Page images
PDF
EPUB

chefs. Certes, les deux écrivains étaient bien coupables, et l'on ne doit pas s'étonner de voir l'Assemblée législative, moins indulgente que l'Assemblée constituante, et placée d'ailleurs dans des circonstances bien plus orageuses, lancer un double décret d'accusation contre les deux journalistes. H est curieux d'observer comment les écrivains périodiques, entre autres l'auteur des Révolutions de Paris, en soutenant les vrais principes sur la liberté de la presse, ne craignaient pas d'excuser Marat et d'innocenter ses violentes provocations. Au reste, même au milieu des plus étranges apologies, ils disaient vrai sous un certain rapport. Et quelque influence que des craintes exaltées, les unes toutes personnelles, les autres inspirées par une véritable sollicitude pour la chose publique, pussent attribuer à la licence des écrits, d'autres causes, plus graves et plus réelles, entretenaient l'effervescence générale. Sur le Rhin, les armées de l'Europe nous menaçaient, et la guerre avait été inaugurée par une défaite qui passait aux yeux de tous pour une trahià l'intérieur une aristocratie dévouée à l'étranger, puissante encore dans quelques provinces de l'ouest et du midi, prête à réagir contre la révolution : des prêtres dissidens et rebelles qui préparaient la guerre civile. De tous nos ennemis du dedans, les prêtres passaient avec raison pour les plus dangereux. Cette conviction générale amena des mesures sévères. Le 24 mai, François de Neufchâteau, homme attaché aux principes de la révolution, mais modéré par caractère, fit néanmoins, au nom du comité des douze, un rapport dans lequel il proposait un décret des plus rigoureux contre les prêtres non assermentés. La discussion s'ouvrit, plusieurs projets se succédèrent à la place de celui du comité, qui parut insuffisant. Guadet ayant demandé la déportation pour les prêtres réfractaires, son avis, encore plus vivement appuyé que combattu, réunit les suffrages. Le 27 mai,

son;

l'assemblée rendit un décret de colère qui autorisait les autorités locales à déporter dans vingt-quatre heures, hors des limites du district, dans trois jours hors du département, et dans un mois hors du royaume, les membres de l'ancien clergé qui ne s'étaient pas conformés à la loi sur sa constitution civile.

Ce décret était d'un effrayant arbitraire; il blessait le principe de la liberté de conscience, il violait la charte et la déclaration des droits; mais nous étions déjà sortis du régime constitutionnel pour entrer dans le gouvernement révolutionnaire, et dans les résolutions que l'esprit de parti et la nécessité suggérèrent à un peuple assiégé de tous côtés, voilà sous quel point de vue il faut considérer désormais les lois de l'assemblée qui va être entraînée à s'emparer de tout le pouvoir exécutif, et à prendre toutes les mesures propres à désarmer un ennemi.

La garde royale, qui aurait dû être d'une rare circons pection et fuir tous les moyens d'éveiller contre elle des soupçons qui ne pouvaient que retomber sur le roi, foulait aux pieds tous les conseils de la prudence, et semblait prendre à tâche d'exciter la méfiance des citoyens. Cette méfiance, après avoir éclaté aux Jacobins, aux Cordeliers, dans toutes les sections de Paris, s'empara de l'Assemblée nationale, irritée encore par d'autres causes. Douze Suisses eurent l'audace d'arborer la cocarde blanche à Neuilly; des révélations avaient appris aux députés que des dépôts considérables de papier venaient d'être brûlés à Sèvres, et l'opinion publique n'avait pu manquer de faire, de cette circonstance, un grave sujet d'alarme et d'accusation. La section du Théâtre-Français, éveillée par les craintes généralement répandues, et par un rapport du comité des douze à l'assemblée sur les dangers de la chose publique, s'était déclarée en permanence ; d'autres sections en l'imitant étaient venues en armes offrir leur appui aux mandataires de la nation, et leur demander le licenciement

de la garde royale. L'assemblée, à son tour, frappée de l'émotion et des vœux du peuple, se mit en permanence, et après avoir entendu sur la maison militaire du roi, sur le moral, le choix et la conduite des hommes dont elle se composait, un rapport de son comité, rapport suivi d'une orageuse discussion, elle rendit enfin un décret d'urgence qui prononçait le licenciement de cette troupe séditieuse, et en ordonnait le renouvellement. Stanislas Girardin, alors aussi dévoué à la dynastie qu'il lui sera hostile sous la restauration, s'efforça vainement de conjurer une résolution qu'il regardait comme le gage de la perte de Louis XVI. Ce député ne se trompait pas, mais sa vigoureuse résistance et ses sinistres prédictions ne purent ébranler la résolution de l'assemblée, que les Girondins avaient convaincue de la nécessité de détruire un foyer de contrerévolution. Louis XVI voulait paralyser ce décret par le véto; mais Dumouriez, en rappelant au roi le renvoi de ses gardes-du-corps, le décida trop facilement peut-être à exécuter le décret. Le ministre voulait en même temps qu'une nouvelle maison succédât à celle qui venait d'être licenciée ; le prince qui comptait sur cette troupe, à laquelle il conservait ses appointemens, refusa de la remplacer. Le trop fameux repas des gardes-du-corps avait produit les journées des 5 et 6 octobre et la première captivité de Louis XVI à Paris; l'insolence et les fautes de sa garde constitutionnelle le livrèrent sans protection aux emportemens du peuple.

