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cinq mille hommes, enlever cette position et attendre l'effet du mouvement principal. Un corps de trois mille six cents hommes avait aussi reçu l'ordre de sortir de Lille, de s'emparer de Tournay, d'y laisser garnison, s'il ne trouvait pas de résistance, et de rejoindre ensuite Biron avec le reste de ses troupes. En même temps, Carle, maréchal de camp, parti de Dunkerque avec douze cents hommes, marcherait sur Furnes pour sonder les dispositions des Flamands, et se conduire suivant les espérances d'insurrection et les progrès qu'auraient faits les trois autres corps.

Ce plan était bien conçu; le ministère comptait sur un premier succès capable d'électriser une nation toute d'élan ; d'après les dispositions arrêtées par le ministre, les premiers corps engagés devaient être promptement soutenus par trente mille hommes de troupes et par des bataillons de gardes nationaux qui s'organisaient en toute hâte dans le nord et l'ouest de la France. Ce nouveau renfort de troupes fraîches était destiné à favoriser le succès de la seconde campagne.

Biron, suivant les ordres qu'il avait reçus, se mit en marche le 27 avril, attaqua le 28 Quiévrain. Après avoir chassé de ce poste un faible détachement aux ordres de Beaulieu, les Français s'avancèrent sur Mons; mais aucune insurrection n'ayant éclaté dans cette ville, comme on l'espérait, le général se replia jusqu'à Baisieu. Tout était tranquille dans le camp lorsqu'une terreur panique s'empare des soldats. On crie à la trahison, on fuit dans toutes les directions; en vain Biron veut retenir ses soldats, Beaulieu paraît bientôt, attaque les fuyards, en tue deux cent cinquante, et s'empare de quelques pièces d'artillerie. Les Français, que rien ne saurait retenir dans ces momens imprévus et désordonnés, ne s'arrêtèrent qu'à Quiévrain! De son côté Théobald Dillon, conformément au plan que nous avons indiqué, sort de Lille; il encontre

sur les hauteurs de Marquin les troupes autrichiennes ; au premier coup de canon ses soldats prennent la fuite, frappés d'une terreur inexplicable comme celle des troupes de Biron à Baisieu. Dillon veut reformer ses colonnes, elles continuent à fuir jusqu'à Lille! Les hommes qui venaient de se conduire d'une manière si indigne poussent la violence jusqu'à pendre aux créneaux de la place le colonel du génie Berthois. Le malheureux Dillon rentrait blessé dans la ville, les soldats mutinés se saisissent de lui, le déchirent de leurs mains et le traînent en lambeaux dans les rues de Lille. En apprenant les désastres de Quiévrain et de Marquin, Lafayette, parti de Metz, s'arrêta à Givet, extrême frontière, où il était parvenu avec la plus grande peine ; il s'établit dans le camp de Meusenne, le 1er mai.

Ce début déplorable, mais facile à prévoir dans l'état des choses, démoralisa l'armée française, la réduisit à se tenir sur la défensive, et ferma pour long-temps les Pays-Bas à l'invasion révolutionnaire. Les patriotes de ce pays, assez sages pour attendre l'événement avant de se compromettre, ne furent pas tentés de résister après cette déroute; ils ajournèrent leurs espérances et leur nouvelle insurrection. Dans tout notre mouvement offensif, une seule opération avait réussi. Luckner, commandant de l'armée d'Alsace, avait établi son camp entre Lauterbourg, Landau et Weissembourg; il détacha une partie de ses troupes, et ordonna à Custine de s'emparer de Porentruy. Quatre cents Autrichiens occupaient cette place; mais le prince-évêque ne voulut pas courir la chance des armes, et se retira avec eux à Brienne en Suisse. Custine, de son côté, fit élever des retranchemens sur le mont Laumont pour commander les défilés de Fribourg, Brienne, Bâle et Soleure.

Les désastres de nos armes retentirent avec fracas à Paris. Le peuple criait à la trahison; il accusait les mi

nistres. De leur côté, les Feuillans et les Jacobins se renvoyaient tour à tour la responsabilité des cruels événemens qui ravivaient les espérances royalistes. Personne pourtant n'était coupable. Les ministres, malgré les reproches qu'on leur adressait avec violence, n'avaient point manqué à leurs devoirs; les généraux avaient rempli les leurs. Mais la pénurie du trésor, la difficulté d'assurer les divers services, firent éprouver des besoins aux troupes dans les marches. D'un autre côté, les soldats étaient remplis de soupçons et d'alarmes, comme le peuple luimême ; ils n'avaient point dans leurs chefs cette confiance nécessaire au succès des opérations militaires : on trouvait dans les corps, outre les séditieux par occasion et par entraînement, des caractères brouillons, et enfin de ces mauvaises têtes qui prennent feu, et suffisent pour incendier tout un régiment. A des troupes dans de telles dispositions, il fallait, pour se mettre en train de la victoire, des épreuves, des périls, des revers même qui leur fissent sentir la nécessité de la discipline; il leur fallait ou des généraux entourés d'une grande renommée, ou des chefs qui eussent grandi tout à coup sur le champ de bataille, en présence du soldat; les maréchaux Luckner et Rochambeau n'avaient point le premier de ces avantages; le second manquait à Lafayette. D'ailleurs ces trois commandans, divisés d'opinions, obligés d'obéir à des plans qui arrivaient tout tracés de Paris, se trouvaient enchaînés dans des liens trop étroits dont les circonstances ne permettaient pas de s'affranchir. Enfin l'expérience a démontré qu'il ne fallait qu'un général sur cette frontière, et qu'une seule volonté pour imprimer le mouvement à de grandes opérations.

