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TRENTE-DEUXIÈME LEÇON.

DIDEROT.

L'HOMME SA VIE.

Lieu et date de sa naissance. Sa famille. Ses études chez les

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jésuites. Placé d'abord chez un procureur, il le quitte pour suivre sa vocation. - Il accepte une place de précepteur, mais il y renonce au bout de trois mois. Sa misère. Son mariage. Ses premières publications. Son emprisonnement au château Influence de Diderot sur Rousseau. Brouille

de Vincennes.
des deux amis.
dirigées contre cette œuvre.
reste seul chargé de l'entreprise.
Le Breton; indignation de Diderot.

Diderot fonde l'Encyclopédie.

Persécutions

D'Alembert se retire; Diderot

Vilaine conduite du libraire

Nouvelles persécutions.

Lettre et mémoire de Voltaire pour engager Diderot à quitter la France et à poursuivre son œuvre à l'étranger; réponse de Diderot. Achèvement de l'Encyclopédie.

Nous avons terminé l'étude des écrivains français que l'on peut appeler, dans l'ordre des idées morales et politiques, les génies dominateurs du xvIII° siècle. Ce sont eux qui ont surtout imprimé aux esprits ce mouvement qui a eu pour effet la Révolution fran

çaise; et, dans ce mouvement, comine s'ils s'étaient distribué les rôles, chacun d'eux représente plus particulièrement quelqu'une des grandes idées qui depuis, grâce à eux, ont fait leur chemin dans le monde. Mais, à côté de ces écrivains, il en est d'autres qui ont eu aussi leur part dans ce mouvement d'idées, et que nous ne devons pas omettre dans notre étude, bien que, dans la sphère qui nous occupe, ils n'aient pas montré le même génie et n'aient pas exercé une influence aussi considérable et aussi bien déterminée. Au premier rang, dans cette seconde classe d'écrivains, il faut placer Diderot et d'Alembert. Si, en matière d'idées morales et politiques, ils n'ont pas laissé dans le xvin siècle, comme les Montesquieu, les Voltaire et les Rousseau, de ces traces lumineuses qui, bien que mêlées de fumée, brillent et nous éclairent encore aujourd'hui, ils n'en sont pas moins de très-grands représentants de l'esprit du xvir siècle, et ils n'en ont pas moins eu une très-puissante action sur leur époque par les voies qu'ils ont ouvertes ou élargies, par la lutte qu'ils ont soutenue, au nom de la raison et de l'humanité, contre la superstition et le fanatisme, et, dans cette lutte même, par cette vaste machine de guerre qui s'est appelée l'Encyclopédie, et à laquelle ils ont attaché leur nom. Ils méritent donc une place dans notre histoire.

Je commencerai par Diderot, dont, suivant la méthode que j'ai adoptée, je résumerai la vie et peindrai le caractère avant de passer à l'examen de ses idées.

La vie de Diderot a été racontée avec beaucoup de sincérité et de simplicité par sa fille, madame de Vandeul. Je viens de lire telle notice dont l'auteur n'a fait que délayer le récit de madame de Vandeul, en lui ôtant sa grâce et son charme; il eût beaucoup mieux valu transcrire ce récit tout entier. Pour moi, si je ne puis vous le lire ici tout au long, je veux au moins illustrer le résumé que je vais vous en donner par quelques extraits textuels qu'aucune analyse ne saurait remplacer. Je me réserve, d'ailleurs, de le compléter, quand il y aura lieu, par ce que nous pouvons tirer d'autres sources, et d'y joindre les réflexions dont je croirai utile de l'accompagner.

Denis Diderot est né à Langres, en Champagne, au mois d'octobre 1713, un an seulement afant apes Rousseau, sur les débuts duquel il eut, vous l'avez vu, une certaine influence. Sa famille, comme celle de Rousseau, appartenait à la bourgeoisie industrielle et commerçante son père était coutelier; c'est le métier qu'avaient exercé ses ancêtres depuis deux cents ans.

Comme Voltaire, Diderot fit ses études chez les jésuites. On le destinait à l'état ecclésiastique : un

de ses oncles devait lui résigner son canonicat; on l'envoya donc aux jésuites de la ville, et à l'âge de douze ans, le futur fondateur de l'Encyclopédie fut tonsuré. Sa tonsure n'en fit pas un écolier moins pétulant ou plus exact. Fatigué des remontrances de ses régents, il quitta un beau jour ses études pour apprendre l'état de son père et de ses ancêtres; mais ne se sentant pas propre à ce métier (« il gâtait tout ce qu'il touchait de canifs, de couteaux ou d'autres instruments (1) »), il reprit bientôt ses livres et retourna au collége. « J'aime mieux l'impatience que l'ennui, » dit-il à son père; et il continua ses classes sans autre interruption.

Il était un élève top brillant pour que ses maîtres ne songeassent pas à se l'approprier. « Ils le déterminèrent à quitter la maison paternelle et à s'éloigner avec un jésuite auquel il était attaché. » Son père, averti de ce projet d'évasion, empêcha le jeune Diderot de le mettre à exécution; mais, ne voulant pas contrarier ses désirs, il le conduisit lui-même à Paris et le fit entrer au collège d'Harcourt.

Il ne paraît pas que les jésuites eurent le don d'entretenir en lui le goût de leur profession, ni même celui de l'état ecclésiastique, puisque, aus

(1) Toutes les phrases que je mets entre guillemets sont textuellement tirées des Mémoires pour servir à l'histoire de la vie et des ouvrages de Diderot, par madame de Vandeul.

sitôt studes finies, nous le voyons entrer chez un procureur pour y étudier les lois. Mais la jurisprudence n'avait guère plus d'attraits pour lui que la théologie.

Tout le temps qu'il pouvait dérober à son patron, raconte madame de Vandeul, était employé à apprendre le latin et le grec qu'il croyait ne pas savoir assez, les mathématiques qu'il a toujours aimées avec fureur, l'italien, l'anglais, etc.; enfin, il se livra tellement à son goût pour les lettres que M. Clément de Ris (c'était le nom de son patron, compatriote et ami de son père) crut devoir prévenir son ami du mauvais emploi que son fils faisait de son temps. Mon grand-père chargea alors M. Clément de proposer un état à son fils, de le déterminer à faire un choix prompt, et de l'engager à être médecin, procureur ou avocat. Mon père demanda du temps pour y songer; on lui en accorda. Au bout de quelques mois, les propositions furent renouvelées; alors il dit que l'état de médecin ne lui plaisait pas, qu'il ne voulait tuer personne; que celui de procureur était trop difficile à remplir délicatement; qu'il choisirait volontiers la profession d'avocat, mais qu'il avait une répugnance invincible à s'occuper toute la vie des affaires d'autrui. Mais, lui dit M. Clément, que voulez-vous donc être? Ma foi, rien, mais rien du tout. J'aime l'étude; je suis fort heureux, fort content; je ne demande pas autre chose. »>

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Cette réponse n'était pas de nature à satisfaire le brave coutelier de Langres: il somma son fils de

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