Dans cette circonstance, Dumouriez était d'accord avec la Gironde, évidemment animée du désir de s'emparer du roi en l'arrachant à l'influence des contre-révolutionnaires : mais les Guadet, les Vergniaud, avaient espéré régner absolument dans le conseil sur Roland ct Dumouriez ; le premier acceptait leur direction, mais ils s'aperçurent bientôt que son adroit et ambitieux collègue voulait marcher seul et se rangeait souvent du côté du roi dans

les délibérations. Dès ce moment ils abandonnèrent celui qu'ils regardaient comme leur créature aux attaques sans cesse renaissantes des Jacobins, qui ne voyaient pas sans inquiétude la souplesse, la dextérité, la marche double, l'audace et la résolution du véritable chef du cabinet.

Malgré des dissentimens assez marqués, les six ministres paraissaient cependant vivre en assez bonne harmonie lorsque Degrave, effrayé de la responsabilité qui pesait sur lui depuis le mauvais succès de notre entrée en campagne, déposa brusquement le portefeuille du ministère de la guerre, que la Gironde obtint pour Servan, alors colonel dans l'un des régimens de Paris. Servan n'était dépourvu ni de courage ni de lumières; mais sous le rapport des talens et des ressources de l'esprit, il ne pouvait lutter contre Dumouriez, avec lequel il se trouva bientôt en opposition ainsi que Roland, encore plus ennemi que lui de la domination exclusive d'un autre homme dans le conseil. La gravité des circonstances et la nécessité bien sentie suggérèrent à Servan l'idée de proposer la formation, sous Paris, d'un camp de vingt mille hommes, choisis dans les départemens, pour protéger l'Assemblée nationale et mettre à l'abri d'une attaque la ville centrale de la liberté. Les Girondins, alors en possession de la majorité dans l'Assemblée législative, et appuyés de Pétion, maire de Paris, accueillirent avec transport une idée qu'ils avaient peutêtre inspirée à Servan, et la firent consacrer par un décret daté du 8 juin. L'expérience nous a cruellement appris combien, en temps de guerre et surtout dans le cas d'une invasion tentée par les ennemis, un camp est utile en avant de Paris. Si Napoléon eût pris cette sage mesure en 1814, il serait peut-être encore sur le trône. Mais ce qui pouvait sauver le pays ne rassurait pas la cour; elle ne vit dans le rassemblement des vingt mille hommes qu'un moyen d'influence pour le parti girondin, et se crut per

due. Le roi déclara à Dumouriez qu'il ne consentirait pas à la volonté de l'Assemblée nationale. On employa dans les deux partis tous les moyens imaginables pour et contre l'exécution du décret. Les royalistes s'efforcèrent d'alarmer les gardes nationaux en leur signalant les vingt mille hommes comme une force destinée à les combattre et à les écraser. Ils disaient à la bourgeoisie qu'il n'y aurait ni personnes ni propriétés sacrées pour le ramas de bandits que l'on voulait réunir aux portes de la capitale.

Les monarchiques présentèrent contre le camp une pétition signée de huit mille citoyens. Les Girondins s'appuyèrent, pour défendre la mesure adoptée par l'assemblée, de toutes les signatures des Jacobins. Dumouriez avait attaqué ouvertement, dans le conseil, le ministre Servan, qui seul et sans se concerter avec ses collègues, avait fait la proposition du camp des vingt mille hommes. La dispute avait été si violente que, sans la présence du roi, elle aurait pu causer l'effusion du sang. Cependant le ministre opposant voulait la sanction du décret, et conseillait aussi l'approbation de celui sur les prêtres; mais en même temps il desservait Servan, Clavières et Roland, en disant au roi que ce nouvel embarras lui avait été suscité par une coterie ministérielle dont il fallait enfin se débarrasser. A la vérité les trois opposans conjurés avec la Gironde, inquiète et mécontente, se défiaient du roi, tenaient Dumouriez pour suspect, et contrecarraient ses desseins. Roland surtout rompait en visière à Dumouriez; il avait proposé dans le conseil une lettre de tous les ministres à Louis XVI: ceux-ci avaient unanimement refusé. Mais poussé par l'exaltation de sa femme, et par l'imprudence calculée des Girondins, il écrivit en son propre nom une remontrance pleine d'une franchise et d'une âpreté qui ne pouvait, comme l'observait de Vaublanc, que produire une rupture entre le trône et le parti populaire. Loin de se rendre à ces bonnes raisons, Roland, opiniâtre par ca

« PreviousContinue »