1 CONSIDÉRATIONS SUR L'ENSEMBLE DE LA LOI. 109 partie du code projeté; une nouvelle discussion s'est établie sur chacune de ses dispositions, et d'importantes modifications ont été faites au premier projet. La rédaction nouvelle, soumise ensuite à des conseils nombreux, a subi à son tour l'épreuve des plus graves débats, et a reçu encore des modifications essentielles. « C'est ainsi qu'a été exécuté le travail qui vous est aujourd'hui présenté. Rien ne devait être négligé, mais rien ne l'a été, en effet, pour faciliter vos délibérations et pour vous offrir un ouvrage complet et régulier sur cette matière importante et hérissée de difficultés. Le projet qui vous ést présenté ne contient, ainsi que vous le concevez aisément, aucune des dispositions réglementaires et de pure administration qui sont du domaine de l'ordonnance. Un grand nombre de dispositions de cette nature se trouvent dans l'ordonnance de 1669, et même dans la loi du 29 septembre 1791; mais il est facile d'en reconnaître les causes. En 1669, le pouvoir législatif et la haute administration de l'État étaient réunis dans la personne du Roi. Au mois de septembre 1791, l'assemblée législative avait déjà usurpé une partie considérable du pouvoir exécutif au préjudice de l'autorité royale. Il était simple et naturel alors, que, dans ces deux actes, les dispositions législatives fussent confondues avec les mesures administratives et de pure exécution. Aujourd'hui, il n'en peut être ainsi : la limite est clairement tracée entre les pouvoirs par nos institutions. La loi devra intervenir partout où il s'agit de la propriété appartenant à l'État, et qui ne peut être aliénée sans elle. Elle sera nécessaire partout où il y aura des intérêts particuliers à régler, des prohibitions à établir, des peines à prononcer, une procédure à suivre, partout enfin où des tiers se trouveront en point de contact avec l'administration. Tout le reste, tout ce qui touche au mode de régie des bois de l'État, à la justice intérieure de leur administration, à leur exploitation, à leur aménagement, forme la matière d'une ordonnance déjà préparée, et qui doit compléter, avec la loi, le système forestier du royaume. Cette division, qui est commandée par nos lois fondamentales, a ici cet avantage particulier qu'en donnant à ce qui doit être stable et permanent le caractère stable et permanent de la loi, elle laisse au gouvernement la faculté de modifier et d'améliorer l'administration intérieure des forêts, et de profiter ainsi chaque jour des utiles leçons de l'expérience. << Vous remarquerez encore, Messieurs, que le projet de Code ne contient aucune disposition relative au régime des eaux, et aucun titre qui concerne la chasse. Peu de mots suffiront pour expliquer la cause de ces deux omissions. 1 << Les règles sur le régime des eaux ou la péche ont pu et dû se trouver dans l'ordonnance de 1669. L'ordonnance avait créé ou conservé une juridiction spéciale qui s'étendait sur le sol entier de la France. Elle attribua à cette juridiction le régime des eaux, en même temps que celui des forêts; et dès lors, les règles relatives à ces deux régimes divers purent et durent être confondues dans la même loi. La même raison ne se retrouve plus aujourd'hui. D'une part, il n'existe plus de tribunal d'exception. Les actions judiciaires relatives à la pèche, comme celles qui concernent les forèts, sont portées devant les tribunaux ordinaires. De l'autre, l'administration des forêts n'agit pour la police des eaux que dans les lieux où elle a des agens : il existe un grand nombre de départemens dépourvus de forêts et d'agens forestiers, et dans ceux-là la police des eaux est exercée par les autorités locales. Il n'y a donc aujourd'hui entre les règles applicables aux deux régimes, aucune connexité nécessaire ni naturelle, et il a paru convenable de les séparer. Les dispositions relatives à la péche fluviale sont l'objet d'une loi particulière qui vous sera proposée plus tard. << Des raisons plus graves encore ont empêché de considérer les règles sur la chasse comme formant aujourd'hui une dépendance naturelle du Code forestier. Les points que doit résoudre une loi sur la chasse touchent aux plus grandes questions sociales, au droit de propriété et aux facultés qui en résultent, à l'intérêt de l'agriculture, à la sécurité publique elle-même. De pareilles questions, qui sont d'un ordre général, et qui ressortissent de la haute administration de l'État, ne pouvaient être traitées accessoirement à l'occasion d'un Code tout-à-fait 'spécial préparé pour une