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tout quand ces lignes ont pour commentaire non équivoque celles qui précèdent? Affirmer que « de part et d'autre, gouvernement et opposition, s'exagèrent, celui-là le danger, celle-ci l'avantage de certaines réformes politiques; » affirmer que le suffrage universel ne rendrait pas la » France plus libre et ne donnerait pas à la représentation nationale plus d'éclat et des membres plus éclairés, plus » indépendants, » est-ce là, en vérité, confesser la même foi politique que l'opposition? Entre cette négation et cette affirmation, où done est l'inconséquence? L'opinion que nous avons émise sur le droit universel de suffrage est celle que nous avons toujours professée en toutes circonstances et en tout temps. Non, nous ne croyons pas que la France soit plus faible que la Belgique et que l'Espagne, où tout contribuable est à peu près électeur. Oui, nous croyons que ce que supportent ces deux pays, elle le pourrait à plus forte raison supporter sans tomber dans l'anarchie; mais entre cette conviction profonde que nous avons, et l'espérance illusoire qu'une réforme électorale résoudrait tous les problèmes de liberté, d'ordre, de progrès et de gouvernement, il y a toute la distance qui sépare les opinions de la Presse de celles du Siècle, du National ou de la Gazette de France. Nous croyons, par exemple, que si la loi municipale votée en 1831 était à faire, elle serait conçue aujourd'hui dans un esprit tout différent. Telle qu'elle est, cependant, le pays s'en accommode, et il en souffrirait peu, si l'administration des préfets et des sous-préfets était ce qu'elle devrait, ce qu'elle peut être. Il faut que des lois politiques soient bien mauvaises pour être dangereuses, dans un pays où l'administration publique est bonne.

Les lois électorales, quelque radicales ou restrictives qu'on les imagine, n'ont pas la vertu de suppléer les hommes supérieurs là où ils n'existent pas. Les gouvernements ou les partis qui croient qu'il n'y a qu'à changer certaines lois politiques, pour voir résoudre aussitôt les difficultés contre lesquelles ils luttent, tombent les uns et les autres dans une erreur qui a toute la profondeur d'un

abime : c'est cette erreur qui a perdu la Restauration; c'est la même erreur qui a discrédité l'opposition. Les institutions, si parfaites qu'on les imagine, ne peuvent pas plus se passer du concours de l'homme que les plus puissantes ma-. chines; celles-là mêmes qui sont douées de la force de mille chevaux ont encore besoin de lui pour être mises en mouvement. Un seul homme comme Napoléon (que le Siècle nous pardonne cette hérésie!) a plus de valeur à nos yeux que les cinq ou six cents lois que nos deux Chambres ont votées depuis qu'il a cessé de régner sur la France. Ce n'est pas à dire, cependant, que nous ne fassions aucun cas des formes constitutionnelles; loin de là: nous ne sommes nullement de l'avis de ceux qui les considèrent comme un affaiblissement du pouvoir royal et monarchique; nous les considérons, au contraire, comme des arcs-boutants qui ajoutent à sa force. La royauté est plus puissante en Angleterre et en France, où l'impôt, pour être perçu, a besoin d'être voté, qu'elle ne l'est en Autriche, en Russie ou en Turquie, dans quelque gouvernement absolu que ce soit, où l'impôt n'a pas besoin d'être voté pour être perçu. Qui pourrait mettre en balance le droit de disposer plus ou moins arbitrairement de la liberté, de la fortune, et même de la vie de quelques sujets, avec la faculté de lever annuellement, sans résistance, quinze cents millions d'impôts, et de pouvoir em-prunter presque indéfiniment?

Or, le crédit public n'existe en réalité que là où le bon vouloir des rois a fait place au vote d'une représentation nationale. Personne n'est plus que nous sincèrement dévoué à la forme du gouvernement qui nous régit, mais nous ne le sommes point en ultrà; nous ne lui demandons que ce qu'elle comporte, et rien au-delà. A notre avis, c'est en abuser que de s'en servir pour remettre sans cesse en question ce qui a été décidé, pour faire tout dégénérer en discussions oiseuses, en interminables luttes de tribune, en vains tournois oratoires. Nous voudrions qu'on agit plus et mieux et qu'on dissertât moins; nous pensons qu'il y a des propositions dont l'adoption serait plus urgente et plus utile

