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y a de certain, c'est que le goût de l'arguadente est ainsi entrenu chez les vieux esclaves, et inspiré aux jeunes; il faut ensuite, pour le réprimer, avoir recours à des châtimens dont la douleur outrepasse de beaucoup les jouissances accordées par quelques faibles distributions.

» Je serais certainement le dernier des hommes qui voudrait diminuer le peu de soulagemens procurés à la misère de ces infortunés; mais je suis convaincu que le plus grand des bienfaits qui puisse leur être accordé, est de leur interdire les spiritueux en toute saison et en toutes circonstances..... Sur trois plantations contiguës et composées chacune de plus de quatre cents esclaves, ce moyen a été tenté avec le plus grand succès. Non-seulement on punit l'ivresse, mais le seul acte de boire de l'eau-de-vie. Il y a une méthode certaine de découvrir le buveur, quelque sobre qu'il soit; son haleine suffit pour le trahir. En vain plusieurs moyens ont été tentés pour se soustraire à la preuve qu'elle fournit, tels qu'infusions d'herbes fortes et odorantes dans les boissons ordinaires, etc.; le nez infaillible de l'administrateur ou magoral ne s'y laisse point prendre, et l'inévitable correction qui suit la violation de la défense rend maintenant les transgressions très-rares. Ce n'est qu'après avoir acquis la certitude que la mauvaise santé, la mort prématurée de plusieurs nègres, les querelles et les vengeances sanglantes qui se portaient parfois jusqu'au meurtre des femmes et des enfans, étaient dus à l'eau-de-vie, que les propriétaires ont pris la

résolution d'en défendre entièrement l'usage, et le succès de cette mesure a passé toutes leurs espérances. La tranquillité règne sur ces plantations, l'état sanitaire s'est amélioré, et un bien plus grand nombre d'enfans y naissent maintenant; il n'est plus nécessaire même de recourir aux châtimens rigoureux pour maintenir l'ordre et la discipline.

» Les écrits de plusieurs médecins éclairés viennent à l'appui de ce système. Ils nient l'efficacité des boissons spiritueuses pour prévenir les fièvres, et indiquent de meilleurs remèdes. On a remarqué que sur les habitations où l'on est dans l'usage de donner un verre d'eau-de-vie aux noirs, quand ils sont mouillés, ils recherchent avidement et sans nécessité toutes les occasions d'être inondés par la pluie ou transis de froid, afin d'obtenir leur breuvage favori. Dans les Etats-Unis, la pauvreté ou la ruine d'une foule d'individus, et les neuf dixièmes des crimes qui s'y commettent, sont dus aux boissons fortes et à l'abus fréquent de ce poison funeste. Qu'il est donc louable le planteur qui, en maintenant ses esclaves dans une heureuse ignorance, les préserve ainsi du mal physique et moral qui accable tant d'hommes libres! »

Après avoir séjourné quelque temps sur les établissemens de plusieurs de ses compatriotes, le docteur Abbot se rendit par terre à la-Havane, et de là à une soixantaine de milles au S. O. sur la côte méridionale de l'île, qu'il parcourut ensuite en tout sens. Il fit de la sorte successivement de huit cents

à mille milles dans l'intérieur. Son journal, car c'est ainsi qu'on peut considérer la série de ses lettres, contient des détails aussi instructifs qu'agréables. Il évalue la population blanche de Cuba à 259,100 et quelques âmes, la population noire libre ou de sang mêlé à 154,000, et les esclaves à 225,000, ce qui forme un total de 638,000 et quelques centaines d'âmes. M. de Humboldt la porte un peu plus haut, ou à 715,000. Au

cun dénombrement exact n'a encore été exécuté. Le docteur Abbot revient souvent sur un fait d'une grande importance pour la sécurité des individus comme des propriétés, la stabilité des lois, et la tranquillité de l'île, c'est l'existence d'un nombre considérable de petits cultivateurs ou moyens propriétaires, connus sous la dénomination de montaneros. Ils forment une espèce de milice répandue sur tous les points de l'île, et se trouvent ainsi en état d'étouffer sur-le-champ toute révolte des esclaves. Au reste, l'auteur ajoute qu'il n'a point voulu prodiguer dans ses lettres les réflexions politiques sur l'état actuel ou l'avenir présumable de Cuba, mais il croit que ses habitans sont appelés à de hautes destinées. Ils sont riches de 6,800 lieues carrées d'un sol fertile; comparés aux habitans des autres îles où l'esclavage est encore en vigueur, ils sont bien autrement forts d'une population libre, d'une nombreuse milice bien armée et bien montée. S'ils restent à l'abri de toute oppression, la population mixte deviendra de plus en plus homogène et animée de patriotisme. Le temps

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leur fera faire des progrès en union, en sagesse et en lumières, et ils auront enfin l'attitude de dignité que leur nombre, leurs ressources et leur position relative aux autres peuples leur donnent le droit de prendre.

Le docteur Abbot avait entrepris ce voyage dans l'espoir de rétablir, sous l'influence d'un climat doux et favorable aux valétudinaires, une santé languissante. Il se flattait déjà d'avoir atteint ce but; mais en retournant dans sa patrie, il retomba malade pendant la traversée de Charlestown à NewYork, mourut sur le vaisseau qui faisait quarantaine près de cette dernière ville, et fut inhumé à Staten-Island.

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Je vous ai annoncé dans ma dernière lettre la suite de ma conversation avec M. S***. Ayant pu le soir nous isoler au bout d'une vaste galerie, je le priai de me dire comment il se faisait qu'avec cette richesse de produits, les colonies, à ce que

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