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paille. Un peu d'air les gonfle; mais le plus léger contact les crève, il n'en reste rien. Elles n'existent que par le vide.

Un pays vaut ce que vaut une bonne administration; un peuple vaut ce que valent les hommes qui le gouvernent.

III.

9 octobre 1843.

L'article dans lequel nous avons montré quelles étaient les véritables causes de la faiblesse et de la division de l'opposition a vivement ému ses divers organes.

Que l'opposition doive préparer les voies de l'avenir, ce n'est certes pas nous qui lui avons jamais contesté et qui lui contesterons ce droit. Ce que nous avons dit et ce que nous allons encore répéter, c'est que la réforme électorale et la réforme parlementaire ne sont pas les voies de l'avenir, mais les ornières du passé, des ornières à travers champs, labourant l'espace et n'aboutissant à aucun but. L'opposition, en les suivant, se condamne à de vains efforts et à l'immobilité! En effet, depuis douze ans qu'elle sue sang et eau pour faire avancer le gouvernement et le pays, leur a-t-elle fait faire un seul pas en avant dans la direction où elle aurait voulu les conduire? Toutes ces propositions, et nous ne parlons pas de celles mort-nées, mais seulement des plus robustes, ne sont-elles pas venues successivement expirer de langueur et d'étisie, au pied de la tribune, désavouées par leurs propres auteurs, sans même en excepter celle à laquelle, dans la session dernière, M. Odilon Barrot ne craignit pas d'attacher son nom? Ses amis, si nous avons bonne mémoire, ne furent-ils pas les premiers à en décliner la solidarité, à dire de cette proposition qu'elle avait été trop légèrement ébauchée, qu'elle manquait de maturité? La lecture n'en fut pas même autorisée. Qu'est-ce que c'est donc qu'un parti à qui dix années ne suffisent point pour donner à ce qu'il appelle « ses » idées,» un peu de précision, et qui, dès qu'il veut faire acte de virilité, n'aboutit qu'à faire preuve d'impuissance?

La grand erreur de l'opposition dynastique, dont on peut dire avec vérité que M. Odilon Barrot est moins le chef que le grand sacrificateur, c'est d'avoir confondu deux époques qui n'avaient rien de commun. Jusqu'où peut conduire un anachronisme! L'opposition se croit encore à cette époque de la restauration où une minorité imperceptible pouvait s'écrier qu'elle avait derrière elle la nation tout entière. Erreur, illusion! Désabuser l'opposition, lui dire la vérité, ce sera lui rendre service; nous la disons bien au gouvernement, pourquoi done ne la dirions-nous pas à l'opposition, avec une égale liberté, avec une égale bonne foi? L'opposition est-elle done infaillible ou privilégiée, et là où flotte son drapeau, le droit de discussion ne peut-il pénétrer et doit-il reculer? Non, nous ne sommes plus au temps qu'on rappelle; ce temps est passé, il ne reviendra pas. La révolution de 1830 a placé sur le trône une dynastie nouvelle; effacé le préambule et l'article XIV de la charte octroyée; repris le drapeau de l'empire; aboli l'hérédité de la pairie; abaissé à 500 fr. au lieu de 1,000, et à 30 ans au lieu de 40 le cens et l'âge des éligibles; abaissé à 200 fr. au lieu de 500, et à 25 ans au lieu de 30 le cens et l'âge des électeurs; reconnu à la Chambre des députés le droit de nommer son président, et aux électeurs le droit d'élire les présidents de leurs colléges; étendu aux deux Chambres le droit d'initiative, dont le roi jouissait exclusivement; soumis à la réélection les députés promus à des fonctions publiques; supprimé l'article qui déclarait la religion catholique la religion de l'État; interdit le rétablissement de la censure; restitué au jury le jugement des délits de la presse et des délits politiques; donné aux communes et aux départements une représentation si large qu'on pourrait lui reprocher d'admettre trop facilement l'ignorance, etc., etc. Voilà ce que l'opposition a le tort d'oublier! Et ce tort fait qu'elle s'attache à demander de vaines réformes politiques dont le pays ne se soucie nullement, au lieu d'insister pour obtenir d'utiles réformes économiques, fiscales et administratives, après lesquelles aspirent tous

