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que et soumettant à des considérations d'un ordre supérieur ses engagements de la sainte-alliance, elle accepta les faits accomplis et salua de son assentiment la nouvelle constitution et la nouvelle dynastie. Qui fit donc renaître une défiance qu'un tel ébranlement n'avait pas suffi pour susciter dans la politique européenne? Il ne faut pas se le dissimuler, ce fut la politique que le Siècle abandonne aujourd'hui, la politique de l'opposition de 1831. Cette politique fit entendre de nouveau le cri de propagande et de guerre, elle menaça l'Europe, elle réclama à grands cris la rive gauche du Rhin et le rappel des faits accomplis; elle rétablit la défiance, en un mot, et cet état de choses, ces préventions réciproques, dont elle sollicite aujourd'hui l'abandon.

Il en résulta, ce que nous avons vu, que la politique de la France se trouva subordonnée à la politique de l'Angleterre. Il en résulta encore, ce que nous voyons aujourd'hui, que l'alliance intime entre la France et l'Angleterre, en dehors des circonstances et des intérêts passagers qui ont pu la faire naître, étant contraire à la nature des choses, elle se brise, malgré les efforts des gouvernements, par la résistance individuelle des peuples, et, d'un autre côté cependant, les préventions de l'Europe subsistant toujours, et la France ne voulant pas se résoudre à l'isolement, la France se trouve repoussée dans cette alliance aussi contraire à ses sympathies nationales qu'a ses intérêts et à sa grandeur.

Une seule circonstance peut l'affranchir entièrement de cette alliance, c'est le rétablissement de la confiance entre elle et l'Europe, c'est l'abaissement de cette barrière de preventions et de haines que la politique de l'Angleterre a su lui opposer. Aussi voyons-nous avec une satisfaction vive et sincere tout ce qui peut préparer ce résultat si desirable. C'est à ce titre que la declaration faite par le Siècle, au nom de l'ancienne opposition de 1831, nous a paru meriter d'être signalée.

V.

23 juillet 1846.

Nier que M. de Lamartine eût aucune popularité avant qu'il rompit, en 1842, avec le parti conservateur, dont il fut un moment l'un des chefs, le chef presque unique dans la Chambre des députés (MM. le comte Molé et le comte de Montalivet appartenant l'un et l'autre à la Chambre des pairs), c'est audacieusement supprimer de sa carrière parlementaire plusieurs de ses plus beaux discours, des discours qui furent des actes, entre autres celui qu'il prononça le 10 janvier 1839 (1); c'est supprimer de sa vie politique les admirables articles datés de Mâcon, 1839, sur la reconstitution des 221; ceux non moins admirables, également datés de Mâcon, 1840, qui furent les premiers et les plus rudes coups portés au ministère du 1er mars, lequel aurait présenté ce spectacle sans exemple d'un cabinet soutenu par tous les journaux sans exception, si la Presse, résistant seule à cet entraînement, n'avait manqué à cette unanimité ; c'est oublier l'effet immense que produisirent ces articles, c'est oublier le service plus immense encore qu'ils rendirent au pays inquiet, à la paix compromise, à la liberté menacée.

Nous en appelons à tous les souvenirs, à tous les partis, et nous leur demandons si cet instant ne fut pas celui où

(1) Ce discours se terminait ainsi :

« Je me résume et je dis : Si les adversaires du cabinet nous présentaient un programme conforme à ces grands principes de progrès social anxquels je faisais allusion tout à l'heure, si vous étiez des hommes nouveaux, je voterais avec vous; mais tant qu'il ne s'agira que de renverser des hommes sans toucher aux choses, et que de ratifier aveuglément je ne sais quels marchés simoniaques dont nous ne connaissons pas même les clauses pour le pays, je continuerai à voter, dans les questions de cabinet, pour les ministres de l'amnistie et de la paix, contre les ministres énigmatiques dont les uns ont un pied dans le compte rendu, les autres dans les lois de septembre, et dont l'alliance suspecte et antipathique ne permet à mon pays que deux résultats funestes qu'il vous était donné seuls d'accomplir à la fois la dégradation du pouvoir et la déception certaine de la liberté, »Ne vous y trompez pas, je ne me pose ici le défenseur et le panégyriste d'aucun cabinet; JE NE VOIS PAS LES HOMMES, MAIS JE VÕIS UNE CRISE SANS DÉNOUMENT ET SANS ISSUE; c'est plus qu'un cabinet, c'est une situation du pays que je viens defendre. »

M. de Lamartine parut à la fois le plus puissant et le plus populaire?

Le plus populaire, car il s'était montré le plus courageux; le plus puissant, car, au lieu de se borner à refuser avec désintéressement le portefeuille ou l'ambassade qui lui fut offert, à son choix, le 28 octobre 1840, il n'aurait eu qu'à s'opposer à ce que le cabinet du 29 octobre se formât pour qu'il ne vécût pas et qu'il s'en constituât un autre, dont ni M. Guizot ni M. Thiers n'eussent fait partie.

