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telle armée ? Dans quel but? De quel système politique cet état militaire est-il l'expression? Que veut la France? Quels sont ses alliés naturels, quels sont ses ennemis probables? N'a-t-elle donc pas de dépenses plus utiles et plus urgentes, un meilleur emploi à faire de la richesse publique ? Voilà des questions sur lesquelles l'opposition n'a jamais sommé le gouvernement de s'expliquer, et auxquelles cependant il eût été assez embarrassé de répondre. Toutes les attaques dé l'opposition sont toujours personnelles ; elle s'en prend aux choses à cause des hommes, au lieu de s'en prendre aux hommes à cause des choses; or, le pays, qui l'a vu renverser vingt ministères en douze ans sans qu'il en résultat aucune réforme, aucune amélioration, ne croit plus en elle. A-t-il tort? De là l'état de discrédit et d'impuissance dans lequel elle est tombée.

Est-il possible aussi d'être plus dénuée que l'opposition de sens politique, de tact et de connaissance du cœur humain? Que fait-elle ? Que devrait-elle faire? Elle devrait, avant tout, s'imposer la loi de respecter dans le gouvernement les principes de son existence, et de n'attaquer que ses actes; encore pour les attaquer devrait-elle attendre patiemment le moment où la raison et la conscience publique seraient d'accord avec elle pour les improuver, où le pouvoir se serait mis dans l'impossibilité de les défendre, où elle aurait pleinement sur lui l'avantage de celui qui sait sur celui qui ignore, de celui qui critique sur celui qui exécute, de celui qui signale l'erreur sur celui qui s'est trompé. Que fait-elle ? — Au lieu de se contenir, de ne rien donner à la passion et au hasard, de différer de frapper plutôt que de frapper à faux, il n'y a pas un prétexte d'attaque qu'elle ne saisisse inconsidérément, pas une méchante intrigue dans laquelle elle ne laisse une plume de son aile, pas une sotte manœuvre que le premier venu ne la trouve prête à exécuter; aussi, sur dix batailles qu'elle livre étourdiment, en perd-elle neuf, couvrant ainsi par le nombre de ses défaites les fautes du pouvoir, et le consolidant d'autant plus fermement qu'elle fait plus d'efforts pour

Y.

l'ébranler. Au lieu de se borner à une critique habile et mesurée des actes du gouvernement, afin d'éclairer la majorité et de la modifier insensiblement, c'est l'existence même de la majorité qu'elle met violemment en question en demandant l'extension du nombre des incompatibilités et l'adjonction des capacités, la réforme parlementaire et la réforme électorale. Qu'ensuite l'opposition s'étonne d'être en minorité dans la Chambre et dans les colléges électoraux, il faut convenir que c'est de sa part un excès de naïveté, plus encore qu'un excès de présomption. Lorsqu'elle demande à la Chambre élective de se décimer ellemême, lorsqu'elle demande à cent cinquante fonctionnaires publics de voter leur expulsion de l'enceinte parlementaire, lorsqu'elle demande au corps électoral d'étendre le privilége dont le payement du cens le fait jouir, que fait-elle ? Elle fait juste le contraire de ce qu'il serait sensé de faire. Elle rend au ministère le service de l'obliger de monter à la tribune pour défendre l'indépendance de la Chambre mise en suspicion, la situation des fonctionnaires publics menacée, la sincérité de la représentation nationale attaquée. Elle lui fournit ainsi l'occasion de s'acquérir de nouveaux titres à la reconnaissance de la majorité, au dévoûment des fonctionnaires-députés, à la confiance du corps électoral, enfin de resserrer plus étroitement les liens de la majorité.

Un tel contresens ne pouvait échapper à l'esprit clairvoyant de M. Thiers, lorsqu'il passa dans les rangs de l'opposition: aussi a-t-on vu le peu de cas qu'il affectait de faire de toutes les propositions de réforme électorale ou parlementaire, et le sort qu'il leur réservait dans les bureaux de la Chambre, où il chargeait ses amis de les enterrer. Non moins clairvoyant, M. Guizot ayant repris sa place à la tête du parti conservateur, dut adopter la tactique contraire; par cela même qu'il était de l'intérêt de M. Thiers de faire tous ses efforts pour empêcher qu'on portât à la tribune des propositions dont la discussion et le rejet ne pouvaient avoir pour effet que d'amoindrir l'opposition et de grossir la majorité, il était de l'intérêt de

M. Guizot d'en faire autoriser la lecture par les bureaux, et de les faire prendre en considération par la Chambre, afin de se ménager ainsi une facile et éclatante victoire personnelle en faisant repousser ces propositions par les centres unanimes, flanqués d'un certain nombre de fonctionnaires de la gauche, qui votent avec eux au scrutin secret. Tel est l'aveuglement de l'opposition, qu'il se pourrait qu'elle ne se fût jamais rendu compte de cette double manœuvre, exécutée en sens contraire par deux anciens alliés devenus rivaux, tacticiens consommés dignes l'un de l'autre ! Ainsi s'explique, par le défaut de sens politique, de tact et de connaissance du cœur humain, pourquoi l'opposition qui a renversé tant de ministères n'a jamais pu prendre la place d'aucun d'eux, pourquoi elle est toujours restée minorité dans la Chambre et dans le pays, bien que, selon l'expression de M. de Lamartine, les amis du développement, du progrès et de l'accomplissement des idées libérales y soient en majorité.

