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plausibles je n'en ai pas moins cru cependant qu'il était utile de chercher, dans la situation même de la Grèce, des explications à la ligne de conduite que suit son gouvernement.

Si le président a sainement jugé l'avenir, sa sagacité aura trompé bien des raisonnemens et des conseils. Mais est-il à l'abri de l'erreur? n'a-t-il pas compté avec trop d'assurance peut-être sur l'opinion publique de l'Europe, sur les gouvernemens qui ont témoigné tant de bienveillance à la Grèce?

Il est hors de doute que l'Angleterre et la France ont intérêt à se retirer le plus tôt possible de la question grecque. Je ne puis prévoir ce que feront leurs gouvernemens; mais les conjectures les plus raisonnables sont, ce me semble, celles qui se basent sur leurs intérêts. Or, tant que cette question dure, elle les embarrasse; elle les prive, en partie du moins, de la liberté des mouvemens qu'ils doivent désirer de conserver complète, dans un moment où se prépare une crise à laquelle toute l'Europe est intéressée, car le traité d'Andrinople n'a fait, à mon avis, que la suspendre'. La Grèce est d'une bien petite importance à côté des grands événemens dans l'attente desquels nous sommes, et ce n'est pas par considération pour elle qu'on est disposé à sacrifier des intérêts immédiats. Ainsi elle est exposée à ce que les puissances se lassent de s'occuper exclusivement d'elle,

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La révolution française de juillet 1830 rend cette crise bien plus imminente encore. (Note du D.)

qu'elles tranchent péremptoirement la question et l'abandonnent à ses propres ressources. Qu'aurat-elle gagné alors à aviver l'irritation et à prolonger son malaise ? Les Turcs, qui avaient déjà pris leur parti sur la perte de la Morée, auront été irrités par des hostilités inutiles; ils demanderont de leur côté, pour s'assurer contre leur retour, des garanties qui pourront bien leur être accordées dans l'impatience d'en finir. Le gouvernement grec aura perdu la meilleure de toutes les occasions, pour réparer les malheurs du pays, pour rétablir complètement l'ordre, et pour s'asseoir lui-même d'une manière stable. C'est bien alors que les reproches éclateront de toutes parts contre lui, et cette fois ils seront fondés, car il aura achevé la misère de la nation pour courir après un but chimérique. Toutes les plaies causées par l'anarchie sont encore saignantes, comme au premier jour; rien n'aura été fait pour les guérir, et la Grèce se trouvera seule, face à face, devant l'immense étendue de ses maux.

DÉLIMITATION DE LA GRÈCE.

Mais au moins l'augmentation de leur territoire est-elle pour les Grecs d'un tel avantage, qu'elle l'emporte sur les dangers auxquels ils s'exposent pour y parvenir? Il est nécessaire d'établir cette balance, pour décider ce qu'il leur importe de faire.

La population que renferme la Morée s'élève, comme je l'ai dit, à deux cent mille âmes au

moins. Elle a l'avantage de n'avoir avec ses voisins que le plus petit contact possible; sa seule frontière est sur un isthme d'une lieue et demie de largeur, que protégent des défilés de la défense la plus facile, puisqu'il ne s'y trouve qu'un seul passage. La Morée forme un tout compacte, et offre à l'industrie de l'homme un champ vaste à exploiter; ses plaines et ses vallées fertiles nourriraient aisément une population décuple de celle qui s'y trouve aujourd'hui. Cette population ellemême est à peu près homogène, et les exceptions peu nombreuses qu'on trouve dans les montagnes du Magne et de l'Arcadie, se fondraient bientôt elles-mêmes dans la masse, sous l'empire d'une administration forte. Mais, dès qu'on sort de l'isthme, tous ces avantages disparaissent. La frontière prend tout de suite un grand développement, et avec elle s'accroît la difficulté de la garder. Elle nécessitera une armée nombreuse que le pays n'est point en état de fournir et encore moins d'entretenir. Les points de contact avec les Turcs seront très-nombreux ; il en résultera, à chaque instant, des discussions, des rencontres qui entretiendront les deux peuples dans une irritation continuelle, et amèneront des guerres. Il est aisé aux puissances européennes de prendre la Morée sous leur protection, d'en interdire l'entrée aux Turcs sous peine d'encourir leur vengeance; les deux peuples, séparés entre eux par la nature, n'ayant presque aucunes communications, ne pourront point avoir ces rapports hostiles qui sont inévitables sur une

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frontière étendue, et la paix sera facile à conserver. Avec d'autres limites, au contraire, les puissances ne peuvent plus donner la même garantie à la Grèce, parce qu'elles ne peuvent couvrir de leur égide toutes les provocations qui viendraient du côté des Grecs, et interdire aux Turcs les représailles. Que si, par la suite, cette protection des puissances vient à être suspendue, si les Grecs restent livrés à eux-mêmes, leurs lignes seront bien autrement inexpugnables lorsqu'ils n'auront que l'isthme à défendre, que lorsqu'il faudra se garder à la fois sur une frontière de cinquante lieues au moins de longueur. A cela on répondra, la carte à la main, que l'augmentation de territoire qu'ils trouveront à ces nouvelles limites accroîtra considérablement leurs forces, et en fera une puissance bien capable de se défendre. Si on croit connaître un pays pour en avoir vu la carte, à coup sûr ce raisonnement paraîtra spécieux; mais si l'on veut bien se souvenir que la nature est infiniment plus variable que le dessin, qu'elle offre à chaque pas des dissemblances qui ne permettent de la juger que quand on l'a vue elle-même, on aura recours à d'autres données que celles de la carte pour fonder un état et constituer une nation.

Le pays compris entre la chaîne de l'Othrix et l'isthme de Corinthe est presque entièrement rempli par de grandes montagnes dont les vallées seules ont quelques habitans; toutes celles qui se rattachent au Parnasse, le littoral du golfe de Lépante et de la mer Ionienne, offrent à peine de

misérables hameaux. Le bassin de Livadie est le seul qui soit cultivé; encore la population y est-elle plutôt turque que grecque. La vallée de l'Aspropotamos est presque inculte comme toute la Grèce occidentale; il ne reste que l'Attique qui ait vraiment de la valeur, mais cette malheureuse province a été tant de fois ravagée, que la population y est réduite à 12 ou 15,000 âmes. Je regrette de ne pouvoir dire avec précision à combien elle se monte pour la totalité du pays dont il est ici question; j'ai de bonnes raisons de croire qu'en la portant à 50,000 âmes, on lui fait une large part. J'ai déjà dit comment se compose cette population, et le parti qu'on peut espérer de tirer des Grecs des montagnes. Voilà donc à quoi se réduit cette possession si disputée, qui occupe aujourd'hui toute la diplomatie européenne, pour laquelle les Grecs s'efforcent de nous armer et courent eux-mêmes en aveugles au-devant de leur ruine. Elle leur ôterait certainement en force beaucoup plus qu'elle ne leur donnerait en étendue. Je comprends que ses habitans ne se contenteront guère de cette raison; quelles qu'en puissent être les conséquences, qu'ils ne prévoient pas, ils appelleront toujours de leurs vœux leur affranchissement'. Mais je raisonne ici dans l'intérêt de la masse, et quand il me semble que l'intérêt bien

1 On sait maintenant que les puissances ont adopté, à peu de différence près, la ligne des limites, contre laquelle l'auteur de cet article s'élève avec tant de raison. (Voyez le protocole de Londres cité P. 132) (Note du D.)

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