administration financière. Quelle que soit la loi particulière qui pourra régir la chasse et le port d'armes, les gardes forestiers devront veiller à son exécution dans les bois: c'est là tout ce qui peut leur être attribué; et cette attribution est de plein droit, puisqu'ils y exercent les fonctions d'officiers de police judiciaire. « Le projet de Code se renferme donc dans les matières qu'indique son titre : il ne s'applique qu'aux forêts, à leur conservation, à leur police, aux mesures qui peuvent en éviter la destruction ou la dégradation, aux délits et aux contraventions commis à leur préjudice. Nous ne fatiguerons pas inutilement votre attention, Messieurs, en faisant passer sous vos yeux les dispositions nombreuses dont a dû se composer un travail complet sur cette matière: ces détails ne pourraient être clairement reproduits dans une analyse rapide. Nous nous bornerons à vous en faire connaître l'esprit, et à vous en exposer CONSIDÉRATIONS SUR L'ENSEMBLE DE LA LOI. III 1 le plan et la division. Nous vous indiquerons seulement ses dispositions principales, moins pour vous donner à leur égard des explications étendues qui seront plus utilement placées dans la discussion, que pour appeler votre attention particulière sur les points qui nous paraissent les plus dignes de la fixer. Les forêts, soit à cause de leur importance, soit à cause de l'extrême facilité des délits dont elles ont à souffrir, ont besoin d'une protection particulière et de mesures répressives plus actives et plus efficaces que les autres natures de propriété. Aussi leur a-t-on appliqué en tout temps une législation exceptionnelle et spéciale. Un coup d'œil sur notre situation forestière en fera reconnaître aujourd'hui l'absolue nécessité. << Malgré la sévérité des anciens réglemens, les forêts n'ont cessé en France de perdre de leur étendue, parce que l'augmentation de la population tend constamment à les resserrer dans des limites plus étroites. A cette cause, toujours agissante, se sont jointes, depuis quarante ans, d'autres causes dont la puissance était au moins égale. Les ordonnances antérieures à la révolution avaient porté trop loin la gêne imposée à la propriété particulière. Les lois nouvelles tombèrent brusquement dans l'abus contraire, et rendirent aux propriétaires la libre et absolue disposition de leurs bois. Une destruction considérable fut la suite de cette imprudente transition de l'excès de la gêne à l'excès de la liberté. Cet abus déplorable, dont on fut effrayé, ne fut tardivement arrêté ou suspendu que quelques années après. Pendant que les bois, des particuliers étaient ainsi sacrifiés, les communes profitèrent, de leur côté, des désordres de la révolution et de l'insuffisance d'une législation irrégulière, pour anticiper les coupes de, leurs bois, pour les livrer aux désastreux abus du pâturage, et pour effectuer aussi de nombreux défrichemens. Les bois de l'État eux-mêmes n'ont pas été préservés de toute atteinte. Des circonstances extraordinaires ont fait ordonner des coupes extraordinaires, et des besoins impérieux ont obligé à des aliénations. « Dans ce moment, Messieurs, le sol forestier du royaume se compose d'environ 6,500,000 hectares de bois. Cette étendue paraît considérable; mais elle doit éprouver une forte réduction, si l'on en ôte les landes, les bruyères et les terrains dépouillés qui s'y trouvent renfermés; et, au surplus, pour étre fixé sur les ressources réelles qu'on doit attendre de cette masse de propriétés forestières, il faut en connaître la distribution : 1,100,000 hectares seulement appartiennent à l'État ou à la couronne ; 1,900,000 hectares forment la propriété des communes et établissemens publics. Le reste, c'est-à-dire plus de la moitié, est possédé par des particuliers. Cette dernière partie ne peut être considérée comme offrant pour le présent, et encore moins pour l'avenir, des ressources assurées à la consommation, et surtout aux constructions navales. « Les bois des particuliers sont divisés en un grand nombre de parcelles. Leur aménagement n'est, ni ne peut être, sans porter une atteinte grave au droit de propriété, assujetti à aucune régle générale. Leurs coupes sont et doivent être libres : aussi sontelles habituellement très-rapprochées. Ce système d'exploitation convient mieux à l'intérêt particulier et aux besoins renaissans des familles; mais il est en opposition manifeste avec l'intérêt général de la consommation, et cela se conçoit aisément, puisqu'il n'offre aucune ressource utile aux besoins maritimes, et qu'il ne donne que des