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Le roi, pour la cinquième fois, a miraculeusement encore aujourd'hui échappé à une nouvelle tentative d'assassinat. Ce soir à six heures, au moment où il traversait le quai pour se rendre à Saint-Cloud, un coup de feu a été tiré sur lui par un homme âgé d'environ trente ans, qui s'était aposté non loin du corps-de-garde qui est situé à l'extrémité de la terrasse du bord de l'eau, presqu'en face le pont de la Chambre des députés. L'assassin n'avait sans doute choisi cette position que parce qu'il était informé que le roi ne passe jamais devant un poste sans mettre la tête à la. portière de la voiture et saluer. Le roi, qui occupait le devant, s'est empressé d'avertir par un signe qu'il n'avait pas été atteint. La voiture a continué sa route sur Saint-Cloud sans s'arrêter.

On ajoute, mais c'est une version dont l'exactitude ne nous est pas garantie, que l'arme de ce nouvel Alibaud aurait éclaté dans sa main et lui aurait emporté plusieurs doigts. Ce qui est certain, c'est que la place où il a été arrêté était tachée de sang. L'arme dont il s'est servi, si l'on en juge par la baguette, doit être une carabine ou un pistolet d'arçon. Le meurtrier a été arrêté ; il a avoué son crime.

Cet attentat nous désespère et nous humilie sans nous surprendre. Comment n'en serait-il pas ainsi, lorsque le roi est tous les matins désigné à la fureur des partis, nonseulement par les journaux qui se sont donné pour tâche de détruire ce que la Charte de 1830 a fondé, mais encore par les journaux qui appuient le plus vivement le ministère?

Ce nouveau coup de feu va retentir au loin! Puisse-t-il être un salutaire et dernier avertissement qui fasse réfléchir tout ce qu'il y a, en France, d'esprits honnêtes et faibles qui se précipitent aveuglément au devant de la guerre et de l'anarchie, en croyant n'obéir qu'à des inspirations de nationalité et de liberté ! Malheureusement, nous devons le dire dans notre sincérité, c'est moins une espérance qu'un vœu que nous exprimons, car précipitée dans une voie funeste par les journaux radicaux, légitimistes et ministériels, l'opinion publique égarée est déjà loin du sommet et près de l'abîme; elle n'entend plus les cris qui l'avertissent, elle n'écoute plus que ceux qui la poussent.

II.

17 octobre 1840.

Le Siècle et le Courrier français ne veulent pas permettre que nous usions envers eux de la liberté qu'ils se donnent avec le National. Ils sont furieux qu'en apprenant l'attentat de Darmès, nous ayons dit : « Comment n'en >> serait-il pas ainsi, lorsque le roi est tous les matins » désigné à la fureur des partis, non-seulement par les » journaux qui se sont donné pour tâche de détruire ce » que la Charte de 1830 a fondé, mais encore par les jour»naux qui appuient le plus vivement le ministère? »

Quand nous avons écrit ces paroles, ce n'est pas une polémique indigente et banale qui nous les a dictées, mais une conviction profonde et sincère. Oui, nous pensons que les journaux qui ont porté à la royauté de 1830 les plus funestes atteintes, qui ont déchaîné contre elle le plus de

fiances et de haines, ce ne sont pas encore tant les journaux qui l'ont attaquée ouvertement, que ceux qui l'ont accusée hypocritement; ce ne sont pas encore tant ceux qui travaillent violemment à la destruction du gouvernement représentatif, que ceux qui en demandent perfidement « la sincérité. »

Si vous n'aviez jamais attaqué que les ministres qui se sont succédé depuis 1830, MM. Laffitte, Casimir Périer, Thiers, Molé; si vous n'aviez jamais fait remonter plus haut que leur tête la responsabilité de leurs actes, nous n'aurions rien à vous dire, car vous auriez à nous répondre que ce que vous avez fait contre M. Molé nous le faisons à notre tour contre M. Thiers; mais il n'en a point été ainsi : entre l'opposition subversive que vous avez faite et l'opposition constitutionnelle que nous faisons, il y a l'épaisseur d'une révolution. Nous conviendrons, si vous le voulez, que nous attaquons M. Thiers avec acharnement, même avec injustice; mais aussi vous conviendrez que nous ne rendons que lui seul responsable de ses actes et de ses fautes, et qu'il est un reproche que nous ne lui avons jamais adressé, c'est celui d'être l'instrument d'une politique qui ne fût pas la sienne ou la vôtre. Nous nous en prenons à ses idées et à sa personne, mais nous ne nous en prenons pas à nos institutions et à la couronne. Si vous n'aviez jamais outrepassé les limites de cette opposition, peut-être la balle d'un assassin eût-elle visé la poitrine d'un des ministres du 13 mars, du 11 octobre, du 6 septembre ou du 15 avril; mais il ne fût pas venu à la pensée de Fieschi, d'Alibaud, de Meunier, de Darmès, de tuer le roi. Vous l'avez si souvent appelé la « pensée immuable, » qu'un fanatique a bien pu le nommer sans éclater de rire : « Le plus grand tyran des » temps anciens et modernes. (1) »

Nos clameurs, dites-vous, n'ont d'autre objet qu'un changement de ministère, d'autre but que de préparer la restauration de M. Molé. Encore une fois, nous vous le répé

(1) Interrogatoire de Darmès.

tons, quand vous dites cela, vous en imposez à vos lecteurs, et vous leur en imposez sciemment, car aujourd'hui vous n'en êtes plus à ignorer que pour le rédacteur d'un journal influent, qui n'aspire pas à être conseiller d'État, préfet, receveur-général, référendaire à la cour des comptes, membre du conseil de l'instruction publique, qui n'ambitionne aucune fonction rétribuée, qui a une plus noble ambition, celle de faire triompher des idées, il n'y a pas de tâche plus délicate, plus ingrate que celle qui consiste à soutenir un ministère composé de ses amis politiques, à s'occuper sans relâche de pallier leurs fautes, d'apaiser leurs rivalités, de stimuler leur activité, de faire enfin qu'ils fassent quoi que ce soit qui ne se borne point à une circulaire, et qui laisse une trace de leur passage aux affaires! Aujourd'hui vous devez bien savoir qu'une telle mission est toute d'abnégation, et qu'on la redoute plus qu'on ne la recherche quand on l'a remplie une fois, et qu'on a vu de quelle volonté puissante et opiniâtre il faut qu'un ministre soit doué, pour vaincre les obstacles de toute nature qui se liguent contre toute amélioration, contre toute réforme!

III.

15 mai 1841.

Les faits que met à jour le rapport de la commission de la Chambre des pairs chargée d'instruire dans l'affaire de l'attentat Darmès contre la personne du roi, portent avec eux de trop graves enseignements, pour que l'étendue de cet important document, et les frais d'un supplément, soient des motifs devant lesquels nous puissions nous arrê ter. La publicité a ses devoirs.

Il faut que tout ce qui, en France, a un cœur droit avec un esprit faux, une conscience honnête avec une imagination ardente, facile à surprendre, facile à exalter, facile à égarer par les mots de progrès et de liberté, connaisse à fond et la moralité des hommes qui se déclarent les ennemis de la royauté, et la valeur des principes qu'ils préten

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