Page images
PDF
EPUB

Tout esclave qui se réfugie chez les Papels est libre. Ces gens m'ont paru trop occupés de leurs cultures pour être importuns à des étrangers. Les volailles sont abondantes et à vil prix; les porcs sont aussi abondans et peu chers; le vin de palme est commun; leurs troupeaux de bœufs, quoique de petite race, sont nombreux et en très-bon état, même dans la saison sèche.

L'étranger qui voudrait chasser dans le pays des Papels doit surtout s'abstenir de tuer de soiseaux sur les arbres consacrés ; malheur à lui s'il commettait cette impiété! Ne pouvant distinguer les arbres sacrés, j'ai évité toute erreur en ne tirant jamais sur ceux que je voyais entourés de broussailles à leur pied, auxquels je remarquais qu'on n'avait coupé aucune branche, auprès desquels enfin l'herbe n'était pas foulée. Avec des gens grossiers on ne saurait trop se garder de mettre le fanatisme en jeu.

Les femmes de ce pays sont plus animées que celles de Saint-Louis; elles sont aussi plus aimables. On trouve chez elles des manières qui surprennent dans des filles presque sauvages; elles nous reprochaient d'être moins caressans, moins voluptueux que les Portugais, ce qui montre de quel côté la civilisation à fait des progrès chez elles.

Les Papels, comme tous les peuples du voisinage, depuis l'île de Jatte jusqu'à Boulam, ont souvent à souffrir de la piraterie des habitans des Bisagos.

Le 26 décembre 1828, on tira le canon toute la

journée à Bissao; m'étant promené du côté du fort, j'entendis les cris de vive don Miguel, roi absolu de Portugal! On reconnaissait le nouveau roi ce jour-là.

Un seul trait suffira pour peindre la dignité du gouvernement portugais à Bissao. Dans la salle de réception, qui sert aussi de bureau et de salle à manger, on voit une balance dans laquelle le gouverneur pèse le riz qu'il achète pour son commerce; elle est formée de deux calebasses suspendues par des ficelles, et le support de cette balance n'est autre que la toise à mesurer les soldats.

IV. Boulam.

Par occasion, je visitai Boulam, île inhabitée située à l'entrée du Rio-Grande. Elle est arrosée par des sources abondantes, et couverte de bois magnifiques. Sa position à l'embouchure du RioGrande la rendrait très-propre à fournir l'emplacement d'un établissement commercial. En la voyant si belle, si fertile, et pourtant déserte, j'ai dù naturellement en chercher le motif, et j'ai vu que ce qui empêchait les nègres de la grande terre d'y habiter empêcherait également les Européens de s'y établir.

Boulam se trouve à la suite des îles Jatte, Bussis et Bissao, et, comme elles, très-rapprochée de la grande terre. La population de ces îles partient à la même nation que celle du continent,

ap

qui est vis-à-vis. Les Papels sont un peuple puissant, brave et essentiellement cultivateur. La force de cette nation et son plus grand éloignement des Bisagos ont dû nécessairement empêcher l'envahissement total de Jatte, Bussis et Bissao, qui cependant sont encore sujettes à des pillages et à des enlèvemens d'esclaves; mais Boulam, située au sud, séparée par une grande baie, et plus rapprochée des Bisagos, ne se trouve pas sous la protection aussi immédiate du continent. Les peuples de la côte commencent déjà, vers Boulam, à être sous l'influence des mahométans de l'intérieur, seigneurs suzerains des rois de la côte, jusqu'à Sierra-Léone, et qui même, dans plusieurs endroits, envoient des gouverneurs pour administrer la justice. Les rois des peuples qui habitent vers Boulam, ayant assez à faire pour se préserver des invasions de l'intérieur, ne sauraient porter des secours efficaces aux habitans de cette île; et comme elle est plus rapprochée de l'archipel des Bisagos, c'est à ce peuple-ci que l'on doit attribuer la dépopulation de Boulam '.

Les Bisagos, habitans des îles du même nom, sont des hommes turbulens, sauvages, habitués à des expéditions sur mer. Braves et féroces, on les a vus quelquefois attaquer et enlever des navires

'Ces conjectures sont confirmées par les documens historiques; on sait, en effet, que ce sont les Bisagos qui ont chassé de Boulam les Biafars qui l'habitaient antérieurement.

*A....,

européens, qui, faute de bons pilotes, échouent souvent dans le canal des Bisagos, lorsque la marée vient à se retirer. Les nègres Bisagos rassemblent pour leurs expéditions un grand nombre de pirogues, montées par quinze à trente hommes; ils calculent l'heure de la marée de manière à arriver de nuit avec la fin du flot; ils font une descente à terre, enlèvent hommes, femmes et enfans, et repartent dès qu'ils ont assez de butin.

La traversée pour arriver à Jatte, Bussis et Bissao, est plus longue. Ces îles sont plus grandes; la population en étant plus forte, plus courageuse, les pillages ont dû y être moins fréquens et plus dangereux, tandis que lorsque les pirates rassemblent leurs forces à Cagnabac, ils n'ont qu'une traversée de quelques lieues pour se rendre à Boulam; sûrs de n'y trouver qu'une faible population rendue timide par le danger même, les pillages, sur ce point, ont dû se réitérer et déterminer enfin l'émigration totale du reste d'une population hors d'état de se défendre.

Le caractère féroce des Bisagos, leur esprit héréditaire de piraterie, leur peu de civilisation, en feraient des voisins fort dangereux pour des européens. Pour s'établir à Boulam, il faudrait s'y fortifier, ce qui exigerait de grands sacrifices d'argent; on serait obligé d'y apporter jusqu'aux manœuvres. Les peuplades des Bisagos étant très en arrière de la civilisation des autres nègres, il serait difficile de faire des traités avantageux avec eux. Chaque île de cet archipel reconnaît un roi

TOME III.

3

particulier, qui prétend avoir des droits sur Boulam; les frais de coutumes et autres présens d'usage deviendraient très-multipliés. Il serait même très-difficile de les contenter tous: chaque roi demanderait des présens proportionnés à sa puissance; et ceux qui recevraient moins, se sentant assez forts pour faire le mal, préféreraient suivre leurs habitudes que de tenir des traités qui ne les avantageraient pas autant que les autres. Il faudrait donc, pour s'établir à Boulam, des forces assez considérables, tout le poids de la guerre devant tomber sur les colons, qui n'auraient dans le voisinage aucune nation pour prendre leur parti par intérêt; il faudrait surtout une marine toujours en activité cette marine, à la vérité, ne devrait être composée que de petits navires ; mais le service en deviendrait très-dur dans la saison pluvieuse, qui est fort longue dans ces parages.

Deux établissemens, déjà essayés à Boulam, ont été abandonnés après la mort de tous ceux qui les formaient. Un européen armé doit peu craindre les nègres; mais dans un établissement commercial, il faut que le traitant puisse s'occuper tranquillement de ses affaires, qu'il ne soit pas sans cesse exposé aux invasions subites de peuples qui, n'ayant rien à perdre, n'offrent aucun avantage à

'De ces deux établissemens, l'un est celui qui fut tenté par une compagnie anglaise sous la direction du lieutenant Beaver; l'autre nous est complétement inconnu. *A.....

« PreviousContinue »