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décesseurs vous a été largement accordé; rien ne vous a été obstacle; tout vous a été concours; vous eussiez gagné des batailles pareilles à celles qui ont illustré les temps de la république et de l'empire que l'État ne vous eût pas plus magnifiquement récompensé ; partout, l'an dernier, à votre retour en France, on vous a dressé des arcs de triomphe et donné des banquets, même à Paris; si votre système n'a pas produit d'autres résultats que d'exiger de nous des sacrifices sans terme, que de donner à l'Europe le secret de notre faiblesse, que d'ajourner indéfiniment la solution de la question de la colonisation, qu'en faut-il penser ? N'en faut-il pas conclure que ce système n'est pas bon, qu'il y a aveuglement à persévérer dans une voie évidemment fausse, et qu'il est temps, grandement temps, de songer à en ouvrir une autre? — C'est ce que nous avons essayé de faire en insistant sur l'urgente et impérieuse nécessité de modifier enfin la guerre telle qu'elle se fait en Algérie, et d'augmenter notre cavalerie dans des proportions considérables. Les railleries d'un général contre un écrivain ne nous arrêteront pas, et nous le prouvons en ouvrant nos colonnes à des idées qui ont sur les vôtres l'avantage de n'avoir pas été condamnées par une expérience de quatre années!

La cavalerie de l'armée d'Afrique se compose de quatre régiments de chasseurs d'Afrique, d'un régiment de marche envoyé il y a dix-huit mois en Algérie à propos des opérations sur la frontière du Maroc, de trois régiments de spahis et de goums arabes.

Chaque régiment de chasseurs d'Afrique peut mettre en route au plus 600 chevaux valides :

soit. . . .

Le régiment de marche, au plus. ...

2,400 chevaux.

500

Total de la cavalerie française. . . . 2,900 chevaux.

Quant aux spahis et aux goums, on ne saurait les comparer à la cavalerie française; bien que les premiers soient commandés par d'excellents officiers français, on n'obtiendra jamais des Arabes une charge à fond comme on peut

Fattendre de la cavalerie française; conséquemment, bien que ces cavaliers arabes forment un total de 3,000 à 3,500 cavaliers, on ne peut les compter sérieusement comme cavalerie. Une excellente opération à faire serait de les démonter et de les désarmer en leur remboursant largement le prix de ce qu'on leur prendrait, puis d'envoyer de France 2.500 cavaliers à pied, qu'on incorporerait dans les régiments de spahis et qu'on monterait avec ces chevaux ; alors la cavalerie française serait portée tout d'un coup à 5.400 chevaux valides et disponibles.

Mais 5,400 chevaux ne seraient pas suffisants; c'est au chiffre de 20,000 chevaux, dont 3.000 de gendarmerie, qu'il serait necessaire de porter notre cavalerie; c'est donc encore 14,000 chevaux environ qui nous manquent.

Toutefois, avant de poursuivre cette argumentation, il convient de lui donner plus de poids, de citer les passages des recents rapports arrivés d'Afrique, dans lesquels nos généraux commencent à sentir vivement l'absence de la cavalerie et à apprécier tous les services qu'elle peut ren- ́ dre. M. le lieutenant-général de Lamoricière, dans son rapport du 1er octobre 1845, dit : « Au moment de terminer » cette lettre, je reçois de Mostaganem un rapport du géné» ral Bourjolly. Il y a eu une rencontre fort heureuse avec » les cavaliers des tribus récemment passées sous les dra» peaux de Bou-Maza. Il leur a pris 100 chevaux et tué 150 » hommes. Le colonel Tartas a conduit cette charge bril» lante. >>

Qu'eût été le résultat de cette affaire, sans cavalerie ? Parfaitement nul. On eût combattu sur place sans rien prendre; et quel n'eût pas été l'importance de cette affaire si on eût eu 1.000 chevaux à lancer contre l'ennemi? Sa perte totale eût été certaine; B ›u-Maza eût été pris.

Dans un rapport du 25 septembre dernier, M. le général Cavaignac s'exprime en ces termes : Le 22 septembre, le » camp fut établi au fond d'une vallée, dans une position » assez convenable, mais dominée à l'ouest par une suc» cession de collines dont la plus eloignee, couronnée par

» le village des Ouled-Zéeri, était occupée par 3 ou 400 » Kabyles... Cette position devait être enlevée; une colonne >> d'attaque, composée des voltigeurs et carabiniers du 15e » léger, des grenadiers du 41°, sous les ordres de M. le co»lonel Chadeysson; de 120 chevaux du 2° chasseurs et du » 2o hussards, commandés par M. le colonel Trembley, fut » chargée de cette opération.

» L'infanterie, si elle eût été seule, aurait eu beaucoup à » souffrir en gravissant péniblement une pente assez élevée. » Lancée au galop sous une vive fusillade, la cavalerie, par » la décision de son mouvement, força l'ennemi à se rejeter » sur le revers opposé, où il fut poursuivi avec vigueur... » Rien n'arrêta nos cavaliers qui, sabrant ceux qu'ils pu»rent atteindre, rejetèrent ces montagnards au fond de > ravins profonds ou sur des crêtes inabordables. »

Quand nos colonnes d'infanterie sont trop faibles, elles sont sacrifiées; quand elles sont fortes, elles passent au travers des populations sans pouvoir éloigner les combattants ennemis au-delà de la portée du fusil. Détruisent-elles les maisons, les troupeaux, les arbres fruitiers, elles ne font qu'exaspérer les Kabyles et provoquer de cruelles représailles.

