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DES

DEUX MONDES.

Voyages.

L'ILE DE CUBA

DANS CES DERNIÈRES ANNÉES '.

Incidens d'un voyage sur mer.

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San-Salvador.

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Vue de Cuba. La baie de Matanzas. Physionomie de la ville. Intérieur de l'île. Énorme cotonnier. Les bibiaguas. Leurs ravages, leurs cités souterraines. - Monopole des Anglais pour les machines à vapeur.-Hospitalité des planteurs.-Montagnes de Hacana.- Vengeance d'un esclave.-L'arbre de beauté. - Paysages élyséens.-Combats de taureaux. Combats coqs. Fréquence des Clergé. Esclaves. Traite. Populationde Cuba. - Les Montanéros.

meurtres.

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Leur impunité.

Il serait difficile de trouver réunis à la fois, pendant une courte époque de trois mois, plus

'Letters written in the interior of Cuba, etc. Lettres écrites de l'intérieur de l'île de Cuba, par le docteur ABIEL ABBOT. Boston, chez Bowles.

TOME IV.

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d'inconvéniens, de jouissances, de privations, d'agrémens, de scènes romantiques et de contrastes, que dans un voyage à l'île de Cuba. Celui qui s'embarque, comme M. Abbot, dans un port de l'Amérique septentrionale au mois de février, quitte alors un sol glacé, une côte couverte de neiges amoncelées. L'élément sur lequel il s'élance est encore moins hospitalier que la terre qu'il voit fuir derrière lui. Les vents à cette époque sont violens et froids. Il aura de la peine à s'envelopper de vêtemens suffisans pour se mettre à l'abri de la sévère influence du climat. Le premier jour se passera en désappointemens divers. Dans ses migrations fréquentes de la cabine au pont du navire, et du pont à la cabine, il marchera d'abord d'un pas mal assuré, il fera quelques tentatives pour lier conversation avec le capitaine ou les officiers du vaisseau; bientôt il rompra le dernier lien qui l'unit au continent, en fai sant ses adieux au pilote qui retourne au port; il suit de ses regards cette terre qui n'est plus qu'un point dans l'éloignement, et qui lui devient plus chère par la distance même qui l'en sépare. Le rivage disparaît enfin sous l'horizon; des souvenirs du passé, des anticipations sur un avenir incertain se pressent alors en foule dans l'âme du voyageur, et paraissent, pour ainsi dire, jeter un isthme entre deux existences diverses. Il ne sera pas aussi frappé de la transition pendant le jour; il éprouvera bien mieux pendant la nuit la différence qu'il y a entre le terrain solide, inébran

lable qu'il a quitté, et une coquille flottante, violemment agitée. Toutefois les inquiétudes pour sa sécurité personnelle ne tarderont pas à s'évanouir; s'il monte sur le pont, il trouvera les voiles bien tendues, les cordages solidement fixés; il s'apercevra de la marche assurée du bâtiment, il entendra la voix de l'officier qui donne ou qui répète les ordres, et qui veille au salut commun; il verra le navire fendre avec majesté les flots, et tracer un sillon lumineux, d'autant plus brillant, que l'obscurité environnante sera plus profonde.

Au commencement de la traversée, le vent sera souvent à la tempête, ou bien des brouillards épais envelopperont l'atmosphère; on apercevra de temps à autre une ou deux voiles au loin, mais bientôt, et à mesure que les routes des navires divergeront, il se passera plusieurs jours sans qu'on en signale une seule. La pluie continue; le vent souffle par grains, vos vêtemens, votre linge, votre lit sont imprégnés d'humidité, et l'eau qui pénètre partout coulera en gouttes pressées le long de la chambre. En changeant de place, tenez-vous ferme à la table ou contre les parois de la cabine; combinez adroitement votre marche chancelante avec les mouvemens du vaisseau; défiez-vous des secousses qui peuvent vous renverser ou vous jeter avec violence contre les parois de babord à tribord. Peut-être entendrez-vous le capitaine jurer, tempêter contre son intendant ou son cuisinier,

qui n'auront pas assez ménagé l'eau douce, ou choisi à son gré ce qui doit être consommé à dîner. La volaille maigre doit être immolée et servie la première. Si vous êtes assez heureux pour ne pas souffrir de la plus cruelle des calamités, le mal de mer, toujours serez-vous loin d'être à votre aise; vous aurez des nausées, votre cœur se soulèvera. Mais cet état de souffrance et d'irritation éprouvera sans doute un notable allégement par l'exquise politesse du capitaine, qui vous offrira quelques tranches de bœuf salé. La nappe qui couvre la table est déjà devenue d'une couleur si sombre, elle est si maculée, que tout contact entre elle et votre couteau, votre cuillère ou votre assiette, vous paraîtra redoutable. Si par hasard vous avez réservé quelque linge pour votre usage particulier, le capitaine vous lancera des regards de mépris comme à un homme indigne de la mer, ou qui voudrait déprécier l'ordre et la propreté qui règnent à son bord. Vous ne serez plus à ses yeux qu'un être perdu de mollesse ou d'affectation. Les vents sont capricieux en cette saison, et passent souvent d'un rumb à l'autre. A peine établis autour de la table pour prendre votre repas, une secousse du vaisseau vous jettera de côté, vous et vos compagnons avec les chaises, le bœuf, la sauce, la soupe aux pois, les plats et les assiettes dans un chaos inextricable; il faudra dès lors renoncer aux chaises, se cramponner aux bancs, et ramasser quelques débris dans ce nau

frage général du dîner. Le soir, vous cherchez à combattre l'humidité et le froid en attisant le feu; mais le bois est imbibé d'eau, une fumée épaisse remplit la chambre, le capitaine se réfugie sur le pont, il est morose, querelle l'équipage; les matelots, mouillés jusqu'aux os, sont récalcitrans, et font le service à contre-cœur. Épuisé de fatigue, vous vous jetez sur votre matelas, et trouvez enfin un peu de repos.

Mais un beau matin la scène change, le vent est favorable, toutes les voiles sont dehors, le vaisseau fait dix milles à l'heure. Vous montez sur le pont, le capitaine et ses gens vous saluent avec aménité, chacun s'occupe gaîment de sa besogne. Vous êtes maintenant porté bien avant dans le golfe, le courant vous seconde; pour la première fois depuis votre départ, vous vous apercevez que vous avez changé de latitude. L'air est pur, d'une douceur caressante, le soleil paraît sur un horizon clair, et l'atmosphère orientale présente l'aspect d'une mer resplendissante de mille feux. Dans plusieurs directions, vous découvrez au loin de petits points d'une blancheur éclatante; ce sont autant de voiles qu'on signale, et qui vous rappellent que vous vous trouvez encore dans des régions habitées par vos semblables.

Tels sont, en partie du moins, les incidens qu'on est certain de rencontrer en un pareil voyage. Ils seront variés à l'infini pendant chaque traversée; pour les décrire tous, il faudrait des volumes, et en continuant comme nous avons

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