M. de Lamartine, au pouvoir avec M. le comte Molé, après les deux essais du ministère du 12 mai 1839 et du 1er mars 1840, c'était une politique nouvelle, c'était une politique sympathique à toutes les idées élevées, généreuses ; c'était une politique de paix et de progrès en même temps que d'ordre et de liberté ; M. de Lamartine dans l'opposition, en opposition avec M. Thiers et M. Barrot, c'est l'opposition divisée, c'est l'opposition affaiblie, c'est l'opposition déconsidérée, c'est le progrès retardé ! Voilà la belle œuvre qu'ont faite ces bas racoleurs de la gauche, qui, profitant de ce qu'il y avait des dissidences entre la majorité et l'illustre député de Mâcon, n'ont pas eu de cesse qu'ils ne l'eussent fait glisser sur la pente de l'opposition, d'où il est si difficile de remonter.

Et quand il serait vrai, ce qui ne l'est pas, qu'il ne tînt qu'à M. de Lamartine « de rallier par sa parole et son » exemple tous les esprits désintéressés, tous les cœurs hon» netes, à la bannière de l'opposition véritable, » que représenteraient réunis tous les esprits désintéressés, tous les cœurs honnêtes de l'opposition? La minorité parlementaire, c'est-à-dire l'impuissance légale.

Quand on a des convictions profondes, une haute ambition, un immense talent, quand on sent en soi une grande mission à remplir, quand le progrès n'est pas un nom donné à un ballon enflé d'air servant à porter l'orateur ou l'écrivain par-delà les nuages, quand c'est un mot qui résume des idées arrêtées, avides de réalisation, impatientes de

triompher de leurs négateurs, ce n'est pas au devant de la minorité qu'on va, c'est au devant de la majorité.

L'une des supériorités de M. Guizot, c'est d'avoir compris cette vérité que la force était là où était la majorité.

La majorité a parfois ses exigences; elle ne s'acquiert pas toujours sans prétendre qu'on lui fasse quelques sacrifices; mais les sacrifices que sait lui faire un homme supérieur ne sont jamais que temporaires, et pour deux concessions qu'elle a obtenues de lui, il en est cent qu'il obtient d'elle.

Le jour où M. de Lamartine a cédé à l'importunité plus qu'à l'entraînement de vos conseils, le jour où il a quitté la tête des 221 pour prendre la file de l'opposition, ce jour-là, nous le lui avons dit, comme aujourd'hui nous vous le répétons, ce jour-là, ce n'est pas la cause de la majorité qu'il a désertée, c'est la cause du progrès. La porte du pouvoir était entr'ouverte au progrès, M. de Lamartine la lui a fermée. Qui la lui ouvrira maintenant si nous ne réussissons pas à obtenir que ce soit M. Guizot? Mais nous l'espérons, nous voulons l'espérer, ce sera celui-ci, et ce qui sera la gloire de son esprit, la durée de son ministère, sera le châtiment de votre erreur, la faiblesse de votre opposition.

Chacun son goût: vous vous complaisez dans la minorité, demeurez avec elle; nous avons, nous, le travers de préférer la majorité; ne soyez pas intolérants et pardonnez-nous cette faiblesse ; seulement, nous voulons que la majorité représente tous les grands intérêts du pays, tous ses besoins légitimes, toutes ses idées généreuses, toutes ses tendances élevées.

VI.

8 août 1816.

L'opposition a si bien la conscience de son impuissance, elle a une telle frayeur d'être mise en demeure d'appliquer ce qu'il lui plaît d'appeler « ses principes et ses idées, » qu'à peine les scrutins étaient-ils dépouillés, elle s'est empressée de proclamer sa défaite et le triomphe du ministère, presque de les exagérer!

Ceux qui, comme nous, connaissent l'opposition, l'ont vue de près, l'ont attentivement étudiée dans ses chefs, dans ses soldats, dans ses discours, dans ses actes, dans ses manœuvres, dans ses journaux, dans ses brochures, dans ses livres, savent qu'à part quelques ambitieux subalternes, impatients, ceux-ci par besoin, ceux-là par cupidité, d'ètre mis en possession des places qu'ils convoitent, ce que l'opposition de gauche redoutait le plus, c'était la victoire, c'était une deuxième édition du ministère du 1er mars 1840. Elle respire! Nous ne voudrions pas affirmer que M. Thiers lui-même ne partageât pas les défiances dont il est l'objet. S'il ne les partageait pas, pourquoi donc aurait-il prononcé à la tribune ces discours dont rien ne lui imposait la nécessité, et qui paraissaient n'avoir d'autre but que d'éloigner le jour encore trop prochain de son retour aux affaires, tout en se donnant la satisfaction de meurtrir au visage d'anciens collègues devenus ses successeurs ? •

Nous comprenons parfaitement ces craintes et ces défiances de l'opposition, car elle a dû prévoir l'hypothèse où le ministère serait vaincu dans les élections, et se poser cette formidable question: Majorité, que ferons-nous?

La réforme électorale? Mais nous sommes cinq ou six groupes dont pas un n'est content de ce que l'autre pro- . pose. Qui nous mettra d'accord?

La réforme parlementaire? Mais nous n'avons rien trouvé de mieux que la proposition adoptive de M. de Rémusat, dont nous avons été les premiers à reconnaître les imperfections, les contre-sens, et à déclarer que c'était moins une proposition qu'un « cadre. » Qui nous donnera la solution?

La réforme universitaire? Mais la liberté de l'enseignement, au travers de laquelle nous apercevons la concurrence du clergé, le retour des corporations religieuses, est un danger contre lequel la liberté de la presse, l'esprit du siècle, toutes nos institutions, ne suffisent pas à nous rassurer. Qui parmi nous saura concilier les droits de l'État avec ceux des familles?

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