Ainsi, nulle part on n'obtient de succès décisifs avec de l'infanterie attelée à ses convois, et la cavalerie fractionnée · en parcelles très faibles ne sert qu'à diminuer les pertes de notre infanterie, sans que la cavalerie elle-même puisse obtenir aucun succès décisif; car, en raison de l'exiguïté du nombre, elle ne saurait prudemment s'éloigner à plus d'une lieue des colonnes.

Actuellement, que l'on suppose dans la province d'Oran 50,000 hommes d'infanterie divisés en dix colonnes de 5,000 hommes chacune, et que l'on mette en présence de ces colonnes Abd-el-Kader avec seulement 2,000 chevaux; n'estil pas évident qu'il pourra sans cesse passer entre ces coJonnes, pénétrer dans le cœur du pays, se cacher dans les montagnes, et, partout esquivant notre présence, forcer les Kabyles à combattre contre nous, si déjà ils n'y étaient

disposés par la guerre de destruction qui les a si impolitiquement rangés sous les ordres de l'émir? Où en serait aujourd'hui M. le maréchal Bugeaud si le gouvernement lui avait accordé les 12,000 hommes qu'il demandait pour aller châtier les Kabyles du Jurjura?

V.

22 octobre 1845.

Si nos idées ne sont pas justes, M. le maréchal Bugeaud a un moyen infaillible de nous en convaincre; c'est au moyen de l'application des siennes d'assurer la pacification et la colonisation de l'Algérie.

Qui nous a fait douter que les siennes fussent bonnes? Qui nous a amenés à en accueillir de différentes ? C'est que tous les ans nous voyons s'accroître la somme des sacrifices que la possession de l'Algérie fait peser sur nous, sans voir faire un pas en avant à la questien d'occupation et de pacification par la colonisation.

A cela on nous répond: La colonisation d'un territoire aussi étendu que l'est celui de l'Algérie n'est pas l'œuvre d'un jour. Oui, sans doute, répliquons-nous, et l'objection serait fondée si l'occupation de l'Algérie par la France datait d'hier, mais elle date de 1830. Elle date de quinze ans; or, le Consulat et l'Empire, qui ont vu s'accomplir tant de merveilles, se résoudre tant de questions, se gagner tant de batailles, n'ont duré que quinze années. Dans ces quinze années, en Algérie, qu'a-t-on fait? On n'a même pas réussi à en finir avec Abd-el-Kader, et cependant nous nous souvenons qu'en 1841, M. le maréchal Bugeaud, la veille de son départ pour l'Afrique, nous disait : « Il faut en finir » avec Abd-el-Kader; dans trois mois j'en aurai fini avec » lui. » En a-t-on fini, en finira-t-on avec lui? Quoi qu'en ait pu dire le Journal des Débats, il est à craindre qu'on ne soit pas plus heureux ou plus habile dans l'avenir, même avec un effectif augmenté de 12,000 hommes, qu'on ne l'a été dans le passé. Quel progrès a fait la colonisation?

Nous voyons bien le nombre de ce qu'il plaît d'appeler « les colons» s'augmenter dans la proportion où s'augmente le chiffre de notre armée; mais rien de plus. En conscience, 80,000 artisans, marchands, spéculateurs de toutes conditions, de tous pays, de tous âges, se traînant à la suite d'une armée de 100,000 hommes, et vivant à ses dépens, est-ce là ce qu'on peut appeler colonisation, après quinze années d'occupation?

Si les moyens employés jusqu'à ce jour n'ont abouti à aucun résultat durable, de l'aveu de tous ceux qui viennent de visiter nos possessions d'Afrique; si la guerre, dès qu'on la croit éteinte, ne fait que couver pour se rallumer; si les tribus, dès qu'on les croit soumises, ne nous tendent la main qu'afin de se préparer plus sûrement à nous trahir; si la colonisation'n'attire à elle de malheureux émigrants que pour les voir s'éloigner de l'Algérie peu de mois après plus malheureux qu'ils n'y étaient venus, qu'en faut-il conclure? N'en faut-il pas conclure qu'il y a au moins lieu de chercher un mode de pacification et de colonisation plus efficace? Certes, nous aurions pu nous borner à constater le mal sans nous inquiéter du remède; rien ne nous obligeait, rien ne nous oblige à sortir des limites de la critique, à faire acte d'initiative; nous sommes la presse, nous ne sommes pas le gouvernement; pourquoi donc, en sortant de ce rôle étroit, n'avons-nous pas craint de nous exposer aux représailles et aux railleries de M. le maréchal gouverneurgénéral de l'Algérie? Nous allons le dire. C'est que la question est trop grave pour que nous ne fassions pas abnégation complète de tout sentiment personnel; c'est que si on ne se hâte de la trancher, il est à craindre que nous n'ayons chaque année dépensé cent millions, et envoyé à la mort vingt mille Français, la fleur de notre population, que pour aboutir à nous voir enlever l'Algérie au premier différend toujours sur le point d'éclater, quoi qu'on fasse, et bien qu'on cède, entre la France et l'Angleterre. — N'est-ce pas ainsi que le port d'Anvers a cessé de nous appartenir après que nous y avons eu dépensé des sommes considéra

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