que celle de la réforme électorale ou parlementaire; nous pensons que le lendemain du jour où ces deux propositions, ou même toutes autres plus radicales, auraient reçu la sanction législative, les chefs de l'opposition n'en deviendraient pas pour cela miraculeusement des hommes d'État consommés; la Chambre des députés n'en aurait ni plus de lumières ni plus d'indépendance, peut-être moins encore; le pays enfin n'en serait pas mieux gouverné. Et c'est sans doute parce que le pays partage avec nous cette conviction que toute proposition de réformes politiques le trouve si froid, si indifférent, et qu'il pèse d'un poids si léger sur le corps électoral. Quittez Paris, allez dans les départements, visitez les communes, consultez leurs habitants, rendez-vous compte de ce qui les intéresse, de ce qui les occupe, de ce qui les agite, et, si vous n'êtes pas aveugles, vous verrez que ce dont ils se soucient le moins, c'est d'une réforme électorale; que ce dont ils s'occupent le plus, c'est d'abord de l'impôt qu'ils payent, c'est ensuite de leurs chemins et de leurs routes, c'est de savoir à quelle distance passera d'eux le canal ou le chemin de fer projeté ; c'est enfin de la réparation de leurs églises presque partout en ruines, de l'agrandissement de leurs hospices tous les jours de plus en plus insuffisants, de la construction de leurs mairies et de leurs maisons d'école ; pénétrez au sein des familles, regardez bien, et vous verrez de quel poids douloureux pèse sur elles la loi qui fait du service militaire une obligation civile à laquelle n'échappe que l'infirme et celui que la fortune ou le sort a favorisé. Ah! quelles bénédictions recueilleraient le gouvernement et le ministre qui, revenant au système de la loi de 1818, et le perfectionnant, substitueraient au régime des appels celui des enrôlements volontaires, n'enlèveraient plus le fils à ses parents au moment où son travail va les payer de leurs soins, le paysan à sa charrue, laisseraient sans interruption poursuivre leur profession ceux qui en ont une, et en donneraient une à ceux qui n'en ont pas ou qui sont à charge à leurs familles! Mettez aux voix dans toutes les communes de France votre proposition

de réforme électorale et notre proposition de rendre volontaire le service militaire par suite d'une nouvelle et facile constitution de l'armée, et vous verrez si c'est de nouveaux droits politiques que les populations sont avides!

Donnez à cette multitude de petits propriétaires qui n'ont qu'une pensée, celle d'agrandir leur champ, d'arrondir leur domaine, et qui s'imposent volontairement les privations les plus dures afin de pouvoir payer les intérêts des sommes que chaque acquisition qu'ils font les contraint d'emprunter, donnez-leur les moyens de se libérer plus facilement, prêtez-leur à un taux moins onéreux en associant le crédit public au crédit individuel, et si ce n'est pas dans cette voie nouvelle que sont la popularité, la force et la richesse, nous aurons tort et vous aurez raison. Aujourd'hui cette classe si nombreuse épargne et ne consomme pas; réformez le régime hypothécaire; de l'impôt faites la base de l'emprunt et la garantie du prêt, et cette classe, sans discontinuer d'épargner, consommera. Vous aurez découvert un peuple nouveau de consommateurs, qui, en même temps qu'il donnera à votre industrie et à votre commerce un essor nouveau, viendra encore accroître le produit de vos divers impôts.

Cent millions, c'est le moins que, dans nos idées, on puisse et doive réduire sur les dépenses du budget de la guerre, tout en élevant la solde de nos officiers et améliorant la solde du soldat. Ce qu'on pourrait faire avec cette somme annuelle, bien employée, serait immense!

Il y a des impôts qui ont le triple inconvénient d'être improductifs, vexatoires, illibéraux; on pourrait les supprimer.

Il y a des départements qui supportent proportionnellement des charges trop lourdes; la péréquation qu'ils sollicitent impatiemment pourrait s'opérer par voie de dégrève

ment.

Il y a des fonctions publiques qui sont insuffisamment rétribuées; on pourrait élever les traitements aussi haut que cela serait nécessaire pour acquérir le droit de choisir le meilleur personnel possible.

Il y a plusieurs applications économiques dont il serait utile de tenter l'essai on pourrait l'entreprendre.

L'instruction primaire pourrait être assimilée à la religion et à la justice, dont l'État supporte les frais, etc., etc.

Si nous revenons si souvent sur ce dernier point, c'est qu'à nos yeux la préface de toute bonne loi électorale est une bonne loi sur l'instruction populaire.

Que le Siècle se raille de nos idées, qu'il les appelle des « utopies, » nous ne raillons pas les siennes, pour une excellente raison que nous croyons superflu d'expliquer. Ce que nous tenons à prouver, non pas à ses lecteurs, mais aux nôtres, c'est que, lorsque nous poussons le dédain pour les prétendues réformes qui composent le programme de l'opposition jusqu'à les considérer comme fort peu dangereuses, jusqu'à admettre les plus radicales comme presque insignifiantes, loin d'être en contradiction avec nous-mêmes, nous restons parfaitement conséquents avec tous nos antécédents et tous nos principes.

Mais que nos amis, à leur tour, ne nous accusent pas d'imprudence. L'expérience n'est-elle pas pour nous ? L'expérience n'est-elle pas toujours venue décevoir les espérances que l'opposition avait mises dans celles de ses propositions qu'elle a pu faire adopter? Par exemple, la loi qui a soumis à la réélection les députés promus à des fonctions publiques salariées, n'a-t-elle pas, de l'aveu même de l'opposition, trompé son attente? Avoir le crédit de se faire nommer à un poste important, n'est-ce pas, aujourd'hui, le plus sûr moyen de s'affermir dans son collège et de conquérir l'inamovibilité électorale ?

Voici notre conclusion, dût-elle encore nous attirer les injures du Siècle :

Il ne faut pas laisser les hommes d'opposition s'emparer du pouvoir, parce que c'est un dépôt qu'on ne retrouve plus intact dans leurs mains, le jour où l'on veut le faire passer à d'autres moins faibles ou plus habiles; mais il ne faut pas non plus prendre trop d'ombrage des vieilles idées libérales ce sont des bulles de savon suspendues à un tuyau de

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