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les vaincre. Si l'on faisait sa fortune en les combattant, assez d'aventuriers seraient disposés à courir toutes les chances de la guerre dans l'espoir de gagner de l'or; mais il n'en est point ainsi : si l'on demeure vainqueur, tout le butin se borne à quelques mauvaises armes, et l'on se trouve sans dédommagement pour les pertes que l'on a essuyées.

Je pense que l'on ne doit tenter d'établissement commercial que dans un pays où, au pis aller, on en soit quitte pour des sacrifices d'argent, pour des cadeaux faits à quelques chefs: or, à Boulam, je ne vois aucune nation indigène qui pût nous protéger pour de l'argent. Je vois, au contraire, des peuples puissans, ne vivant que de rapines, et qui sont la terreur de toute la côte. Sans doute des européens surmonteraient ces difficultés; mais pourquoi se jeter dans des dépenses considérables sans l'espoir fondé de recueillir des avantages certains? Une expédition anglaise s'est rendue, en 1829, dans le Rio-Grande, pour y établir un comptoir, et d'après le rapport que me firent les gens du pays, lorsque je passai dans les environs, au mois de juillet, un seul individu

avait survécu.

V. Cagnabac.

De Boulam je me rendis à Cagnabac : c'est la dernière île habitée au sud, dans l'archipel des Bisagos. Damion, roi actuel, ayant dans sa jeunesse été élevé chez les Portugais, est un peu plus

civilisé que ses compatriotes. Le propriétaire de la goëlette l'Héléna, à bord de laquelle j'étais passager, le connaissait personnellement : c'est à cette circonstance que je dois probablement de n'avoir pas été insulté; car à peine le navire fut-il à l'ancre, qu'avec mon insouciance habituelle je me fis mettre à terre par le canot, et je parcourus l'île, seul avec mon fusil et des munitions, sans connaître un mot de la langue. Je rencontrai quelques nègres travaillant à leurs champs de riz; ils vinrent à moi, et me firent signe de leur montrer mon fusil. Pour toute réponse, je glissai une balle dans chaque canon: je connaissais trop bien l'Afrique pour leur livrer mon arme, et par-là les exposer à la tentation de s'en emparer en se défaisant du propriétaire. Je prononçai le nom du roi ; ils me montrèrent un sentier que je suivis, et qui me conduisit au village qu'il habitait. Je le vis assis devant sa porte, sous un grand dais de feuillage, qui s'étendait à une vingtaine de pieds de chaque côté, où il se trouvait à l'abri du soleil. On m'apporta un siége de bois de la forme d'un champignon ; après que je me fus assis, mon fusil entre les jambes de peur d'accident, il commença à me parler en bisago et en mauvais créole portugais; ne le comprenant pas, jene pus lui répondre. Il me fit apporter du vin de palme pour me rafraîchir; cette liqueur ne me parut pas agréable parce qu'elle était fermentée. Ne pouvant converser avec le roi, j'examinai sa case, et une de ses femines y étant entrée, je la suivis. Cette case était extrêmement propre, soigneuse

ment balayée, ayant plusieurs portes formées d'une seule planche grossièrement taillée à la hache. La chambre du milieu était circulaire; dans le centre se trouvait le foyer; autour on avait élevé avec de la terre plusieurs petites estrades couvertes de nattes, qui servaient de lits. Ces estrades étaient accompagnées de pilastres, comme nos cheminées de campagne; les colonnes du lit de la femme étaient moins hautes que celles du lit du roi. Les murs, construits en terre, étaient peints en losanges rouges, jaunes et noirs; des armes proprement suspendues servaient d'ornement. A huit pieds de distance, en dehors de la muraille qui entoure la chambre, se trouvait un autre mur circulaire, formant galerie dans les trois quarts de sa longueur. C'est là que couchent les enfans et les domestiques; l'autre quart était partagé en deux petits cabinets, où il y avait des provisions renfermées dans des paniers de jonc. Un passage entre les deux cabinets donnait sortie sur une cour fermée, destinée à divers usages particuliers. Après avoir tout examiné, comme j'allais sortir de la case, la femme que j'avais suivie posa une natte par terre dans la galerie, et mit dessus un plat en bois, rempli de riz assaisonné d'huile de palme fraîche, et d'une espèce de coquillage que l'on fait cuire après avoir cassé la coquille et l'avoir séparée; une bagane pleine d'eau pour me laver, et une petite calebasse d'eau à boire complétaient le service. Après avoir fait honneur au repas, j'allai rejoindre le roi; alors ses filles et ses parentes se pla

cèrent en face de moi pour m'examiner; elles riaient et jouaient entre elles; elles me montrèrent des verroteries et m'en demandèrent; je leur fis signe que j'en avais à bord, et par un geste que tous les nègres comprennent, je leur fis entendre le paiement que j'exigerais.

Le roi remarquant que j'avais tiré du gibier appela un petit nègre, et me fit signe de le suivre, me donnant à entendre que j'aurais occasion de décharger mon fusil; je suivis effectivement mon nouveau guide, bien aise d'être débarrassé de la pantomime que je jouais depuis une demi-heure. Le négrillon me conduisit à travers une forêt épaisse, vers un endroit fort touffu: arrivés là, nous nous mîmes à ramper sous des buissons, et nous parvînmes sans bruit auprès d'un arbre couvert de fruits jaunes; beaucoup de pigeons verts s'y étaient abattus pour manger les fruits; j'eus d'abord de la peine à les distinguer du feuillage, à cause de leur couleur ; à la fin pourtant je les mis en joue, et j'en abattis deux d'un coup; mon petit nègre sauta de joie lorsqu'il les vit par terre. Pour le récompenser de sa peine, je lui donnai la moitié du tabac contenu dans ma tabatière.

Après cette promenade, je pris un chemin qui me conduisit à un autre village, où le roi a aussi des cases et des femmes. Au milieu du village, sur une place, se trouve la maison du fétiche cette maison est petite, proprement tenue, entourée d'un treillage; entre le treillage et la maison, il y a des bananiers, des papayers et des orangers;

devant on voit un siége en bois, des instrumens aratoires, et un hangar couvert de feuilles vertes; les environs de la maison étaient balayés avec le plus grand soin. Le fétiche était sous le hangar; on avait posé devant lui du riz, du lait, du vin de palmier et de l'huile de palme; il était placé sur une natte. Ce fétiche consiste en un bloc de bois haut d'un pied, cylindrique, recouvert de pagnes, surmonté d'une imitation grossière de tête d'homme de trois ou quatre pouces de diamètre, et couverte d'un vieux chapeau rond. Les attributs du fétiche sont deux pattes de crocodile en bois, avec des ongles de six pouces de long, figurés par des cornes de gazelle. Il est probable qu'on rentre le soir le fétiche dans sa maison, que chaque matin on lui apporte à manger des provisions. fraîches, et qu'on le met prendre l'air devant sa porte.

L'habillement des femmes de Cagnabac se compose d'une collerette et d'une ceinture; ces deux pièces d'ajustement se ressemblent : ce sont quelques milliers de petites ficelles d'écorce de baobab, de six pouces de long, attachées à la file par l'un des bouts, l'autre restant flottant; elles mettent ces deux rangées de ficelles, l'une autour du cou, l'autre autour des reins; la ceinture n'atteint pas le but qu'une européenne se propose en portant un jupon; car un vêtement de six pouces de longueur, attaché sur les hanches, ne peut être considéré que comme un ornement.

Les hommes et les jeunes gens circoncis n'ont

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