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la journée que pour manger et se rafraîchir. Le marié ne descend que très-rarement de cheval pour prendre ses repas. Ses plus proches parens. l'entourent et le font manger.

On entend de fort loin arriver la noce aux cris répétés que poussent les assistans, et à la musique glapissante des haut-bois. Le soir venu, on rentre chez le nouvel époux où est servi un joyeux banquet. La future n'y assiste pas, attendu qu'elle n'est pas encore mariée; son tour arrive le lendemain; elle remplit, ainsi que ses parens et ses amies, la même cérémonie qui a eu lieu pour le jeune homme, et qui n'en diffère qu'en ce que la mariée, au lieu d'être à cheval, est portée dans un palanquin, et est dispensée des assiduités du Raphaël.

Le cortège de la mariée se réunit le soir à celui de l'époux, et c'est alors que disparaissent, au milieu d'un splendide festin, l'innocence de la jeune vierge et celle de son heureux adorateur....

Les bazars ne manquent pas à Sourabaya. Sur toutes les places publiques, on voit des réunions de marchands, hommes ou femmes, vendre toute espèce de denrées. Les plus grands marchés sont ceux où l'on achète les comestibles, tels que légumes, fruits, cannes à sucre, volaille et viande de boucherie crue ou cuite. Une odeur infecte rend

ces endroits presque inhabitables.

D'autres marchés sont uniquement destinés à la vente des bottes d'herbe que les Malais apportent des campagnes, pour la nourriture des che

vaux de la ville. Toute la journée, on voit arriver ces marchands chargés chacun de deux énormes bottes d'herbes suspendues à une barre de bambou, taillée exprès de trois pouces environ de largeur, et de manière à ce qu'elle soit très-flexible; sa longeur moyenne est d'environ quatre à cinq pieds. Ils accrochent à chaque extrémité une botte d'herbe, et la mettent ensuite sur leurs épaules en établissant un parfait équilibre. Ils changent successivement d'épaules pour se délasser. De cette façon ils portent à une très-grande distance les fardeaux les plus pesans. Dès qu'ils sont fatigués et couverts de sueur, ils se plongent dans l'eau, en sortent aussitôt, reprennent leurs fardeaux, et continuent leur route. Les chemins sont journellement remplis de ces portefaix, ainsi que les marchés. Dès leur arrivée en ville, ils y trouvent, pour se désaltérer, du vin de canne à sucre, et pour satisfaire leur appétit, du riz cuit, des bananes frites, des sardines, des patates, des morceaux de canne à sucre préparés prêts à sucer, et des fruits de toute espèce. Les comestibles abondent, nonseulement sur toutes les places publiques, à tous les coins de rue, mais encore devant chaque maison on trouve des chiques de bétel préparées; ce qui rend tous ces bazars sales et dégoûtans.

Il existe aussi sur plusieurs places des marchés de change de monnaie de cuivre contre des monnaies d'argent. Les plus fortes des monnaies de cuivre sont appelées wouangs; elles sont à peu près de la grosseur de nos décimes. Il fait en gé

néral fort cher vivre dans ces contrées. Tous les effets d'habillement y sont hors de prix; mais l'argent y est très-abondant. Tout respire l'opulence dans la ville de Sourabaya.

Cependant Batavia, capitale de l'île, est d'une plus grande importance que Sourabaya. Elle passe, après Calcutta, pour la première ville des Indes orientales. Sourabaya en est à peu près à quatrevingts lieues. Si je n'eusse préféré visiter la campagne plutôt que de parcourir les villes, j'aurais eu le temps d'aller à Batavia pendant le séjour de la division à Java; mais mon devoir comme mon propre goût me retinrent dans les lieux où brillait la simple nature.

Deux négocians français habitant la ville de Sourabaya depuis plusieurs années avec lesquels je logeais et prenais mes repas, qui avaient fait successivement plusieurs voyages à Batavia, eurent la complaisance de me remettre diverses notes dont on me saura peut-être gré de transcrire ici quelques détails.

Batavia, par l'avantage de sa position, par la sûreté de sa rade, par la facilité des approvisionnemens, enfin par ses relations commerciales, est une ville de la plus haute importance. Elle est devenue l'entrepôt général des épiceries. C'est dans son port que l'habitant des Moluques vient verser chaque année la précieuse récolte de ses muscadiers et de ses girofliers. Si les Anglais lui ont ravi le poivre de Sumatra, la Chine et le Japon l'en ont complètement dédommagée : la première, en lui

expédiant, à chaque mousson, de nombreux convois chargés de ses riches productions; et le Japon, en lui accordant, par privilége exclusif, l'entrée de ses ports, à des conditions peut-être un peu dures, mais qui néanmoins offrent encore de grands avantages à Java.

Les grandes ressources qu'offre le commerce de cette place hollandaise y attirent des négocians de toutes les parties du globe. La variété qui règne partout est d'un aspect extrêmement curieux. Au milieu des forêts mouvantes qui encombrent son port on remarque d'abord les jonques ou champans chinois, dont la construction grossière et colossale contraste d'une manière bizarre et originale avec les formes élégantes et la mâture légère et soignée des navires européens. La diversité des peintures, des pavillons, des banderolles, le mouvement continuel des praux malais, des chaloupes européennes et des bateaux chinois qui chargent et déchargent les vaisseaux de la rade, donnent à ce tableau la teinte la plus riante.

A peine est-on entré dans la ville, que la scène est entièrement changée, sans être plus uniforme. Les quais sont bordés de coulis qui déchargent les bateaux, et transportent sur d'autres les produits de la colonie. Ici, l'Arabe fait charger, sous ses yeux, la muscade, le girofle et les soieries de la Chine; plus loin, l'Américain échange ses piastres contre le café et le sucre de Java; l'Anglais et le Français déballent avec soin les utiles produits de leur industrie. Sur le même quai, le Hollandais fait

rouler, par longues files, les pièces de vin et d'eaude-vie que la France lui fournit en abondance. Le Javanais livre à l'encan les chevaux vigoureux qu'il s'est procurés à Byma, en échange des toiles tissues par ses femmes, et des armes qu'il a façonnées; le Persan, sous les plis soyeux de ses cachemires, dérobe à l'oeil vigilant des douaniers cet opium si recherché des Malais, et qui leur est souvent si fatal. Enfin, cette multiplicité prodigieuse de négocians de toutes les nations, cette réunion d'hommes qui diffèrent entre eux par le teint, le costume, les mœurs, le langage, la religion et les intérêts commerciaux, présentent, à l'œil charmé d'un observateur un spectacle digne des réflexions les plus philosophiques.

Mais bientôt un retour affligeant vient détruire l'illusion d'un premier aspect. En voyant les ravages affreux que l'insalubrité du climat exerce sur ces mêmes hommes venus d'aussi loin pour s'enrichir, on gémit sur la fatalité qui a placé les dons brillans de la fortune sous une enveloppe empoisonnée.

Batavia est bâtie très-régulièrement, ses rues sont bien percées et séparées dans le milieu en deux portions par un canal, à l'instar des grandes villes de la Hollande. Ces canaux sont sans doute d'une grande utilité, mais la différence énorme des deux climats aurait dû détourner les habitans de Batavia de les percer. Il est bien prouvé que les eaux, n'ayant pas un écoulement suffisant, reçoivent, pendant des jours entiers, les rayons

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