Page images
PDF
EPUB

l'affaire du Champ-de-Mars et la révision, n'avaient négligé aucun moyen de ruiner sa popularité; frappé d'un incroyable aveuglement qui semblait lui dérober toutes les fautes de Louis XVI, voulant absolument sauver ce prince, et enfin engagé par des rapports avec Barnave, les Lameth, avec Malouet et tout le club des Feuillans, il se laissait entraîner à continuer la réaction qu'il avait commencée. Dans cette disposition d'esprit, le 16 juin, il écrivit de son camp de Maubeuge, à l'Assemblée nationale, une lettre dans laquelle en parlant des Jacobins, comme on en parlait dans le cercle de Marie-Antoinette ou à Coblentz (1), il imputait tous les maux de la France à cette société, et demandait la destruction du règne des clubs, ainsi qu'aurait pu le faire un général autrichien entrant à main armée sur notre territoire pour renverser la constitution.

La lecture de cette inconcevable lettre était à peine achevée que Vergniaud, indigné sans doute des applaudissemens qu'elle avait reçus du côté droit, paraît à la tribune, et réclame la parole, au milieu de l'agitation extrême de l'assemblée. L'orateur aurait pu attaquer violemment l'extrême aveuglement du général, dont le manifeste contre les ennemis de la liberté passait sous silence Marie-Antoinette et sa cour, l'aristocratie, le clergé, qui conspiraient dans notre sein, et enfin, Coblentz et sa coupable connivence avec l'étranger; mais Vergniaud, avec son caractère indulgent, et sans doute rempli du souvenir des services de l'ami de Washington, se contenta de signaler les dangers de l'exemple donné par Lafayette : « Je vous le demande, messieurs, que sont les conseils d'un général

(1) La lettre de Lafayette au roi, pour l'instruire de sa démarche auprès de l'assemblée, ne contient pas non plus un mot contre les rebelles et les ennemis du dehors, pas un mot contre les donneurs de conseils anti-révolutionnaires, contre ces hommes de la confidence intime, qui égaraient Louis XVI et avaient failli le perdre plusieurs fois. Tous les ennemis de la liberté, tous leurs complots, avaient disparu pour Lafayette devant le spectre des Jacobins.

d'armée, si ce ne sont des lois? Je n'accuse pas ici les intentions, je les crois pures, mais je crois aussi qu'il faut défendre la pureté des principes contre les généraux dans qui l'on aurait le plus de confiance. Je demande donc l'ordre du jour. » Thévenot applaudit à la généreuse hardiesse de Lafayette, qui seul peut avoir eu le courage d'adresser de telles vérités à l'assemblée. Plusieurs membres élèvent des doutes sur l'authenticité de la lettre : « Il est impossible que cette lettre soit de Lafayette,» dit Guadet. Dumas l'interrompt en s'écriant : « Non! vous n'avilirez point la gloire de Lafayette! » Guadet continue, et rappelant que la liberté était perdue en Angleterre lorsque Cromwell osait tenir le langage que l'on prête à Lafayette, demande le renvoi de cette lettre inconstitutionnelle à un comité, pour rechercher quel est le lâche qui a osé se parer d'un nom vénéré. Dumas prend de nouveau la parole, et atteste la signature de Lafayette. Enfin l'assemblée ferme la discussion; et, après quelques momens d'agitation, le renvoi de la lettre à la commission des douze est voté.

Une vie tout entière est devant nous pour attester que Lafayette avait cédé à des inspirations de son cœur, et qu'il était pur de toute pensée coupable; mais quel aveuglement et quelle imprudence! Comment son expérience lui permettait-elle de méconnaître que tout le mal venait du divorce de la cour avec le peuple? Comment ne sentait-il pas que les conseils donnés alors au roi par Dumouriez et par la Gironde étaient conformes à une saine politique, que Louis perdait tout par sa résistance à des mesures de salut public que l'opinion réclamait à grands cris? Comment un homme pesait-il plus que toute une nation aux yeux de Lafayette? Quel espoir de succès devait-il concevoir en attaquant un parti en possession des suffrages de l'Assemblée législative et appuyé sur la France? Quel pouvoir d'ailleurs aurait eu la force de détruire la société des Jacobins, unie à tant de sociétés populaires répandues sur

toute la surface du royaume, et en contact perpétuel avec le peuple, qui leur prêtait son appui? Si Lafayette, qui embrassait la cause du roi sans être avoué par le prince, qui ne l'aimait pas, ni par la reine, à laquelle il était odieux, les eût entraînés à l'exécution de son projet, la Gironde et les principaux membres des Jacobins étaient perdus ; ils n'avaient à choisir qu'entre l'échafaud et la victoire. Ils comprirent leur situation; sans être alarmés par une démarche dont ils avaient d'abord jugé la portée, ils se dirent entre eux : Lafayette échouera; mais un homme plus hardi, plus habile que Lafayette, un général favorisé par la victoire, pourrait survenir et renouveler avec succès peut-être la tentative d'intimider et de contraindre l'Assemblée nationale; sachons prévoir et détruire cette chance de succès pour nos ennemis. Le roi n'a point osé accepter les propositions de Lafayette, mais il ne cherche toujours qu'une occasion de nous échapper et de reprendre le pouvoir absolu; il faut en finir avec lui, et l'enchaîner à jamais dans les liens de la constitution, ou le renverser si aucun moyen ne nous est offert de sauver notre tête et d'assurer la liberté.

