Page images
PDF
EPUB

de faire une enquête et de refuser, la nouvelle charte fut bientôt octroyée sous la date du 3 avril 1661. Celle-ci non-seulement confirmait tous les anciens priviléges de la Compagnie, mais l'investissait en outre du droit de faire la guerre ou la paix avec tout prince ou tout peuple non chrétien, et de se saisir de toutes les personnes non licenciées qui se trouveraient au dedans des limites fixées, et de les envoyer en Angleterre. Les deux articles accordaient, comme on le voit, de bien importans priviléges, et quand on y joignit le droit d'administrer la justice, il se trouva que tous les pouvoirs du gouvernement furent alors, à peu de chose près, remis aux directeurs et à leurs agens. (Vol. 1, pag. 82.)

On usa largement de cette nouvelle autorité, et l'on redoubla d'efforts pour empêcher tout négoce particulier des employés de la Compagnie, mais surtout pour faire exécuter les ordres sévères qui concernaient les Européens. Tous ceux qui inspiraient quelque soupçon étaient saisis et embarqués pour l'Angleterre. Il fallait, dit M. Mill, anéantir cette race de marchands qui empiétaient sur le monopole, et qu'on flétrissait du nom d'interlopers; c'était à eux qu'on attribuait principalement les pertes et les revers qui avaient cependant bien d'autres causes. Un de ces actes de violence fit beaucoup de bruit en Angleterre, et donna lieu, dans l'année 1666, à de vives discussions entre les deux chambres du parlement. Thomas Skinner, marchand de Londres, qui avait des possessions particulières dans l'Inde où il

TOME IV.

6

avait acheté d'un roi de ce pays l'île de Barella, venait d'y expédier, en 1657, un de ses navires avec une riche cargaison. Les agens de la Compagnie se saisirent du vaisseau, des marchandises et de l'île de Barella même. Afin de retarder le plus longtemps possible les réclamations qu'ils pensaient bien que Skinner ne manquerait pas de faire lors de son retour en Angleterre, ils lui refusèrent le passage sur leurs bâtimens, et il fut obligé de prendre la longue route de terre pour se rendre en Europe. Après d'innombrables traverses, il y revint enfin, et adressa ses plaintes au gouvernement. L'affaire fut d'abord portée devant un comité du conseil, et de là renvoyée à la chambre des pairs.

Quand la Compagnie reçut l'ordre de répondre à la plainte, elle refusa d'abord de reconnaître la juridiction de la chambre haute, sous le prétexte qu'elle n'était qu'une chambre d'appel, et par conséquent incompétente pour juger une cause en premier ressort. Cette fin de non-recevoir fut rejetée. La Compagnie en appela alors à la chambre des communes. Les lords indignés procédèrent au jugement et accordèrent au pétitionnaire 5,000 liv. st. en dédommagement. Les communes irritées à leur tour, et ne pouvant faire éprouver à la chambre haute les effets de leur colère, la firent retomber sur la malheureuse victime qui avait déjà tant souffert. Thomas Skinner fut envoyé prisonnier à la Tour. Les lords, poussés à bout par ces procédés, déclarèrent que la pétition adressée par la Compagnie à la chambre des communes était mensongère et scandaleuse.

Celle-ci décréta à son tour que quiconque prêterait la main à l'exécution de la sentence de l'autre chambre en faveur de Skinner serait considéré comme violateur des droits et libertés des communes d'Angleterre, et comme ayant enfreint les priviléges de leur chambre. Ces discussions se continuèrent avec une telle animosité des deux parts, que le roi jugea nécessaire d'ajourner sept fois de suite le parlement, et voyant qu'à chaque rentrée elles étaient de nouveau reprises, il fit venir les membres des deux chambres à Whitehall, et parvint enfin, par des moyens persuasifs, à les engager à faire rayer de leurs protocoles tous les votes, résolutions et autres actes qui avaient rapport à cette affaire. Ce fut ainsi que se termina une contestation, dont au reste les deux partis commençaient à se lasser. Le sacrifice et la ruine d'un individu parurent, comme de coutume, de peu d'importance. Skinner n'obtint aucun dédommagement. (Vol. 1, pages 88, 89, 90.)

