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III. Bissao.

Le commerce français peut trouver à Bissao quelques débouchés; mais les droits exorbitans qu'exigent les Portugais sont un grand obstacle aux affaires le droit d'ancrage sur les bâtimens monte à trois cents francs, et l'on prélève un droit de 24 pour cent sur toutes les marchandises.

Cependant la dépense pourrait se réduire à un cadeau de la valeur d'une cinquantaine de francs, en suivant la marche que je vais indiquer. Le capitaine étranger qui arrive doit avoir soin de faire jeter l'ancre à Banding, qui est la dernière pointe à doubler pour arriver au fort portugais. A peine mouillé, il enverra son canot à terre, prévenir le roi des Papels qu'il est son ami, qu'il a entendu parler de lui, et qu'il désire commercer avec ses sujets, sans aller chez les Portugais. Le roi aussitôt lui permet de rester et fait avertir le gouverneur portugais qu'un de ses amis est arrivé pour commercer avec lui, et qu'il ait à rester tranquille le roi Papel est assez puissant pour faire respecter par les Portugais le navire qu'il protége. En maintenant l'équipage dans la discipline et la prudence, on n'aura pas à craindre que le roi Papel se laisse gagner par les présens du gouverneur portugáis, qui ne manquera pas de lui en offrir pour qu'on lui livre le navire. Les Papels, tout simples qu'ils sont, comprennent très

:

bien qu'il est avantageux pour eux de traiter directement avec les négocians européens, sans l'intermédiaire des Portugais d'un côté c'est le monopole, de l'autre c'est le commerce libre.

Le capitaine mouillé à Banding fera des affaires bien plus avantageuses; il traitera avec des gens d'un naturel doux, point querelleurs, je pourrais presque ajouter point voleurs, si je ne savais combien cette assertion est délicate en parlant d'Africains.

Si au contraire le capitaine mouille vis-à-vis du fort portugais, il lui faudra déposer ses papiers; c'est alors qu'on le tient: le gouvernement de Bissao est une ferme de trois ans; il faut que celui qui commande fasse sa fortune dans cet espace de temps, et tous moyens lui sont bons. Aussitôt qu'il tient les papiers d'un navire, il s'informe de la nature de la cargaison, achète tout ce qu'il sait manquer dans le pays, remet une partie des droits moyennant des cadeaux onéreux. Le capitaine qui refuserait de lui vendre à son prix ou de lui faire crédit, serait sûr de voir mille difficultés s'élever pour le laisser partir. Lorsque le gouverneur a fait son marché, ses officiers se présentent, achètent à leur tour, et enfin, ces messieurs une fois satisfaits, les affaires commencent avec les marchands. D'après cette manière d'agir de l'autorité, on voit combien les articles doivent être vendus cher aux indigènes; le gouverneur et ses officiers, ayant le premier choix, prennent en to

talité les choses les plus demandées et les revendent comme ils veulent.

Pour donner une idée de la force de la végétation de ce pays, je citerai quatre fromagers qui ont poussé sur des terres de rapport, près des bastions du fort de Bissao: ces arbres ont à peu près dix brasses de circonférence à hauteur d'homme; on sait que le tronc du fromager s'élève à une grande hauteur, en diminuant insensiblement de grosseur. Curieux de connaître à peu près l'âge de ces arbres, poussés évidemment après la construction du fort, j'appris qu'il n'y avait que quatre-vingts ans que celui-ci avait été élevé.

Le fort de Bissao est bâti en pierre, entouré d'un long fossé que j'ai vu à sec, mais qui pourrait conserver les eaux pluviales pendant toute l'année, vu la nature du terrain; il existe même dans le haut de la ville une source qui, je crois, pourrait l'alimenter. C'est le plus beau fort que j'aie vu sur toute la côte.

La garnison, tant officiers que soldats, se compose de nègres, de mulâtres et de blancs. On déporte généralement du Portugal aux îles du cap Vert, et des îles du cap Vert à Bissao, à Cachéo; cela peut faire apprécier d'avance la proportion d'honnêteté qu'on doit espérer de rencontrer ici.

Les soldats sont sales, nourris seulement les jours de service: leur paie consiste en une livre de tabac et une bouteille d'eau-de-vie par mois; quelquefois l'eau-de-vie est remplacée par une livre de poudre.

Les officiers sont en proportion aussi peu payés que les soldats; ils obtiennent de l'avancement par un cadeau de cire ou de cuirs fait au gouverneur des îles du cap Vert. Les officiers et les soldats, n'étant pas assez payés pour se procurer les choses indispensables à la vie, sont obligés de faire le commerce.

Le pays m'a paru pauvre, sous le rapport commercial; les importations surpassent de beaucoup les exportations; cependant l'odieux trafic ou traite des nègres les soutient un peu. Je crois néanmoins que si Bissao était occupé par une nation européenne industrieuse et jouissant d'un commerce libre, un comptoir pourrait y offrir des avantages. On y achète de la cire, de l'ivoire, de l'écaille de tortue, des cuirs, du riz. Les habitans des îles Bisagos y viennent en pirogues vendre quelques produits.

L'aspect du pays est agréable; il annonce un peuple laborieux. Les terrains bas sont entourés de digues de trois à quatre pieds de haut; ils sont cultivés par sillons profonds, pour que l'eau Y séjourne; la communication de l'eau se fait au travers des digues, au moyen de troncs de palmiers creusés. Lorsque le propriétaire croit son champ suffisamment arrosé, il débouche le conduit de communication qui aboutit dans le champ voisin, et alors il travaille à retourner dans la terre toute la paille de riz qui est restée sur pied de la récolte précédente. Le propriétaire d'un champ situé sur le bord de la rivière a soin de n'ouvrir sa communication qu'à la marée basse.

C'est le riz que cultivent principalement les Papels. A voir les nègres travailler à leurs rizières, dans la boue jusqu'au dessus du jarret, il est facile de s'apercevoir que si le terrain est fertile, les propriétaires de leur côté sont laborieux.

Les côteaux sont aussi cultivés en sillons; on y sème du mil. Par les tiges qui restaient sur le terrain à mon arrivée, j'ai pu voir que cette plante y réussit beaucoup mieux que dans le Wallo; ces tiges étaient bien plus grosses et plus rappro

chées.

Je n'ai pas vu de villages proprement dits; chaque maison est isolée comme nos fermes en France; elle est entourée d'une étable, d'un jardin, de champs de mil, et d'un verger. Le jardin est cultivé en manioc, en ignames, et, si je ne me trompe, en choux caraïbes (j'ai mangé la plante, mais je ne pas sûr du nom). Le verger contient, et en quantité, des bananiers, des papayers, des orangers et des citronniers.

suis

Le roi des Papels a cédé aux Portugais le terrain où le fort est bâti, mais il n'a pas cédé pour cela son autorité sur le pays. Le roi s'occupe de culture comme le dernier de ses sujets, il travaille comme eux dans la boue jusqu'au jarret; on ne peut le distinguer que les jours de palabres, au manteau rouge que le gouverneur portugais lui fournit, et à un anneau de fer qu'il passe autour de son pouce; il tient à la main une plaque de même métal qu'il frappe de son anneau lorsqu'il veut parler ou rétablir le

silence.

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