produits bien inférieurs en quantité et en quantité à ceux qu'on obtiendrait d'un aménagement mieux entendu. « Il faut donc tenir pour certain que la division actuelle de la propriété forestière en France ne permet pas d'y trouver des ressources comparables à celles que pourrait offrir une masse égale, si elle était possédée soit par le Gouvernement, soit par de grands propriétaires, parce qu'ils sont les seuls qui peuvent différer les coupes jusqu'au moment où les arbres ont atteint le maximum de leur croissance. « C'est dans une pareille situation, Messieurs, que le projet de code a dû être préparé, et il n'était pas inutile de vous la faire connaître pour vous mettre en mesure d'apprécier justement les dispositions proposées. >> Après avoir passé en revue les divers titres dont se compose le projet de loi, M. de Martignac termine ainsi son discours : << Tel est, Messieurs, dans son ensemble ct dans ses principales dispositions, le Code que nous venons soumettre à vos délibérations, et qui, réuni à l'ordonnance d'exécution, complètera le travail que réclament nos forêts. Nous avons tâché de ne pas perdre les fruits de la sagesse des générations qui nous ont précédés, en nous efforçant de ne blesser aucun des intérêts, et de ne négliger aucun des besoins de l'époque à laquelle nous appartenons. Vous remarquerez des différences notables entre le projet que nous apportons, et celui qui vous fut communiqué à la fin de l'avant-dernière session des chambres. Nous nous plaisons à le reconnaître et à le déclarer, les améliorations opérées sont dues, en très-grande partie, aux judicieuses observations de la magistrature française. Lorsque Louis XIV voulut donner, sur l'importante matière qui nous occupe, une législation régulière et complète, il appela à lui toutes les expériences, et s'entoura CONSIDÉRATIONS SUR L'ENSEMBLE DE LA LỎI. 113 de toutes les lumières qui pouvaient rendre son ouvrage digne de la France et de lui. Appelé, après un siècle et demi, à remplacer cette législation célèbre, le roi a voulu aussi consulter le savoir, interroger les théoriciens, entendre l'expérience, afin que la loi nouvelle pûť, à son tour, régir dignement les générations qui vont suivre. Mais, Messieurs, cette loi qu'il a préparée aura, de plus que l'ordonnance de son auguste aïcul, une grande et noble garantie: c'est le précieux concours de ces deux grands corps politiques que nos heureuses institutious appellent à la confection de nos lois. >>> M. Favard de Langlade, rapporteur de la commission, dit à son tour : « La commission que vous avez chargée d'examiner le projet d'un nouveau code forestier, a rempli sa tâche avec le zèle et la sérieuse attention qu'exigent en général les communiçations du gouvernement, mais que commandait plus impérieusement encore une loi qui se rattache aux plus graves intérêts de la société : je viens vous rendre compte du résultat de son travail, et vous offrir le tribut de ses observations. , « L'ordonnance de 1669 était sans doute un monument remarquable du règne d'un grand prince; mais le long espace de temps qui s'est écoulé depuis sa publication, les grands changemens qui se sont opérés dans nos mœurs et dans notre législation, ont fait tomber en désuétude beaucoup de ses dispositions. La loi de 1791, quoique améliorée par des réglemens ultérieurs n'aurait que faiblement remédié à cet inconvénient, si la sagesse et la fermeté des tribunaux n'étaient venues suppléer à son insuffisance. Il était donc urgent de faire cesser cet état de choses par une loi nouvelle sur la conservation des forets du royaume. Pénétré de cette vérité, le gouvernement s'est occupé d'un code complet sur cette matière. En conservant avec soin ce que l'ordonnance de Louis XIV avait encore de bon et d'utile, il s'est appliqué à mettre ce code en harmonie avec notre législation moderne, et à concilier tous les intérêts avec les besoins de la civilisation actuelle. « La commission a d'abord applaudi au mode suivi pour préparer et perfectionner ce grand ouvrage, avant de le soumettre à la délibération des chambres. Les bonnes lois, vous le savez, Messieurs, ne s'improvisent pas; elles sont le fruit de la méditation, si nécessaire pour leur imprimer le caractère de sagesse et de perfection sans lequel elles ne sauraient ètre durables. Cette réflexion est surtout incontestable lorsqu'il s'agit de combiner et de coordonner une série de dispositions nombreuses. Si, malgré quelques défauts, dont les conceptions de l'esprit humain sont trop rarement exemptes, notre code civil a obtenu d'unani |