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TRENTE-CINQUIÈME LEÇON.

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DIDEROT.

SES IDÉES POLITIQUES.

Pourquoi Diderot n'aimait pas à s'occuper des affaires publiques, quoi qu'il fût loin d'être indifférent aux questions politiques. Idée concernant la réforme du régime fiscal existant (3o dialogue). Les Principes de la politique des souverains: nature et but de cet ouvrage. Indication des principales maximes qu'il renferme relativement à l'essence du despotisme, à ses moyens, à ses effets.Rapprocher, sur l'idée du despotisme, des Principes de la politique des souverains, l'Essai sur les règnes de Claude et de Néron, les Pensées et la Dédicace du Père de famille à la princesse de NassauSaarbruck; principe proclamé par Diderot dans ces divers ouvrages: «Un homme ne peut être la propriété d'un souverain. >> Revendication de la liberté de penser; guerre à l'intolérance : belle lettre de Diderot à son frère le chanoine. But poursuivi, mais dépassé, par Diderot.

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Dans ce portrait peint par lui-même que j'ai déjà cité, Diderot disait : « Il n'aimait pas à s'entretenir des affaires publiques, mais des lettres et de la morale, des grandes questions de philosophie. » Cela ne veut pas dire qu'il fût indifférent aux questions

politiques les questions politiques sont trop étroitement unies aux questions morales, elles intéressent trop particulièrement la dignité et le bonheur des hommes, pour qu'elles puissent laisser indifférente l'âme d'un philosophe, surtout d'un philosophe tel que Diderot. Il voulait dire sans doute qu'il n'aimait pas à s'entretenir des affaires publiques de son temps, soit par goût pour des questions d'un ordre plus relevé et plus général, soit par dégoût de ces affaires elles-mêmes, qui ne lui offraient pas en effet un bien agréable sujet d'entretien, et où, en outre, il ne se sentait pas libre. L'entreprise de l'Encyclopédie, qui fut l'œuvre de sa vie, lui mettait d'ailleurs trop de difficultés sur les bras pour qu'il pût songer à fronder encore le pouvoir sur les affaires de la politique courante. Mais, il faut le dire aussi, bien qu'il ne pût être indifférent aux problèmes de la philosophie politique, ce ne sont pas les questions qui l'attiraient le plus dans l'Encyclopédie, par exemple, il y a de lui très-peu d'articles sur ces questions, tandis qu'il y en a beaucoup et de très-longs sur les questions morales proprement dites. S'il n'a point entièrement négligé les idées politiques, il est loin de les avoir cultivées comme ses grands contemporains, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, ou même Voltaire; ce n'est pas là qu'était son rôle. La matière est donc ici moins riche qu'elle ne

l'était pour des philosophes, ou qu'elle ne l'a été pour Diderot lui-même dans l'ordre des idées morales. Quoi qu'il en soit, quelques-uns de ses écrits où il touche indirectement ou directement aux questions politiques, entre autres, son Essai sur le règne de Claude et de Néron, dont je vous ai déjà indiqué l'origine, et surtout les Principes de politique des souverains, dont je vais vous entretenir, nous offrent, sinon une doctrine politique régulière et complète, du moins des idées détachées, des principes généraux et des traits saillants qui représentent bien l'esprit de Diderot sur ce point, ou, si l'on veut, la politique de Diderot, et qu'il importe de recueillir pour compléter l'étude que nous avons entreprise.

Mais avant de nous élever à des idées plus générales, je veux vous mettre sous les yeux la fin d'un dialogue supposé par Diderot entre un père et sa fille, qui confirmera tout de suite ce que je viens de vous dire vous verrez par là combien notre philosophe, s'il n'aimait pas à s'occuper des affaires publiques, était loin d'être indifférent aux questions d'intérêt public et aux idées de réforme que soulevait dans les esprits la barbarie du régime fiscal qui pesait alors sur la France, et contre lequel vous avez vu s'élever tous les philosophes que nous avons étudiés : l'abbé de Saint-Pierre, Montesquieu, Voltaire, Rousseau enfin qui en a tracé dans ses Con

fessions un si saisissant tableau. La fille que Diderot met en scène, après avoir raconté un premier entretien où son père lui a demandé si elle a jamais songé aux obligations que la fortune impose aux riches envers les déshérités de ce monde, à la dette des pauvres, poursuit ainsi son récit :

« Après cette conversation, qui me rendit triste et rêveuse parce qu'elle contrariait mes idées, nous nous promenâmes chacun de notre côté. Mon bon père rêvait; je lui en demandai le sujet; il fit difficulté de me le dire, craignant que les idées qui l'occupaient ne fussent au-dessus de ma portée. En effet, je n'en compris pas alors toute l'étendue. Mourrai-je, me dit-il, sans avoir vu exécuter une chose qui ne coûterait qu'un mot au souverain, qui préviendrait toutes les années des millions d'injustices, et qui produirait une infinité de biens? Quel est ce projet, lui dis-je, mon père? Il n'est pas de moi, reprit-il; il est d'un de mes amis. J'ai toujours regretté qu'il n'ait pas été à portée d'en faire usage. C'est la publication du tarif général des impôts et de leur répartition. Par là on connaîtrait le dénombrement du peuple, la population d'un lieu et la dépopulation d'un autre, les richesses de chaque citoyen, la pauvreté, et par conséquent la dette des riches; l'inégalité de la répartition serait empêchée, car qui oserait ainsi publiquement accorder de la prédilection par quelque vue que ce soit d'intérêt ou de timidité? L'impôt ne doit tomber que sur celui qui est au-dessus du besoin réel. Celui qui est au-dessous, est de la classe des pauvres, et elle ne doit rien payer. Sans compter le frein

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