les contribuables, réformes qui donneraient à la France, à son agriculture, à son industrie, à son commerce, à son crédit et par suite à sa politique extérieure une vie nouvelle, une force décuple! Parler de défendre encore la Charte comme au temps de M. de Villèle, quand personne ne songe à l'attaquer, c'est se jeter dans l'absurde et le ridicule, c'est donner l'explication du discrédit dans lequel les exagérations de l'opposition l'ont fait tomber. Nous avons dit que le vieux terrain libéral n'existait plus; tout le démontre. La Chambre des députés doit se renouveler intégralement tous les cinq ans. Or, jamais, depuis 1830, le gouvernement n'a attendu qu'une législature eût accompli son terme; il l'a toujours devancé, usant de son droit de dissolution, en usant presque jusqu'à l'abus. Cinq élections générales ont eu lieu en douze ans ! Si le pays, appelé si souvent à se prononcer et à exercer ses droits politiques, avait réellement souhaité une réforme électorale, croyez-vous qu'ayant tant d'occasions d'en manifester le désir, il n'en eût pas saisi au moins une ? La réforme électorale, depuis si longtemps qu'elle est prônée par tous les journaux de l'opposition, a-t-elle gagné un pouce de terrain dans les colléges électoraux, conquis un suffrage de plus dans les deux Chambres? Il faut être aveugle pour ne pas voir que ce n'est pas sur ce point que se portent les préoccupations du pays; il ne se plaint pas que la liberté et l'égalité lui manquent; s'il se plaignait, ce serait plutôt du contraire. Où il souffre, c'est dans sa dignité, c'est dans son activité. Au dehors et au dedans, les affaires sont mal conduites; il le sait et il le sent. Les hommes qui le gouvernent pensent trop rarement à lui, trop souvent à eux; il le voit. Ce besoin impérieux, insatiable, de rendre le peuple, dont on tient les destinées dans sa main, plus grand, plus heureux, plus illustre, ce besoin d'associer son nom au sien dans l'histoire, ce besoin de tous les instants qui fait seul les grands ministres, qui les assiége, les tourmente, les inspire et change pour eux en voluptés les fatigues et les veilles, ce besoin, il est clair qu'ils ne le ressen

tent pas! La passion du bien public ne se révèle pas plus en eux que le génie des grandes choses! De là cette langueur du pays. Ce qui manque à la France, c'est la certitude que le langage qu'on lui fait tenir est toujours digne d'elle, noble et conciliant, ferme et généreux, que de graves intérêts ne sont jamais sacrifiés à de petites considérations; ce qui manque à la France, c'est une administration zélée, intelligente, active, qui contrôle tout et n'entrave rien, que stimulent les efforts et les prodiges de l'industrie, qui rivalise avec elle d'activité et d'imagination, et à chaque produit nouveau ouvre un nouveau débouché; ce qui manque enfin à la France, c'est une opposition qui ne soit pas au dessous de sa tâche et moins capable encore que les ministres qu'elle attaque. L'opposition fût-elle plus nombreuse et parfaitement unie, qu'elle ne serait pas plus forte, car, encore une fois, ce n'est pas parce qu'elle est divisée qu'elle est faible, c'est parce qu'elle est caduque. Si tous ses coups portent à faux, si toutes ses idées se dissipent en vain bruit, si aucun de ses chefs n'a plus d'écho dans le pays, n'en cherchez pas ailleurs la cause.

IV.

16 août 1844.

L'opposition, la nuance d'opposition du moins que le Siècle représente dans la presse périodique, abandonne décidément les errements de 1831. Elle accepte définitivement les faits accomplis; elle renonce à disputer la rive gauche du Rhin à l'Allemagne; elle y renonce « pour le présent et pour l'avenir, et, convaincue enfin que notre ennemi véritable et nos véritables intérêts sont d'un autre côté, elle demande que ce sujet de haine et de querelle « disparaisse à jamais » entre l'Allemagne et nous.

Nous prenons acte de cette déclaration, qui est d'une saine politique; puisse la gauche s'y montrer fidèle! Ses déclamations belliqueuses, en inquiétant l'Europe continentale,

ont trop longtemps servi les desseins de l'Angleterre. Il est sage d'y renoncer.

Puisse l'Allemagne, de son côté, ajouter foi à ces paroles et se convaincre enfin qu'il n'y a plus en France d'autre parti de la propagande et de la guerre que l'imperceptible minorité radicale! Puisse-t-elle comprendre aussi que tous les intérêts sont communs entre elle et la France! Le jour où les convictions pénétreront dans tous les esprits en Europe, deux grands résultats seront obtenus. L'Europe, libre des préoccupations qui la portent à consacrer la plus belle part de ses ressources à se garantir de dangers imaginaires, pourra développer toutes les sources de sa prospérité intérieure, et l'Angleterre, privée de l'appui que donnent à sa politique les préventions réciproques qu'elle sait entretenir. parmi les peuples du continent, pourra commencer à trembler pour la durée de cette prépondérance sans base qu'elle a su conquérir au préjudice de tous.

C'est une situation étrange, en effet; mais voilà cinquante ans qu'elle dure, voilà cinquante ans que l'Angleterre fonde l'édifice de cette grandeur devant laquelle semblent s'incliner aujourd'hui tous les peuples, sur les mésintelligences qu'elle sait susciter entre eux. Elle a si bien mis en garde T'Europe contre la France et la France contre l'Europe, si bien persuadé à la France que l'Europe en voulait à ses libertés, à l'Europe que la France, avide de conquêtes et possédée d'un indomptable besoin de propager ses idées par les armes, menaçait ses nationalités et ses pouvoirs, que la France et l'Europe, toujours armées, toujours en défiance l'une contre l'autre, n'ont pas eu de préoccupation plus vive, et ont laissé l'Angleterre accomplir sans obstacle ce vaste système d'accaparement qui l'a rendue maîtresse de toutes les mers.

Et cependant, il y a quinze ans, la France et l'Europe n'étaient pas loin de s'entendre. Les événemens de 1830 eux-mêmes n'eussent pas suffi pour arrêter entre elles le rétablissement de la confiance. L'Europe le montra bien quand, renonçant à son système de propagande monarchi

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