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HISTORIQUE UNIVERSEL

POUR 1823.

PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE DE FRANCE.

CHAPITRE PREMIER.

ÉTAT de la France au commencement de 1823. Changemens dans l'administration.-Suite des négociations avec l'Espagne et l'Angleterre. Rappel du ministre français à Madrid, et renvoi du ministre espagnol à Paris. Ouverture de la session de 1823. - Discours du Roi. - Vérification des pouvoirs et nomination du bureau de la chambre des députés. — Discussion de l'adresse an Roi dans les deux Chambres.-Amendemens proposés. Présentation des lois de finances.

Us objet unique occupait les esprits au commencement de 1823, à Paris, en France, et à peu près dans toute l'Europe, les événemens de l'Espagne, où se rattache l'histoire de toute l'année. Nous avons dit comment ils avaient amené, par la manière de les envisager, sinon une sorte de scission, du moins un changement remarquable dans le conseil du Roi; mais, contre toute apparence, il n'en résulta aucune altération sensible dans le système de l'administration intérieure. Quelques préfets furent révoqués (ordonnances des 2 juillet et 8 janvier); plusieurs furent changés de place. (Voyez la liste des promotions.) Il y eut même quelques changemens dans le conseil d'état (8 janvier); mais l'esprit de l'administration resta le même contre l'attente d'un parti.

Annuaire hist. pour

1823.

I

D'ailleurs, comme nous l'avons dit, l'attention publique était tout occupée des affaires d'Espagne. On suivait avec une inquiète curiosité les nouvelles, les démarches ou les propos des ministres, et les fluctuations de la bourse, qui furent énormes dans le mois de janvier. On n'a qu'à les consulter pour avoir une idée des agitations du monde politique ou de la diplomatie. De jour en jour les espérances qu'avait données la lettre du président du conseil (25 décembre 1822) à M. le comte de La Garde, ministre de France à la cour de Madrid, s'affaiblissaient. Il s'élevait entre les cabinets de France et d'Angleterre des controverses de la nature la plus délicate; celui-ci, embarrassant la question posée à Vérone, demandait si on devait la regarder comme européenne, ou seulement comme française; il examinait si l'intervention de la France était nécessaire ou légitime. Le ministère français considérait la question comme tout à la fois française et tout à la fois européenne : française, relativement à l'immédiateté des dangers, à la proximité du territoire, aux intérêts particuliers de la dynastie, et aux relations politiques des traités; européenne, par les conséquences plus éloignées qui pouvaient en résulter. Cependant il n'avait pas 'cru devoir rappeler simultanément son ministre à Madrid, avec eeux d'Autriche, de Prusse et de Russie; mais il l'avait chargé d'attendre l'effet de cette mesure, et d'ouvrir des voies nouvelles à la négociation. D'après le bruit public, d'après mille révélations particulières et bien des documens publiés depuis, on voulait amener le gouvernement espagnol à faire des modifications à la constitution des cortès de 1822; on lui demandait la création de deux chambres, la fixation des conditions d'éligibilité, l'augmentation du pouvoir de la couronne; en sorte que le roi eût l'initiative des lois, le veto absolu, le droit de dissolution, la nomination du conseil d'état, et qu'il fût mis en position d'accorder ou de consentir librement les modifications à introduire; après quoi il serait publié une amnistie générale pour les faits antérieurs à la proclamation de la volonté royale.

Pendant que le ministère français essayait ses derniers efforts sur le gouvernement des cortès, le ministère anglais offrait inutile

ment sa médiation aux deux parties. Avec la France il se refusait à reconnaître le droit d'intervention dans les affaires intérieures de l'Espagne, et le principe que les améliorations ou modifications dussent émaner directement de l'autorité royale pour satisfaire et tranquilliser les états voisins, ni être une condition de guerre on de paix; avec l'Espagne, il ne s'engageait à rien... Un négociateur nouveau (lord Fitzroi Sommerset) devait être adjoint à son ministre ordinaire à Madrid, moins pour agir et parler au nom du gouvernement britannique que pour porter aux Espagnols les conseils d'un ami, lord duc de Wellington, qui avait apprécié les vices de leur constitution et les dangers de leur situation; mais il était bien entendu que ces conseils, développés dans le memorandum du 10 janvier, ne seraient point regardés comme une note ministérielle, et que l'adhésion ou le refus du gouvernement espagnol ne chan→ gerait en rien la situation relative ni le système du gouvernement britannique...

Au reste, le ministère espagnol s'était déjà refusé explicitement à toute espèce de concession, avant l'arrivée de lord Fitzroi Sommerset à Madrid (22 janvier), et il n'y avait guère d'apparence que cette mission d'une espèce insolite pût avoir du succès. Déjà le gouvernement français avait envoyé (le 18 janvier), à M. le comte de La Garde, ses lettres de rappel.

L'inquiétude générale se manifestait par le symptôme ordinaire dans toutes les crises politiques, par une baisse rapide dans le cours des effets publics. En France on attendait avec une impatience ou plutôt une anxiété proportionnée à l'importance des résultats, l'ouverture de la session fixée au 28 janvier, et le discours du trône comme devant résoudre la question de la guerre ou de la paix. Un incident singulier prépara les esprits à l'entendre.