La lettre du général, lue dans la séance du 18, avait mis la capitale en feu; le lendemain, par une suite des conseils de Lafayette et par la plus fatale des coïncidences, l'assemblée reçut la lettre suivante du ministre de la justice : << Monsieur le président, j'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée nationale que le roi vient d'apposer la formule constitutionnelle, le roi examinera, 10 sur le décret du 27 mai 1792, qui détermine le cas et les formes de la déportation des ecclésiastiques insermentés ; 2o sur le décret du 8 de ce mois, portant que la force publique sera augmentée de vingt mille hommes pour le 14 juillet signé Duranthon. » Demain l'émeute répondra à ce message; demain sera un jour de crise où le peuple, sans se souiller par les excès et les crimes des 5 et 6 octobre,

viendra, pour la seconde fois, assiéger le roi dans son palais, et présenter une pétition les armes à la main.

Pendant que les Girondins délibéraient entre eux sur des circonstances si critiques et sur les mesures à prendre, Santerre appelait chez lui à des conciliabules secrets Fournier l'Américain, électeur de 1789, Vernières, le boucher le Gendre, nature brute mais éloquente, Rossignol, garçon orfèvre, homme paisible, mais poussé loin de son caractère par la révolution, et d'autres encore qui tous avaient plus ou moins de crédit sur le peuple. Le 16 juin, le conseil général où figuraient un Polonais nommé Lazouski, capitaine de canonniers, les citoyens Le Bon, Lachapelle le jeune, de la section des Quinze-Vingts, Genty de Lyon, Bertrand, de la section des Gobelins, étaient assemblés. Quelques uns d'entre eux, d'accord avec les chefs des patriotes, annoncèrent que les deux faubourgs présenteraient à l'Assemblée nationale et au roi des pétitions relatives aux circonstances, et planteraient ensuite l'arbre de la liberté sur la terrasse des Feuillans, en mémoire de la séance du Jeu de Paume. Ils demandaient au conseil général d'autoriser les pétitionnaires à se revêtir des habits qu'ils portaient en 1789.

Le conseil refusa, comme il le devait, cette autorisation; les pétitionnaires déclarèrent qu'ils persistaient dans leur résolution de se présenter en armes à la chambre et au roi; au même moment Robespierre, à la tribune des Jacobins, dénonçait les projets liberticides de la cour; dans le club des Cordeliers, la voix terrible de Danton criait aux armes! comme à l'approche de l'ennemi. Vainement le maire Pétion, requis par le directoire du département, donna des ordres pour empêcher tout rassemblement contraire à la loi. Dès le 19 au soir, tout s'émut dans le faubourg Saint-Antoine, où Chabot, après avoir parlé avec une extrême violence à la tribune de la section des Enfans-Trouvés, osa finir son discours par ces paroles

décisives: <«< Mes enfans, l'assemblée vous attend demain sans faute, à bras ouverts. » Le lendemain, dès cinq heures du matin, une troupe considérable d'hommes armés et non armés, un grand nombre en uniforme, ayant au milieu d'eux les grenadiers, les fusiliers, les chasseurs avec leurs drapeaux, commençaient à s'ébranler sans qu'aucune représentation pût les arrêter. Santerre était à la tête de cette multitude, qui, s'acheminant vers l'assemblée, grossissait à chaque pas comme une avalanche. A la nouvelle du mouvement, Roederer, procureur-généralsyndic, vient, au nom du directoire, déclarer aux députés l'état de Paris, certifier les bonnes intentions des citoyens, et cependant essayer de rejeter sur la représentation nationale la responsabilité des événemens qui pouvaient survenir si les pétitionnaires, s'appuyant des excmples du passé, voulaient absolument défiler en armes dans le sanctuaire des lois. Vergniaud, prenant acte des déclarations du procureur-syndic, se plaît à croire qu'il ne s'agit que d'une pétition présentée par des hommes sans armes : et néanmoins, dit-il à ses collègues, si l'on pense que jusqu'au moment où le rassemblement sera dissipé, il existe quelque danger, vous devez le partager, et je demande que vous envoyiez soixante commissaires chez le roi. Dumolard, en appuyant plus fortement sur le danger d'admettre des députations armées, signale, sans oser la nommer, une faction dont le but est d'anéantir la constitution et la royauté.

Gilbert soupçonne l'aristocratie d'avoir provoqué le mouvement; Thaurillon annonce que les citoyens attroupés traînent avec eux des pièces de canon. Vergniaud veut répondre à Dumolard, mais le président donne lecture d'une lettre de M. Santerre, commandant du bataillon du faubourg; nous la rapportons ici : « Monsieur le président, les habitans du faubourg Saint - Antoine célèbrent aujourd'hui l'anniversaire du serment du Jeu de Paume.

« PreviousContinue »