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pour en être complétement satisfait, ne leur demande qu'un peu plus de fécondité, et tout annonce, tant de la part du gouvernement que de la majorité qui va sortir de l'urne électorale, une résolution formelle de faire produire aux principes conservateurs tout ce qu'ils peuvent produire pour l'amélioration matérielle et morale de la société. Ce n'est pas quand les élections se font sous de pareils auspices qu'il peut y avoir utilité à réveiller de vieilles passions, ou à exploiter contre l'opposition un événement auquel, nous en sommes convaincus, toutes ses nuances, même les plus extrêmes, sont complétement étrangères.

Pour nous, telle sera notre règle de conduite. L'attentat d'hier ne changera rien à notre langage. Nous ne chercherons pas à arracher à la peur électorale des votes que nous attendons avec confiance de la raison publique, et qui n'auront de valeur sérieuse qu'en émanant d'elle. L'attentat d'hier est assurément déplorable sous tous les rapports: il est déplorable parce qu'il renouvelle, au milieu mème des acclamations d'une fête, les angoisses de la famille royale déjà si souvent éprouvée; il est déplorable, parce qu'il donne la mesure de la perversité qui a pénétré chez des individus à côté desquels nous vivons tous; il est déplorable, parce qu'il peut ranimer et entretenir encore en Europe ces préventions qui ont tant paralysé l'action extérieure de notre politique. Mais il est surtout déplorable, au point de vue de la lutte actuelle, en ce qu'il peut fournir à l'opposition battue un moyen d'expliquer sa défaite. Il est évident qu'à l'heure qu'il est, tous les résultats de la bataille électorale sont incommutables. Les débats sont clos devant le public, et si la sentence n'est pas encore prononcée, on peut dire du moins qu'aucun incident étranger n'en saurait changer le caractère, Cependant, tenez ceci pour certain si, comme tout l'indique, l'opposition est vaincue, elle ne manquera pas d'attribuer cet échec à la contrainte morale que l'attentat des Tuileries aura exercée sur l'esprit des électeurs effrayés. Elle soutiendra que le pistolet de l'assassin a seul fait pencher la balance contre

elle, et qu'il n'y a pas eu ce que les Anglais appellent fair trial. L'opposition aura tort elle se prévaudra d'une circonstance qui n'aura évidemment rien changé au fond des choses; elle exploitera à sa façon un événement qui devrait rester en dehors de tous nos débats. Mais il n'en est pas moins vrai qu'aux yeux de bien des gens crédules, elle aura l'air d'une victime immolée, plutôt que d'un athlète terrassé.

4843.

L'OPPOSITION SYSTÉMATIQUE.

I.

6 octobre 1843.

Jamais l'opposition parlementaire ne parut plus faible qu'en ce moment; c'est un fait qui frappe tous les regards et qui ne trouve plus un seul contradicteur; ce fait a-t-il pour cause l'avènement de la « grande politique »> qui nous avait été annoncée, les efforts heureux d'une habile et vigoureuse administration, animée de la ferme volonté du bien. ardente à poursuivre tous les abus, à réaliser toutes les améliorations? - C'est ce que nous n'oserions pas affirmer; c'est ce qu'il nous est difficile de croire lorsque nous jetons les yeux autour de nous et qué nous voyons comment se font de toutes parts les affaires du pays: sans idées, sans conscience, sans dévoûment, sans esprit de suite; ce qui fait la force du gouvernement, c'est la faiblesse de l'opposition; mais ce qui fait la faiblesse de l'opposition, ce n'est certes pas la force du gouvernement; quoi qu'il en soit, la faiblesse de l'opposition n'en existe pas moins; voici à quelles causes l'attribue M. de Lamartine: « Quel est aujourd'hui le mal de la France? Quelle est la cause de cet engourdissement pendant lequel on sape la >> conscience publique par la corruption, pendant qu'on » élève des forteresses autour du siége de la représenta

