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que Kant le pose accoutumer l'enfant à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et en même temps l'instruire à en faire lui-même un bon usage.

Cette restriction et d'autres que j'aurai occasion de faire ne m'empêchent pas de reconnaître que l'Émile renferme une foule d'excellents préceptes fondés sur cette règle, de suivre la nature, au lieu de s'en écarter, et de lui faire produire tout ce qu'elle recèle. C'est ainsi que Rousseau, suivi en cela par Kant, blâme l'emploi des moyens artificiels partout où les naturels peuvent suffire, et veut que les enfants apprennent d'eux-mêmes et sans le secours d'aucun instrument le plus de choses possible. << Notre manie enseignante et pédantesque est toujours d'apprendre aux enfants ce qu'ils apprendraient beaucoup mieux d'eux-mêmes, et d'oublier ce que nous aurions pu seuls leur enseigner. » C'est ainsi qu'il veut qu'on bannisse la mollesse de l'éducation, et qu'on élève l'enfant durement, mais sans excès de rigueur, afin de l'exercer à souffrir: « souffrir est la première chose qu'il doit apprendre, et celle qu'il aura le plus grand besoin de savoir. » Je ne puis suivre ici Rousseau dans tout le détail de ses maximes; mais, pour mieux faire ressortir sa pensée, je veux mettre sous vos yeux, en terminant cette leçon, la peinture qu'il fait d'un enfant élevé dans

un certain genre d'éducation. On en trouvera peutêtre les couleurs un peu chargées; je la crois, pour ma part, d'une vérité frappante.

« Un enfant passe six ou sept ans de cette manière entre les mains des femmes, victime de leur caprice et du sien; et après lui avoir fait apprendre ceci et cela, c'est-à-dire après avoir chargé sa mémoire, ou de mots qu'il ne peut entendre, ou de choses qui ne lui sont bonnes à rien; après avoir étouffé le naturel par les passions qu'on a fait naître, on remet cet être factice entre les mains d'un précepteur, lequel achève de développer les germes artificiels qu'il trouve déjà tout formés, et lui apprend tout, hors à se connaître, hors à tirer parti de lui-même, hors à savoir vivre et à se rendre heureux. Enfin, quand cet enfant, esclave et tyran, plein de science et dépourvu de sens, également débile de corps et d'âme, est jeté dans le monde, en y montrant son ineptie, son orgueil et tous ses vices, il fait déplorer la misère et la perversité humaines. On se trompe; c'est là l'homme de nos fantaisies celui de la nature est fait autrement. >>

VINGT-CINQUIÈME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

SES IDÉES MORALES (SUITE).

Que la première éducation doit être purement négative; ce qu'il y a de vrai et d'exagéré sur ce point dans la méthode de Rousseau.

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- Que les leçons morales doivent être plutôt en action qu'en discours. Méthode relative au premier enseignement de la justice. Méthode - Ce que doit être la punition à l'égard des enfants. relative à la bienfaisance et à la charité; trois importantes maximes à ce sujet. Proscription des livres (à l'exception de Robinson) et même des fables dans l'éducation des enfants; leur emploi dans celle des jeunes gens. Conduite à tenir en cas Rousseau ne veut point qu'on parle de Dieu et de religion aux enfants avant l'âge de dix-huit à vingt aus; examen de cette opinion.

d'offense.

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J'ai entrepris de chercher dans l'Émile comment Rousseau comprenait les devoirs de l'homme, et comment il voulait qu'on travaillât à en inculquer l'idée et l'habitude par le moyen de l'éducation.

Selon l'auteur de l'Émile, et ceci est pour lui une conséquence du grand principe qu'il donne pour base à toute l'éducation, la première éducation doit

être purement négative, c'est-à-dire qu'elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l'esprit de l'erreur.

Le but de cette règle est de laisser à l'enfance le temps de mûrir afin de l'instruire ensuite plus sûrement, et de ne pas décréditer d'avance la raison dans un esprit qui n'est pas encore en état de l'entendre.

Il est très-vrai qu'il faut laisser mûrir l'enfance. dans les enfants, et qu'on doit prendre garde de fausser leur esprit et de gåter leur cœur par une culture prématurée; mais s'ensuit-il qu'on doive laisser, jusqu'à l'âge de douze ans, leur âme tout à fait oisive? N'est-ce pas un singulier moyen de la laisser mûrir que de s'abstenir de la cultiver? Un singulier moyen de la mettre en mesure de résister à l'erreur et au vice que de la laisser à l'état brut?

Il est très-vrai qu'il faut traiter les enfants comme des enfants, et ne pas leur parler un langage qu'ils ne sauraient comprendre en voulant en faire de petits savants, on en fait des perroquets, sinon des esprits faux ou des cœurs corrompus; mais est-il absolument impossible de raisonner avec eux en appropriant son langage à leur esprit et à leur caractère? Il y a là dans Rousseau une évidente exagération. Il se défie beaucoup trop de la raison des enfants. Sans doute il y a un âge où ce serait peine

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