelles sur lesquelles il n'est pas nécessaire d'insister pour que tout le monde les pressente.

Ces réflexions n'ont rien qui doive blesser M. le duc d'Aumale; elles s'adressent à sa position, non à sa personne, car nous ne doutons pas que la position étant donnée, le nouveau gouverneur-général, dont on ne saurait contester ni l'esprit judicieux ni le courage éprouvé, ne fasse tout ce qui dépendra de lui pour s'élever à la hauteur d'une tâche dont la lourde responsabilité s'aggravera encore par une solidarité délicate. Ce qu'il y avait à faire était simple, c'est pourquoi on ne l'a pas fait ; ce qu'on vient de faire est imprudent sans être hardi, c'est pourquoi on l'a fait.

XII.

26 septembre 1847.

La nomination de M. le duc d'Aumale au gouvernement général de l'Algérie continue de donner lieu à une controverse fort animée entre le Journal des Débats d'une part, et d'autre part le Constitutionnel, le National et divers autres journaux de l'opposition.

Les uns, le National, prétendent que le nouveau gouverneur général est irresponsable; d'autres, le Constitutionnel, s'égarent dans des distinctions plus subtiles que fondées. sur les différences existant entre le gouvernement d'une province conquise et le commandement d'une flotte ou d'un corps d'armée. Si nous n'avons pas approuvé cette nomination, nous devons le dire, c'est par des motifs tout différents. Il faut être vrai; car il n'y a de force que dans la vérité. Eh bien! la vérité, c'est que M. le duc d'Aumale ne sera ni plus ni moins responsable que M. le duc d'Isly. Du jour où l'administration du jeune prince donnerait lieu à des réclamations sérieuses, à des résistances légitimes, à des plaintes nombreuses, ce qui est arrivé à M. le duc d'Isly arriverait infailliblement à M. le duc d'Aumale. Si on

ne voulait pas paraître le rappeler, on lui fournirait un prétexte, au besoin même, un motif, de donner sa démission. Mais veut-on aller jusqu'à supposer un cabinet poussant la complaisance jusqu'à l'obstination, jusqu'à l'aveuglement? Dans ce cas, rien de plus simple encore le changement du gouverneur se transformerait alors en question de cabinet; voilà, tout.

:

M. le duc d'Isly a été attaqué dans les journaux et discuté à la tribune; M. le duc d'Aumale ne sera pas plus ménagé; il faut qu'il s'y attende; il a dû s'y préparer dès qu'il s'est décidé à accepter des fonctions aussi difficiles à remplir. Qu'il ne s'abuse pas; le titre d'altesse royale ne le protégera pas plus contre le droit d'examen, même injuste, que la dignité de maréchal de France n'a protégé M. Bugeaud.

C'est donc à tort que le National essaie longuement de démontrer que le nouveau gouverneur-général de l'Algérie sera irresponsable. Le fût-il légalement qu'il ne le serait pas moralement. La tribune et la presse ne sont-elles pas là pour lui demander des comptes sevères, plus sévères peut-être encore à lui qu'à tout autre?

Légalement, moralement, nous le répétons, M. le duc d'Aumale sera responsable tout autant que ses prédécesseurs. Le nier, c'est méconnaître les faits et discuter à faux. Voilà quant à la question de responsabilité; maintenant, quant à la question de distinction que le Constitutionnel s'efforce d'établir entre le gouvernement auquel M. le duc d'Aumale a été appelé et le commandement d'une flotte ou d'un corps d'armée, nous en ferons justice en peu de mots. Sans doute, les fonctions de gouverneur-général de l'Algérie sont importantes; mais n'est-il pas aussi telle circónstance où du commandement soit d'une flotte soit d'un corps d'armée peut dépendre le gain d'une bataille, la grandeur et l'indépendance du pays? Laissons donc à l'écart toute distinction de ce genre qui ne supporte pas l'épreuve d'un examen approfondi. Une question du plus ou du moins est une question de conduite, ce n'est pas, ce ne saurait être une question de principe.

