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qui était chargé de déterminer les sondes sur la côte d'Afrique.

La ville de Saint-Mary Bathurst est bâtie dans une île, à deux lieues de l'embouchure de la Gambie; quoique la population en soit faible, les maisons sont tellement espacées qu'elle occupe un vaste terrain. Les rues sont très-larges et bordées d'un fossé de trois à quatre pieds de profondeur, pour faciliter l'écoulement des eaux dans la saison pluvieuse; cette précaution prouve la grande différence qui existe entre le climat de Saint-Louis et celui de Saint-Mary, quoiqu'il n'y ait pas trois degrés de différence dans leur latitude. Les caboteurs français qui viennent de Saint-Louis et de Gorée, se fournissent à Saint-Mary de poudre, de fer, d'ambre, de guinées de l'Inde et de fusils. Ils donnent en échange du vin, du corail, des verroteries (principalement du galet rouge et blanc), et enfin une partie des produits qu'ils traitent sur la côte.

Autrefois, les marchandises françaises étaient prohibées à Saint-Mary, comme les marchandises anglaises le sont à Saint-Louis ; mais les Anglais ont senti que la contrebande devenait extrêmement facile par le poste français d'Albréda, situé à quelques lieues au-dessus. Ils ont, en conséquence, permis l'entrée des produits français, moyennant 6 p. 0/0 P: sur la vente, et un droit de 6 shellings par ton

neau.

La position de Saint-Mary fait du tort au commerce de cabotage de Saint-Louis et de Gorée. Les

caboteurs vendent souvent une partie des produits qu'ils ont traités avec les nègres, d'un côté parce qu'ils trouvent à meilleur marché à Saint-Mary les articles que j'ai cités plus haut; et d'un autre côté parce que les vents contraires, qui règnent pendant la plus grande partie de l'année, et la difficulté que de petits navires éprouvent à louvoyer avec la lame de bout, les obligent à séjourner en Gambie.

A cinq lieues au-dessus de Saint-Mary se trouve Albréda, poste non fortifié, où les Français ont un résident. La pénurie des capitaux fait qu'on ne peut pas juger des avantages commerciaux que l'on pourrait retirer de ce poste; cependant il est permis de penser que notre commerce ne saurait jamais en tirer un grand parti, à cause de la concur rence de Saint-Mary, où, comme je l'ai déjà dit, on trouve beaucoup d'articles essentiels au commerce d'Afrique, à bien meilleur marché qu'on ne pourrait se les procurer chez nous.

Le dimanche, tout ouvrage cesse à Saint-Mary; on ne permet pas aux naturels de venir vendre leurs produits, ni même de fournir le marché de comestibles. Celui qui se livre au travail ou à la joie jour-là est puni d'emprisonnement ou d'amende; le seul passe-temps qui soit lawful est de s'enivrer. Il est immoral de danser ou de chanter le jour du sabbat; mais un homme peut sans offenser le morale publique noyer sa raison tous les dimanches dans les liqueurs fermentées.

Les Anglais ont à Saint-Mary un prédicateur

anglican et un autre méthodiste; ce dernier est au nombre des missionnaires. Les nègres des environs ne veulent pas entendre parler de missionnaires : ceux-ci sont donc obligés de se contenter de faire des conversions dans la ville. Les missionnaires méthodistes de la Gambie m'ont rappelé une réflexion que j'avais déjà faite en Amérique : ces messieurs accusent les catholiques romains d'intolérance et presque d'idolâtrie; pour faire juger de la bonne foi qu'ils mettent dans ces accusations, je n'ai qu'à représenter ce qui se passe dans nos églises et dans leurs temples, sur la côte d'Afrique. Chez nous, ceux qui assistent à l'office divin n'y vont que de leur plein gré, sans crainte d'être signalés, s'ils ne s'y rendent pas; le service terminé, ils se retirent tous, sans exception, tranquillement comme ils sont venus, tandis que chez les méthodistes, les temples sont souvent le lieu des scènes les plus scandaleuses; le prédicateur voit le diable, il l'exorcise; de malheureux nègres, comprenant à peine les paroles qu'on a prononcées, tombent en convulsions et ne sortent de cette crise que lorsque l'esprit malin les a quittés, grâce à l'exorcisme du prédicateur. Afin que l'on ne m'accuse pas de charger le tableau, je dirai que j'ai entendu parler de ces scènes à Saint-Mary et que je les ai vues à Richmont en Virginie et à Sierra-Léone sur la côte d'Afrique. Quoique cette matière ne soit pas de ma compétence, je ne suis pas fâché d'ajouter ce petit article au chapitre de l'esprit de tolérance que nous avons la bonté de tant admirer chez les Anglais..

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La garnison de Saint-Mary est composée de nè-gres, à l'exception des officiers; on prétend qu'il déserte peu de soldats.

Les Anglais m'ont assuré que, sans l'intercession du gouverneur de Saint-Mary, le roi de Barre eût renvoyé l'agent établi à notre comptoir d'Albréda: d'un autre côté, je sais que ce même roi a menacé les Anglais de les chasser eux-mêmes. Peut-être ne le craignent-ils pas; ils m'ont cependant paru prendre quelques précautions.

II. La Cazamanse.

Je commençai ma tournée d'essai par la Cazamanse. Cette rivière est occupée par les Portugais. Le pays environnant est habité par les Diolas, gens doux et affables. Les Français y ont eu des agens; mais je vois deux obstacles principaux à ce qu'on puisse organiser avantageusement des comptoirs chez ces peuples. Le premier est la longue possession des Portugais, qui regardent toujours tout établissement étranger, en ce lieu, comme une violation de leurs droits, et comme un abus de la force contre la faiblesse. Pour commercer dans le pays, il faudrait se servir des Portugais, ou du moins des gens qu'ils emploient; et le caractère de cette race d'Européens dégénérés n'offre aucune garantie: il faudrait ou les extirper entièrement, ce qui serait difficile, ou laisser les Français exposés à être empoisonnés; car ces gens ne se font pas de scru

pule d'user de ce moyen pour payer leurs dettes; à plus forte raison s'en serviraient-ils contre des individus qu'ils considéreraient comme des usurpateurs. Ce que j'ai vu du caractère des Portugais sur la côte d'Afrique m'a partout paru hideux, et j'avoue que je n'oserais m'établir à côté d'eux qu'en état de guerre ouverte, de guerre d'extermination je pense que l'état de paix serait infiniment plus dangereux.

Le second obstacle vient de la nature même du pays, où les transports par terre sont très-dispendieux, lorsqu'ils ne sont pas impossibles : il faut donc habiter le bord de la rivière. La Cazamanse laisse à découvert sur ses deux rives, à la marée basse, de vastes plaines de vase, couvertes d'herbes; ce terrain mou rendrait les chargemens et déchargemens pénibles; les miasmes qui s'en exhalent doivent être mortels pour tout étranger qui s'y établit, à moins que sa santé n'ait été éprouvée par un long séjour sur la côte.

Les personnes venant du Sénégal et visitant la Cazamanse doivent trouver le pays superbe sous le rapport de la fertilité; mais si l'on voulait y établir une colonie, ma seconde objection existerait toujours, et l'on ne pourrait lever la première qu'en déployant des forces considérables, vu la mortalité.

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