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pas m'éloigner de ce but, écarter systématiquement dans l'auteur de la Profession de foi du vicaire Savoyard tout ce qui est du domaine de la religion, même de la religion naturelle. Rousseau, il est vrai, sous ce point de vue, n'apparaît pas tout entier, mais celles de ses idées que j'ai analysées et discutées n'en forment pas moins un ensemble distinct, qui peut être aisément détaché du reste, et qu'il était dans le plan même de ce cours de retracer séparément.

J'ai encore un regret à exprimer au sujet de mon étude de Rousseau. La leçon que j'ai consacrée à la question controversée de la mort de ce grand homme était déjà imprimée, lorsque j'ai connu le nouveau débat qui a eu lieu récemment sur ce sujet, je veux dire, d'une part, le mémoire lu le 15 mai dernier à l'Académie de médecine par son secrétaire perpétuel, M. Dubois (d'Amiens) (mémoire dont l'idée a été suggérée à l'auteur par la lecture de ma leçon manuscrite), et, d'autre part, les articles publiés dans divers journaux de médecine pour réfuter la thèse de M. Dubois, notamment celui de M. Chéreau, dans l'Union médicale, et celui de M. Delasiauve, dans le Journal de médecine mentale. Je n'ai donc pu mettre à profit, ni même mentionner dans mon propre travail les

travaux opposés de ces savants. Mais; après en avoir depuis pris connaissance, je crois pouvoir maintenir les conclusions auxquelles je m'étais ar rêté. L'hypothèse du suicide par le pistolet reste, malgré le nouvel appui que vient de lui donner M. Dubois (d'Amiens), absolument inadmissible; et quant à celle de l'empoisonnement, laquelle, comme je l'ai dit (p. 93), ne deviendrait une vérité démontrée que si l'on pouvait prouver que les symptômes indiqués par le procès-verbal de l'autopsie du corps et les circonstances qui ont précédé le décès, non-seulement s'accordent parfaitement avec cette hypothèse, mais ne sauraient s'accorder avec aucun autre genre de mort, je vois les hommes les plus compétents exprimer sur ce point des avis contraires là où M. Dubois (d'Amiens) affirme, M. Chéreau et M. Delasiauve nient, après d'autres savants médecins (1). N'avais-je donc pas raison de douter que l'on pût faire cette démonstration?

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(1) Entre autres M. le docteur G. H. Morin (Essai sur la vie et le caractère de J. J. Rousseau, Paris, 1851), et M. le docteur L. Aug. Mercier (Explication de la maladie de J. J. Rousseau et de l'influence qu'elle a eue sur son caractère et ses écrits, Paris, 1859). M. Morin a particulièrement discuté (p. 441-449) la question médicale soulevée par le procès-verbal de l'autopsie, c'est-à-dire le point capital du débat, et fortement combattu l'opinion que vient de reprendre M. Dubois (d'Amiens).

Après avoir commencé par des regrets, je veux finir par une promesse, que le public m'a lui-même encouragé à lui faire: celle de compléter l'ouvrage dont il a si bien accueilli la première partie. Je réunirai dans un troisième volume aux moralistes Vauvenargues, Duclos, Helvétius, Saint-Lambert et Volney, les communistes Mably et Morelli et les économistes Quesnay, etc. Enfin, dans un quatrième et dernier volume, suivant le mouvement des idées morales et politiques du xvIII° siècle dans les publicistes-hommes d'État, Turgot, Malesherbes, Necker, Mirabeau et Condorcet, je montrerai ces idées passant avec eux de la théorie dans les faits et aboutissant à la Révolution française, ce qui me conduira naturellement à exposer mes dernières conclusions sur le rôle de la philosophie du XVIIIe siècle. La carrière à parcourir est encore vaste, mais je ne regretterai pas ma peine si cette revue critique des travaux de nos pères profite en quelque chose à l'instruction de mes jeunes contemporains.

JULES BARNI.

Paris, 26 novembre 1866.

DES

IDÉES MORALES ET POLITIQUES

EN FRANCE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

DIX-HUITIÈME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

L'HOMME SA VIE.

Que sans Rousseau l'œuvre de Montesquieu et de Voltaire serait restée incomplète. Le lieu de sa naissance : la protestante et républicaine Genève. Sa famille, originaire de France; son père et sa mère. Ses premières lectures. Son apprentissage chez un

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Sa fuite de Genève.

graveur, nouvelles lectures.
il entre en relations avec madame de Warens.

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l'hospice des catéchumènes de Turin, son abjuration. Il se fait laquais pour vivre, aventure du ruban. - Influence qu'exerce sur lui l'abbé Gaime, l'un des types du Vicaire savoyard. — Séjour à Annecy chez madame de Warens, nouvelles lectures. Placé au séminaire, Rousseau n'est pas même jugé bon à faire un curé de campagne. Il entre à la maîtrise de la cathédrale. - Voyage à pied en Suisse et à Paris. Effet produit sur lui par le spectacle

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de la condition du paysan français.

Nouveau séjour chez ma

dame de Warens, à Chambéry; influence de ce nouveau séjour. Retraite aux Charmettes: méditation, lecture des philosophes, études sérieuses. Invention d'une méthode pour noter la musique en chiffres; nouveau voyage à Paris.

Les écrivains du xvIIIe siècle, animés tous de la passion du bien public et de l'humanité, ont chacun leur rôle spécial dans l'œuvre commune; aussi se complètent-ils les uns les autres, et il ne faut pas les séparer, si l'on veut embrasser cette grande œuvre dans toute son étendue. La postérité l'a bien senti malgré les fâcheuses divisions et les tristes querelles qui les avaient séparés de leur vivant, elle les a réunis après leur mort dans le même bataillon, le bataillon sacré. Les noms de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau sont des noms qui vont ensemble et qui sont indissolublement liés.

Nous avons vu quelle fut l'œuvre de Montesquieu, et quelle fut celle de Voltaire. Sans Rousseau, cette double œuvre serait restée incomplète. Celui-ci représente, dans l'ordre des idées morales, le retour de l'âme sur elle-même, l'appel à la conscience comme à une voix intérieure qu'il faut toujours consulter, le sentiment en général ou l'instinct naturel; et, dans l'ordre des idées politiques, le principe de l'égalité républicaine et de la souveraineté du peuple. C'est ainsi que dans ce second ordre

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