» tion? Pourquoi sommes-nous minorité? Pourquoi gémis⚫sons-nous sans agir, et nous laissons-nous traîner sans » lutte à la suite d'une réaction illibérale d'autant plus

dangereuse qu'elle est plus insensible et plus douce, » et qu'au lieu de violenter le pays, elle l'achète et elle » le vend? Pourquoi marchons-nous évidemment en sens » inverse des grands buts que deux révolutions énergi» ques avaient posés dans nos espérances ? A quoi bon le » dire? tout le monde le sait. Ce n'est pas que les amis du » développement du progrès, de l'accomplissement des » idées libérales, soient en petit nombre en France : c'est » qu'ils sont désunis; c'est qu'au lieu de s'associer par ce » qu'ils ont de commun, et de marcher en corps et en » masse, avec un seul mot d'ordre et une seule volonté, » vers des buts successifs et que tous veulent atteindre, ils » se divisent et ils marchent séparés sous cinq ou six petits drapeaux, dont les uns disent trop, dont les autres disent » trop peu, dont plusieurs ne disent rien du tout; et que, >> se présentant ainsi à des combats partiels et non combi»nés contre une majorité compacte, ils donnent la victoire » à la discipline et à l'unité. Oui, voilà le mal. Mais la gra»vité croissante du péril et la multitude des défaites doi

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vent enfin apprendre à l'opposition où est sa force et son » salut : — Ralliement et unité! voilà les deux gages de » son triomphe futur. Le pays se ralliera à elle quand il » verra qu'elle se rallie elle-même à quelque chose. »>

Nous croyons que M. de Lamartine se trompe, qu'il prend l'effet pour la cause, quand il attribue la faiblesse de l'opposition à la désunion et au fractionnement qu'il lui reproche. L'opposition n'est pas faible parce qu'elle est désunie; mais elle est désunie parce qu'elle est faible. Elle est faible parce qu'il n'y a pas un sentiment qu'elle n'exagère, pas un principe qu'elle ne fausse, pas un intérêt qu'elle n'alarme, pas une basse passion qu'elle ne flatte, pas un homme modéré qu'elle ne blesse par d'injurieux soupçons. Elle est désunie parce qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut; elle n'a pas de volonté parce qu'elle n'a pas d'idées. En a-t-elle jamais

montré une seule qui fût juste, large, féconde? Elle vit comme le pouvoir... d'expédients.

Si elle n'avait pas exagéré à tout propos le sentiment de l'honneur national, si elle ne l'avait pas fait dégénérer trop souvent en susceptibilités mesquines, en défiances injustes. contre l'Europe, pour en faire successivement contre tous les ministères un thème banal d'accusation; si elle avait pris la peine d'étudier les véritables intérêts de la France et du continent, l'histoire et l'avenir, elle n'eût pas commis, il y a deux ans, l'irréparable faute de voter les fortifications dont elle demande aujourd'hui la démolition; inconséquence que le pays juge sévèrement. Elle se fût convaincue que, dans cette grande ère de concurrence industrielle et commerciale que trente années de paix ont ouverte, la France n'avait plus dans le monde d'autre rivale et d'autre ennemie à craindre que l'Angleterre, d'autre empire à partager que l'empire des mers; elle n'eût pas accusé le ministère renversé par la coalition de ne s'être pas montré « gardien >> assez fidèle de l'alliance anglaise. »>

Lord Palmerston conclut en 1840 un traité que l'opposition, toujours fidèle à ses habitudes d'exagération, qualifie d'outrage; que fait l'opposition pour se venger de lord Palmerston? Vote-t-elle trois cent millions pour accroître nos forces maritimes, et améliorer nos ports? Non, elle vote d'enthousiasme trois cent millions (1) pour augmenter le nombre de nos régiments de cavalerie et fortifier Paris!

Toujours inconséquente, l'opposition déclame contre l'énormité des budgets, chicane misérablement sur toutes les petites dépenses et vote sans difficulté toutes les grosses. Une armée qui, de 1830 à 1841, a coûté à l'État, en douze années, 3,975,253,913 francs, formant une moyenne annuelle de 331,271,159 francs, ce qui représente par jour le chiffre de 907,592 francs, lui paraît une chose toute simple, et elle inclinerait plutôt à trouver notre effectif trop faible que trop considérable. Pourquoi entretenir à si grands frais une

(1) Lois du 3 avril et du 25 juin 1841.

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