alors la France. Le nouveau gouvernement, scrupuleux observateur de ses propres doctrines, ne pouvait empêcher les factieux, couverts du masque de la liberté, de substituer la violence à l'empire des lois. A cette époque, chacun en jurant d'être libre, s'agite, se tourmente et tyrannise les autres : on ne parle que de liberté politique et religieuse, pendant que des factieux, les armes à la main, veulent imposer le culte ou l'opinion qu'ils professent. La rébellion reçoit des honneurs et des récompenses; la subordination dans les camps est dénoncée et punie; la marine, si admirable par sa discipline, s'insurge à son tour; bientôt nos escadres, privées de leurs chefs, livrées à des matelots révoltés, et devenues impuissantes par le vertige de la démocratie, ne peuvent plus secourir nos possessions lointaines. Ainsi sont abandonnés à nos ennemis les trésors du commerce et la gloire de notre pavillon. La passion de l'indépendance était arrivée au point qu'elle faisait oublier aux Français tous leurs maux; ils juraient avec transport d'être fidèles à une constitution qui n'existait pas encore, mais dont les bases posées semblaient devoir assurer leur bonheur. Dans son enthousiasme, le peuple était puissant, terrible, et l'autorité chargée de le contenir, obligée de le flatter, se voyait sans force et sans appui. Plein d'ardeur et d'impétuosité, il ne souffrait aucune opposition et bravait à la fois la haine des émigrés et la puissance des rois. Par l'effet des changemens survenus en France, aucune partie de l'ancien système, si l'on en excepte la monarchie, ne fut destinée à subir de plus cruelles épreuves que la religion de l'État. Lorsque cette grave matière, qui jusqu'alors avait été traitée avec tant de scepticisme par les écrivains modernes, devint le sujet des discussions de l'Assemblée, la même irrévérence qui s'était manifestée pour les titres et les priviléges mondains, l'excita à porter un œil profane et scrutateur dans tout ce qui avait rapport au culte de la Divinité. Quand le peuple dédaignait le frein de la religion, insultait ses ministres et se jouait de ses anathèmes, de sages législateurs n'avaient-ils pas à craindre qu'il ne s'affranchît tout à fait des principes conservateurs qui enchaînent les passions et maintiennent l'ordre et le repos de la société? En même temps la corruption du clergé avait porté à la religion une atteinte mortelle; pour la sauver, il fallait donc des ministres régénérés, soumis à une discipline en harmonie avec les institutions nouvelles; cette réforme était d'autant plus désirée, qu'au sein même de l'Assemblée une forte majorité s'attachait à mettre la religion hors de l'État. Le puissant Mirabeau affectait pour elle un dédain alarmant; plusieurs fois il avait nié l'existence du clergé comme corps social, et tout faisait craindre que son mépris pour les prêtres, qu'il appelait tour à tour bonzes ou druides, n'avilît tout à fait leur ministère saint et révéré. Tous les gens sages frémirent lorsqu'ils entendirent ce Jupiter de l'Olympe révolutionnaire dire avec cynisme qu'il fallait décatholiciser la France, et que pour détruire la puissance des prêtres, il suffisait d'employer contre eux l'indifférence et la disette. Mais avant de raconter ces affligeantes controverses qu'allait engendrer l'esprit révolutionnaire luttant contre l'esprit religieux, il est nécessaire d'exposer les opinions et les penchans dominans de la nation, tout en déplorant d'avance la fatale obstination qui, de principes fondés sur la foi, la charité et la bienfaisance, fit surgir les événemens les plus tragiques dont l'histoire nous ait transmis le souvenir. Il s'était formé au sein de l'Assemblée, en opposition aux novateurs, une réunion d'hommes estimés par la régularité de leur conduite et leur respect pour la religion'; ils appartenaient à cette secte autrefois persécutée, parce qu'elle repoussait les principes de l'ultramontanisme, et qu'elle prêchait une morale sévère, lorsque celle des jésuites était corrompue et vouée au pouvoir absolu. Ces hommes, la plupart avocats ou conseillers aux anciens Parlemens, étaient élèves des disciples d'Arnaud et de Pascal; quoique peu nombreux, ils allaient, par une ardeur sincère et une conviction respectable, entraîner un corps législatif plus enclin aux passions politiques qu'affectionné pour les doctrines religieuses. Ils avaient pour chef Camus, avocat du clergé, et, en cette qualité, profondément versé 'LAMETH(Hist. de l'Ass. const., par Alex. ), t. II, p. 364. dans les affaires ecclésiastiques. Avec des mœurs irréprochables, ce député était violent par tempérament, dur par caractère, laborieux par habitude, et probe par principe. Aussi habile en finances qu'en matière religieuse, il professait des doctrines dont la rigidité lui attira des ennemis, et ceux-ci, par d'injustes préventions, se sont acharnés à lui faire une réputation peu méritée. Lanjuinais, Fréteau, Grégoire, étaient ses amis intimes; comme lui jansénistes austères, ils avaient de la religion, mais c'était celle des sectaires. Nous avons vu, dans l'introduction de cette histoire, combien la querelle pour les investitures avait été funeste à nos rois, et combien l'avarice de Rome fut longtemps nuisible aux libertés de notre Église. Pour nous en affranchir à jamais, les restes du parti janséniste cherchèrent à modifier cette hiérarchie ecclésiastique qui fait du pape une espèce de divinité; dans ce dessein, ils voulaient reconstituer l'Église de France dans ses formes primitives, et ramener les croyances à toute leur pureté, en assujettissant le clergé aux, lois constitutionnelles. C'était en effet un spectacle pénible et fécond en scandales, de voir les ministres d'un culte qui a fondé l'égalité et la liberté parmi les hommes, entretenir des hostilités sourdes ou déclarées contre les franchises d'un grand peuple, et par leur obstination à rester en dehors du mouvement des idées contemporaines, faire déverser sur une religion sublime la haine et le mépris qui ne devaient retom ber que sur ceux de ses ministres dont l'irascibilité les rendait rebelles par l'impuissance d'être persé cuteurs. Alors une pensée grande et juste vint stimuler le petit nombre d'hommes patriotes et religieux que renfermait l'Assemblée. Convaincus que l'ambition sacerdotale a toujours été la cause ou l'obstacle des révolutions, et qu'un État ne peut être en repos que lorsque son gouvernement spirituel est en harmonie avec le pouvoir temporel, ils voulurent associer la religion à l'État, en introduisant dans le culte les doctrines constitutionnelles; l'immense savoir des jansénistes leur avait appris qu'il y avait identité parfaite entre les formes de la primitive Église et les bases du gouvernement représentatif. Pleins de cette grande idée, ils voulurent reconstituer le clergé et lui donner une organisation régulière appropriée à la nouvelle division territoriale de la France. En faisant revivre les usages des premiers temps du christianisme, ils espéraient affranchir l'Église gallicane de la domination temporelle des papes et la garantir des coups que lui préparaient les révolutionnaires. Ce projet renfermait un tel principe de grandeur et d'équité, qu'en séduisant les jansénistes, il ne pouvait manquer de plaire au peuple. Mais si ceux-ci songeaient à réformer des abus devenus de longues et saintes habitudes, les jacobins voulaient extirper la religion, qu'ils considéraient comme un obstacle; les uns cherchaient à abattre les |