On a vu, dans l'histoire de l'année dernière (p. 493), que la régence d'Urgel avait ouvert un emprunt de 80 millions de réaux (16 novembre), et qu'elle avait, par un décret exprès, chargé de la négociation de cet emprunt M. Julien Ouvrard, qui s'adjoi gnit M. Rougemont de Lowenberg.

A la première annonce de cet emprunt, M. le duc de San Lo

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renzo, ambassadeur et ministre plénipotentiaire du roi d'Espagne à Paris, avait porté plainte en police correctionnelle, en vertu des lois de 1819 et de 1822, contre MM. Ouvrard et Rougemont, pour délits d'outrage envers la personne de S. M. C., en publiant leur prospectus au nom d'une autorité qu'il qualifiait de rebelle. L'appel de cette affaire, ajourné plusieurs fois, avait été fixé, non par hasard sans doute, au même jour (28 janvier) que la séance royale. Déjà MM. Ouvrard et Rougemont avaient annoncé le projet de décliner la compétence du tribunal de police correctionnelle pour juger une question si importante, une question de paix ou de guerre;... mais tout aussitôt après l'appel de la cause, l'avocat du Roi (M. Billot), après avoir fait pressentir l'importance de la question dans le cas où la cause devrait être plaidée, annonça qu'une circonstance nouvelle venait dispenser le tribunal de tout examen de l'assignation donnée sur les poursuites faites à la diligence de M. le duc de San Lorenzo; que M. le garde des sceaux venait d'annoncer, par une lettre expresse datée de ce jour, à M. le procureur du Roi, que M. le duc de San Lorenzo avait cessé d'être reconnu en France en qualité de ministre plénipotentiaire de S. M. C. le roi d'Espagne, et qu'ainsi la cause devait être rayée du rôle. Sur ce réquisitoire, vivement combattu par l'avocat de M. le duc de San Lorenzo (M• Mauguin), qui s'étonnait de la grave responsabilité que semblait prendre ainsi le ministère dans une question de paix et de guerre, le tribunal, après en avoir délibéré pendant trois quarts d'heure, prononça que, vu la lettre du garde des sceaux, attendu que M. le duc de San Lorenzo n'avait plus auprès des tribunaux français caractère suffisant pour représenter S. M. C., il n'y avait lieu à statuer, et que la cause serait rayée du rôle.

En même temps qu'un simple tribunal de police correctionnelle rendait cet arrêt vraiment historique, le roi faisait au Louvre l'ouverture de la session législative.

Le discours que S. M. prononça dans cette occasion mérite d'être médité dans toutes ses expressions. Dans la première partie, il annonce les effets salutaires de l'action de la justice, l'heureuse issue des négociations avec le saint-siége pour l'établissement de nou

veaux diocèses, la régularisation de la comptabilité, l'amélioration ⚫ générale de la situation intérieure du royaume; mais venant, dans sa seconde partie, à la situation extérieure relativement aux affaires d'Espagne, S. M. observe avec douleur que la justice divine permet, qu'après avoir long-temps fait éprouver aux autres nations les terribles effets de nos discordes, nous soyons nous-mêmes exposés aux dangers qu'amènent des calaminés semblables chez un peuple voisin. S. M. annonce qu'après avoir tout tenté pour garantir la sécurité de ses peuples et préserver l'Espagne elle-même des derniers malheurs, les représentations faites et repoussées à Madrid laissent peu d'espoir de conserver la paix; qu'elle a donc ordonné le rappel de son ministre à Madrid, et que cent mille Français, commandés par un prince de sa famille, sont prêts à marcher pour conserver le trône d'Espagne à un petit-fils d'Henri IV, préserver ce beau royaume de sa ruine, et le réconcilier avec l'Europe.

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Si la guerre est inévitable, dit S. M. en terminant, je mettrai « tous mes soins à en resserrer le cercle, à en borner la durée; elle

« ne sera entreprise que pour conquérir la paix que l'état de l'Es

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pagne rendrait impossible.

• Que Ferdinand VII soit libre de donner à ses peuples les insti

tutions qu'ils ne peuvent tenir que de lui, et qui, en assurant leur - repos, dissiperaient les justes inquiétudes de la France. Dès ce ⚫ moment les hostilités cesseront; j'en prends devant vous, Messieurs, le solennel engagement.

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J'ai dû mettre sous vos yeux l'état de nos affaires du dehors.

« C'était à moi de délibérer, je l'ai fait avec maturité; j'ai consulté

la dignité de ma couronne, l'honneur et la sûreté de la France. Nous sommes Français, Messieurs, nous serons toujours d'ac

« cord pour défendre de tels intérêts. »

Des acclamations unanimes éclatèrent après ce discours; la salle retentit des cris répétés à plusieurs reprises, vive le Roi! vivent les Bourbons! vivent tous les Bourbons!

Il se répandit bientôt dans tout Paris que la guerre était décidée, les cinq pour cent consolidés tombèrent à la bourse à 76 fr. 70 c., et les autres effets à proportion; mais c'est le taux le plus bas où

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