Les émigrés se réjouirent de cet échec, et chansonnèrent la lâcheté plébéienne. La noblesse, restée en France, applaudissait tout bas à ces insultes; elle secondait, par ses intelligences, les efforts des étrangers; mais, retenue

par la crainte des émeutes populaires, elle réprimait soigneusement toute démonstration indiscrète. En ce moment on s'occupait, dans l'ombre, à composer la garde constitutionnelle du roi; où, au mépris des dispositions précises de la loi (1), on faisait entrer tous les coupejarrets et tous les chevaliers d'industrie de Paris! Cette garde, ainsi composée, ne tarda point à se signaler par le plus mauvais esprit. En effet, les officiers de ce corps poussèrent l'audace et le délire jusqu'à insulter la garde nationale, et même à se déclarer ouvertement les ennemis de la constitution. Aux yeux de ces suppôts de l'ancienne aristocratie, de ces satellites du pouvoir absolu, les Feuillans eux-mêmes étaient des révolutionnaires qu'on ne pouvait fréquenter.

Les Jacobins, qui, comme toutes les assemblées populaires, manquaient de patience, ne tardèrent point à accuser ces imprudens amis de la royauté, et ne cessèrent de poursuivre la garde royale; mais Louis la défendait toujours, et quand Dumouriez lui faisait part des craintes des patriotes, il se contentait de répondre au ministre : « Ah! pardi, s'ils soupçonnent le duc de Brissac d'être un chef de conjuration, ils ont grand tort!... >>

Ce n'est point par de semblables paroles que l'on dissuade un peuple si souvent trompé, on ne fait au contraire que l'irriter; Louis, mieux inspiré, se serait hâté d'arrêter le mal dans sa source; puisqu'il trouvait en lui la force de s'opposer par le véto à la volonté nationale, il devait, au moins, avoir le courage de réprimer les excès déplorables de quelques étourdis de sa maison qui ne faisaient que le compromettre et lui aliéner des cœurs,

(1) Titre III, chap. II, art. 12. « Le roi ne pourra choisir les homines de sa garde que parmi ceux qui sont en activité de service dans les le troupes de ligne ou parmi les citoyens qui ont fait, depuis un an, service des gardes nationales, pourvu qu'ils soient résidens dans le royaume et qu'ils aient prêté le serment civique. »

dans un moment où les dissensions entre lui et le peuple pouvaient devenir si funestes à la couronne.

La guerre était commencée, il fallait pourvoir aux dépen. ses qu'elle nécessitait; l'assemblée rendit un décret portant création de trois cents millions d'assignats, création qui élevait la somme totale de cette monnaie fictive à dixneuf cents millions. Ainsi le terme de douze cents millions prescrit par la constituante à l'émission des assignals était dépassé, et les prévisions de Talleyrand se réalisaient. Mais on n'avait point d'autres ressources, il fallait bien user de celle-ci. D'ailleurs, avant de périr, elle rendra d'immenses services. Les assignats vaincront l'Europe, sauveront la France, et serviront à fonder la liberté on peut acheter de tels bienfaits même par de très grands sacrifices.

Dans la crise où nous nous trouvions, la confiance était un des plus grands besoins de l'époque, soit pour soutenir le crédit public et avec lui la valeur des assignats, soit pour favoriser le développement de nos forces, et accroître la puissance du gouvernement chargé de les diriger ; mais tout tendait au contraire à répandre le découragement dans la nation et le trouble dans nos camps. Royou, l'un des zoïles de Voltaire, auteur de l'Ami du roi, le plus audacieux et le plus cynique calomniateur de la révolution et de ses chefs, disait ouvertement que le dernier jour de la révolte avait paru, que l'heure du réveil était sonnée pour les royalistes, auxquels il donnait ainsi l'avantgoût d'une Saint-Barthélemy des patriotes. D'une autre part, Marat, rédacteur de l'Ami du peuple, Marat, qui n'était encore que le plus terrible des proscripteurs en paroles, dénonçait avec une espèce de fureur l'Assemblée législative à la France entière, et allait jusqu'à dire que, puisque nos généraux, bas valets de la cour, livraient les frontières aux ennemis, notre armée n'avait rien de mieux à faire, pour commencer, que de massacrer ses

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