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certains l'ont voulu représenter; mais, si son âme était, comme il le dit lui-même, naturellement sensible, elle était aussi naturellement modérée et amie du repos : « Elle avait besoin d'être remplie et non pas tourmentée; il ne lui fallait que des émotions douces; les secousses l'auraient usée et amortie. >>

Cette modération, jointe à sa franchise souvent un peu brusque, sans être jamais choquante, et cet amour du repos, joint à son amour de l'indépendance et aussi à son amour de la vérité, me paraissent avoir formé en somme le fond de son caractère.

De là, avec un esprit très-libre et très-hardi, la réserve et la prudence de sa conduite, réserve et prudence que lui commandait d'ailleurs, comme je l'ai déjà remarqué, la position officielle qu'il occupait.

Il n'avait pas le diable au corps, comme Voltaire ou comme Diderot; mais il se rapprochait un peu de Fontenelle et surtout de Montesquieu, sinon par la nature de l'esprit, au moins par la modération du caractère et la prudence de la conduite: « Il croyait comme Fontenelle, dit Condorcet, que l'homme sage n'est pas obligé de sacrifier son repos à l'espérance d'être utile, qu'il doit la vérité aux hommes, mais avec les ménagements nécessaires pour ne point avertir ceux qu'elle blesse de se soulever et de se

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dorcet, que chaque homme de lettres, pour concilier les intérêts de la vérité avec ceux de son repos, déposât dans une espèce de testament littéraire, ses opinions bien entières, bien dégagées de toutes restrictions. » Ce n'est pas là l'idée d'un véritable confesseur de la vérité. Aussi ne faut-il pas s'étonner si d'Alembert a quitté l'Encyclopédie au milieu de l'entreprise.

Il dit de lui-même : « Il dispute rarement et jamais avec aigreur ce n'est pas qu'il ne soit, au moins quelquefois, attaché à son avis; mais il est trop peu jaloux de subjuguer les autres pour être fort empressé de les amener à penser comme lui. » Il y a loin de cette retenue à la vivacité de Voltaire et à la fougue de Diderot.

Il dit encore: Son principe est qu'un homme de lettres qui cherche à fonder son nom sur des monuments durables, doit être fort attentif à ce qu'il écrit, assez à ce qu'il fait, et médiocrement à ce qu'il dit. D'Alembert conforme sa conduite à ce principe: il dit beaucoup de sottises, n'en écrit guère et n'en fait point. Ce n'était pas là non plus le principe, ni surtout la pratique de Voltaire et de Diderot: ceux-ci ne se contentaient pas de dire des sottises, mais ils en écrivaient et ils en faisaient. D'Alembert était plus sage; malheureusement sa sagesse était quel

quefois trop politique pour un philosophe. Nous en avons déjà rencontré la preuve, et nous en retrouverons d'autres fâcheux exemples, quand nous étudierons ses idées morales et politiques.

Si maintenant du caractère nous passons à l'esprit, ici encore nous n'avons qu'à l'écouter lui-même : il connaît et décrit très-bien la nature de son esprit. C'était avant tout un esprit géométrique, cherchant partout la démonstration. Il disait : « A l'exception des sciences exactes, il n'y a presque rien qui lui paraisse assez clair pour ne pas laisser beaucoup de liberté aux opinions; et sa maxime favorite est que presque sur tout on peut dire tout ce qu'on veut. » C'est pousser un peu loin le scepticisme, mais ce jugement marque bien la tournure de son esprit, et nous fournira peut-être la clef de certaines contradictions. Il ajoute : « Le caractère principal de son esprit est la netteté et la justesse. Il a apporté dans l'étude de la haute géométrie quelque talent et beaucoup de facilité, ce qui lui a fait dans ce genre un assez grand nom de très-bonne heure. Cette facilité lui a laissé le temps de cultiver encore les belleslettres avec quelque succès; son style serré, clair et précis, ordinairement facile, sans prétention, quoique châtié, quelquefois un peu sec, mais jamais de mauvais goût, a plus d'énergie que de chaleur, plus de justesse que d'imagination, plus de noblesse que

de grâce. » La suite de cette étude confirmera pleinement ce jugement de d'Alembert sur le caractère de son esprit et de son style.

TRENTE-SEPTIEME LEÇON.

D'ALEMBERT.

SES IDÉES MORALES.

LA LIBERTÉ. Examen du passage des Éléments de philosophie consacré à ce sujet et où d'Alembert se prononce pour l'affirmative. - Né gative soutenue, au moins comme plus vraisemblable, dans ses Lettres à Frédéric. Comment il cherche à concilier la morale avec le fatalisme, en la ramenant à la doctrine de l'intérêt bien entendu. Que telle est en effet sa doctrine, dérivée elle-même de celle de la sensation, touchant le PRINCIPE FONDAMENTAL DE LA MORALE; mais comment il la contredit heureusement lui-même en faisant du désintéressement la première des vertus morales. MORALE APPLIQUÉE. But poursuivi ici par d'Alembert en commun avec les philosophes du XVIIIe siècle : sécularisation de la morale.La morale individuelle trop sacrifiée. la morale, et rigueur dont elle est susceptible. D'Alembert la divise en diverses branches. La morale de l'homme: distinction de la probité et de la vertu. Subordination des affections particulières à l'amour universel de l'humanité. Maximes de

Importance de l'étude de

vertus concernant la bienfaisance et le luxe mal à propos érigées

en lois positives.

citoyens.

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La morale du philosophe. Comment le vice originel
Triste conclusion,

de la doctrine de d'Alembert y reparaît.

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