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eux-mêmes à une pareille cruauté. M. Mill nous donne la preuve du contraire.

« La vérité est que les agens de la Compagnie en ce même temps étaient dans l'usage habituel (regular habit) d'infliger des tortures à leurs propres compatriotes et même à leurs serviteurs. Le capitaine Hamilton nous apprend (dans l'ouvrage intitulé New Account of the east Indies, p. 362) qu'avant que la Compagnie fùt investie des droits que donne la loi martiale, et lorsqu'elle ne pouvait encore, faire exécuter à mort que les pirates, elle avait déjà établi comme règle de faire expirer sous le fouet, ou périr de faim, ceux dont elle voulait se débarrasser. Il en cite entre autres un exemple (p. 376): un déserteur du fort Saint-Gorges fut, selon son expression, «fouetté hors de ce monde-ci dans l'autre.» Le droit de condamner à mort les pirates, servit aussi, selon le même auteur, à faire périr plusieurs commerçans. On donnait une telle extension à ce droit, que tout trafiquant qui avait le malheur de déplaire à un gouverneur était bientôt déclaré pirate; et il rend compte de l'entreprise d'un employé de la Compagnie et d'un agent dévoué du gouverneur du fort de Saint-Georges, qui, en se parjurant, tentèrent de lui faire perdre à lui-même la vie à Siam......

«Quand la nouvelle du massacre d'Amboyne parvint en Angleterre, le peuple, déjà irrité contre les Hollandais par les récits répétés de leurs mauvais procédés envers nos compatriotes, fut porté au plus haut point d'exaspération. La cour des di

recteurs fit tout ce qu'elle put pour ajouter aux fureurs populaires; elle ordonna d'abord la composition et l'exposition d'un tableau hideux dans lequel nos concitoyens étaient représentés expirant au milieu des tortures, avec l'expression révoltante de leur cruelle agonie, et entourés des instrumens effrayans qui servaient à les tourmenter. La presse enchérissait sur les horribles détails des scènes d'Amboyne, et la rage de la populace fut sonlevée à un tel degré, que les marchands hollandais qui se trouvaient à Londres tremblèrent pour leur vie, et s'adressèrent au conseil privé pour réclamer protection. Les directeurs, appelés devant le conseil privé pour répondre à ces plaintes, nièrent la part qu'on les accusait d'avoir prise aux publications de la presse; mais ils avouèrent que le tableau avait été exécuté par leur ordre, ajoutant qu'ils voulaient le conserver et le placer dans leur hôtel, comme un monument éternel de la cruauté et de la trahison des Hollandais. » (Vol. 1, p. 50. )

Ceux-ci s'étaient en effet rendus bien coupables, sous d'autres rapports, envers la Compagnie, et notre historien explique, à la fin de cet intéressant chapitre, les véritables motifs du courroux des monopoleurs.

«< Parmi les plaintes portées contre les Hollandais, une des plus graves était qu'ils vendaient à Surate les marchandises de l'Europe à bien meilleur compte, et achetaient celles de l'Inde bien plus cher que les Anglais, ce qui faisait exclure ces der

niers des marchés de cette ville. C'était là se plaindre de la concurrence, qui est l'ame du commerce. Si les Hollandais vendaient à d'assez bas prix et achetaient à des prix assez élevés pour y perdre, il ne fallait aux Anglais que prendre un peu de patience. Mais la vérité était que les Hollandais, disposant d'un plus fort capital avec plus d'économie, se trouvaient ainsi en état de faire des offres plus avantageuses, tant pour les ventes que pour les achats. » (Vol. 1, p. 56. )

Pendant les années qui s'écoulèrent depuis 1624 jusqu'en 1627, les bénéfices de la Compagnie avaient toujours été en diminuant. Les directeurs, qui prenaient d'ailleurs le plus grand soin de dérober à la connaissance du public tous les faits qui pouvaient nuire à leur crédit, excepté dans les cas particuliers où quelque intérêt du moment les portait à avouer des pertes, se virent alors dans la nécessité de déclarer au gouvernement la marche rétrogade de leurs affaires. Sir Robert Shirley, qui avait été envoyé en ambassade près de la cour de Perse, s'adressa, lors de son retour à Londres, au roi en son conseil, afin d'obtenir qu'un ordre fùt donné à la Compagnie des Indes orientales de lui payer 2000 liv. sterl. en reconnaissance des importans services qu'il avait rendus, ou en dédommagement de ses efforts, qui avaient été couronnés d'un plein succès, pour procurer à la Compagnie le commerce de la Perse. Les directeurs nièrent d'abord l'importance des services, et déclarèrent en outre qu'ils

étaient hors d'état de payer. Ils venaient, disaientils, d'être réduits à la nécessité d'emprunter l'énorme somme de 200,000 liv. sterl., et leurs actions perdaient déjà 20 pour 100, les coupons de 100 liv. sterl. se donnant alors pour 80.

Les bénéfices diminuèrent ensuite sensiblement par la conduite des employés mêmes de la Compagnie, Son historien s'en plaint en ces termes :

« Il n'est point aisé d'obtenir de bons offices de serviteurs employés à une distance immense, surtout si le maître est négligent. Les directeurs firent enfin cette découverte, qu'ils ne durent pas cependant à leur propre sagacité, mais bien aux querelles qui s'élevèrent entre leurs agens. Ceux-ci, se trahissant l'un l'autre, donnèrent la preuve, par leurs dénonciations réciproques, qu'ils avaient négligé les intérêts de leurs commettans, et que, tandis qu'ils se livraient avec la plus grande avidité à des entreprises particulières dont ils retiraient seuls les bénéfices, les affaires de la Compagnie étaient abandonnées à toute espèce de désordres.»

Vers cette époque, la Compagnie fut attaquée dans une foule d'écrits, où l'on cherchait à prouver non-seulement combien son administration était vicieuse, mais aussi combien le monopole dont elle s'était emparée, qu'elle cherchait à étendre de plus en plus, et aux lieux mêmes où elle n'avait pas encore formé d'établissement, était contraire à l'inté– rêt général. Les alarmes qu'elle conçut pour la

durée de son privilége exclusif devinrent très-vives; mais elle crut devoir mettre une grande modération dans ses réponses aux plaintes élevées contre elle. L'opinion publique, qui lui avait été jusque-là si favorable, lui était devenue contraire, et ses directeurs, jusque-là si fiers et si impérieux, baissèrent le ton en attendant des circonstances plus propices.

<«< Ainsi que tous les spéculateurs malhabiles, et par cela même malencontreux, la Compagnie trouvait des concurrens de toute espèce, auxquels elle attribuait le peu de succès de ses opérations. Pendant quelques années, elle s'était plainte hautement du commerce clandestin que faisaient ses propres employés, dont les profits étaient bien plus grands que les siens; mais elle aurait exagéré encore ses doléances et ses prétentions, si ce n'eût été l'ascendant général que prenaient les sentimens de liberté à l'époque des discussions violentes de Charles Ier et du parlement. On ne pouvait alors se flatter d'échapper aunaufrage dont les institutions opposées à cet esprit d'indépendance étaient alors menacées qu'en mettant prudemment àl'ombre de pareilles prétentions. Quoique la compagnie fùt entrée d'abord assez hardiment dans la lice avec les écrivains qui établissaient que tous les monopoles en général, et particulièrement celui de la Compagnie, étaient désastreux, elle jugea bientôt à propos de prendre une autre marche, afin de ne pas trop attirer sur elle l'attention du public, et ne s'opposa plus si ouvertement aux entreprises particulières, qui empiétaient assez fré

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