,

Malgré la haute protection de la chambre des communes où la compagnie comptait ses plus nombreux partisans, et malgré les persécutions qu'elle faisait éprouver aux interlopers dans l'Inde, ses opérations commerciales ne prenaient pas encore une grande extension, et ses dettes allaient toujours en augmentant. Les Hollandais continuaient à y faire des affaires bien plus avantageuses, parce qu'ils mettaient moins d'ostentation dans leurs établissemens. M. Mill fait à cet égard les observations suivantes.

« Des factoreries pour le commerce de l'Asie,

formées à l'imitation de celles de la Compagnie des Indes, étaient le résultat naturel des fonds réunis (joint stock). Les administrateurs ou directeurs tiraient bien meilleur parti du patronage qu'ils se créaient par ces établissemens, dont ils profitaient seuls, que des bénéfices simplement commerciaux de la Compagnie, dont ils ne recevaient qu'une part assez insignifiante. Le soin que prenait la cour des directeurs de dérober au public la connaissance des affaires de la Compagnie, empêchait d'établir avec exactitude le montant de ses dettes; mais il paraît qu'à cette époque elles étaient très-considérables. En 1676, on prétendait en Angleterre qu'elles s'élevaient à la somme de 600,000 liv. sterl., et nous avons vu qu'en 1674, les dettes contractées à Surate étaient déjà de 135,000; en 1682 et 83, les directeurs autorisèrent l'agence du Bengale à faire un emprunt de 200,000 liv., et dans les deux années suivantes, pour le seul établissement de Bombay, les emprunts furent portés à 300,000 liv. Il est très-probable qu'alors les dettes excédèrent déjà le capital. » (Vol. 1, pag. 101.)

Ce fut cependant vers ce temps que la Compagnie commença à porter son attention sur le commerce de la Chine. Le premier ordre donné pour l'importation du thé, objet de curiosité alors, et devenu depuis d'un usage si général en Angleterre, était conçu en ces termes : « Vous enverrez par ces vaisseaux 100 lbs. du meilleur tey (the) que vous pourrez vous procurer. » (Bruce's Annals, vol. 11, pag. 510.)

si sa

En 1698, l'ancienne Compagnie eut à lutter contre une nouvelle association rivale, et c'était à qui obtiendrait par les offres les plus séduisantes la protection du gouvernement. La première, dont le privilége expirait trois ans plus tard, offrit de lui prêter 700,000 liv, sterl. à 4 pour 100, charte était renouvelée; la seconde en offrit 2,000,000 à 8 pour 100, si le monopole était enlevé à la première, et accordé à celle-ci. Le plus offrant remporta la victoire, et l'ancienne Compagnie fut ainsi supplantée par une nouvelle. Ce n'était toujours, il est vrai, qu'un monopole opposé à un autre; mais il est assez curieux de voir avec quelle puissante logique les derniers monopoleurs surent argumenter contre les premiers, et s'emparer du champ de bataille, sans cependant attaquer le monopole même.

Les directeurs, qui se trouvaient encore investis pour trois années de leur omnipotence dans l'Inde, résolurent de renouveler le combat sur un terrain dont ils disposaient, et qui devait leur être favorable au moins pour se venger de leurs compéti

teurs.

Ils firent passer de nouvelles instructions à leurs agens d'outre-mer. Les dernières mesures prises par le parlement, y était-il dit, avaient été dictées par le pouvoir prépondérant d'un parti, et non par la sagesse législative. Les interlopers (c'est ainsi qu'ils qualifiaient la nouvelle Compagnie) l'avaient emporté par l'offre insidieuse d'un commerce libre (fait individuellement par les membres de l'association),

« PreviousContinue »