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funestes, des idées et des sentiments inhérents à l'esprit et au cœur de l'homme et qui font sa noblesse. Mais il n'en faut pas moins reconnaître la grandeur de ce but, qui fut celui de sa vie et de l'œuvre à laquelle il a attaché son nom, de l'Encyclopédie; et il faut reconnaître aussi que, malgré ses emportements, ses efforts n'ont pas été stériles. Rendons-lui en finissant cet hommage, qu'il a été un des plus puissants auteurs de ce mouvement d'émancipation et d'affranchissement que l'humanité doit au XVIIIe siècle, et que notre tâche à nous doit être de continuer et de compléter en épurant, en précisant, en propageant et surtout en appliquant de plus en plus les grands principes qu'il nous a légués.

TRENTE-SIXIÈME LEÇON.

D'ALEMBERT.

L'HOMME SA VIE.

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SA VIE. Sa naissance (1717): abandonné par ses parents (Destouches et madame de Tencin), il est sauvé et élevé par une vitrière, madame Rousseau. Ses études au collége Mazarin. — Il étudie ensuite le droit et la médecine, mais en y joignant l'étude des mathématiques, auxquelles il finit par se livrer tout entier. Ses premiers mémoires scientifiques; son entrée à l'Académie des sciences (1741). Nouveaux travaux qui révèlent en lui un génie mathématique du premier ordre. Sa collaboration à l'Encyclopédie, d'où il se retire plus tard. Qu'on ne saurait pourtant l'accuser d'avarice divers traits qui attestent son désintéresscment. Ses travaux littéraires, historiques, philosophiques avant ou après sa nomination à l'Académie française (1754), où il succéda à Duclos (1772) comme secrétaire perpétuel. Services rendus à la philosophie par d'Alembert, grâce à sa position dans les Académies, mais fâcheuse influence de l'esprit académique sur le langage du philosophe. D'Alembert homme de société. Sa liaison avec mademoiselle de Lespinasse. Sa mort (1783). SON CARACTÈRE. Explication qu'il donne lui-même de son désintéressement. Son amour de l'indépendance. Sa fierté

d'âme.

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Exempt non de vanité, mais de jalousie (noble loyauté);

non de malice, mais de méchanceté; non de colère, mais de ran

cune. Jusqu'où il poussait, malgré sa froideur, l'amitié, la reconnaissance et le dévouement. Sa bienfaisance, sa modération et son amour du repos. Sa réserve et sa prudence, souvent trop politiques pour un philosophe. Caractère de son esprit et de son style.

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Le nom de Diderot appelle naturellement celui de d'Alembert, son collaborateur à l'Encyclopédie et l'auteur du discours qui sert de préface à ce monu

ment.

L'influence de'd'Alembert, sans être comparable à celle de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau, a été grande aussi au xvII° siècle. Il la dut à sa double qualité de grand géomètre et d'excellent littérateur, à la fermeté et à la dignité de son caractère, et enfin à sa position dans l'Académie des sciences à la fois et dans l'Académie française: il était, dit Grimm, le chef visible de l'Église dont Voltaire fut le fondateur et le soutien.

Étudions d'abord sa vie et son caractère; nous étudierons ensuite celles de ses idées qui rentrent dans notre objet.

Le 16 novembre 1717, un enfant de chétive apparence et qui ne paraissait pas destiné à vivre, était exposé sur les marches d'une petite église de Paris, voisine de Notre-Dame et appelée Saint-Jean le Rond. Ému de pitié à la vue de cet enfant débile et mourant, le commissaire du quartier n'osa l'envoyer

aux Enfants trouvés, mais il le confia à une pauvre vitrière, nommée madame Rousseau, qui en prit soin comme de son propre enfant et le sauva. Cet enfant abandonné, appelé d'abord Jean le Rond, devait illustrer le nom de d'Alembert, qu'il ajouta plus tard à son premier nom.

Dans l'éloge de d'Alembert, lu à l'Académie des sciences un an après la mort de ce grand homme, Condorcet déclare qu'il ne cherchera point à lever le voile dont le nom de ses parents a été couvert pendant sa vie. Ce voile était d'ailleurs fort transparent, et ce n'était sans doute qu'un scrupule académique qui empêchait Condorcet de désigner les parents bien connus de d'Alembert. C'étaient une grande dame, célèbre par son esprit et son salon, madame de Tencin, et un commissaire d'artillerie, Destouches, frère du poëte comique et surnommé Canon. Son père pourvut au moins aux frais de son éducation, et lui assura en mourant une pension de 1200 livres ; mais sa mère ne fit jamais rien pour lui, et il n'est pas même vrai, comme on l'a dit tant de fois et comme on le répète encore aujourd'hui, qu'elle se soit fait connaître à lui quand il fut devenu célèbre (1).

(1) «Tout le monde, dit M. Bersot dans ses Études sur le XVIIIe siècle, a entendu raconter l'anecdote suivante : Quand il fut célèbre, madame de Tencin désira le voir peu de temps avant son

La vraie mère de d'Alembert, sa mère selon le cœur, sinon selon le sang, fut la pauvre vitrière, madame Rousseau. D'Alembert lui conserva toujours une reconnaissance et une affection profondes. Quand il sortit du collége, il alla demeurer avec elle, et y resta près de trente années. Il n'en sortit qu'après une longue maladie et parce que son médecin lui représenta qu'il était nécessaire à sa santé de chercher un logement plus sain.

C'est au collège Mazarin qu'il acheva ses études, commencées dès l'âge de quatre ans dans une pension, sous un excellent maître, dont il conserva toujours un souvenir reconnaissant. L'un de ses professeurs (c'étaient des jansénistes), le voyant se livrer avec ardeur à l'étude des belles-lettres, lui représenta que la poésie dessèche le cœur, et lui conseilla de ne lire d'autre poëme que celui de saint Prosper sur la Grâce.Je n'ai pas besoin d'ajouter que d'Alembert ne tint nul compte de cet avertissement. Un autre, son

départ pour la Russie. Il ne voulut aller au rendez-vous qu'accompagné de sa nourrice et fut très-froid. Madame de Tencin, déconcertée, lui dit: Mais je suis votre mère. Vous, ma mère ! non, la voici, je n'en connais point d'autre, et il s'élança sur madame Rousseau, qu'il embrassa et qu'il arrosa de ses larmes. Madame Suard, son amie et sa confidente, lui demanda si ce fait était vrai : Ah! dit-il, jamais je ne me serais refusé aux embrassements d'une mère qui m'eût réclamé : il m'aurait été trop doux de la recouvrer. »

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