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« Ralliement et unité, s'écrie-t-il en parlant de l'op» position, voilà les deux gages de son triomphe futur. . Le pays se ralliera à elle quand il verra qu'elle se rallie » à quelque chose.» Sera-ce la réforme parlementaire? Elle n'est possible que par le concours de la majorité, et ni la majorité ni M. de Lamartine n'en veulent. Sera-ce la réforme électorale? Elle n'est possible qu'avec l'assentiment de la Chambre, et ni la Chambre élective ni le corps électoral ne la désirent; le pays lui-même paraît ne s'en soucier aucunement. On voit donc que la gauche et le centre gauche n'ont plus de terrain sur lequel ils puissent édifier; à peine s'il leur en reste assez pour combattre; le sol ferme leur manque; il n'y a pas de terrain libéral. Aussi M. Thiers, jugeant comme nous cette position impossible à défendre, inutile à garder, n'eut-il rien de plus pressé, en 1840, que de la faire abandonner au parti dont il venait de partager le commandement avec M. Barrot, et que de transporter sur un terrain nouveau sa base d'opérations. L'observation était juste, mais le terrain fut mal choisi. M. Thiers, qui a

beaucoup d'esprit, a peu d'imagination; il n'imagina rien de mieux que de refaire, en 1840, ce qu'avait fait en 1830 M. Mauguin, de surexciter l'amour-propre national, de réveiller les défiances de la France contre l'Europe, et celles de l'Europe contre la France. On n'oubliera pas de longtemps quelle fut la triste fin du ministère du 1er mars 1840; nous pouvons donc nous dispenser de le rappeler. L'opposition a fait des mots de liberté publique et de dignité nationale un tel abus, qu'elle les a presque déconsidérés, et que lorsqu'elle les prononce, on ne l'écoute plus qu'avec indifférence et incrédulité. Sa voix se perd dans le vide et n'a plus d'écho. Que lui reste-t-il donc à tenter? Il lui reste à tenter ce qu'elle n'aura pas très certainement le bon sens d'entreprendre.

Reconnaissant que le terrain lui manque, si elle était sensée, elle s'établirait franchement sur celui de ses adversaires; elle leur dirait vous voulez l'ordre et la paix, nous les voulons aussi, mais nous voulons que l'un et l'autre portent leurs fruits; nous voulons que vous en profitiez pour effacer dans l'esprit des gouvernements les dernières traces de leurs préventions contre nous, et pour allier étroitement la France avec tous les peuples qui ont les mêmes intérêts que les nôtres; nous voulons que vous en profitiez pour mettre un terme à cet état de paix armée si dispendieux, qui écrase les populations et détourne l'impôt de son lit; nous voulons que vous en profitiez pour exécuter avec unité et grandeur tous les grands travaux qui doivent avoir pour effet d'abaisser le prix des principaux objets de consommation, de faire descendre le bien-être, et avec le bienêtre l'instruction et la moralisation dans les classes laborieuses; nous voulons que vous en profitiez pour nous mettre le plus tôt possible en état de soutenir sans crainte la concurrence étrangère et l'épreuve de la liberté commerciale; nous voulons que vous en profitiez pour vous occuper sérieusement de mettre la science à la place de la routine qui administre et de l'empirisme qui gouverne; nous voulons que vous en profitiez pour résoudre avec en

semble toutes les importantes questions que vous ajournez ou que vous ne tranchez qu'isolément; nous voulons enfin que vous profitiez de la paix pour la rendre inébranlable, glorieuse et profitable à la liberté des peuples dont nous avons inquiété les gouvernements ombrageux par nos fréquentes révolutions et nos tentatives de propagande.

Cette voie serait la seule par laquelle l'opposition, conduite par M. de Lamartine, pourrait peut-être encore échapper au discrédit qui la poursuit et rallier à elle le pays qui est fatigué de payer annuellement, en pure perte, 350 millions pour l'entretien d'une armée dont l'effectif ne se justifie par aucun système politique, armée qui serait trop faible contre l'Europe coalisée, et qui est trop considérable relativement aux services qu'elle est appelée à rendre. Mais cette voie que nous venons de lui indiquer, nous sommes bien sûrs que l'opposition ne la suivra pas, car cette voie est large et toute droite.

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Le Siècle, que notre article sur les véritables causes du discrédit dans lequel est tombée l'opposition, paraît avoir blessé profondément au cœur, trouve plus facile de nous accuser d'inconséquence que de nous réfuter.

Le Siècle prétend que nous avons demandé (1) que le droit de suffrage soit accordé à tous les contribuables âgés de vingt-cinq ans. Nier que « la France, protégée par la divi

sion de la propriété foncière, soit si faible qu'elle ne puisse » supporter, sans tomber dans l'anarchië, une loi électorale » nouvelle, cette loi accordât-elle à tout citoyen âgé de » vingt-cinq ans, inscrit sur le rôle de l'une des quatre con>>tributions et en état d'écrire son bulletin, le droit de con>> courir à l'élection des représentants de son pays, » de bonne foi, est-ce là proposer une réforme électorale, sur

(1) Voir l'article intitulé: LES SIMPLIFICATEURS.

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