La question de principe est celle-ci ou les princes du sang ne doivent remplir aucune fonction publique, ou il n'en est aucune à laquelle ils n'aient le droit de prétendre.

La question de conduite est différente et se pose ainsi : Est-il sage, est-il politique de confier à un prince soit telle fonction, soit en telle circonstance tel commandement ?

Nous ne nous sommes pas dit : La nomination de M. le duc d'Aumale au gouvernement général de l'Algérie est-elle une atteinte portée à la Constitution? Nous nous sommes demandé N'est-ce pas une grave responsabilité qu'assume sur lui le cabinet sans aucune nécessité qui l'y contraigne; n'est-ce pas une délicate solidarité qu'il impose à la personne royale?

Nous nous sommes répondu :

Toute responsabilité qu'on aggrave, toute solidarité qu'on ́étend, sans nécessité démontrée, est une faute; tout danger qu'on peut écarter et qu'on affronte est une imprudence.

La nomination de M. le duc d'Aumale est donc une imprudence et une faute.

Elle est une faute parce qu'elle crée des exigences à la hauteur desquelles il est certain que le prince, gouverneur général, ne pourra pas atteindre.

Elle est une faute parce qu'elle expose le cabinet à des attaques contre lesquelles il lui sera difficile de se défendre.

Elle est une faute parce qu'elle donnera à l'opposition des avantages qu'il faut être aveugle pour n'avoir pas prévus. Elle est une faute surtout, parce que si M. le duc d'Aumale n'est pas plus habile ou plus heureux que MM. le maréchal Clausel, le maréchal Vallée, le maréchal Bugeaud, le père, quoi que fasse la responsabilité ministérielle, sera atteint dans l'insuccès du fils.

Or, nous vivons dans un temps où la royauté a déjà par elle-même trop peu de force et de prestige pour qu'oser risquer encore de l'affaiblir ou de la déconsidérer ne soit pas une imprudence, plus qu'une imprudence

li est bon que les princes donnent la mesure de leur courage, parce que le courage se prouve, et qu'il est bon qu'ils prouvent qu'ils en ont; mais il n'est pas bon que les princes donnent, sans nécessité impérieuse, la mesure de leur capacité aux prises avec des intérêts privés, parce que la capacité se discute, et qu'il est trop facile de la nier.

C'est done uniquement comme conservateurs presbytes, comme défenseurs vigilants de la royauté que nous nous sommes abstenus d'approuver la nomination de M. le duc d'Aumale au gouvernement général de l'Algérie.

Le National, qui la blâme dans ses colonnes, s'en applaudit dans ses bureaux.

XIII.

6 janvier 1849.

Bien des personnes ont pris pour une opposition systématique celle que, jusqu'au commencement de l'année dernière, nous avons faite au système de guerre adopté depuis 1841 contre les Arabes et l'émir. Il n'a fallu rien moins que la rentrée en France de M. le maréchal Bugeaud, et un changement complet dans la manière de faire la guerre, pour amener en quelques mois tous les résultats que nous avions prévus, et précisément de la manière que nous avons indiquée. Ainsi, constatons d'abord, d'après la lettre même de S. A. R. M. le duc d'Aumale, textuellement insérée dans tous les journaux du 3 janvier courant, que « ce sont les Kabyles du Maroc qui ont puissamment contribué à l'expulsion de l'émir du territoire du Maroc. » Le prince dit : «Battu par » les Kabyles du Maroc, chassé de la plaine de la Moulouìa » par les troupes de Muley-Abd-er-Rahman, l'émir, etc... Constatons ensuite, par les lettres de M. le général de Lamoricière, que c'est pour la première fois, depuis la prise de la smala, et même avant cette prise, que la cavalerie a été employée en colonne suffisante pour agir éloignée de l'infanterie; car c'est avec 700 chevaux que le général de Lamoricière s'est porté au sud des Beni-Snassen pour barrer

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